— Omar —
Hier, c’était correction de lettre de motivation parcoursup. Je n’avais pas fait ça depuis que Mia ou Ethan n’avait pas fait leurs vœux. Bon eux, à l’époque ce n’était pas la même plateforme. Ils avaient fait ça sur APB Admission Post Bac. Une usine à gaz pour la poursuite d’études. Parcoursup n’a pas l’air plus fiable, mais c’est déjà bien qu’ils fassent évoluer la chose. Hier, on peut dire qu’avec Gabrielle, on a eu notre première dispute, enfin pas vraiment une dispute, disons un haussement de ton. Comme je le craignais, elle se fait exploiter par son boulot. Ils ont l’air de dépasser largement de son contrat de travail. Je suppose que mon côté avocat a pris le dessus. Mais au moins, notre communication avance, j’arrive à lui décrocher des mots.
Nouvelle intervention du président qui n’a pas été encore une fois, pas très utile. Il n’a fait que rappelle ce qu’il rabâche depuis des jours. Cela commence à se transformer en surinformation. Finalement à la fin des vingt minutes tant attendues, on n’a pas vraiment l’impression d’avancer. Et cette incertitude qui plane au-dessus de nos têtes devient compliquée à endurer, comme un nuage gris qui ne veut pas tomber du ciel et laisser revenir le soleil.
J-10.
Il est tard ou tôt, je ne sais pas trop quand mon téléphone sonne en trombe en pleine nuit. Plusieurs sonneries insistantes qui sonnent malgré moi assez fort. Je pris pour que ça n’ait pas réveillé Gabrielle. Je regarde l’écran de mes yeux ensommeillés. C’est Julien, mon beau-frère. J’ai les yeux qui piquent face à la luminosité et j’ai du mal à émerger., je finis par tourner la tête vers le réveil. 4 heures du matin. Je décroche en essayant à la fois de paraître réveiller et de ne pas parler trop fort :
– Allô, Julien, il est quatre heures du mat’, j’espère que tu appelles pour une bonne raison.
Il parut affoler et une voix grave sortait du téléphone :
– Omar, c’est Juliana, elle… elle est à l’hôpital.
J’étais perplexe devant ce qu’il venait de me dire, ma sœur travailler à l’hôpital j’aurais pu trouver normal qu’elle s’y trouve, mais le son de sa voie m’indiquait qu’elle n’y était sûrement pas pour travailler :
– Attends à l’hôpital.
– Oui il y a une heure, elle a commencé à avoir du mal à respirer, je l’entendais suffoquer à côté de moi. Elle avait enfin une nuit de repos avec toutes les gardes qu’elle a enchaîné. Finalement, j’ai fini par appeler les secours et nous sommes arrivés à l’hôpital il y a cinq minutes, ils l’ont emmené depuis, je n’ai plus de nouvelles.
– Attend, attend, elle… tu… crois que..
Je n’arrivais plus à trouver les mots, il continua ma phrase :
– À ton avis, ça fait plus d’une semaine que je lui rabâche de plus aller travailler, mais rien à faire.
Je ne savais pas quoi lui répondre j’avais moi-même tenter de la raisonner, mais elle était resté têtue et butter comme d’habitude. Je lui dis sans réfléchir :
– Attends j’arrive
Il protesta :
– Non, non ça ne sert à rien, ils ne te laisseront pas entrée, seulement le conjoint, tu sais le confinement, les risques de contamination tout ça.
Je ne voulais pas le laisser tout seul, pas dans un moment pareil :
– Mais tu ne vas pas rester tout seul comme ça à l’hôpital.
– Ça va aller, ne t’en fais pas, je voulais juste de prévenir, il faut que j’appelle les autres, j’ai déjà prévenu Sidney, je te tiens au courant.
Je le laisser à contrecœur raccrocher :
– D’accord, tiens moi au courant.
Il raccrocha. Je restais là interdit. Je savais qu’il ne sortirait rien de bon dans cette histoire. Je sentis comme une sensation d’étouffement, je n’arrivais plus à respirer, je faisais une crise d’angoisse. Non ! Cela devait être la peur. Je me lever de mon lit et me dirigeait vers la porte, il fallait que je sorte. Quand j’actionnais la poignet, je vis Gabrielle dans l’entrebâillement de la chambre voisine qui visiblement avait été réveiller par le téléphone et qui n’avait pas osé toquer à la porte. Elle vit ma tête à peine réveillée mélanger à la panique et me demanda :
– Tout va bien ?
– Pas vraiment non. Désolée, mais j’ai besoin de prendre l’air.
Elle protesta :
– Tu ne vas pas sortir en pleine nuit. C’est déjà interdit la journée.
– Non, je vais juste devant la maison, prendre une bouffée d’air.
Elle me demanda :
– Tu veux être seul ou tu as besoin de compagnie ?
– Honnêtement, je n’en sais rien, j’ai un peu de mal à revenir au réel.
Elle décida avec une détermination que je lui découvrais :
– Je descends avec toi.
Nous avons donc tous deux descendu les escaliers qui craquèrent de plus belle. Et après avoir atteint la porte, l’ayant déverrouillée, nous sommes sorties nous asseoir à la table devant la fenêtre.
Pendant un moment, le silence a régné. J’essayais de tout remettre dans le bon ordre dans ma tête, je guettais l’écran de mon téléphone que j’avais posé devant moi. Je le dévorais, je voulais qu’il sonne. Finalement, Gabrielle brisa ce silence en me demandant :
– C’était qui au téléphone ?
– Un de mes beaux frères Julien.
Elle parut essayer de démêler ce que j’avais entendu et qui me rendait si déboussolé :
– Il y a un problème avec l’une de tes sœurs ?
– Oui, on peut dire ça comme ça…
Elle essaya de tempérer :
– Si tu ne souhaites pas en parler, je peux remonter et te laisser.
– Non restes, cela mettra peut-être un peu d’ordre dans ma tête que d’en parler. Julien c’est le mari de Juliana, je ne sais pas si tu te souviens, je t’ai dit qu’elle est médecin. Le problème c’est que depuis 5 mois elle n’ai pas que médecin, elle est aussi future maman. Et elle semble ne pas être consciente du danger que ce satané corona peut avoir sur elle ou le bébé. Et ce que nous craignons est arrivé. Cette nuit elle a été transportée à l’hôpital. Elle a des symptômes.
Et je ne peux même pas aller la voir !
Alors que je prononcer cette dernière phrase, j’avais laissé s’échapper de moi une colère. Une frustration, je ne sais pas trop. Gabrielle ne sut que répondre, mais elle bricola une phrase :
– Je suis désolée. Il ne faut pas se faire de l’inquiétude tant qu’il n’y a pas plus d’infos. Elle va s’en sortir.
Elle ne parut elle-même pas très convaincu par sa phrase. Elle finit par me laisser seul au bout de quelques minutes. Je restais de longues minutes à contempler les étoiles. En un seul appel, la vie et l’humeur d’une journée peuvent basculer. Je passais une bonne nuit de sommeil et quelques minutes plus tard, c’est le comble de l’angoisse. Alors que je me morfonds tout seul dans le noir du matin, je reçois des textos de mes sœurs qui visiblement semblent se faire les mêmes réflexions. Elle s’active dans le groupe WhapApps familial, une création de Mia qui en a assez de devoir relayer les mêmes infos à chaque fois. Je regarde sans vraiment lire, je n’arrive pas à partager mes sentiments ni même à essayer de mettre mon angoisse de côté pour les réconforter avec elles. Je crains que dans cette famille ce ne soit les femmes qui soient les plus solides, les piliers.
Le restant de la journée ne fut pas plus joyeux. J’avais pris le parti de me noyer dans le travail, pour ne pas penser. J’avais eu droit à un coup de fil de Sidney qui avait visiblement besoin de parler, Antonio était encore en intervention, elle avait acquiescé la nouvelle seule et elle avait de plus en plus de mal à faire bonne figure devant les filles. Ethan et Mia étaient eux aussi paniqués, Ethan dans son appartement parisien broyé du noir et Mia était reparti au front à l’hôpital. Quant à Malaïka, elle m’avait aussi appelé, jusque-là, pas très au courant de la situation. J’avais finalement eu tout le monde au téléphone les uns après les autres puisque visiblement les messages du groupe ne suffisaient plus. Quand il se passait quelque chose dans cette famille nous avons bon être séparé par le confinement on s’arranger toujours pour se retrouver. Je suppose qu’il s’agit d’une force.
Je travaillais, mais mes plaidoyers avaient perdu toute conviction. Me noyer dans le travail avait été beaucoup plus difficile que prévu. Être un bon avocat n’avait pas suffi à convaincre ma sœur de ne plus se mettre en danger. Une impression d’échec me coula dans la gorge. J’avais pourtant eu l’impression d’avoir pris au sérieux les inquiétudes de Sid et de Julien. Mais à cet instant, le virus était passé de quelque chose qui arrive dans le monde à une maladie touchant mes proches. Un cran de conscience du danger venait d’être atteint. J’avais un horrible sentiment d’impuissance. J’étais désormais dans l’inquiétude. Je n’ai quasiment pas mangé de la journée. Le soir, j’ai reçu à nouveau des nouvelles par Julien. Ils ont testé Juliana. Verdict, elle est atteinte du covid-19.
Le jugement était tombé la seule chose que nous pouvions espérer désormais celle qu’elle ne contracte pas une forme trop grave de la maladie et que cela n’atteigne pas le bébé.
Épuisé par cette journée d’attente et d’incertitude, j’abandonnais Gabrielle, très tôt pour aller me coucher.