Le bruit au sein du quartier général BDB/BDM était tout bonnement assourdissant.
Construit comme un silo sur les flans duquel on aurait aménagé de grandes rampes descendantes surchargées de bureaux et d’open-space, il s’enfonçait dans différentes strates de réalités sans qu’il soit possible de déterminer où et quand ces réalités commençaient ou s’achevaient. Du monde circulait en tout sens, sur les rampes ou dans le vide, et si la majorité étaient bipèdes, l’humanité était loin d’être l’espèce la plus représentée.
Arrivés via la déchirure faite dans le Brouillard par Céleste, l’équipée des Chevaliers de Nii (rebaptisés tout récemment Chevaliers du Jardinet pour une obscure histoire de droits d’auteur) se trouvait à présent dans une zone sentant fortement l’écurie et fréquentée par une foule épaisse de bipèdes, quadrupèdes et multipèdes très occupés à entrer et sortir du silo. Bien qu’assez peu impressionnable de par son métier, Yan se demanda s’il n’allait pas refaire un état de choc lorsque son regard croisa celui d’une créature ressemblant fortement à un insecte doté d’un visage humain et de multiples jambes. A ses côtés, Armelia ne disait mot, sa peau d’ordinaire très pâle ayant viré au livide, alors qu’elle tentait de résister à la puissance magique émanant de l’endroit. Derrière la Capitaine, Seth avait rentré son reste de tête dans ses épaules, et se faisait tout petit, au plus grand amusement de la guerrière.
- On fait moins le malin d’un coup hein ?
- ‘es ‘é’an’ke.
- Mais oui mais, la plus méchante des méchantes. Allez, dans dix minutes tu pourras te transformer de nouveau, je suis sûre que pleeeeins de gens seront ravis de te revoir ici (elle tourna la tête pour regarder ses passager, et fronça les sourcils en avisant la carnation d’Armélia) Qu’est ce qui ne vas pas ?
La jeune fille leva un regard un peu perdu vers son interlocutrice, peinant à se concentrer sur la question.
- C’est… cet endroit. Il fait pression (elle désigna sa tempe) là…
- Oh.
Céleste hocha lentement la tête, compréhensive. Le Bureau avait cet effet sur les gens parfois. Elle-même n’en souffrait pas, mais par principe (et parce qu’elle était souvent amenée à véhiculer des gens d’autres réalités jusqu’au silo du BDM/BDB), elle avait toujours de quoi contrecarrer l’effet dans les fontes de sa selle. Fontes de selles actuellement situées sous les jambes de Seth.
- Pousses tes pattes l’oiseau.
Ce dernier s’exécuta en grommelant, levant haut ses genoux inversé, le temps que la Capitaine fouille dans les sacs en extrait une petite fiole au contenu aussi bleu que ses cheveux. Ayant mis pieds à terre, elle l’apporta jusqu’à l’humaine qui semblait au bord de l’évanouissement.
- Buvez ça. Lentement et en entier. Vous verrez, ça va vous faire du bien.
- … Je ne risque pas de rester coincée ici ? Ou dans un rêve ?
Céleste esquissa un sourire appréciateur : c’était rare de rencontrer des humains suffisamment au fait des règles de l’Entre-deux et de la navigation entre les mondes pour se méfier des cadeaux qui leur étaient offerts. En particulier la nourriture et la boisson.
- Non. Je peux le jurer sur mon Nom Vrai si vous voulez.
Armélia la regarda d’un drôle d’air avant de sourire à son tour. Un sourire fragile mais reconnaissant.
- Ça ne sera pas nécessaire, merci.
La fiole changea de main et l’humaine pris le temps d’en boire tout le contenu malgré son goût épouvantable d’encre mélangé à toute la pharmacopée d’un pharmacien fou. La bouche et les lèvres bleuies, elle rendit le récipient à la Capitaine qui lui offrit un sourire compatissant avant de se détourner pour remonter sur sa licorne.
De laquelle Seth avait disparu.
- Oh bord*l.
- Capitaine ! Votre langage !
- Ta g***le toi, le texte me censure déjà. Il est passé où le piaf ?
Un silence pesant et extrêmement gêné s’installa sur la colonne de Chevalier. Les uns regardaient le plafond, les autres le bout de leurs bottes, quelques uns semblaient absorbés par l’entretient de la crinière de leurs montures, et quelques autres tentaient lamentablement de planquer les brochettes qu’ils venaient d’acquérir en douce.
Céleste dû prendre une grande inspiration pour ne pas tous les exploser.
Littéralement.
- Que je résume. Vous êtes vingt. Vous pouvez exterminer une Chasse Sauvage sans cligner des yeux. Mais pas l’un d’entre vous n’a pensé à surveiller le prisonnier ?
- Il était attaché.
- Et sur votre licorne !
- En plus vous étiez avec lui.
- Enfin. Pas tout le temps.
- Mais presque.
- Jusqu’à ce que vous descendiez de votre monture.
- En fait.
- Juste là. Et…
- Silence. SILENCE !
La voix de la Capitaine avait enflé d’un coup, porteuse d’une vague de pouvoir qui envoya la moitié de l’équiper valdinguer cul par dessus tête au milieu de la foule qui reflua brusquement sur les côtés de la rampe. Accrochés à leurs Petits Poneys affolés, Yan et Armélia ne durent leur salut qu’au fait que les montures des Chevaliers n’avaient pas bronché, continuant de faire corps autour des deux humains. Visiblement, ce n’était pas la première fois que ce genre de scène se produisait.
- Bon sang, mais j’en ai maaaarrre de bosser avec des c*ns pareil !
Elle passa une main tremblante de colère sur son crâne et ramena son épaisse tresse bleu sur son épaule pour en triturer rageusement la pointe.
- Bon, remontez en selle bande d’incapables. On dépose nos passagers à l’accueil, et ensuite, on part chasser l’oiseau…
Pelotonné dans un renfoncement de rampe, Seth regarda l’équipée partir avec un sentiment de soulagement mêlé de culpabilité. Dès que Céleste avait eu le dos tourné, il s’était laisser glisser à bas de la licorne et avait filé, disparaissant rapidement dans la cohue, le front bas et la langue soigneusement dissimulée dans le col de sa cape. Car la Capitaine avait raison : dès que sa présence serait connue, de nombreuses personnes viendraient pour lui demander des comptes... hors il avait tout sauf le temps pour ça. Bien sûr, il s'en voulait un peu de laisser Yan et Armélia en rade mais... ils étaient au Bureau. Plus rien de fâcheux ne pouvait leur arriver. N'est-ce pas ?
S'accrochant à cette idée, il se faufila dans la foule tout en sentant son corps changer : ses genoux reprirent leurs position normale, sa mâchoire commença douloureusement à se reformer, son dos se redressa un peu, et il se retrouva bientôt à marcher pieds nus sur le tissus malléable de la réalité du Bureau. Ce qui n'était pas spécialement agréable.
Contrarié, le dieu s'arrêta quelques minutes pour se frotter la plante des pieds et farfouiller dans ses poches à la recherche des claquettes qu'il savait y avoir glissé.
- Ah ! Moi aussi je trouve désagréable d'y poser les coussinets.
Seth sursauta en entendant la voix de Sugar-Rose qui semblait surgir de nul part, jusqu'à ce qu'il s'avise que le chaton squattait la capuche de sa cape. Probablement depuis un petit moment d'ailleurs. Mais comme tous les chats, il n'avait pas le moindre poids au sein du Bureau, ce qui avait rendu sa présence impossible à détecter.
- Dé'age 'ugar.
- Sûrement pas. Pas que j'aime ta tête actuelle, mais je suis bien curieux quand même.
- 'eu 'ais 'eu 'ransfo'mé en é'ar'pe.
Le chaton ébouriffa un peu sa fourrure pour la forme, puis sauta sur l'épaule de son porteur pour y faire sa toilette.
- Pas ici en tous cas. Pas alors que Céleste te cherche. Et puis (il ouvrit de graaaands yeux adorables) je suis mignon.
Seth grommela quelque chose qui ressemblait vaguement à un « ouais bon c'est vrai » avant de repousser le chat dans la capuche pour pouvoir chausser ses claquettes. Une fois coupé du tissus changeant des réalités du Bureau, il se sentit un peu mieux, d'autant que son cou semblait enfin être revenu à une taille humaine normale. Enfilant les couloirs et les passages ascensionnels du centre du silo, il se retrouva bientôt au sommet de ce dernier, face à une grande étendues de réalités moutonnant comme autant de nuages par un soir de printemps.
C'était magnifique. Et dangereux pour lui. A tout instant, quelque chose ou quelqu'un ayant des récriminations à lui faire pouvait surgir d'une réalité, et il ne tenait pas spécialement à en faire les frais... en parlant de frais...
- La température a baissé non ?
- Euh. Seth ? (Sugar lui tapota l'oreille du bout de la patte) Lève la tête...
Il s'exécuta.
- Ah.
Juché sur son nuage magique, le Maître du BDM et du BDB le surplombait, un immense sourire aux lèvres.
- Bonjour Ixputlequi.
- Mh. Bonjour Seigneur Xuantian Shangdi.
- Tu es venu porter malheur au Bureau ?
- Non non, je suis là à cause d'une erreur d'aiguillage. Je me suis trompé de réalité. Je partais là.
- Oh vraiment ?
- Seth ?
L'interpellé sursauta en entendant son nom. De derrière l'imposante silhouette du dieu de la justice, un visage à lunette et frange bien connu venait d'apparaître.
- Eli ?...
- Il vient de t'appeler comment là ?
- Euuuuuh...
A la tête d'Elizabeth s'ajouta celle de Loki.
- C'est vrai ça... il vous a appelé comment ?!
- Mh. C'est une longue histoire. Mais je n'ai pas trop le temps de raconter là. Tu m'en veux pas Eli ? Faut que j'y aille.
- Ooooh non mon cher ami (Xuantian Shangdi tendit une main soudain démesurée qui se referma sur Seth) vous allez venir avec nous. Il me semble que ce cher Loki a changé la trame de l'histoire pour vous sans savoir exactement ce que vous étiez...
- Oui d'ailleurs, si j'avais su, j'aurais laissé le chapitre se solder par ta mort.
Et vu la tête du dieu, il regrettait réellement de ne pas l'avoir fait. De nouveau désagréablement dépassée par les événements, Elizabeth ne pouvait que suivre l'échange en silence, toujours assise sur les genoux de Loki qui n'avait cessé de s'enfoncer dans le nuage de tout le trajet – c'était à peine si leurs tailles dépassaient encore de Clouclou. Ce dernier s'en contrariait d'ailleurs de plus en plus, et ils avaient foudroyés quelques arbres sur le trajet.
Xuantian Shangdi ligota rapidement Seth avec l'un de ses voiles évanescents et le jeune homme se retrouve à léviter près du nuage, une expression profondément lassée sur le visage. En partie à cause de la situation, et en partie parce que Sugar-Rose plantait joyeusement ses petites griffes dans sa nuque pour ne pas basculer hors de sa capuche. Un grand sourire satisfait sur le visage, le dieu chinois encouragea son nuage à repartir, les menant directement au cœur du Bureau en un temps record.
*
- Eli ?
- …
- Eli...
- Pas maintenant Seth.
La jeune femme lui tourna ostensiblement le dos, les yeux fixés sur le rapport qu'elle relisait pour la quatrième fois sans en imprimer le moindre mot. Les dernières révélations en date, sur la nature de Seth comme sur l'objet de l'enquête de sa sœur, tournaient sans relâche dans sa tête, l'empêchant de se concentrer. Elle se sentait trahies, menée en bateau, et surtout, surtout, très très bête. Et c'était probablement ça qui l'énervait le plus. Comment avait-elle pu à ce point passer à côté de choses aussi évidentes ??
Agacée, elle repoussa le museau de Sugar-Rose qui tentait de grimper sur ses genoux et donna un bout de salade à Annabelle qui gazouilla gaiement dans son tupperware. La pauvre limace, fortement éprouvée par le voyage (servir de pendule ne lui avait vraiment pas réussi), semblait être devenue un peu sénile, et ne cessait de gazouiller ou de répéter en boucle le nom de Yan en l'agrémentant de toute une série de bulles baveuses bien épaisses – ce qui n'était pas sans dégoûter ce dernier. Installé à l'autre bout de la pièce allouée par le Bureau, il compulsait lui aussi les notes de son épouse, la mine sombre et le regard hanté, tout en ignorant lui aussi les tentatives de Seth pour s'expliquer. L'air misérable, le jeune homme finit par poser les tasses de green-chaud qu'il avait préparé devant chacune des personnes présentes avant de s'installer piteusement non loin d'Elizabeth et de prendre un document au hasard pour le lire.
Il ne manquait plus que le tic tac oppressant d'une horloge pour compléter le tableau.
Heureusement, le temps ne s'écoulant pas à l'intérieur du Bureau, ce genre d'objet n'y existait pas, ce qui épargna leurs oreilles et leurs nerfs de façon fort bienvenue : ils avaient assez à penser.
Au bout d'une heure à lire et relire la même page, Eli finit par taper du plat de la main sur sa table, les faisant tous sursauter.
- Je vais prendre l'air.
Sans laisser aux deux autres le temps de répondre, elle quitta la pièce au pas de charge, dépassa sans un mot Armelia et Céleste plongées en grande conversation sur la meilleure façon de se débarrasser d'une Horde Sauvage sans finir entièrement couverte de jus de dieu, et gagna la minuscule salle de repos qu'on leur avait attribuée. Meublée en tout et pour tout de trois chaises, d'une table à moitié présente dans la réalité et d'une machine à café ne produisant que de la chicorée à la fraise, elle avait au moins le mérite de s'ouvrir sur une grande terrasse qui surplombait l'océan de réalités entourant le Bureau. Esquivant les petits moutons de réalités naissantes qui roulaient sur les dalles telles des boules d'herbes de western, elle gagna l'extrême bord de terrasse pour s'affaler contre la rambarde et laisser son regard errer sur la mer des réels.
C'était beau.
Bizarre.
Mais carrément beau.
Et apaisant aussi.
Surtout avec ce petit vent vrai qui venait vous caresser la nuque.
La jeune femme ferma les yeux pour s'imprégner du calme de l'endroit, son esprit cessant enfin de tourner en boucle sur les situations absurdes auxquelles elle était confrontée depuis le début de cette aventure. Et bien sûr, c'est pile à ce moment là que quelqu'un s'invita sur la terrasse.
Avec une démarche trop connue pour être entièrement ignorée.
Elle poussa un petit soupir tandis que Seth se raclait nerveusement la gorge, et décida de ne pas se retourner tout de suite. Sinon elle allait probablement lui coller un pain, et ça ne ferait pas avancer les choses.
- Eli...
- Pourquoi tu ne m'as rien dit ?
- Honnêtement ? Parce que je ne pensais pas que c'était important.
Pour le coup, Eli se retourna, un air ébahit sur le visage.
- Pas important ? Tu es un p*tain de Dieu Seth. Mon meilleur ami. Est un. P*TAIN. DE DIEU !
Embêté, le barman passa une main dans ses cheveux en bataille (sa coupe sculptée n'avait pas résisté à la course, à la transformation, et à l'arrivée en nuage volant) avant de croiser les bras sur sa poitrine.
- … On va dire que... j'ai pas la même notion des choses importantes ou indispensables que... la plupart des gens ?...
- Tu comptais me le dire un jour ?
- Non.
- Pourquoi ?
- Je ne voyais pas l'intérêt. (il écarta les bras en signe d'impuissance) Potentiellement ça aurait changé trop de choses. Ou alors tu te serais attendue à des miracles. Ou bien tu aurais cessé de me parler. Je sais pas. Je préférais être simplement Seth le barman qui fait de bons roulés à la cannelle ?... C'est fatiguant d'être Moi tu sais...
Eli plissa les yeux et le nez, visiblement peu convaincue.
- Non je sais pas non.
- Eli.
- Ixputlequi.
Le jeune homme ne pu pas s'empêcher d'esquisser un sourire : à la façon dont Elizabeth avait prononcé son nom, en l'expulsant et en l'articulant avec soin, il pouvait deviner qu'elle avait dû passer pas mal de temps à en apprivoiser les sonorités.
- C'est moi.
- Et Seth.
- Aussi.
- Le dieu Seth ?
- Ahin.
- La théorie de « un seul dieu, plusieurs appellations » ?
- C'est ça.
- Alors c'est quoi ce nom dégôlas ?
Seth pouffa. Eli avait sa tête exaspérée des bons jours, quand le monde entier la saoulait parce qu'elle n'arrivait pas à en comprendre les rouages. En général, c'était plutôt bon signe pour qui la connaissait et l'appréciait.
- La langue Aztèque est particulièrement moche, je te l'accorde.
- Et du coup en vrais tu ressembles vraiment à ce qu'à dit Yan ? Le mélange autruche-vautour moine sans mâchoire ?
- Dans les bons jours. En temps normal il manque en plus pas mal de peau et de muscles sur diverses parties.
- Encore les Aztèques ?
- Encore les Aztèques. Ils avaient une imagination plutôt macabre concernant leurs dieux néfastes.
Eli renifla, amusée.
- Ma mère l'avait bien dit.
- De quoi ?
- Que t'étais néfaste.
- Ah ! Et merde. Effectivement.
- Donc. Dieu. Néfaste. Et pas censuré par le lieu.
- Nh. On a quelques passe-droits oui.
- C'est dégôlas.
- Faut bien avoir une contrepartie fun au fait d'être un dieu moche !
Ils rirent ensemble et la tension entre eux acheva de disparaître. Seth vint s'accouder aux côtés d'Eli pour contempler le balais des réalités en dessous d'eux, et un silence confortable s'installa sur la terrasse.
Jusqu'à ce qu'Elizabeth le rompe avec une question :
- Est-ce que tu aurais pu sauver Anna-Maria ?
- Non.
Eli se tourna à moitié vers lui, le visage grave.
- Vraiment ?
- Vraiment. (il soupira) Anna... Anna ne pouvait pas survivre.
- Explique.
Le dieu resta silencieux un moment, le temps de trouver comment s'exprimer, puis murmura :
- La fatalité.
- Pardon ?
- C'est mon essence principale. La fatalité. Ensuite la santé. Ensuite guider les morts. Anna-Maria s'était visiblement attaquée à quelque chose d'énorme, et quelqu'un s'est arrangé pour que Loki lui porte le coup de grâce. Même si j'avais été sur place lors de l'attaque, je n'aurais pas pu intervenir. La façon dont les choses se sont passées... (il secoua la tête, défaitiste) elles n'auraient pas pu être changées.
- T'es un porte-poisse en fait.
Seth se raidit de façon visible.
- Est-ce que tu peux ne pas m'appeler comme ça, s'il te plaît ?
- Vexé ?
- Non juste... (il tourna la tête pour regarder sa compagne) beaucoup de gens confondent malchance et fatalité. C'est... déplaisant, d'être accusé de choses qu'on a pas fait. La fatalité, c'est juste... lorsque tu t'es tellement mis dans la merde tout seul que les événements sont obligés de ne s'agencer que d'une certaine façon.
- … Tu es en train de me dire qu'Anna-Maria s'est en quelques sortes suicidée ? Ou qu'elle s'est auto-mise dans la vague de glace qui l'a tuée ?
Seth inspira un grand coup avant de lâcher :
- Oui. On peut décider de voir ça comme ça.
Un nouveau silence tomba lourdement sur les deux amis. Ce fut au tour d'Elizabeth d'inspirer puis d'expirer profondément, le temps de digérer la nouvelle et ses conséquences. Lorsqu'elle ouvrit la bouche, Seth s'attendit à se faire pourrir dans les grandes largeurs, et pourtant... la jeune femme se contenta de recommander :
- Ne dit pas ça à Yan. Déjà qu'il t'as dans le collimateur, si tu lui dis que sa femme a... cherché la situation qui l'a tué, il va t'envoyer la rejoindre direct.
- … Tu prends la situation de façon étonnamment stoïque tu sais ? C'est flippant.
- Bah. (elle entreprit de compter sur ses doigts) Je vomis des limaces et comprends les invertébrés depuis quatre ans. Je suis visiblement descendante du dieu de la fourberie ET d'une grinch qui a utilisé un filtre d'amour pour séduire mon paternel. On m'a maudit. J'ai traversé la moitié des réalités sur les genoux de Loki, installé sur un nuage volant conduit par un dieu chinois... alors que mon meilleur ami soit un dieu... (elle haussa les épaules). Non, ce qui me choque plus, c'est que tu ai décidé de revivre l'adolescence. L'ADOLESCENCE Seth ! La PIRE partie de la vie au monde ! L'acné ! Les hormones ! La bétiiise des gens ! Mais POURQUOI t'infliger ça ?
L'explosion de rire de Seth effaroucha les petits moutons de réalités qui s'égaillèrent dans tous les sens sur la terrasse en laissant derrière eux éclats colorés. Plié en deux, le dieu dû s'y prendre à deux fois avant d'arriver à s'asseoir par terre, les yeux brillants de larmes. Toujours debout, Eli le toisait, bras croisés, en attente d'une réponse.
- Uuuuh... la vraie raison ou la raison romancée ?
La jeune femme esquissa un sourire amusé.
- La romancée d'abord, la vraie raison ensuite ?
- Ok. L'adolescence, c'est le moment du bourgeonnement des personnalités, le creuset voyant la naissance des gens intéressants et forts, le moment charnière forgeant l'avenir des billions d'êtres pensants que comportent les univers. C'est chiant, c'est fascinant, et c'est méga drôle.
- Mh. Ouais. J'achète. Et la vraie raison ?
Le jeune homme leva la tête vers elle pour accrocher son regard.
- En réalité, je préfère la petite enfance et l'âge adulte. Le petite enfance pour sa magie et son insouciance. L'âge adulte parce que tu y es plus libre même si la vie y est souvent moche. Mais cette fois je t'ai rencontré.
- Seth...
- Laisse-moi finir, tu veux ? J'ai rencontré une gamine chiante et caustique, qui aimait les livres et les mauvais jeux de mots. Qui a sentit dès le départ que j'étais bizarre, et qui m'a aimé pour ça. J'ai eu envie de voir ce que tu donnerai à l'adolescence, j'ai eu envie de participer à ta vie. J'en ai toujours envie d'ailleurs. C'était la première fois que ça m'arrivais depuis.... depuis... (il agita la main) depuis jamais en fait. (Eli se laissa tomber à côté de lui, et il posa la tête sur son épaule, les yeux fermés) j'avais juste envie d'être Seth, ton meilleur ami bizarre. Pas Ixputlequi. Pas un dieu. Juste Seth Noctris.
- Et c'était bien ?
Il ouvrit les yeux pour lui offrir un sourire plein de dents.
- Je ne me suis jamais autant marré de toute mon existence. Et je suis VIEUX bordel. (il reprit un air sérieux) Et je n'ai jamais été aussi heureux. Aussi.
Elizabeth hocha la tête et le silence revint entre eux.Un vent doux échappé d'une autre réalité vint leur caresser la peau, hérissant celle de Seth de chair de poule alors que la jeune femme ne bronchait pas, plongée dans ses pensées.
Finalement, elle se décida :
- Et tu voudrais continuer ?
- De quoi ?
- A être mon meilleur ami bizarre.
Le dieu se redressa pour la dévisager, un air d'imbécile heureux collé sur le visage.
- Carrément !
- Bon. Bah c'est un deal.
- Sérieux ? Sans plus ?
- Un deal qui s'accompagne d'un esclavagisme culinaire valable jusqu'à ce que je me lasse, de ton aide pour finir de régler le m*rdier dans lequel on se trouve, et d'une promesse de me lâcher la grappe avec Harry Potter.
L'air horrifié et tragique de Seth lorsqu'il entendit la dernière condition lui fit lever les yeux au ciel.
- Bon d'accord. Je retire la clause sur Harry Potter.
- YEAH !
Et oui, j’ai bondi dès que j’ai vu la notification :D
Je reste un peu sur ma faim avec ce chapitre qui ne fait pas beaucoup avancer l’intrigue. Par contre, la relation entre Seth et Eli… Cœur et paillettes partout <3 :D
Je les trouve si mignons qu’à un moment, ça tournerait romantique, cette affaire ^^ (mon cœur de guimauve n’aurait pas détesté ; loin de là :D )
J’ai adoré l’image de la mer des réalités, encore plus les petits moutons qui roulent. J’aimerais beaucoup faire un tour par là-bas, même si je risque de tourner dingo au bout de deux minutes oO
Juste un détail : un petit changement de point de vue déstabilisant au moment où Seth est retrouvé par Xuantian Shangti => on repasse brièvement sur Elisabeth alors qu’on est resté sur Seth depuis le début du passage.
Je m’arme donc de patience pour attendre la suite ;)
A bientôt
Alice
Je suis très très contente que la relation entre Seth et Eli sur ce chapitre t'ai plu ! Je voulais que ce soit... mignon et fluide.
Zut zut pour le changement de point de vue. Je le note pour la réécriture. Merci !!!