Chapitre 15 : L’écho des balles
Mikhaïl a pris ma main et la serre si fort que ma circulation sanguine se coupe. Il ne dit rien. Le silence n’est pas le même que cette fois-là, quand je me suis endormie.
Je l’oblige à lâcher ma main, puis, lentement, je remonte le sweat sur mes hanches, jusqu’à ce qu’apparaisse la cicatrice, sinistre souvenir du solstice.
Hermès plaque une main devant sa bouche devant cette vision.
— Elle est sortie de l’autre côté, j’ai à peu près la même chose dans le dos.
Je ne sais pas si cette information sert à combler autre chose que le silence entre nous.
Il ne sait pas quoi répondre. Son regard est douloureux. Je laisse retomber mon vêtement.
— Qu’est-ce… Qu’est-ce qu’il s’est passé, ensuite ? demande-t-il finalement.
Mikhaïl tourne la tête dans ma direction. C’est ce qu’il espère savoir depuis longtemps, lui aussi. La suite. Comment j’en suis arrivée à rejoindre les Oiseaux, après ça.
— Ensuite… Les choses n’étaient plus les mêmes. Les Oiseaux ont renversé le gouvernement de Sophia Lombre. Ils ont mis Ginevra Rosso au pouvoir. Toute possibilité de paix a été anéantie.
— Je… Je voulais dire pour toi, Solange.
Mikhaïl est attentif. Il ne bouge plus d’un millimètre.
— Eh bien… Pas mal de choses… et j’ai fini par arriver ici.
Je me lève. Je n’ai plus envie de parler de ça. Je ne l’avais jamais raconté à personne avant aujourd’hui. Et pour l’heure, moi aussi, j’ai besoin de réponses. Alors chacun son tour. Je me tourne pour faire face à Hermès.
— Qu’est-ce que tu sais au sujet de ma tante ?
Hermès pâlit. Il jette un coup d’œil à Mikhaïl, qui hoche discrètement la tête.
— Je pense qu’il vaut mieux que je te montre.
Il se lève à son tour.
On le suit à travers le manoir. C’est immense. À l’étage, je découvre un gigantesque portrait de famille représentant les Mestre. Il occupe un large pan de mur, impossible de le manquer. Je m’arrête et le fixe, sourcils froncés. Je reconnais Hermès, beaucoup plus jeune, et sa mère qui lui a donné son sourire. Son père a lui aussi un visage gentil, il respire la joie de vivre. Mais c’est la Maeve d’Hermès, également présente sur l’image, qui attire mon attention. On peut dire que la famille est fière de son travail… C’est tout de même un peu étrange, de s’afficher ainsi avec un simple ordinateur.
Quand il constate que je me suis arrêtée, Hermès revient sur ses pas. Il se tient à côté de moi quelques secondes, observant lui aussi le portrait.
— C’est ma sœur.
Stupéfaite, je me tourne vers lui.
Son regard se fait lointain.
— Ma sœur, Maeve.
J’entrouvre la bouche. Il a une sœur ? Qui porte le même nom que les Maeve ? Pourquoi je ne savais même pas qu’il avait une sœur ?
Il tourne finalement la tête vers moi, un sourire triste sur les lèvres.
— Elle était malade.
Puis il hausse les épaules et repart. Quant à moi, je reste transie. Mikhaïl vient poser une main sur mon épaule.
— Elle est morte. Elle avait quatorze ans. Elle était…
Mais je m’éloigne aussitôt de Mikhaïl. Ce n’est pas à lui de me raconter ça… Mon cœur s’est mis à battre à vive allure. Je rattrape Hermès qui ne réagit pas vraiment. Il s’arrête devant une pièce fermée, renseigne le digicode et me fait signe d’entrer.
Nous débouchons sur un grand bureau.
Hermès s’approche d’une étagère et saisit un énorme carton rempli de dossiers. Ça a l’air lourd, vu le bruit assourdissant quand il le pose au sol. Puis il l’ouvre et un nuage de poussière jaillit. Quand il s’estompe, je ne vois rien d’autre que du papier.
Je m’attendais à un ordinateur… Hermès pince les lèvres avant de croiser mon regard.
— Ta tante… C’est une partie de son travail, ici.
Dans un état second, je remarque vaguement Mikhaïl passer une main nerveuse dans ses cheveux. J’approche la boîte.
Je n’ai pas les mains moites.
Mon cœur ne bat pas à cent à l’heure.
Les yeux rivés sur Hermès, ma curiosité au sujet de cette boîte a un peu diminuée.
Il a les bras croisés devant lui, les ongles enfoncés dans sa peau.
Mais lui, il regarde seulement le carton.
Alors je cède.
Je prends les papiers, les parcours rapidement du regard. Pas de doute, c’est bien tata Béa qui a rédigé ces documents. Dans une ébauche du langage que je connais. Il y a quelque chose de primitif dans ces tracés. Quelque chose qui me raconte ma tante quand elle était beaucoup plus jeune et que je ne suis pas certaine d’avoir envie de connaître.
— À vrai dire, indique Hermès, je crois que ma mère n’a gardé que cette boîte parce que c’est la seule qu’elle n’a pas encore parfaitement pu lire. Certains codes sont expérimentaux, d’autres sont inachevés, d’autres, simplement incompréhensibles. Le reste est au Symbiose, je crois. Non ?
Il a tourné la tête vers Mikhaïl qui a se mord les lèvres.
— ‘Sais pas, marmonne-t-il.
Autrement dit, « oui ».
Hermès ne semble pas saisir le dilemme qui agite Mikhaïl. Il me tourne à nouveau la tête vers moi et s’efforce de sourire.
— Ma mère admire beaucoup son travail, tu sais. Elles ont fréquenté Avril Cassan à peu près à la même époque. Enfin, du temps où c’était « La Grande École ». Ma mère est plus vieille, elle était déjà à la fac quand ta tante était au lycée, mais Béatrice Trivia était sacrément connue. Une tête. Elle bossait sur tellement de trucs, des avancées technologiques incroyables. Et puis, c’était la seule estholaise à avoir jamais réussi le concours… Jusqu’à ce que tu arrives.
Il m’approche enfin et regarde les documents par-dessus mon épaule.
— Quel dommage qu’elle ait laissé tout ça inachevé… Qu’elle soit jamais revenue pour le terminer et… qu’elle ait vendu ses capacités aux Oiseaux. Ma mère dit que c’est du beau gâchis…
Il me jette un coup d’œil oblique puis pince les lèvres.
— Excuse-moi. C’est quand même ta famille, je devrais pas…
— Non. Pas grave.
Je reste silencieuse quelques secondes, méditant sur les paroles d’Hermès. À l’entendre, on croirait que si tata Béa n’est pas revenue à Solavie, c’est qu’elle ne voulait pas revenir à Solavie. Non, Hermès. On ne l’a pas laissée retournée à Solavie. Elle voulait achever son œuvre…
Mais que je le dise, qu’est-ce que ça changerait ? Il y a encore et toujours deux vérités. Peut-être davantage encore.
Je referme le carton et laisse mes doigts glisser sur la surface plastifiée du couvercle. J’ai le sentiment que tout ça est sans saveur. Cette preuve irréfutable que les recherches de tata Béa ont servi à Solavie. N’était-ce pas pourtant exactement ce que j’espérais trouver ? Je ne sais plus. Ai-je voulu prouver que Solavie a tiré la première balle ?
Je me tourne enfin vers Mikhaïl.
Il a un regard suppliant.
— Est-ce que ça a vraiment de l’importance, Solange… ?
***
Les jours et les nuits qui ont suivis me semblent incertains. J’ai l’impression d’avoir forcé la porte du passé. Je l’ai fracassée et les cauchemars sont revenus. Désormais, je rêve que c’est dans le manoir des Mestre que la tuerie prend forme. Tous se battent pour ce fichu carton. Pavel Konstantin me jette aux Oiseaux pour mieux fuir. Mikhaïl a de nouveau sept ans. La Maeve d’Hermès se fâche contre moi parce que je n’ai jamais remarqué qu’elle était humaine…
Tout allait bien. À présent, les cauchemars sont revenus.
Pendant le reste des « vacances », Mikhaïl a respecté mon envie de m’isoler. Je ne crois pas qu’il a parlé à son père de ce que j’ai découvert chez Hermès, mais s’il l’a fait, quelle importance ? Il m’opposera toujours les multiples vérités.
Je ne revois Pavel Konstantin qu’aujourd’hui, à la veille de la rentrée. Le géant qui m’a trahie quand je voulais lui tendre la main et qui a le culot de venir hanter mes nuits.
— J’ai une bonne nouvelle pour vous deux.
Mikhaïl lève la tête pour écouter son père.
— Vous allez pouvoir retourner à Avril Cassan, continue-t-il avec un sourire. L’école est à nouveau sûre.
— L’homme qui m’a attaqué… ? demande Mikhaïl, fébrile.
— Un cas isolé, soutien de Deglass. Son entourage sera surveillé à l’avenir.
Samuel Deglass est son principal opposant. Ses soutiens assassins n’ont pas l’air d’inquiéter beaucoup le chancelier.
Je lui jette un regard sombre qui ne le perturbe pas.
— Et pour l’agression de Laurie Estevin… ajoute-t-il alors en se tournant vers moi. La chose est réglée.
Ma bouche s’entrouvre.
— Vraiment ? Qui c’était ?
Pavel Konstantin laisse sa tête paresseusement tomber sur ses mains.
— Je ne suis pas certain que ça ait de l’importance.
— Dites-le quand même.
Il soupire.
— Mikhaïl, veux-tu bien sortir ?
Mikhaïl se redresse aussitôt, mais je le retiens par la manche.
— Parlez devant lui, je lui répèterai de toute façon.
Un air étonné se peint sur le visage du chancelier. Il détaille son fils du regard, lequel a sensiblement rougi, puis après un bref haussement d’épaule, il acquiesce.
Mikhaïl se rassoit, aussi immobile qu’une statue.
— Un simple technicien à l’entretien de l’appareillage tridimensionnel de l’école. Il a été facile de le faire parler, une fois qu’on a eu découvert qu’une partie de sa famille vivait à Terriva. Je crois que sa sœur… Ou cousine ? Bref. A été hospitalisée suite à l’attaque au Nebulatrex et se trouve toujours dans le coma à cette heure.
— Et c’est lui qui a attaqué Laurie ?
— Oui.
Je hausse les sourcils.
— Parce qu’il me visait ?
— Parce qu’il visait « l’estholaise », d’après ses propres termes. Beaucoup de solaviens les haïssent. Déjà avant la guerre, il y avait des préjugés. Alors depuis…
Bien évidemment. C’est tellement facile… Mais dangereux néanmoins. Je me racle la gorge :
— Et où aurait-il pu trouver le nécessaire ? Le Nebulatrex notamment ?
— On le lui a fourni, bien sûr.
Le regard de Pavel se fait perçant. Je devine pourquoi :
— Des estholais, donc ? Sinon, qui d’autre aurait pu avoir accès à du Nebulatrex ?
— C’est aussi ce que je pense. Mais notre coupable ignorait tout de l’identité de ses commanditaires. J’imagine qu’il était peu concevable, à ses yeux, qu’un estholais puisse vouloir s’en prendre à un autre. Il ne cherchait que la vengeance, et, bien sûr, on le payait grassement pour ses services. Tiens, regarde.
Pavel Konstantin déverrouille l’écran de sa tablette puis me la tend.
Des lettres, anonymes, ont été envoyées à l’agresseur. Il a suivi des instructions précises. Je fais défiler les images d’un geste las. La façon d’utiliser le Nebulatrex. La dose exacte à appliquer, directement sur le visage de la victime, via un mouchoir imbibé.
Il y a aussi une photo du brouilleur utilisé ce soir-là. De la technologie estholaise, pas de doute, et pas le genre que monsieur Tout-le-monde peut se procurer, ni ici, ni en Esthola.
Bref, un technicien d’Avril Cassan n’aurait pas eu les moyens de se procurer un tel matériel par ses propres moyens. Le Symbiose le sait probablement déjà.
— Tu dois être familière du Nebulatrex, Solange, me lance Pavel Konstantin.
D’un geste à demi-conscient, j’approuve.
— Que peux-tu me dire quant à ce que tu observes à ce sujet ?
Il m’étudie du regard. Je reviens à la lettre d’instruction. La méthode d’application est différente de celle que je connais, où l’on injecte directement le produit sous la peau. La formule a donc été modifiée. Je m’en doutais, au vu des dégâts qu’on a observé à Terriva. Le Nebulatrex provoque d’ordinaire de violentes hallucinations qui peuvent vous laisser dans un cauchemar éveillé pendant des semaines, sinon des mois. Efficace technique de torture, surtout quand on tient à faire avouer quelque chose à quelqu’un, mais ici, je devine que certains curseurs de la décoction ont été poussés. Une version améliorée, une version potentiellement mortelle. Ça n’en fait plus tout à fait du Nebulatrex.
— Vos scientifiques n’ont rien trouvé dans ma chambre ?
— Le produit s’est très vite s’évaporé, nous n’avions rien à étudier. Pas plus que nous ne possédons la formule exacte du produit.
— Eh bien si vous souhaitez mon expertise, je dirais que ce n’est pas du Nebulatrex. Pas exactement.
Pavel Konstantin hoche la tête.
— Non, c’est un dérivé, n’est-ce pas ? Létal, cette fois.
Je lui tends sa tablette avant de répondre :
— Le plus probable, vu le dosage, c’est que le produit assommerait quelqu’un pendant quelques semaines, comme ça a été le cas pour Laurie. Mais c’est potentiellement létal, comme à Terriva.
Malgré un pincement au cœur pour les habitants de Terriva, mon estomac s’allège d’un poids. Je suis à présent convaincue que Laurie va s’en sortir. Elle risque d’avoir encore des hallucinations pendant quelques semaines après son réveil, mais elle s’en sortira.
— Regarde jusqu’au bout, m’indique Pavel en repoussant la tablette vers moi.
Je reprends l’objet en main et continue de faire défiler les images. Après les clichés du brouilleur, je découvre une autre lettre.
— Quand il s’est aperçu qu’il s’en était pris à la mauvaise étudiante, notre ami le technicien a paniqué, commente le chancelier. Il a frappé Laurie, afin de ne pas utiliser son unique dose de Nebulatrex, mais elle a résisté et il a fini par s’en servir. Puis il a immédiatement fui, avant même que les hommes du Symbiose ne puissent intervenir.
Quand le chancelier se tait, je fixe de nouveau la lettre, commence à parcourir les lignes. Un désagréable fourmillement parcourt mes doigts. Ils se mettent à trembler, tant et si bien que Mikhaïl se penche par-dessus moi pour découvrir l’origine de mon malaise.
L’homme ne devait pas me tuer. Il ne devait pas simplement m’assommer non plus.
— Où est-ce que c’est ?
Je résiste à l’envie de demander moi-même à ma Maeve de découvrir l’endroit où l’homme devait me livrer. À quoi ça rime, tout ça ? Qui a monté ce plan ? Ça n’a aucun sens !
— Un point un peu au nord de Port-Céleste. J’ai déjà fait vérifier l’endroit, il n’y avait strictement rien. Ils n’auraient pas été assez stupides pour nous guider directement à leur volière, n’est-ce pas ?
Ou bien était-ce un prétexte ? Une façon de brouiller les pistes d’un plan plus élaboré ? Cette fois, je repose la tablette devant moi.
— Laissez-moi accéder au système du Symbiose.
Pavel Konstantin hausse un sourcil.
— Et pourquoi ça ?
— Le jour de la rentrée. L’intrusion. Ils me cherchaient, n’est-ce pas ? Ils n’attendaient que ça. Que j’aille à Avril Cassan. Ils savaient que j’irais tôt ou tard. Vous auriez dû me laisser là où j’étais.
— Sans surveillance ? Ils t’auraient retrouvée, et là, je n’aurais pas pu te protéger.
— Vous ne m’avez pas protégée ! Si ça avait été moi et pas Laurie… !
— Il n’aurait pas pu quitter Avril Cassan en t’emmenant, je t’assure.
Il semble sûr de lui, mais j’ai mes doutes. Diplomate, je renonce à le contredire :
— Je peux peut-être les trouver. Il y a potentiellement des traces de leur intrusion !
— Mais l’ennui, Solange… C’est que j’ignore encore si je peux te faire confiance.
— Je…
Je referme la bouche. Ah. Et moi qui pensais que nous nous étions rapprochés, Pavel. Puis… ne serait-ce pas à moi de dire ça ? Un sourire peu sincère me monte aux lèvres.
— Vous savez que je peux le faire sans votre autorisation, Chancelier Konstantin.
Il rit devant ma faible menace.
— Tu n’as pas accès aux outils de ta tante, ici.
Un éclair de colère me traverse. Avant d’avoir pu bien réfléchir, je m’entends crier :
— Vous faites dans l’humour, maintenant ?!
Le chancelier a l’air sincèrement stupéfait. J’écarte les bras puis continue, malgré moi :
— Tout ! Tout ça, c’est le travail de Béatrice Trivia ! Vous le savez. Vous avez peut-être changé des paramètres, mais je connais son travail !
Lentement, un sourire sombre naît sur le visage du géant.
— Ah oui ? Elle t’a tout appris ? C’est donc qu’elle est en vie, n’est-ce pas ?
— C’est l’unique chose qui vous intéresse ?
— Dans l’immédiat, oui. Et peut-être autre chose.
Il marque un silence.
Nous échangeons un long regard.
— Peux-tu me dire si c’est elle, qui agit sous le nom de code du Phœnix ?
Mon rythme cardiaque s’accélère brusquement. Comment le chancelier connaît-il ce nom ? Je donnerais beaucoup pour le savoir, mais dans l’immédiat, poser la moindre question pourrait me trahir. Et je dois céder pour gagner. Un peu au moins, et il se doute déjà de la réponse à la première question.
— Oui, elle est en vie.
Pavel Konstantin passe sa main sous son menton.
— Où est-elle ? Quand l’as-tu vue pour la dernière fois ?
Je sens qu’il accepte que j’élude la seconde question.
— Il y a longtemps.
— Solange…
Je me tais. Il doit céder à son tour. Et il le sait. Il continue de me fixer pendant un moment, mais il sait, que sans moi, il ne trouvera pas les Oiseaux.
— J’aimerais beaucoup pouvoir te faire confiance, Solange. J’aimerais être certain que tu es de notre côté. Ta mère et ton père n’ont pas été abattus par Solavie. Ce ne sont pas nos forces qui ont manqué de te tuer ce jour-là.
— Vous m’avez prise en otage puis laissée pour morte et vous avez déclaré la guerre à mon pays dans la foulée.
Il éclate de rire, un rire dénué du moindre amusement.
— Ils ont voulu m’abattre comme un chien. Sophia Lombre méritait d’être destituée. Très franchement, sans l’acharnement de tes parents, je n’aurais rien signé avec Esthola ! Pourtant, à la fin de ce séjour, j’étais prêt à valider l’accord de paix avec les estholais ! Ils ont eux-mêmes tout détruit, alors que j’étais encore naïf, à l’époque !
À son tour, le chancelier se lève. Toute trace de sourire s’est effacée de son visage.
— Ta tante a fait ses recherches à Solavie, à partir de nos données et de nos ressources. Puis elle est partie. Si elle n’était pas entrée en contact avec les Oiseaux, rien de tout ça ne serait arrivé.
Un lourd silence tombe sur le bureau. Finalement, il se gratte la gorge, peut-être embarrassé par son éclat de colère.
— Je suis tout de même désolé, Solange. Te prendre en otage était d’une lâcheté innommable. J’ai eu peur pour Mikhaïl, je n’ai aucune autre excuse.
Je jette un coup d’œil à ce dernier. Transi par l’échange, il a les mains crispées sur les accoudoirs de son fauteuil. Sa respiration s’est faite haletante. Il me jette un regard qui mêle la peur et la douleur.
Plus pour lui que pour une autre raison, je décide de ne pas renchérir. Pas que je pardonne au chancelier. Il se défendait, peut-être, mais je crois que les choses auraient pu se passer autrement. S’il ne m’avait pas jetée au milieu des balles. Bien sûr, si leurs rôles avaient été échangé, je n’ai nul doute que mon père aurait tué Mikhaïl de ses mains pour me protéger. Il a donné sa vie dans l’espoir de le faire. Comme maman.
— Nous sommes dans une impasse, Chancelier Konstantin. Vous ne les trouverez pas sans moi, et faire de moi un appât ne vous permettra pas de les prendre plus facilement.
— Je t’assure que ce n’est pas ce que je veux, Solange. Si tu ne me crois sur rien d’autre, crois au moins ceci : je souhaite te protéger. Je regrette sincèrement ce que je t’ai fait. Tes parents étaient des gens bien. Ta mère était une amie à moi.
Je lui jette un regard furtif. Je sais qu’ils se connaissaient. Le terme « ami » me semble un peu fort en revanche.
Le géant se passe une main dans les cheveux, puis il soupire.
— Quand tu retourneras à Avril Cassan, va voir Éliane. Elle sera plus à même de répondre à tes questions d’ordres personnels. Et la prochaine fois que nous nous verrons, j’aurai besoin de savoir où va ta loyauté. Alors, je considèrerai de te laisser l’accès à nos ressources.
— Éliane Cassan sait donc bien qui je suis ?
— Bien sûr. Elle a été la première que j’ai contactée quand j’ai reçu ta missive.
— Pourquoi ?
— J’ai l’esprit de famille.
Je roule des yeux, désabusée qu’il puisse faire de l’humour dans un moment pareil.
— Qui d’autre sait ?
— En dehors d’Éliane ? Peu de monde. Mes conseillers les plus proches et le commandant de ma milice privée. Ce sont ses hommes qui t’ont fait sortir d’Esthola.
Je reste silencieuse un instant. Peu de personnes savent, finalement. Mais je n’aime pas qu’il taise le nom des conseillers complices.
— Éliane voulait qu’on te fasse directement intégrer Avril Cassan, m’informe le chancelier, ramenant mon attention au bureau. Elle pensait que c’était plus sûr.
— Et pourquoi avoir préféré que j’intègre un lycée normal ?
Pavel Konstantin plonge son regard dans le mien.
— Parce que je devais être certain que tu n’étais pas un danger, Solange, avant de te permettre d’accéder à Avril Cassan. Tu t’es parfaitement bien tenue. Personne n’a soupçonné tes origines là-bas, n’est-ce pas ?
— Alors vous avez décidé que je n’étais pas dangereuse ?
— Oui et non. Je sais que tu peux l’être, si tu le souhaites. Tu t’es isolée à ton arrivée, tu n’as tissé aucun lien. C’est mauvais. Je savais que si tu continuais sur cette pente, et qu’ils te retrouvaient, alors ils n’auraient aucun mal à te récupérer, corps et âme.
— Vous me sous-estimez.
— Mais dans le fond, Éliane avait raison. Tu t’es bien mieux intégrée à Avril Cassan qu’aux Roseaux. Tu y es avec tes pairs.
— Vous êtes un peu prétentieux, Chancelier Konstantin, n’est-ce pas ?
Il a un sourire.
— Peut-être. Bien, allez vous reposer maintenant, vous partirez tôt demain matin.
Mikhaïl se lève immédiatement. Il obéit à son père à la moindre inflexion de voix… Je trouverais ça pathétique, si je n’avais pas autant d’affection pour lui. Je le suis docilement, quand la voix du chancelier me rappelle :
— Solange ?
Je jette un regard par-dessus mon épaule.
— Je veux pouvoir te faire confiance. Prouve-moi que c’est possible.
Bingo je dirais. J'avais donc bien senti la Maeve petite sœur de Hermès.
Il apparaît de plus en plus claire que Solange cherche un sens à la mort de ses parents. Elle veut comprendre l'origine du conflit mais se confronte à la subjectivité. Pas facile de découvrir La Vérité car dans le fond il existe plusieurs vérités... Du moins d'un point de vue humain.
Je suis curieuse de savoir si nous en saurons plus sur la fuite de Solange...
Il me tarde d'en savoir plus sur les oiseaux : groupe idéologique extrême, c'est un thème que tu as d'ailleurs déjà traité ailleurs je remarque.
Le chancelier apparaît beaucoup plus chaleureux, à voir pour la suite.
Au plaisir
La seconde partie de l'histoire, que je recommencerai prochainement à poster, sera consacré à ce qui s'est produit après l'attentat et les conséquences jusqu'à ce jour ^^
Concernant les Oiseaux... Oui, il y a des thèmes qu'on aime bien, hein xD J'essaye de l'aborder différemment cette fois, j'espère y arriver pour que ça ne soit pas redondant avec Délos !
"Un cas isolé, soutien de Deglass." -->
J'ai dû relire cette phrase plusieurs fois et la connecter une phrase pas loin après pour arrêter de glitcher sur de Deglass. C'est peut-être une formulation régionale, ou Pavel qui parle un peu télégraphique (je n'avais pas remarqué ça auparavant chez lui), mais j'aurais plutôt dit "Un cas isolé, un soutien de Deglass." Mon glitch est dû à d'autres utilisations du mot (qui pourrait signifier "Deglass soutient que c'est un cas isolé"). Est-ce que c'est un problème ou seulement moi? Il faudrait confirmer avec d'autres lecteurs.
"Il a été facile de le faire parler, une fois qu’on a eu découvert qu’une partie de sa famille vivait à Terriva." --> on a eu découvert, double verbe avoir suivi d'un participe passé. Ça, c'est une formulation régionale. Je sais même d'où :o --> après avoir découvert serait préférable.
"certains curseurs de la décoction ont été poussé" --> ont été poussés (accord avec COD, curseurs).
"Pas plus que nous possédons la formule exacte du produit." --> que nous ne possédons
"Quand le chancelier s’est tu, je fixe de nouveau la lettre, commence à parcourir les lignes." --> concordance des temps, "Quand le chancelier se tait,"
"Ils savaient que j’irai tôt ou tard." --> irais (conditionnel et non futur)
"Ils t’auraient retrouvée, et là, je" --> tu peux laisser la virgule avant et dans un dialogue pour effet de style, mais la grammaire dit plutôt de la supprimer. La virgule avant et apparaît dans d'autres dialogues, je suppose par effet de style et pour marquer la pause; je ne la souligne ici que parce que ce et est encadré par deux virgules.
"Je donnerai beaucoup pour le savoir, mais dans l’immédiat, poser la moindre question pourrait me trahir." --> donnerais
"S’il ne m’avait pas jeté au milieu des balles." --> jetée
"Et la prochaine fois que nous nous verrons, j’aurais besoin de savoir où va ta loyauté" --> j'aurai (cette fois, c'est bien un futur simple et non un conditionnel présent :P)
"Je n’ai pas les mains moites. Mon cœur ne bat pas à cent à l’heure." Mouahaha... ce genre de négation, j'adore. Je m'en sers parfois. Le personnage qui bourgeonne de contrôle de soi et refuse son ressenti ou les signes qui le dévoilent.
Le voile se lève. On voit le "modèle" des Maeves et il s'accompagne d'une logique douloureuse. Si j'avais perdu une fille, je ne sais pas si je voudrais la "voir" partout autour de moi sans que ça ne soit elle. Ça révèle quelque chose de la mère d'Hermès.
Concernant les souvenirs traumatiques et la fusillade, c'est vrai qu'il pourrait y avoir un indice subtil ou pas. Ce qui est important dans cette scène est que ça ne l'arrêtera pas, ne la ralentira pas. Le syndrome post-traumatique peut faire figer quelqu'un face à une situation similaire à ce que cette personne a vécu ou, au contraire, la faire réagir au quart de tour avec une précision qu'elle ne se connaissait pas. Tout dépend de la façon dont l'individu l'a intégré. L'entraînement des oiseaux et d'autres traumatismes ajoutés par ces entraînements peuvent provoquer des réactions très vives qui seront figées par l'incongruité d'une situation.
Très bon chapitre, bien maîtrisé! Je t'envoie un peu plus de détails en privé concernant ce que je veux dire au sujet du syndrome post-traumatique. Si ça t'est utile, tant mieux; si ça ne l'est pas, tant pis :P
J'avoue pour autant que pour la phrase que tu soulignes (le soutien), elle ne me choque pas en relecture, donc c'est peut-être en effet une formulation plus régionale que j'ai pleinement intégrée. Je vais y réfléchir !
"on a eu découvert, double verbe avoir suivi d'un participe passé. Ça, c'est une formulation régionale. Je sais même d'où :o" -> je suis curieuse de savoir à quelle région tu penses pour voir si je suis vraiment un cas isolé xD
" Je t'envoie un peu plus de détails en privé concernant ce que je veux dire au sujet du syndrome post-traumatique." -> Si jamais tu l'as envoyé via le site, sache que je n'ai rien reçu (https://site.plumedargent.fr/actualite/probleme-de-mails), les messages privés ne marchent pas sur PA, il y a un soucis au niveau de la fonctionnalité. Par contre je suis sur le Discord, si jamais :)
Merci beaucoup pour ton retour, une nouvelle fois !
"Avoir eu" suivi d'un participe passé est une formulation fréquente en Suisse. Peut-être ailleurs aussi, je ne connais pas tous les patois francophones du monde, mais c'est fréquent en Suisse.
Ne t'inquiète pas des fautes et corrections que j'amène. Je remarque sans ouvrir le radar et ça tombe sur les nerfs de mes amis depuis très longtemps.
Les emails qui ne fonctionnnt pas... ARGHHHH! Le message incluait une tranche de la vie de quelqu'un qui illustrait les réactions et je ne mets pas ça en public. Je ne suis pas sur Discord.
L'essentiel est que si la victime du syndrome post-traumatique a des raisons d'être en alerte (comme Solange qui sait qu'on peut vouloir attenter à sa vie), la réaction sera extrêmement rapide. Si le cerveau envoie en parallèle les messages "danger" et "mais je suis en sécurité ici", la personne risque très fort de se figer dans un effet de flashback relativement léger. Pas des images qui la bombardent, pas un souvenir qui revient, mais le cerveau qui lutte entre "je suis ici et maintenant" et "non, tu es de retour là-bas", que là-bas soit une zone de guerre, d'une maison avec des parents abusifs, le site d'un accident ou un autre endroit.
Quand je parle de formulation régionale, il est aussi possible que ce soit une formulation absente ou différente là d'où je viens. C'est l'une des raisons pour lesquelles je maintiens ces commentaires relativement ouverts; parfois, je ne peux juste pas savoir.
À bientôt!
Et oui c'est pas très pratique pour les messages en vrai. Après je crois que c'est pas la priorité de le réparer parce que beaucoup de personnes passent par le Discord de PA maintenant. Mais ce n'es pas une obligation d'être dessus !
Je note pour ton analyse sur le syndrome post-traumatique. C'est super intéressant. Je le garde en tête parce que ça va me resservir pour des scènes à venir que je n'ai pas encore écrites. Merci :)
Encore un chapitre sacrément riche en révélations ! Tout le premier volet de ton histoire s'éclaire, et je dois dire que je trouve ton scénario très bien ficelé ! Bien qu'il y ait principalement de longs dialogues ici, ça se lit avec une fluidité déconcertante. C'est bien vu aussi d'avoir intégré des souvenirs traumatiques dans les cauchemars de Solange, ça rend la situation et le personnage plus réalistes. D'ailleurs, peut-être que ça manquait d'une petite touche discrète quand Mikhaïl s'est fait tirer dessus, son coeur qui s'emballe, ses mains qui tremblent, une terreur qui l'envahit un bref instant mais sans en donner la raison... J'imagine que si elle a suivi l'entraînement des Oiseaux, elle en a vu d'autres, mais après la violence de la fusillade des Douces, elle devrait logiquement avoir des résurgences traumatiques si quelqu'un essaie de lui tirer dessus.
En tout cas, je suis toujours autant séduit par cette histoire, et j'ai hâte de découvrir ce que tu nous concoctes pour le deuxième arc narratif où elle va chercher à retrouver les Oiseaux, et où il est question du Faucon et de ce fameux Phoenix...
Au plaisir,
Ori'
Contente que l'histoire de la Maeve originelle te plaise ! C'est une des premières intrigues en rapport avec les Maeve qui m'est venue, j'avais hâte de la mettre en avant xD
Je comprends ton point de vue sur les dialogues ! J'en utilise beaucoup en général, mais je crois qu'ici c'est renforcé par l'effet premier jet. En réécriture, il y aura forcément des coupes et des ajouts ! Je les diluerai un peu.
Je note ta remarque au sujet de l'attaque sur Mikhaïl. J'ai privilégié la rapidité d'action, mais ça lui aura logiquement déclenché un petit quelque chose à mieux mettre en avant.
Pour les chapitres suivants, je vais laisser un peu la tension retomber, il me faut un peu de transition, mais quelques micros révélation s'y mêleront. J'espère que ça continuera de te plaire !
Merci beaucoup pour ton retour, une nouvelle fois ! ^^