La fumée et les cris avaient envahis les couloirs, empêchant Seth et Eli d'avancer.
Enfin... c'étaient plutôt les créatures, déités et humanoïdes poussant les cris qui les empêchaient d'avancer dans le couloir menant à la petite salle d'archive qu'on leur avait alloué. Tassés les un contre les autres, un air mi-paniqué mi-excité sur le visage, tout ce que le Bureau comptait d'employé à cet étage semblait s'être donné le mot pour venir voir ce qu'il se passait, leur babille en plusieurs langues incompréhensibles remplissant le peu de volume d'air laissé disponible dans le couloir d'un bourdonnement tenace.
- Tu vois quelque chose ?
Placée derrière Seth, les bras croisés sur la poitrine, Elizabeth avait d’emblée renoncé à essayer de voir quelque chose : même sur la pointe des pieds, elle n'arrivait pas à la hauteur des yeux de Seth. C'était à peine si son front atteignait les yeux du jeune homme dans cette position... et étant donné que les personnes devant eux dépassaient largement le front du dieu.... ce n'était pas la peine de s'user le bout des orteils.
- Nope (Seth se frotta l'arrière du crâne, mal à l'aise) mais on dirait que ça vient de vers chez nous.
La jeune femme lui jeta un regard de travers qu'il ne vit même pas, trop occupé qu'il était à essayer de déterminer si l'épaisse fumée noire venait bien de leur salle d'étude ou si elle venait d'ailleurs. Résignée, Eli se mit à nettoyer ses lunettes un pan de la chemise de Seth tout en se faisant la réflexion que vraiment, si cette fumée était due à un incendie, le personnel du Bureau n'avait pas grand instinct de survie : la masse des corps semblait s'éloigner d'eux millimètres par millimètres pour se rapprocher inexorablement de la source de monoxyde de carbone et de chaleur...
- Oh. M*rde.
Eli leva la tête de son nettoyage de lunettes.
- Quoi « m*rde » ?
C'était pénible cette censure automatique. Les situations à potentiel dramatique en devenaient bien moins intéressante.
- Céleste arrive. Et elle a pas l'air contente.
- Ah.
En effet, la foule s'écartait, craintive, devant la Chevalière qui avançait à grands pas, son regard sévère braqué sur eux. Sentant venir l'engueulade, les deux amis se ratatinèrent un peu, et envisagèrent conjointement de fuir en courant. Malheureusement pour eux, le temps qu'ils se décident, la jeune femme se plantait devant eux, sa longue tresse indigo battant dans son dos à la manière de la queue d'un chat furieux.
- Vous deux. Suivez-moi. En silence.
- Mais on a rien fait !
- En. Silence. Seth.
Le dieu se le tint pour dit et referma la bouche sur ses protestations, faisant profil bas alors que la Chevalière les emmenait dans d'autres couloirs, loin de la foule dans laquelle le nom d'Ixputlequi commençait à circuler. Une fois suffisamment loin pour ne plus être visibles, Céleste les poussa sans ménagement dans le premier bureau vide qu'elle trouva et lança un sort de verrouillage sur la porte.
- Céleste ? Qu'est ce qu'il se passe.
La jeune femme chassa une mèche bleue de son front avant de se tourner vers eux, le visage grave.
- Quelqu'un ou quelque chose a foutu le feu à votre salle d'étude.
- Yan ? Annabelle ? Ils n'ont rien ??
- Il nous avait rejointes à la machine à café quand ça s'est déclaré.
La carnation pâle d'Elizabeth tourna au livide.
- Il n'a pas pris le tupperware.
Céleste secoua la tête, contrite.
- Il n'a pas pris le tupperware. Je suis désolée Elizabeth...
La jeune femme tira une chaise pour s'asseoir dessus, loupa complètement son plan et se retrouva assise par terre, la tête entre les mains. Annabelle était avec elle depuis le début. C'était la toute première limace qu'elle avait vomit, la toute première qu'elle avait entendu parler, et d'après Sugar-Rose, une Guide qu'elle aurait dû écouter depuis le début. La petite gastéropode l'avait fidèlement accompagnée malgré la persistance de l'humaine à l'ignorer quand elle lui adressait la parole, avait courageusement servi de pendule pour aider ses amis à la retrouver, et alors qu'Elizabeth était enfin disposée à l'écouter, finissait toute racornie dans un tupperware fondu...
Anticipant ce qui allait arriver, Seth attrapa les mains d'Eli avant que cette dernière ne puisse se frapper les tempes avec.
- Eli.
- Je suis une idiote.
- Eli...
- Non Seth. Je suis une idiote ! Si je n'avais pas été aussi bornée, on en serait pas là ! J'aurais déjà les informations d'Annabelle, on aurait pu avancer ! Mais non, il a fallut que je fasse ma tête de mule et que je l'ignore ! La pauvre était à peine capable de faire deux bulles de la même taille après votre traversé des réalités tellement elle était secouée, et pourtant elle essayait quand même de nous aider ! Si je ne l'avait pas négligé à ce point elle... elle aurait pu avoir une vie de limace heureuse !
- Tu sais, elle a déjà vécu beaucoup plus longtemps que la plupart des limaces..
- Ça ne m'aide pas Seth !
- Pardon.
Céleste se frotta la nuque, ennuyée.
- Vous n'aviez rien pu en tirer ?...
- Non. (Seth relâcha doucement les mains d'Elizabeth qui entreprit de se ronger l'ongle du pouce) Elle était vraiment déboussolée. En d'après Eli, elle ne faisait que répéter le nom de Yan en boucle et manger des épluchures.
La Chevalière fronça brièvement les sourcils, paru vouloir demander quelque chose, puis renonça. Elle s'adossa à la porte verrouillée, les bras croisés sur la poitrine et l'air pensif.
- Certains vont penser que c'est de ta faute Ixputlequi.
- Je m'en doute.
- J'ai laissé Yan et Armélia là bas avec pour mission d'essayer de voir ce qui peut être récupéré après le passage de la brigade d'intervention, mais je n'ai pas grands espoirs. Ce qui n'aurait pas été détruit par les flammes aura certainement souffert des actions de la brigade (elle marqua un temps d'arrêt) je suis désolée.
Les deux autres la dévisagèrent un moment en silence avant de pousser un soupir défaitiste synchronisé. Toutes les archives d'Anna-Maria se trouvaient dans cette pièce. Quoi que l'incendiaire ai voulu leur dissimulé, l'information était à présent perdue corps et bien. Ainsi que toutes leurs chances de trouver un jour ce qui était arrivé à la sœur d'Eli. Et l'identité de la personne se trouvant derrière tout ça. Et derrière ce qu'avaient subi les sœurs Lin ces dernières années.
C'était foutu.
Dépité, Seth se laissa tomber à côté d'Eli, qu'il entoura de ses bras pour un long câlin silencieux. Gagnée sans savoir pourquoi par leur défaitisme, Céleste s'installa contre le mur d'en face, juste à côté de la porte. Elle envisageait sérieusement de commencer à mâchouiller le bout de sa tresse – chose qu'elle n'avait pas fait depuis son abandon entre les pages de son premier livre – lorsque le battant s'ouvrit péniblement, retenu par le silence épais qui régnait dans la pièce. Un petit museau rose pointa dans l'ouverture, puis une paire d'oreilles touffues, et enfin la tête entière de Sugar, qui les regarda d'un air suspicieux.
- Dites. Vous pensez vraiment que c'est le moment le mieux choisi pour glander là ?
Sans attendre de réponse, il faufila son corps de chaton à l'intérieur du bureau, s'ébroua un bon coup pour chasser l'ambiance pesante, puis trottina avec élégance jusqu'à s'asseoir devant Seth et Eli, un air sévère plaqué sur son adorable minois.
- Levez-vous, on s'en va.
- Sugar...
- Non. Sérieusement. Levez-vous, on part. Maintenant. Yan et Armélia nous rejoignent dans vingt minutes sur le toit du Bureau. Ça ne sert plus à rien de rester ici.
Céleste fronça les sourcils.
- Vous ne pouvez pas partir. Il va y avoir une enquête pour déterminer ce qu'il s'est passé. Vous êtes des témoins...
- Témoins de quoi ? Yan, Armélia et toi buviez du café pendant que je faisais ma toilette sur la table du coin café et Seth et Eli étaient sur le toit. Personne n'a rien vu, et nous n'avions aucuns intérêt à brûler tout ça. Il faut qu'on rentre avant que l'incendiaire s'en prenne aux autres archives.
Il y eu un blanc.
- Les autres archives ? (Seth semblait perdu) Quelles autres archives ?
- OH P*TAIN !
- Eli mon tympan !
- Le grenier !
Assit par terre, Sugar-Rose réussi l'exploit d'avoir l'air de prendre de haut un humain debout.
- Le grenier. Des fois je me demande si tu utilises ton cerveau correctement. Ramasse-moi, je n'ai pas envie de vous courir après dans les couloirs.
Et il se dressa sur ses pattes arrières dans une adorable parodie d'un enfant tendant les bras... ce qui fit qu'Elizabeth l'attrapa par la peau du cou pour le balancer dans ceux de Seth.
- En route !
Suivie par ses deux compagnons complètement déconcertés, elle ouvrit en grand la porte et fila dans le couloir, leur laissant à peine le temps de lui emboîter le pas. Ignorant superbement regards intrigués et tentatives de discussion de la part des membres du Bureau, la jeune femme gagna le toit où l'attendaient déjà Yan et Armélia... mais aussi Loki et Xuantian Shangdi. Si les premiers tiraient une tronche de trois pieds de long, les suivants avaient plutôt l'air de très bonne humeur. Surprenant quand on savait que l'un s'était fait brûler une partie de son local et que l'autre avait accidentellement sauvé l'une de ses pire Némésis. Un peu contrariée de voir les deux dieux et leur air satisfait, elle décida de les ignorer et de s'adresser directement à son beau-frère :
- On rentre.
- Je sais oui (Yan paraissait de mauvaise humeur) tout ce temps perdu pour rien !
- Chez toi, continua Eli sans l'écouter, il faut que j'accède à ton grenier.
- Pardon ?
- Ton grenier. Je pense qu'Anna-Maria, non, je sais qu'Anna-Maria y gardait une copie de toutes ses recherches.
Le policier se mit à blêmir.
- Tu plaisantes ?
- Non.(elle se tourna vers Xuantian Shangdi) vous pouvez nous déposer ?
- Attends attends attends (Yan attrapa le bras de la jeune femme pour la forcer à le regarder) tu veux dire que depuis le début, tout était chez moi ?
Elizabeth dégagea son bras avec agacement.
- Oui. Bon. On y vas ?
- Non. Depuis le DEBUT, on aurait pu faire tout ça depuis mon grenier ?
- Euh...
- Sans laisser les enfants ?
- Euh...
- Sans voyager dans des dimensions de tarés ?
- Bah...
- Ni risquer de se faire bouffer par des cauchemars parce que t'es faite enlevée ?
- Je l'aurai enlevée quand même vous savez ?, intervint diplomatiquement Loki. J'avais besoin de lui parler. Donc vous vous seriez peut-être bel et bien fait mangé par un cauchemar.
- Oh votre gueule vous, je vous parle pas.
- Oh le malpolis !
- Yan !
- Non. Ça suffit Eli ! Depuis quand tu sais qu'on aurait pu tout faire depuis chez moi ?!
Penaude, la jeune femme baissa légèrement la tête, à la façon de Camille et Brän lorsqu'ils avaient fait une énorme bêtise :
- … depuislaconfessiondeSugar ?
- C'est à dire ?
- Quand on a appris pour Anna-Maria. Tu te souviens ?
La voix de Yan se fit glacée :
- Difficile de ne pas s'en souvenir oui.
- Bon. Il a dit qu'Anna avait des archives dans ton grenier.
- … Vraiment ?
- Oui vraiment.
A l'air perdu qu'afficha le policier, Eli renonça à son envie mesquine de lui rappeler qu'il était là et que lui non plus n'avait pas pensé une seconde à aller voir dans son grenier. Avec un petit effort d'humanité, elle se souvint qu'il était probablement déjà en état de choc au moment des révélations de Sugar et que, oui, elle aurait dû se souvenir plus tôt de cet élément. Voire en parler lorsque le flashback en compagnie de Loki le lui avait rappelé.
Mh.
C'est vrai que ça leur aurait évité beaucoup de complications tout ça...
- … Je suis désolée Yan. J'aurai dû y penser avant.
- Oui.
La réponse était tellement acide qu'Elizabeth recula de deux pas, surprise et inquiète à la fois : le visage de son beau-frère s'était assombrit comme un soir d'orage, ou comme quand il se préparer à une engueulade explosive comme sa famille y avait rarement le droit. Les mâchoires serrées à s'en faire saillir les muscles, il se détourna pourtant sans un mot, gagnant le bord du toit pour fixer la Mer des Réalités comme s'il avait pu la faire disparaître. Un certain malaise commençant à s'installer sur la terrasse, Sugar-Rose toussa dans sa patte en même temps que Loki se permettait de tousoter dans son poings pour attirer l'attention. Les deux surnaturels se regardèrent un instant, comme surpris d'avoir eu la même initiative en même temps, avant de se confondre en politesses pour savoir qui devait parler en premier.
Lassé de la situation, Xuantian Shangdi se contenta lui de siffler Clouclou et d'y faire embarquer Armélia (galamment), puis Yan (en le soulevant par le col, au grand déplaisir de l'adulte) et enfin le chat (en le jetant) et l'autre dieu (en l'y invitant. Quand même, on est pas des sauvages). Restaient Seth, particulièrement silencieux, et Eli, carrément pas motivée à l'idée de remonter sur le nuage qui ne supportait pas son poids.
Le chef du Bureau se tourna vers eux, un petit sourire finaud sur les lèvres.
- Cloucou est déjà bien chargé, je ne suis pas sûr que la malfaisance de Grinch de Mademoiselle Lin puisse s'ajouter.
- C'est à dire ?
- Que si vous montez, Mademoiselle Lin, nous risquons de nous écraser.
- Ah.
- Oui. Embêtant n'est-ce pas ?
- Du coup vous allez faire un aller-retour ?
Le sourire du dieu s'accentua, devenant celui d'un renard content de lui, tandis que Loki pouffait peu discrètement derrière son poing.
- Ooooh non, cela prendrait trop de temps. Je pensais plutôt vous faire emprunter un autre moyen de locomotion.
- … ?
Parce que Xuantian Shandhi regardait avec insistance derrière elle, Eli se retourna en haussa un sourcil, curieuse de connaître le moyen de locomotion en question. Mais la terrasse était vide, en dehors d'un Seth pas vraiment jouasse qui avait croisé les bras sur sa poitrine.
- Non.
- Quoi non ?
- Non, c'est hors de question que ça arrive.
- Que quoi arrive ?
- Allons Ixputlequi, lança Loki, confortablement installé sur son nuage. Tu ne vas quand même pas la laisser rentrer à pieds !
- Je refuse.
- Tu refuse quoi Seth ?
- De me transformer pour te ramener jusqu'à chez nous. Déjà ça fait un mal de chien de le faire au Bureau, et en plus, je ressemble vraiment à rien sous cette apparence.
- Roh ça va...
- Non, c'est non.
- Voilà qui est fort dommage Ixputlequi, murmura suavement Xuantian Shangdi, et Seth grimaça en entendant son nom une seconde fois. Car si vous restez là le temps que je fasse l'aller-retour, j'ai bien peur que mes Chevaliers ne vous mettent aux arrêts. Après tout, le dieu de la poisse
- De la fatalité.
- De la poisse est dans nos murs et ces derniers brûlent ? Il y a de quoi devenir suspicieux vous ne croyez pas ?...
- Hey oh. C'est pas parce que vous possédez le Bureau et vous baladez sur le nuage de San Goku que vous pouvez menacer ouvertement mon meilleur ami !
- … En fait si, justement, c'est pour ça qu'il peut Eli...
- Rien à f*utre. RAH ! P*t**n de censure vocale de m*r*e !
- Retourne toi.
- Hein ?
- Retourne toi. Sérieux, tu veux pas voir ça.
La jeune femme resta deux secondes à plisser les yeux, dévisageant son meilleur ami avec insistance, mais ce dernier se contenta de balayer tous les arguments qu'elle aurait pu avoir d'un simple mouvement de main. Contrariée, elle tourna le dos à Seth pour guigner du côté du nuage magique, l'air aussi en colère qu'un chat privé de sieste.
Commença alors une symphonie de bruits atroces qui ne lui firent pas regretter sa décision. Surtout quand elle vit Loki changer de couleur et détourner le regard. Finalement, les bruits cessèrent, et une patte-main griffue tapota son épaule pour l'inciter à se retourner.
Ce qu'elle fit.
- OH B*RDEL !
ah... le retour d'Eli. Elle m'avait manquée :)
Je n'ai pas grand-chose à dire sur ce chapitre surtout parce qu'il faut que je me précipite pour aller voir la suite. Tu viens d'instiller un horrible soupçon et je VEUX savoir si c'est vrai ou pas @_@
Une toute petite chose, toutefois. J'ai été un peu perdue en début de chapitre. C'est sans doute en partie dû au fait que ma lecture précédente remonte à un petit moment mais, en revenant sur la fin du chapitre précédent, j'ai quand noté qu'on laissait Eli et Seth sur la terrasse en train de discuter et là, première ligne, paf : panique, ils sont dans un couloir plein de fumée. La transition a été, pour moi, juste un brin sèche.
Je file voir si mon horrible pressentiment se confirme (au quel cas, c'est affreux :o)
Alice :)
Quel était donc cet horrrrrible soupçon ? °curieuse curieuse°
Ah !
Oui, on m'a fait la remarque aussi. Je vais rajouter un morceau de passage là je pense, pour raconter leur retour. J'aimais bien la rupture de rythme au début, mais en relisant avec ton commentaire en tête, c'est vrai qu'on ne comprends pas trop ce qu'il se passe.
Des biisssous !