Chapitre 15 : Losival

Notes de l’auteur : Merci de vos lectures !!

Ce fut le quatrième jour après le départ que la vieille femme parla pour la première fois à Vabrinia. L’aube éclairait alors la mer d’un rose cotonneux, l’air était humide. Ewannaël trempait son coude dans l’eau, inquiet du pus sécrété par ses croûtes. Il avait déjà eu une blessure comparable quelques années plus tôt, l’année de son premier départ en mer. Son poignet s’était éraflé sur un rocher et il n’avait pu le soigner qu’à son retour, alors que l’infection s’était déjà développée sur son bras. Il avait dû se rendre chaque jour chez une guérisseuse amie de sa mère, qui lui appliquait de curieuses crèmes verdâtres sur la peau. Tout en agissant, elle murmurait des phrases inintelligibles. La plupart des gens au village la croyaient folle mais Ewannaël l’avait toujours appréciée. Elle l’avait toujours reçu avec joie, plus habituée aux visites depuis la mort de son mari. Il était revenu la voir plusieurs fois après sa guérison. Qu’il aurait aimé pouvoir se rendre chez elle pour lui montrer son coude.

Faè dormait, allongée avec un bras autour du mât. Vabrinia regardait les vagues, accroupie sur le bord du radeau. Elle ne s’attendait pas à ce que la vieille femme s’adresse à elle et se retourna avec un regard surpris. Malgré son propre étonnement, Ewannaël n’osa pas faire un geste. Il craignait que son intervention fasse taire la vieille femme, était curieux de ce qu’elle s’apprêtait à dire. Elle n’avait jamais utilisé d’autre langage que celui qu’elle partageait avec son fils, Vabrinia le connaissait-elle également ?

Ewannaël ne perçut d’abord qu’une suite de sons monocordes, à peine articulés. Les lèvres de la vieille femme ne firent que s’entrouvrir et lorsqu’elle haussait le ton, sa voix devenait sifflante. Elle accompagnait son propos de gestes de mains et d’un regard interrogateur. Presqu’aussitôt, sa voix happa l’attention de Vabrinia. L’enfant regarda cette compagne de voyage avec une grande émotion. Ses yeux s’ouvrirent largement et elle se mordit la lèvre inférieure. Ewannaël se demanda ce qu’il se passait dans son esprit : reconnaissait-elle la langue de son enfance ? s’étonnait-elle d’être interpellée par cette femme qui ne lui avait pas adressé un mot ? Il mourait d’envie de lui demander mais était trop intéressé par la suite de l’échange.

Vabrinia répondit d’un ton hésitant, prononça des mots inconnus à l’oreille Ewannaël, qui confirmaient sa première hypothèse. Vabrinia et les cadavres qui l’accompagnaient venaient du même endroit que la vieille femme et son fils. Ils parlaient une langue différente de la sienne, différente de celle des tuniques blanches. Sa curiosité s’en trouva nourrie. Lui qui ignorait autrefois l’existence de cultures autre que la sienne se questionnait à présent sur leur nombre. Se pouvait-il qu’il existe encore des dizaines de langues et de peuples inconnus ? Combien de gens comme lui avaient fui leur terre d’origine pour un avenir instable ?

La réponse de l’enfant éclaira le visage de la vieille femme d’un doux sourire. Elle croisa ses mains sur sa poitrine avant d’articuler doucement deux syllabes. – Ram – Cheh Elles devaient être son nom. Un beau nom. Un nom imprononçable pour lui dont les consonnes roulaient comme l’eau d’un torrent. Puis elle présenta son fils d’une voix tendre : - An – Fech. Puis Vabrinia répondit. Elle prononça deux noms. Un inconnu, qu’elle murmura si bas qu’il ne l’entendit pas, puis son nouveau, plus affirmé. Ramcheh acquiesça puis prit de nouveau la parole.

Frustré de ne pouvoir comprendre ses mots, Ewannaël s’approcha pour tenter de saisir la signification de ses gestes. Toute à son récit, elle ne prit même pas garde à sa présence. Elle ne s’adressait qu’à Vabrinia et peut-être à son fils, s’il la comprenait. Une chose était certaine, Ramcheh parlait beaucoup de lui. Elle le montrait, le regardait, prononçait son nom avec à chaque fois une nouvelle émotion. Rapidement, sa voix s’enroua, tant elle portait avec elle de colère et de souffrance. Elle relâcha les rames, cessa de regarder l’horizon, trop occupée à se libérer de ce passé qui la tourmentait.

Sans pouvoir saisir le sens de ces phrases, il s’imagina cent histoires, des aventures folles. De tout ces récits imaginés, une même trame ressortait : Anfech avait subi d’horribles sévices et sa mère était parti pour lui. Au vu de la manière dont elle racontait, cela paraissait une évidence. Ewannaël eut de la compassion pour elle, aussi partie pour protéger un enfant. Peut-être avait-elle aussi perdu des membres de sa famille dans son trajet. Peut-être avait-elle sacrifié une situation comparable à la sienne pour sauter dans l’inconnu. Seule Vabrinia saurait le lui dire et il se promit de lui demander.

Peu à peu, Ramcheh se détacha de ses émotions et son récit devint aussi froid et calculé. Du moins était-ce ce qu’elle voulait laisser paraître. Son masque d’impassibilité tremblait à l’issue de chacune de ses phrases et elle devait souvent prendre de longues inspirations. Sa voix trembla lorsqu’elle dut achever son histoire et elle dû lutter pour contenir ses larmes. Le temps se suspendit tandis qu’elle respirait doucement en regardant son auditrice. Vabrinia frissonnait, comme si le bateau avait été couvert de neige. Ewannaël sortit de son mutisme pour la prendre dans ses bras, l’envelopper dans son manteau. Il la serra contre lui, l’embrassa mais son petit corps demeurait froid et raide.

Vabrinia, ça va ? Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?

La petite fille ne répondit rien, son visage se ferma. Ewannaël devina que Ramcheh lui avait livré un de ces secrets que l’on ne partage pas. Il ne saurait sans doute jamais ce qu’elle lui avait raconté. Au fond, cela n’avait qu’une importance minime. Il devinait l’essentiel, la souffrance et l’espoir d’un lendemain meilleur. Ils n’étaient pas arrivés dans le même bateau sans raison. Quand il relâcha sa fille pour regarder la vieille femme, cette dernière avait repris sa position habituelle, de dos. Elle se tenait aussi indifférente que s’il ne s’était rien passé.

Ce fut à cet exact moment qu’Anfech commença à hurler à mort, à se débattre pour sauter du navire. Ramcheh dut s’accrocher à sa taille pour le maintenir sur son fauteuil. Ewannaël s’approcha en ouvrant les mains. Elle ne repoussa pas son aide.

*

Ewannaël passa une nouvelle fois sa langue sur le noyau, espérant raviver le plaisir qui l’avait saisi au moment de mâcher le fruit. Son léger goût sucré lui rappela leur escale dorée de la semaine précédente, sur une île sauvage à la végétation luxuriante. Ils y avaient cueilli plusieurs dizaines de fruits jaunes orangés de la taille d’une paume de main, tué et cuisiné des animaux sauvages, mélangé racines et plantes. Ramcheh avait une connaissance aigüe de la flore, les avait aidés à reprendre des forces après de longues semaines de navigation. Ils avaient dormi de longues heures, réparé et élargi leur radeau.

Ils auraient pu demeurer bien plus longtemps sur cette île paradisiaque, attendre d’avoir recouvré l’intégralité de leur force, tenter de construire un nouveau voilier. Cependant, les températures chutaient de plus en plus, la mer commençait à s’agiter. L’été se retirait à grands pas et il était hors de question d’attendre une saison entière avant de reprendre la mer. De plus, d’étranges individus débarquaient régulièrement sur l’île, lourdement armés.

Ils arrivaient sur de longues goélettes, installaient des tentes à l’entrée de la forêt puis allumaient de grands feux pendant la nuit. Ils sortaient de leur campement au petit matin, armés de longs fusils noirs. Ils menaient ensuite de longues battues, ponctuées du son des cors et des hurlements. Ewannaël, Faè, Vabrinia, Ramcheh fuyaient puis se cachaient pour éviter d’être vus, emmenant Anfech avec eux. La vieille femme tentait de rassurer son fils, consciente que le moindre de ses cris pouvait les dénoncer. Plusieurs fois, des chasseurs étaient passés proches de les découvrir.

Ils ne restaient qu’une poignée de jours mais étaient rapidement remplacés par des groupes semblables. Ewannaël avait mis de longues semaines à comprendre ce qu’ils venaient chercher sur l’île. Il l’avait finalement découvert le soir du départ d’un groupe de chasseurs. Avec ses filles, il était venu visiter les restes du campement en espérant y récupérer quelques objets abandonnés. Ils avaient alors découvert les cadavres de petits félins à la peau brune. Leurs corps suppliciés avaient été l’objet d’horribles jeux. Les chasseurs avaient préféré les abandonner là, car leur trophée n’avait pas la valeur de ceux de leurs parents. Ewannaël avait croisé plusieurs d’entre eux depuis son arrivée sur l’île mais ces prédateurs rapides fuyaient toujours à sa vue.

Ils avaient attendu que le ciel se dégage, que la mer se calme puis avaient mis leur radeau à la mer. Ramcheh parlait de plus en plus à Vabrinia, qui avait informé son père que Losival était désormais proche. Il ne demeurait plus que quelques jours de navigation. Cependant l’optimisme avait vite cédé face à l’ennui de journées interminables. Les provisions s’étaient rapidement vidées, les fruits colorés n’étaient plus que des noyaux durs.

Ewannaël s’aperçut que Vabrinia frissonnait, alla resserrer son manteau et caresser ses épaules. Il ne dit rien, conscient qu’il serait incapable de la rassurer. Après tant de faux paradis, il peinait lui-même à croire que Losival leur donnerait asile. Il craignait de n’y trouver que de nouvelles illusions, doutait d’y retrouver Jolyn. Le futur ne lui inspirait que de la peur. Une crainte mêlée de tristesse pour ses filles, à qui il ne pouvait offrir aucun espoir, aucun mensonge doré, aucune naïveté.

Tout en serrant sa fille, il commença à s’assoupir. Il accueillit bien volontiers cette inconscience, ce repos qui le fuyait toutes les nuits. Une fois encore, il navigua entre confusion et cauchemars, aperçut des centaines d’yeux braqués sur lui. Ce cauchemar revenait le traquer chaque jour, parfois même avec les paupières ouvertes. Il s’interrompit alors qu’une corne de brume résonnait. Elle s’approchait à toute vitesse et Ewannaël ouvrit les yeux. Choqué, il vit un géant de bois, de fer et d’acier qui se jetait sur eux. Une coque de paquebot de la taille de dix maisons, dont l’ombre gigantesque planait déjà sur eux.

Tout alla très vite. Faè hurla de peur, vint se jeter contre le ventre de son père, se serrer contre sa sœur. Ramcheh courut vers son fils, se dressa devant lui, autant pour lui cacher le danger que pour tenter de le protéger. Ewannaël fit de même, fit écran de son dos et se détourna du monstre qui s’apprêtait à les écraser. Il serra ses filles aussi fort qu’il le pouvait, ferma les yeux et cessa de respirer.

*

Il n’y eut ni choc ni cri. Seulement une immense vague qui les jeta loin de la course du paquebot. Elle renversa leur navire, brisa leur mât, tandis que les sirènes du navire résonnaient. Jamais Ewannaël ne lâcha ses filles. Il vola avec elles, plongea avec elles dans sous les vagues. Il s’enfonça quelques secondes vers les abysses, dans un silence apaisant. Ses yeux s’ouvrirent sur un spectacle envoûtant. L’eau bleue, les ténèbres des profondeurs, les ombres de poissons. Que la mer était belle.

Un bref instant, il confondit passé et présent. Il se sentit à nouveau jeune adolescent téméraire, à courir après le boomerang de Briennec en ignorant les dangers de la glace. La même sensation de chute brutale suivit du calme réconfortant des eaux, la même stupéfaction de découvrir un autre univers, seulement séparé d’une paroi de glace du sien. À l’époque, Briennec lui avait tiré le bras, l’avait forcé à retrouver la réalité. Cette fois, personne ne viendrait. Ses filles devaient vivre.

À grands coups de jambes, l’ancien pêcheur remonta vers la surface. Il reprit une longue inspiration une fois à l’air libre puis replongea. Lors de sa deuxième remontée, il était déjà à bout de forces. Ewannaël tourna la tête en tous sens alors que la panique montait. S’il ne trouvait rien à quoi se raccrocher, il n’aurait pas la force de sauver ses filles de la noyade. À la troisième, il le vit. Le mât, arraché, qui dérivait à quelques mètres d’eux. Il rassembla ses dernières forces dans un effort furieux dans sa direction, parvint enfin à l’attraper.

Aussitôt, il tira Vabrinia et Faè hors de l’eau, les accrocha à ce vestige de leur radeau de manière à ce qu’elles puissent respirer. Il ne put monter avec elles, l’équilibre du mât étant trop fragile. Le morceau de bois menaçait de couler si l’on y ajoutait le moindre poids. Ewannaël se contenta de le tenir d’une main, en prenant de grandes respirations pour recouvrir ses forces. Il aperçut alors un corps qui s’éloignait doucement d’eux. Celui de Ramcheh, visiblement inconsciente. Après une brève hésitation, il s’assura que ses filles tenaient en équilibre puis plongea à nouveau. Il attrapa le corps de la vieille femme et revint avec peine jusqu’aux rescapées. Ne pouvant la mettre en sécurité, il la garda dans ses bras, la bouche hors de l’eau. Il l’entendit tousser, puis reprendre sa respiration. Elle vivait.

Chaque vague était un danger, une menace. Ewannaël avala de nombreuses gorgées d’eau, batailla contre la mer pour maintenir le mât à flot. Il épuisa peu à peu des forces qu’il s’ignorait avoir, en sombrant peu à peu dans le désespoir. Avait-il eu raison de continuer à se battre contre un destin si cruel ? N’aurait-il pas mieux fallu abandonner ses filles à la douceur d’une mort si soudaine ? Pourquoi avait-il été chercher Ramcheh alors qu’Anfech s’était déjà noyé ? Elle aurait sans doute préféré partager le sort de son fils.

Cependant un instinct de survie primaire le poussait à continuer de se battre. Il n’avait qu’une idée : maintenir les visages hors de l’eau. Le sien, les autres. Il n’aurait pas la force d’aller chercher un nouveau corps. Ewannaël ferma plusieurs fois les yeux, espérant que cela réduirait l’attente mais même ainsi, les secondes lui paraissaient interminables. Jamais le temps ne lui avait paru un si cruel adversaire. La pénible irrigation de ses poumons en oxygène était la seule douceur de ce naufrage. Il tenta de s’y concentrer entièrement, de ne penser à rien d’autre mais chaque vague l’en distrayait.

Il avala de nombreuses gorgées d’eau salée, manqua de s’étouffer à plusieurs reprises. Il eut mal à la tête, au ventre, aux bras. Il lui sembla que son corps tout entier se raidissait pour s’économiser tout en maintenant ses filles à flot. Il n’était plus qu’un pantin du destin, condamné à se noyer au milieu d’une mer immense. Il repensa à la tempête qui avait failli les emporter, avant leur arrivée à Maëlval, se demanda s’il n’aurait pas mieux fallu que tout s’y arrête. Ils étaient une famille unie, libre. Ils auraient emporté leurs espoirs dans la mort au lieu de voir la vie les briser un à un.

Il repensa à sa mère, qui leur enseignait les histoires d’esprit avec Briennec. Elle leur disait que la mort était l’un des plus anciens et des plus beaux. Un des rares esprits à se montrer aux hommes et femmes, une seule fois pour chacun d’entre eux. Le jour où il les appelait à le rejoindre. Elle leur décrivait le cortège formé des proches du défunt, qui dansaient de joie, heureux d’accueillir une nouvelle âme parmi eux. Des larmes se formaient dans sa voix lorsqu’elle énumérait les célébrations qui agitaient les nuits suivantes. Enfant, il ne comprenait pas qu’une histoire si joyeuse la rende triste.

À cet instant, il se demanda si cette légende était vraie, si Edenn l’attendait dans un ailleurs inaccessible au vivant. Ce serait si beau de pouvoir le rejoindre, avec sa sœur. Ils n’auraient plus qu’à attendre Jolyn pour enfin fêter leur réunion. Ils resteraient ensemble durant l’éternité si les esprits le leur permettaient. Ce serait fantastique. Malheureusement, ce ne devait être qu’une douce illusion, comme l’avaient été ses retrouvailles avec Jolyn. Une belle histoire inventée par des vivants terrifiés par leur disparition, une belle histoire pour se donner du courage avant d’affronter ce qui dépasse les mots. La mort pouvait aussi être une histoire bien plus triste, une continuation de souffrances comme l’avait été sa vie. Cela pouvait aussi être rien mais il ne pouvait se le figurer. Comment s’imaginer l’inimaginable ?

À bout de forces, Ewannaël ne sentait même plus l’eau qui l’enveloppait, les vagues qui l’assaillaient. Lui, le marin, le pêcheur, l’amoureux des mers, ne ressentait plus qu’une froide indifférence quant à ce qui l’entourait. Il toussait désormais plus qu’il ne respirait, ses poumons lui semblaient noyés d’eau de mer. Ses paupières étaient lourdes, fatigué de lutter, son corps aspirait à la paix. Même si cette paix devait être autre chose que du sommeil. La tension de ses muscles se relâcha et il sentit ses mains doucement glisser contre le bois. Son cou plongea, puis son menton et ses joues. Il coulait.

Une vague manqua de renverser l’embarcation de fortune, le corps de Faè glissa vers les eaux. Ce dénouement intolérable redonna à Ewannaël la force d’un nouveau mouvement de bras. Il rattrapa sa fille pour réinstaller son visage à l’air libre. Ses yeux se remplirent de larmes alors qu’il comprenait qu’il ne pourrait indéfiniment repousser cette issue. À ce moment, il avait véritablement perdu conscience de lui-même, n’existait que pour protéger celles qu’il aimait. Plus père qu’homme.

Puis il y eut un bruit de sirène. Dans la confusion de ses sens perdus, Ewannaël prit seulement conscience qu’une ombre lui enlevait le soleil. Ce ne pouvait être qu’un bateau. Il hurla. Il n’avait plus de force, plus d’espoir, seulement une voix. Un appel au secours, un appel à la vie. Des voix humaines lui répondirent puis des bras se posèrent sur lui. On l’arracha aux eaux, le tracta d’une corde de chanvre. Elle lui frotta la peau sans qu’il sente la moindre douleur. Il se retrouva allongé sur un sol de métal dur. Des mains le pressèrent, des voix l’entourèrent. Il cracha de l’eau. Plusieurs fois. Son corps s’agita de soubresauts de vie. Ses paupières s’ouvrirent.

Une lumière dorée lui brûla les yeux. Puis il sentit les gouttes de pluie qui tombaient sur son visage. Ewannaël entendit sa respiration pénible, sifflante. Il voulut bouger mais son corps n’était plus qu’une masse inanimée, étrangère. Il se concentra sur les visages au-dessus de lui sans parvenir à vraiment les identifier. Il mobilisa tout ce qu’il lui restait de voix dans un seul ordre :

— Relevez moi.

Après quelques secondes de flottement, ses sauveurs consentirent à le hisser sur leurs épaules. Il vit un pont gigantesque derrière lui, de bois et de métal, avec des dizaines de voyageurs qui regardaient vers lui. Puis on le tourna de l’autre côté, vers la mer. Il vit les corps des rescapées, entourés de sauveteurs. Il leur avait gardé la bouche hors de l’eau pendant les heures qu’ils avaient passé à la dérive. Ewannaël sut qu’elles vivraient, que tout cela n’avait pas été vain.

Derrière-elles, il y avait l’horizon. Au-delà des vagues bleus, des trombes de pluie, du ciel recouvert de nuages, il y avait une terre. Elle était couverte de constructions plus grandes que des montagnes, dont les murs métalliques reflétaient les rayons du soleil. Au-dessus d’eux, des oiseaux de métal transperçaient le ciel. Des volutes de fumée blanche mariaient la terre aux nuages. Une statue de femme haute de dizaines de mètres s’élevait de la plage. Il lui imagina de longs cheveux blonds, des yeux bleus, un sourire chaleureux, le charme de Jolyn. Cette vision lui fit douter d’être encore vivant. Des esprits avaient dû s’emparer de son corps pour le conduire dans un paradis où celle qu’il aimait l’accueillait enfin.

Puis il se souvint avoir déjà entendu parler de cette statue au visage couronné de lauriers, lors de son séjour à Maëlval. Armen la lui avait décrite avec une pointe de nostalgie dans la voix. L’égérie d’une culture, la guide d’une civilisation. Celle qui avait donné son nom à sa ville. Losival.

Son voyage était terminé.

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AlaindeVirton
Posté le 30/11/2024
Un très beau texte, poignant, plein de tension une nouvelle fois. C’est un art dans lequel tu excelles.
Il y a donc trois scènes. La première est énigmatique et le reste. C’est une bonne chose de laisser le lecteur imaginer. La deuxième partie est plus qu’une scène : c’est un épisode dont on reçoit l’explication. Que faut-il comprendre ? Je crois que ce passage complète cette odyssée dans laquelle Ewannaël a en définitive été chassé de partout.
Vient le final que je trouve très bon. Enfin Ewanaël se départit de son égoïsme. Il est prêt à donner sa vie pour les autres. Il méritera une récompense, il retrouvera Jolyn.
Merci pour cette belle histoire.
Edouard PArle
Posté le 13/12/2024
Coucou Alain !
Trop bien si la tension demeure ! Oui, une fin ouverte qui est sujette à interprétation, même si des éléments d'explication se retrouvent dans les autres histoires des Yeux de la Nuit.
"Enfin Ewanaël se départit de son égoïsme. Il est prêt à donner sa vie pour les autres. Il méritera une récompense, il retrouvera Jolyn." Ce serait une belle fin, je ne te dis pas ce que j'imagine mais j'aime beaucoup ton interprétation !
Merci de tout ces retours sur Les Yeux de la Nuit, ça a été un plaisir de te lire, très intéressant d'avoir eu toutes ces remarques qui me seront très utiles pour la réécriture !
Merci encore !
A très vite (=
AlaindeVirton
Posté le 13/12/2024
Salut Édouard !
Je viens donc de lire toutes tes réactions d’aujourd’hui et de relire mes propres commentaires, et c’est à moi de te remercier. Ces échanges m’ont enrichi considérablement. Je suis nouveau sur PA. Je ne pensais pas trouver ce genre de contacts fructueux.
Je vais donc lire l’autre texte que tu proposes. Nous discuterons donc de nouveau.
À bientôt.
Edouard PArle
Posté le 14/12/2024
Coucou Alain !
Avec plaisir ! Tes retours m'ont aussi beaucoup enrichi ! Oui, PA est vraiment une trop belle plateforme (=
Je suis très curieux de voir ce que tu penseras du pdv d'Hildje. Il est assez différent.
A très vite !
Emma
Posté le 25/11/2024
Salut,
Un chapitre fort en émotions. Tu décris, avec beaucoup de justesse, le déroulement de cette traversée, les sentiments et les questionnements d'Ewannaël.
je n'arrive pas à y croire, es-ce vraiment la fin ? Mais alors qu'arrive-t-il ensuite ? et Jolyn, la retrouve-t-il un jour ?
j'espère sincèrement que tu écriras la suite. mais peut-être que je me trompe, et que cette aventure n'est que le commencement.
Merci d'avoir partager tes écrits
Au plaisir
Edouard PArle
Posté le 13/12/2024
Coucou Emma !
Content que tu aies apprécié cette conclusion. Oui c'est plus ou moins la fin, mais pas vraiment xD
En fait, Ewannaël est un des narrateurs du projet des Yeux de la Nuit, comme Hildje, que je suis en train d'écrire et que j'ai aussi mis sur PA. Les autres pdvs donnent des éléments explicatifs, même s'ils ne couvriront pas toutes les zones d'ombre.
Merci à toi d'avoir lu !!
A tout bientôt (=
Contesse
Posté le 17/11/2024
Re re re !
Eh bien eh bien, me voici arrivée à la fin !

Wow. Jusqu'à la fin, notre pauvre Ewen en aura bavé xD Echoué sur une île remplie de braconniers cruels qu'on voudrait pas trop croiser, pour finir sur un p'tit naufrage des familles. x)
Je suis curieuse de l'histoire de Ramrech, mais je trouve ça plutôt cohérent et pertinent qu'on ne sache jamais ce qu'elle a dit à Vabrinia, qui semble traumatisée à vie d'ailleurs. Pauvre gamine d'ailleurs, elle avait rien demandé ahah ^^

ET ENFIN, l'arrivée à Losival, qui était l'objectif de base ! Finalement, on y arrive. Maintenant, je suis hyper curieuse de cette ville, ce pays qui semble ultra moderne, ultra ouvert, qui fait beaucoup penser à nos villes mondialisées contemporaines. Curieuse aussi de cette immense statue de femme, que représente-t-elle ? Est-ce qu'ils vénèrent une divinité féminine ? Que de questions !

J'espère effectivement qu'on trouvera nos réponses dans les autres histoires liées ! Et qu'on recroisera Ewan et ses filles peut-être à travers d'autres points de vue, ce serait vraiment trop cool que tout se réunisse et s'entrecroisent à la fin ;)

En tout cas, j'ai vraiment beaucoup apprécié ce point de vue, suivre ce père déterminé et désespéré à la fois dans sa quête pour mettre à l'abri ses filles et sa famille. Effectivement on ne saura sans doute jamais ce qui est arrivé à Jolan (ou alors peut-être dans un autre pdv ?) mais ce n'est pas dérangeant non plus ! Ca fera partie des mystères non élucidés qui nous interrogera pendant des jours et des mois durant, et nous empêchera de dormir xD

J'ai vraiment beaucoup aimé cet univers que tu as créé, qui m'a fait voyagé, rêvé et cauchemardé aussi ! Malgré les similitudes avec notre monde à nous, il y avait toujours des éléments nouveaux, surprenants et intrigants qui ont fait qu'on se sentait toujours dépaysé et c'était un vrai plaisir ! J'ai autant aimé l'ambiance froide et polaire du début que cette ambiance plus chaude et sèche sur la fin ;)
Hâte de voir ce que tu nous réserves dans les autres points de vue !

Un plaisir de te lire comme toujours, je te dis à bientôt ;)
Edouard PArle
Posté le 19/11/2024
Coucou Conts !
En effet, il n'aura pas vraiment eu le droit au repos pendant ces 15 chapitres...
Je suis content d'avoir suscité ta curiosité avec Losival, qui est un lieu fort des Yeux de la Nuit, et sera davantage développée dans d'autres pdvs...
"J'espère effectivement qu'on trouvera nos réponses dans les autres histoires liées ! Et qu'on recroisera Ewan et ses filles peut-être à travers d'autres points de vue, ce serait vraiment trop cool que tout se réunisse et s'entrecroisent à la fin ;)" hmmm, ni oui ni non, mais je te laisse découvrir ça eheh
Quant à savoir si d'autres pdvs vont résoudre les mystères non élucides dans celui-ci, je te réponds en partie. Mais bien sûr, cette histoire va garder des zones d'ombre.
Content que tu aies apprécié l'univers !! Ca change du medieval fantasy mais en vrai c'est très chouette aussi (=
"Hâte de voir ce que tu nous réserves dans les autres points de vue !" Très honnêtement, si tu as aimé le pdv d'Ewan, je pense que tu vas adorer celui d'Hildje. Enfin, je ne veux pas te le survendre non plus^^
Merci beaucoup pour tous ces retours si encourageants et toujours aussi pertinents ! Un plaisir d'échanger avec toi comme toujours !!
A très très bientôt !
Cléooo
Posté le 30/10/2024
Hello Edouard :)

Me voilà moi aussi arrivée à la fin de ce voyage ?

J'ai vu que tu avais sorti une autre histoire "Les Yeux de la Nuit", mais à la lecture du résumé, je n'ai pas eu l'impression qu'il s'agissait d'une suite, si ?

Pour en revenir à ce chapitre, j'ai trouvé très poignant le thème de la résilience dans le naufrage. L'acharnement à survivre, le doute sur si ça en vaut la peine... Le fait est que si Ewannaël avait été seul, il se serait probablement laissé sombrer, et c'est d'autant plus important et un peu le sommet dans la construction de son personnage, que de le voir s'efforcer de survivre dans un moment pareil, lui qui a avancé et fait des erreurs pour les siens avant tout. Je sais que c'est loin d'être une histoire heureuse, mais j'aimerais vraiment qu'il puisse retrouver Jolyn.

Je trouve que la mort (disparition, plutôt?) est vraiment dramatique, surtout si la mère a survécu. Elle, en l'occurrence, n'avait plus que lui. Du coup le questionnement sur le fait qu'il n'aurait peut-être pas dû la sauver. Ça aurait été de lui donner une certaine miséricorde, peut-être.

Pour la première partie, plus centrée sur Vabrinia, c'est vrai que ça serait intéressant de savoir ce que Ramcheh lui a raconté, ça permettrait aussi d'en savoir plus à son compte :)

Je te dis à bientôt, bon courage pour la suite de ton écriture !
Edouard PArle
Posté le 30/10/2024
Coucou Cleoo !
La fin ? Oui et non. Les Yeux de la Nuit est un projet commun, mais j'ai fait le choix d'écrire les narrateurs les uns après les autres. L'autre histoire sur PA a donc vocation a être "mixée" (pas le meilleur mot j'avoue xD) avec celle-ci et une autre. Cette fin ci n'est donc pas LA fin, ça laisserait beaucoup trop de questions non résolues hihi
Trop content de lire ton retour sur la résilience d'Ewannaël, c'est évidemment un thème au coeur de ce personnage et de l'histoire en général d'ailleurs.
Oui, la disparition de Jolyn est douloureuse et cruelle. Je ne te dis pas si j'ai prévu d'autres choses pour ce personnage^^
Merci beaucoup de ton retour et de tous ces précieux commentaires !!
A bientôt (=
Cléooo
Posté le 30/10/2024
Très bien, alors je reprendrai avec cette "autre" histoire ^^
Avec plaisir :)
À bientôt !
Edouard PArle
Posté le 30/10/2024
Hâte de te lire (=
Vous lisez