— Gabrielle —
J-11, vendredi 27 mars.
Les jours se ressemblent et se mélangent. Si je ne prenais pas des notes dans mon carnet, j’oublierais le temps qui passe. Il fait beau. Mon fils a du mal à ne pas sortir lui qui est féru de sport, une petite course à pied avec son attestation. Je lui ai fait un virement sur son compte pour qu’il puisse faire ses courses. La tortue n’a pas l’air super active, j’ai décidé d’éteindre sa lumière de terrarium et de la faire dormir pour rattraper son hibernation ratée en animalerie. Mon rhume s’est enfin calmé et ma voix est revenue c’est agréable, je dors donc mieux la nuit.
Je m’inquiète pour Omar, son humeur est devenue terne depuis hier. Le problème c’est qu’être confiné ne permet pas de se changer les idées. Une de ses proches est atteinte de la maladie en plus d’être enceinte. J’ai appris que les funérariums sont déjà pleins dans certaines villes et qu’on ne déplace pas forcément les morts comme dans les EPAD. Je pense à ma mère. Il faudrait que je l’appelle.
D’ailleurs à 10 h 00 mon téléphone a sonné d’un numéro étranger. Il n’y a qu’une personne qui m’appelle comme ça. J’ai décroché à regret.
— Allô Gaby ?!
— Salut Clément.
De mon autre main, je continue à cliquer sur les surfaces de formes en écaille pour le moment pourpre qui vont recouvrir une armure céleste.
— Je vais être rapatrié de Los Angeles dans pas longtemps. Je voulais avoir de tes nouvelles.
Je mets le haut-parleur pour mieux continuer mes modifications de couleur du rouge à un dorée plus héroïque. De mes nouvelles… Je pince les lèvres concentrées avant de répondre :
— Je ne suis pas chez moi si tu veux t’y installer…
J’hésite, est-ce que je vais aussi dire la suite ?
— Ah, tant pis j’ai les clés.
Il a les clés ? Comment ça se fait ? Merde je viens de me tromper de nuancier !
— Euh.. Écoute Clément, je suis occupé là est-ce qu’on peut en rediscu…
— Gaby j’arrive demain avec l’avion, franchement je n’ai pas le temps pour tes jérémiades.
Mes jérémiades ? Mais je ne veux pas qu’il vienne dormir chez moi, encore moins y vivre. Quoi faire.
— Je ne pense pas que se soit une bonne idée. Écoute, je vais…
— Arrêt tes enfantillages Gabrielle. Adams sera là-bas ?
Il me ressort encore que je suis trop gamine. Je ne sais jamais quoi répondre. Sauf que là je viens de réaliser qu’il va vivre quinze jours avec Adams !!
Ça, non. Il nous a quittés sans même demander une garde de son fils et sans venir le voir. Il ne lui envoie ni cadeau ni carte, ni mot et pas un sms. Je repousse mon ordi sur le bureau et me lève le portable à nouveau en main.
— Écoutes bien Clément : je ne veux pas que tu viennes habiter chez moi. Je ne veux pas que tu voies mon fils et je ne veux pas que tu m’appelles pour prendre des nouvelles.
Whaou je les fais et à voix haute.
— Tu ne veux pas ? Qu’est-ce qui te prend Gaby.
— Il me prend que tu n’as qu’à aller vivre chez une nouvelle copine ou je ne sais laquelle de tes connaissances. Je te rappelle que toi et moi on ne se connaît pas après tout. C’est bien comme ça que tu l’as dit ? Je me trompe ? Et si tu t’avises de sonner à la porte de mon appartement, je contacte les flics.
Je raccroche encore pleine de colère, mais avec une satisfaction presque surexcitée. Je les ai vraiment faits. Ça m’a pris des années, mais je lui ai dit non. Pourvu qu’il ne fasse rien pour me punir en retour. Je laisse un message à Adams :
« — Si ton père sonne à la porte de chez nous. Ou tu lui ouvres parce que tu as envie de le voir, mais c’est pour toute la durée du confinement ou tu appelles les flics. »
La réponse fut immédiate :
« — Maman ? Mais tu es déchaînée. Ok je fais ça »
Je souris et reprends mes écailles rutilantes d’or numérique. Je dois le rendre à la prod’ dans vingt minutes.
Je dois dire qu’aujourd’hui j’ai été assez efficace du coup j’ai assez de temps pour revoir le design du pelage de mon raton laveur avec le nouveau pinceau que j’ai téléchargé pendant la conférence professionnelle à 16 h.
Je finis deux, trois, couloirs du labyrinthe du plateau de jeu virtuel et je descends. J’ai sous le coude mon ordi et un atout de taille pour faire valoir mon idée. Je ne demande jamais rien et Omar m’a dit que je pouvais faire un caprice. Il ne me dira pas non parce qu’il n’aime pas se contre dire et qu’il essaye de m’apprivoiser. Je me trouve un peu machiavélique d’un coup, mais c’est pour la bonne cause alors quand je l’interpelle en engagement la conversation je ne bredouille même pas.
Il est en train de sortir les croissants, jambon, fromages qui reste d’hier dans le frigo.
— J’ai envie de regarder un film.
Il tourne la tête, et attend la suite intriguée. Sa tête dite clairement « en quoi ça me concerne » Je n’ai pas bredouillé, mais je ne suis pas super clair. Repensant à ce matin je me dis que si je peux dire non à mon ex-mari je peux bien l’inviter plus clairement :
— J’ai une série dans mon ordi que je voudrais voir avec les nouveaux épisodes qui sont sortis et j’aurais aimé le faire avec toi.
— Euh, d’accord. C’est quelle série ?
– Sherlock avec Bénédict Cumberbatch
Il s’inquiète poliment en mettant le tout dans le micro-ondes.
— Je n’ai pas eu le temps de la regarder. On commence à quel épisode ?
— Le premier bien sûr.
— Ça te fait les revoir.
— Pas grave j’adore les premiers.
L’objectif est de lui changer les idées. C’est l’heure où hier on l’a appelé pour lui annoncer la mauvaise nouvelle, je ne veux pas qu’il fixe son téléphone toute la soirée de peur qu’on lui annonce à nouveau une catastrophe. J’ai soudain une hésitation :
— Vous aimez le style policier ?
Il sourit et sort les assiettes.
— Gabrielle, arrêtez de me vouvoyer, mettez donc la série j’arrive avec le repas.
Puis plus bas même si je l’entendis tout en jouant avec les branchements de la télé :
— Arrête aussi de te prendre la tête pour de petits trucs.
— Je ne me prends pas la tête !!
La protestation est sortie toute seule, je vire aux cramoisies soudain très concentré sur la prise HDMI. Avec Omar je me sens de plus en plus à l’aise.
— Pour une fois que tu demandes quelque chose, je ne vais pas dire non.
Je le savais bien que c’était de la manipulation, un petit sourire étira mes lèvres alors que je gardais le nez dans la poussière des fils derrière la télé.
Voilà. Tout est prêt. Je monte le son, mets l’éclairage à ma convenance, l’odeur des croissants chauds donne faim. Je m’assois, le générique se lance.
Ceux a quoi je ne m’attendais pas, par contre c’est sa voix dans le noir entre deux épisodes de notre soirée qui c’était soudain changé en marathon série :
– Merci Gabrielle. »