Chapitre 15 : Plan d'action, révisions et vacances.

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Même s'ils étaient tous les deux estropiés, la violence de leur affrontement les avait propulsés au sommet de la chaîne alimentaire. Leur réputation n'était plus à faire. Kim Jong-goo et Park Jong-geon étaient officiellement les nouvelles légendes du centre de rééducation de Gwangjin.

Dans ce milieu, les jeunes ne rivalisaient pas avec le pouvoir, le statut ou l'argent. La hiérarchie était déterminée par le niveau de force, de badassitude et de bogossitude, et ces deux-là explosaient les scores dans tous les domaines. Les filles de l'autre côté du grillage se bousculaient à la pause pour pouvoir apercevoir les deux bad boys les plus populaires du centre de rééducation. Les garçons les appelaient "boss" et se pliaient en quatre pour les servir avec loyauté et répondre à leur moindre désir.

C'était ça la vie de boss ultime ? Jong-goo n'avait même pas à se soucier d'avoir les deux bras en écharpe, car il y avait toujours un guignol prêt à le nourrir comme une maman oiseau. Quelle bande de pigeons. Il n'avait qu'à ouvrir la bouche et mâcher. Gun aussi semblait apprécier la vie de prince des délinquants. Un vrai pacha.

[2]

Il y en avait une qui n'était pas impressionnée par cette ascension sociale fulgurante et qui n'avait aucune envie de traiter Jong-goo comme un roi. Une collégienne qui n'avait qu'une idée en tête : le faire réviser jusqu'à ce que son cerveau fonde.

Jong-goo avait perdu ses droits de visite pendant deux semaines après sa sortie de l'hôpital. Dès que la sanction avait été levée, Yerin et sa mère étaient venues le voir. Gun, qui n'attendait aucun visiteur, avait décidé de se taper l'incruste.

— Tu vas vraiment venir ? T'as rien de mieux à faire ?

— Non. J'ai envie de voir à quoi elle ressemble, la fille qui n'est pas ta fiancée.

— Dis pas ça devant elle ! Elle va se faire des idées.

— D'accord. Je ferai attention.

Les visites avaient lieu dans une grande salle, sous la surveillance des gardiens. Les détenus et leurs proches avaient le droit à deux heures ensemble. Ils pouvaient manger, discuter ou faire des jeux. Mme Kim avait ramené un panier-repas plein à craquer de banchan. Dans une des boîtes, il y avait du riz fraîchement cuit et encore tiède. Yerin, elle, lui avait ramené ses notes de cours et des cahiers d'exercices.

— C'est ton ami ? demanda Mme Kim en offrant un sourire chaleureux à Gun.

— On peut dire ça, oui. Il s'appelle Park Gun. Gun, voici Mme Kim, la maman de Yerin. Et ça c'est Yerin, ma f-

Il avait failli dire "fiancée" à cause de cet abruti.

— Ma sœur adoptive, se corrigea-t-il. Et amie. Et camarade de classe.

Tout sauf ma fiancée.

— Je suis Park Gun. Ravi de vous rencontrer, Madame.

Il s'inclina poliment.

— Moi de même ! répondit Mme Kim. Je suis rassurée de voir que Jong-goo s'est fait un ami aussi rapidement. Mais tu es blessé toi aussi. Qu'est-ce qui t'est arrivé ?

— Je me suis battu. Avec lui.

Il désigna Jong-goo du pouce.

— Pardon ? fit la dame interloquée. Vous vous êtes battus ? Mais pourquoi donc ?

— C'est une longue histoire, dit Jong-goo. Mais ne vous inquiétez pas, Madame. C'était juste un malentendu. On s'entend bien, maintenant.

— Je vois, dit Mme Kim malgré son évidente confusion. Assieds-toi, Gun. Tu peux manger avec nous. Il y a suffisamment de nourriture pour tout le monde.

Yerin, elle, n'était pas étonnée. Elle commençait à avoir l'habitude. Après le repas, elle l'avait obligé à revoir les cours avec elle, car elle savait qu'il ne prenait pas ses études très au sérieux ici. Ils avaient passé une heure à lire des leçons et à faire des exercices d'application. Elle avait même réussi à enrôler Gun pour lui faire réviser son japonais.

— Tu sais Yerin, si tu viens me voir juste pour me donner des cours particuliers, autant rester chez toi.

Elle lui jeta un regard noir.

— Dis pas n'importe quoi ! Il va falloir que tu passes les examens au rattrapage la dernière semaine d'août pour valider le premier semestre. Il faut que tu aies au moins la moyenne dans toutes les matières, et pour le moment, on n'y est pas vraiment... Si tu pouvais obtenir un score de soixante-dix points, ce serait idéal. Non, même soixante, ça suffirait.

— C'est convertible en cash ?

— Hein ?

— Les points, je peux les échanger contre de la thune ? Genre, si j'ai 60/100 je peux toucher combien ? Soixante millions de wons* ?

— Non !

— Six millions* alors ? J'essaye de négocier là, sois sympa !

— Non, Jong-goo ! Tout ne tourne pas autour de l'argent dans la vie.

— Mais tout travail mérite salaire. Je vais pas bosser à l'œil.

— Vois ça comme un investissement sur l'avenir. Tu n'es pas payé pour le moment, mais si tu as de bonnes notes, tu pourras gagner plein d'argent plus tard. Quand tu travailleras vraiment.

Jong-goo n'était pas convaincu. Il travaillait déjà et il était très bien payé pour ce qu'il faisait. Il gagnait deux fois plus que le coréen moyen. M. Kim lui versait sept millions* tous les mois juste pour aller à l'école et surveiller Yerin. Et c'était sans compter les primes qu'il touchait lors de missions spéciales, comme recruter Gun par exemple. M. Choi lui avait fait un virement de dix millions* de wons sur son compte en banque. C'était un compte bloqué auquel il n'avait pas accès pour le moment, mais il pourrait débloquer les fonds lors de sa majorité, à dix-neuf ans. Ça, c'était de l'investissement.

L'autre condition pour toucher cet argent, c'était d'obtenir son diplôme de fin d'études obligatoires, à la fin du collège. Pour ça, Yerin avait raison, il lui fallait au moins la moyenne pour valider tous ses semestres. Il poussa un soupir résigné.

— D'accord, je vais bosser, mais c'est pas la peine de me mettre la pression comme ça. C'est dans deux mois, j'ai large le temps.

— Je suis sérieuse, Jong-goo ! Y a beaucoup de choses à revoir. J'ai essayé de condenser les cours au maximum et sélectionner les points et les questions qui avaient le plus de chances de tomber aux examens. T'as juste à réviser une heure ou deux heures tous les jours et à faire les exercices que je t'ai donnés. On fera la correction ensemble la semaine prochaine.

— Oui, chef.

Les deux heures étaient passées à la vitesse de l'éclair. Le gardien leur fit signe que le temps était écoulé. Mme Kim avait tout remballé et elles étaient reparties toutes les deux, bras dessus bras dessous, laissant Jong-goo seul face une pile de manuels, de cahiers et de carnets de notes.

[ 3 ]

— Elle a l'air sympa ta mère adoptive, dit Gun sur un ton presque envieux. Peut-être parce qu'elle a juste une fille unique et qu'elle ne te voit pas comme une menace.

— Pourquoi ? Ta belle-mère te voit comme une menace ? C'est pour ça que tu t'es fait virer ?

— Faut croire. Mon père et ma mère ont fait un mariage d'amour. J'avais dix ans quand ma mère est morte. Mon père s'est remarié à peine six mois plus tard. Un mariage de raison. Ma belle-mère m'a immédiatement détesté parce qu'elle savait que je serai toujours le fils favori. Elle a fait des pieds et des mains pour que je sois renvoyé en Corée. Mon père a fini par céder.

— Et alors ? Tu veux hériter du clan ou tu vas le laisser à ton demi-frère ?

— Je ne sais pas, j'ai encore le temps d'y réfléchir.

— Et avec ton oncle, ça se passe bien ?

— Pas très bien. Il n'aime pas trop ces histoires de gangs et de yakuzas. Il n'a jamais vraiment accepté que sa sœur épouse un criminel. Il pense qu'elle est morte à cause de ça. Que c'est tout le stress qui l'a rendue malade. Et forcément, il n'apprécie pas que je prenne la même voie que mon père.

— Comme quoi, même les criminels ont le droit à l'amour. Elle était comment ta mère ?

— Elle était très douce et très gentille. Elle détestait la violence et l'injustice. Je ne comprends pas comment elle est tombée amoureuse de quelqu'un comme mon père qui incarnait tout ce qu'elle détestait. Peut-être qu'avec elle, il était différent. Il ne lui montrait que ses bons côtés.

— Peut-être... Au fait, tu m'as toujours pas dit pour tes yeux. C'est quoi le délire ?

— Je te le dirai seulement si tu me bats. Tu ne m'as pas battu.

— Mais j'ai pas perdu non plus. Tu peux bien me le dire, non ? Allez ! Steuplé !

Jong-goo fit une moue boudeuse en battant des cils comme une adolescente de douze ans devant son idole préférée.

— Non. Quand tu m'auras vraiment battu, je te le dirai.

— Pff. Tu dis ça juste parce que ça te fait kiffer de te battre contre moi. Sale fétichiste de la bagarre.

— Tu peux parler ! T'as pas des devoirs à faire ? Va bosser. Ta fiancée ne sera pas contente si tu ne fais pas tes exercices.

— Ce n'est pas ma... Tu me gonfles ! Puis je te rappelle que je peux pas écrire, connard ! J'ai les deux bras en écharpe, grâce à toi. Puisque c'est comme ça, je te dicte les réponses et toi, t'écris

— D'accord. Mais même si tu dis de la merde, compte pas sur moi pour te corriger.

[ 4 ]

Une routine s'était installée et la fin du séjour en centre de détention était passée relativement vite. Goo en avait profité pour en apprendre plus sur les différents types de crimes et délits communément commis par les jeunes délinquants, leur façon de s'organiser, ce qui les motivait à emprunter la voie du crime, etc. La majorité d'entre eux étaient des fugueurs déscolarisés qui vivaient dans des foyers improvisés. Ils se regroupaient par petites familles de cinq ou six, pour s'entraider et échapper à la police. Ils faisaient des petits boulots au black, plus ou moins légaux, ou se tournaient vers le vol, le recel, les arnaques et la prostitution.

La majorité de ces jeunes n'étaient pas orphelins, ils avaient une famille dans laquelle retourner. Certains fuyaient des parents abusifs et négligents, d'autres fuyaient juste la pression constante qu'ils subissaient à la maison. Dans une société aussi compétitive que la société coréenne, où seuls les résultats comptent, de nombreux parents cumulaient plusieurs boulots ou se tuaient à la tâche en faisant un nombre indécent d'heures supplémentaires pour payer la scolarité de leurs enfants. Ils ne voulaient pas que leur sacrifice soit vain. Ils poussaient leurs enfants à bout et ne se préoccupaient que de leurs notes. École la journée, cours du soir jusqu'à vingt-deux heures, cours particuliers, stages d'approfondissement pendant les weekends et les vacances. Ils avaient à peine le temps de dormir, encore moins de s'amuser.

La rue était synonyme de liberté pour ces jeunes qui voulaient simplement profiter de leur adolescence sans avoir à se soucier de ce qu'ils feraient dans dix ans. Ils préféraient passer la nuit dehors, à dormir sur un banc ou au sauna, plutôt que de rentrer chez eux pour se faire harceler par leurs parents. Et, souvent, ils finissaient par ne plus jamais rentrer.

Cette vie aussi avait un prix. Alors que le temps passait, ces ados se rendaient compte que survivre dans la rue n'était pas si simple, ni si amusant que cela. Ils avaient besoin d'argent pour se nourrir, s'habiller et s'amuser. De l'argent facile et rapide à faire. C'est comme ça qu'ils se tournaient vers le crime. Beaucoup de filles du centre avaient été condamnées pour racolage, prostitution ou arnaque à la prostitution. Une activité illégale qui portait préjudice aussi bien au client qu'à la travailleuse.

Rares étaient les filles qui choisissaient cette voie par ambition personnelle. La majorité d'entre elles subissaient la pression des garçons avec qui elles traînaient, souvent plus âgés qu'elles. Ils leur servaient de mac. Ils postaient les annonces en ligne, organisaient les rendez-vous dans des motels peu scrupuleux, et assuraient leur protection au cas où les choses tournaient mal. La première fois était la plus difficile, puis elles finissaient par s'habituer, par se dire que ce n'était pas si terrible que ça, et que ça payait vachement bien. De l'argent facile, mais sale. Très sale.

[ 5 ]

Gun et Jong-goo avaient planché sur leur projet professionnel. Ils avaient dressé une liste de toutes les activités les plus lucratives et ils avaient estimé les risques pour chacune d'entre elles.

La prostitution était de loin l'activité qui rapportait le plus pour un risque moindre. Du moins en termes de condamnation. Les filles qui se faisaient prendre étaient envoyées un ou deux mois en centre de rééducation, elles suivaient une thérapie, puis elles étaient rendues à leur famille ou placées dans un foyer d'accueil. Une fois sur deux, elles finissaient par fuguer à nouveau et retourner dans leur famille de cœur. Elles étaient plus attachées aux mecs qui les forçaient à se prostituer qu'à leurs propres parents.

L'arnaque à la prostitution était un peu différente. Les filles servaient d'appât. Elles attiraient le client dans une chambre d'hôtel, puis les garçons intervenaient avant qu'il ne puisse la toucher. Comme elles étaient mineures et que le client le savait, ils utilisaient la loi à leur avantage. Ils les prenaient en flagrant délit, photo ou vidéo à l'appui, puis ils tabassaient le client et l'obligeaient à payer une grosse somme pour ne pas être balancé aux flics.

Les deux amis avaient barré ces deux options de leur liste. Utiliser des filles vulnérables pour se faire de l'argent, c'était pas cool. Pas cool du tout.

Le vol et le recel reposaient essentiellement sur le racket et les arnaques en ligne. Les mecs répondaient à des annonces en ligne. Ils se faisaient un faux compte, ils utilisaient une de leurs amies filles, la plus jolie, pour la photo de profil. Le client se méfiait moins comme ça, car la plupart des mecs étaient des crevards. Au moment de l'échange, ils prenaient le pauvre gars en embuscade pour le dépouiller de son argent et lui voler ses biens.

Parfois, ils faisaient l'inverse. Ils postaient de fausses annonces en ligne et proposaient des produits rares à prix avantageux. Le client se pointait pour l'échange, il tombait sous le charme de la jolie vendeuse, l'invitait à boire un verre pour la remercier, puis se faisait tabasser par des mecs sortis de nulle part. Ils lui prenaient son argent, et la victime repartait bredouille, sans la paire de basket en édition limitée ou la console de jeu promise. Ce n'était pas le pire, mais ce n'était pas idéal non plus.

Après de longues heures de réflexion à tout passer en revu, ils avaient presque tout barré. En plus du trafic sexuel, ils avaient éliminé les paris illégaux, le voice phishing et les arnaques en tout genre, ainsi que le trafic de drogue. Il ne restait plus grand-chose. En dehors des petits boulots à mi-temps, les seules activités légales qui pouvaient rapporter gros, c'était le streaming et le boulot d'influenceur, le prêt d'argent, les services de protection privée et l'auto-entreprenariat. Et rares étaient les jeunes qui pouvaient monter leur entreprise dès l'âge de seize ans.

Pourtant, c'est ce qu'on attendait d'eux. Ils devaient non seulement prendre le contrôle de ces gangs de jeunes, mais les forcer à changer leur façon de faire en leur proposant des alternatives avantageuses, tout en gardant un œil sur eux pour s'assurer qu'ils restent dans les clous. Autant dire qu'ils avaient du pain sur la planche.

[ 6 ]

Les deux garçons, dispensés de sport à cause de leurs blessures, assistaient à l'entraînement matinal, assis sur un banc.

— C'est demain que tu sors ? lui demanda Gun.

— Ouep. Enfin ! Ça devenait bien chiant quand même. J'ai carrément pas envie de revenir ici. Et toi ? Il te reste combien de temps ?

— J'ai encore trois mois à tirer. J'ai demandé une extension de séjour à M. Choi, le temps que les choses se tassent dehors.

— Le gars que t'as défoncé, le boss chinois, tu crois qu'il va essayer de te faire la peau dès que tu vas sortir ?

— C'est ce que j'attends de voir. Mes hommes doivent s'en occuper, mais ils ont du mal à lui mettre le grappin dessus. Il a pris la fuite juste après que je me sois rendu à la police. Je ne sais pas si c'est nous ou la police qu'il essaye d'éviter. S'il n'est pas trop stupide, il aura plié bagage et sera retourné en Chine avant ma sortie.

— Chaud... Oublie pas de m'appeler quand tu sortiras. Je t'apporterai du tofu.

Jong-goo avait été libéré un vendredi. Le mois d'août touchait à sa fin, mais il faisait encore horriblement chaud. Il avait passé tout le week-end à réviser d'arrache-pied avec Yerin, puis il avait passé son lundi et son mardi à l'école, à passer les examens de fin de semestre. Ils étaient une dizaine de recalés dans la salle. Ils suaient tous comme des porcs. Leur front dégoulinant de sueur gouttait sur leur feuille de réponses. Le tic tac de l'horloge était insupportable. Les épreuves leur semblaient interminables.

Jong-goo avait fini par répondre au hasard. Il s'en était plutôt bien sorti en japonais, grâce à Gun qui lui avait appris deux trois trucs. Il était assez confiant pour les maths et la science, l'histoire pouvait encore passer, mais il s'attendait à des résultats catastrophiques en littérature coréenne et en anglais. Les dés étaient jetés. Il recevrait les résultats quelques jours avant la rentrée.

Les cours reprenaient le lundi de la deuxième semaine de septembre, il lui restait donc encore une semaine et demie de vacances. Jong-goo aurait bien profité de ces quelques jours pour garder un œil sur le gang des perles, mais Mme Kim avait d'autres plans.

Elle avait décidé de les emmener en voyage à Jeju-do. Une grande île au sud du pays, connue pour son air frais et revigorant, ses paysages magnifiques, et ses plages touristiques. C'était l'occasion de profiter un peu de l'air de la mer et d'échapper à la chaleur étouffante de la capitale.

Les amis de Yerin étaient également les bienvenus. Sa mère avait insisté pour tout prendre en charge, billets d'avion compris. Min-ji et Min-jun s'étaient joints à l'expédition. Des vacances gratuites à Jeju-do, ça ne se refusait pas ! C'est ainsi qu'avaient débuté leurs premières vacances tous ensemble.

[ 7 ]

La famille Kim possédait une magnifique villa, perchée sur une petite falaise. La maison d'architecte donnait directement sur la mer. Une grande piscine à déversoir longeait la terrasse. La villa était entretenue tout au long de l'année par Mme Jo Gyeong-ja, employée comme gouvernante. Elle était responsable du ménage, mais également des courses et de la cuisine. Elle était assistée par deux employés saisonniers : une femme de chambre et un jardinier. Elle avait accueilli Mme Kim et les quatre enfants avec une joie sincère. Elle était heureuse de voir un peu de vie dans cette maison qui restait vide une grande partie de l'année.

— M. Kim n'est pas là ? demanda Mme Jo en aidant la maîtresse de maison à se délester de ses bagages.

— Il travaille encore. Je lui ai demandé de prendre des congés, mais il est trop occupé. Il viendra peut-être pendant le weekend.

— Je vois. Nous avons tout préparé comme vous nous l'aviez demandé. Les chambres sont faites. Mlle Seo va prendre vos bagages.

Elle fit signe à l'employée de maison qui s'approcha d'un pas timide.

— Bonjour, Madame Kim, la salua-t-elle en s'inclinant poliment. Je m'appelle Seo Soo-ah.

— Ce n'est pas la peine de faire toutes ces manières, dit la mère de famille avec un rire bienveillant. Tu as l'air jeune. Quel âge as-tu ?

— Seize ans, Madame. Mme Jo m'a proposé ce travail pour que je puisse me faire un peu d'argent pendant les vacances.

— Je vois. Je suis sûre que tu feras du très bon travail, alors ne t'inquiète pas. Si tu as un souci, Mme Jo pourra t'aider.

Mme Kim se tourna vers sa gouvernante.

— Ne soyez pas trop dure avec elle, ce n'est qu'un travail à temps partiel.

Mme Jo lui répondit par un signe de tête respectueux. Elle lui présenta ensuite le jardinier. Il s'appelait Hong Jun-ho. Il avait vingt ans et il était étudiant en communication et marketing. Sa famille était originaire de Jeju et il voulait se faire un peu d'argent pour les aider financièrement. Il s'occupait du jardin, de la piscine, de l'entretien de la terrasse et des petits travaux de bricolage. Mme Kim était ravie d'avoir de jeunes gens polis et bien élevés à son service. Elle leur avait promis de les récompenser généreusement s'ils faisaient du bon travail.

[8]

Jong-goo avait commencé à suivre un programme de rééducation pour ses deux bras. Le médecin lui avait dit que s'il faisait bien attention cette fois-ci, il pourrait lui retirer les vis et les tiges de métal d'ici un ou deux mois. La piscine était une bonne façon de faire des exercices pour regagner sa mobilité tout en douceur.

Min-ji et Min-jun étaient en train de faire des bombes dans l'eau, de se battre avec les frites et de se disputer la licorne gonflable, pendant que Yerin aidait Jong-goo avec ses mouvements.

— Comment tu veux qu'on se concentre avec ces deux abrutis, là ? grommela Jong-goo.

Il était de mauvaise humeur. La rééducation, ça le gonflait. C'était long. C'était lent. C'était chiant. Yerin faisait preuve d'une infinie patience avec lui.

— Donne-moi ta main. Serre. Ça te fait mal quand tu serres ?

— Je sais pas. Un peu.

— Un peu comment ? Sur une échelle de un à dix, ça te fait mal comment ? Le médecin a dit que si tu avais des douleurs importantes, il fallait que tu retournes à l'hôpital pour faire des examens.

— Je sais pas. Deux ou trois ?

— Et quand tu plies le coude comme ça, t'as mal ?

— Non.

— Et quand tu-

— Non ! Même quand je fais ça, j'ai pas mal ! Regarde !

Il se mit à agiter ses bras dans tous les sens, mais une douleur aiguë lui traversa soudain le bras gauche. Il grimaça.

— Arrête ! Tu fais n'importe quoi ! Je t'ai dit de faire attention !

— C'est nul... Pourquoi ça met autant de temps à guérir ?

— Ben oui ! Qu'est-ce que tu croyais ? Que t'étais invincible ? T'es pas Wolverine, mon coco. J'espère que ça te servira de leçon la prochaine fois que tu auras l'idée de te battre.

— Ouais. Ouais.

Jong-goo attrapa une planche pour se laisser flotter comme un malheureux naufragé. Le regard de Yerin se posa sur son dos couvert de cicatrices et son cœur se serra. Peut-être qu'elle était trop dure avec lui. La plupart de ces blessures, il les avait reçues en essayant de la protéger. Son ami lui envoya une gerbe d'eau en plein dans le visage.

— Ah ! Jong-goo ! Pourquoi t'as fait ça ?!

— Parce que tu tirais la tronche. Eh ! Ça te dit on se fait un concours d'apnée ? Le perdant devra manger des tteokbokki ultra épicés.

— C'est quoi ce challenge débile, encore ?

— Quoi ? T'as peur de perdre ?

— Non !

Elle avait perdu. Et de loin. Jong-goo était une baleine comparée à elle. Elle avait tenu à peine une minute et il avait retenu sa respiration pendant presque trois minutes.

— Vous faites quoi ? demanda Min-ji.

Juchée sur sa licorne gonflable, elle se faisait pousser par un Min-jun bougon. Lui aussi avait perdu la bataille.

— On faisait un concours d'apnée, mais Yerin a perdu. Du coup, elle doit manger des tteokbokki de l'enfer.

— Oh non ! Mais une soirée tteokbokki, c'est une bonne idée ! Ça fait longtemps que je n'en ai pas mangé.

[9]

Dans la soirée, ils s'étaient installés sur la terrasse pour déguster les tteokbokki qu'ils s'étaient fait livrer. Ils avaient commandé une part supplémentaire de tteokbokki extra pimentés pour Yerin qui avait réussi à n'en manger qu'un seul. Elle toussait et pleurait tant c'était épicé, et elle avait dû rincer sa bouche et sa gorge en feu avec un grand verre de lait.

De son côté, Min-ji leur avait préparé une surprise. Un jeu qu'elle avait vu circuler sur les réseaux et que toutes les filles conseillaient, ce qui n'annonçait rien de bon. Yerin avait l'air curieuse, mais les deux autres n'étaient pas très emballés.

— C'est quoi ton jeu ? demanda Jong-goo.

— C'est une sorte d'action ou vérité, mais un peu spécial.

Min-ji disparut quelques minutes pour revenir avec un sac. Elle en sortit une drôle de machine. C'était une sorte de détecteur de mensonge. Un emplacement avait été pensé pour accueillir la main du joueur qui devait dire la vérité sous peine de recevoir une décharge électrique. La machine mesurait le rythme cardiaque du joueur et une jauge indiquait le degré de mensonge.

— C'est facile, leur expliqua-t-elle avec enthousiasme. On se pose des questions chacun à notre tour. Si on dit la vérité, une lumière verte s'affiche. Et si on ment, une lumière rouge s'affiche et on reçoit une décharge. Plus on ment, plus la décharge est forte.

— Et c'est fiable, ton truc ? demanda Jong-goo avec perplexité.

— On va bien voir. Mais pour que ce soit plus drôle, j'ai rajouté des pénalités. Si quelqu'un veut passer la question, il doit boire un shot d'eau de mer.

Elle sortit une grosse bouteille de deux litres remplie d'eau de mer verdâtre.

— Et si quelqu'un ment, en plus de se faire buzzer, il devra manger un tteokbokki ultra pimenté.

— Et on est obligé de jouer ? demanda Min-jun qui avait un très mauvais pressentiment.

— Non, mais ce serait dommage. Ça va être drôle, tu vas voir ! À moins que t'aies quelque chose à cacher ?

Elle lui jeta un regard malicieux avec un sourire en coin. Min-jun lui tira la langue. Il avait trop de fierté pour s'écraser. Il avait donc accepté de jouer par pure défiance.

— En plus j'ai demandé l'autorisation à Mme Kim, continua Min-ji. Elle a dit que tant qu'on ne faisait pas trop de bruit et qu'on ne buvait pas d'alcool, c'était bon.

— Ouais, ben je trouve pas que l'eau de mer ce soit très ouf non plus, commenta Jong-goo. J'aurai encore préféré boire du soju. Au moins ça désinfecte. Y a que des punitions dans ton jeu en plus. On gagne quoi si on dit la vérité ?

— Euh... rien ?

— C'est quoi cette arnaque ? Les bonnes actions devraient être récompensées. Allez, pour dix mille wons par question vraie, je veux bien jouer. Je suis généreux. Mon honnêteté vaut bien plus que ça.

— Ne l'écoute pas, intervint Yerin avec irritation. Il ne pense qu'à l'argent. T'es pas obligé de jouer si tu veux pas. T'as qu'à nous regarder.

Jong-goo était vexé par l'attitude dédaigneuse de son amie. Il ne savait pas ce qu'il avait encore fait pour l'agacer, mais elle lui faisait très clairement la gueule.

— C'est bon, je plaisantais. Je vais y jouer à votre jeu débile. De toute façon, je dis toujours la vérité.

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Soixante millions de wons = environ 41 500 euros.

Six millions de wons = environ 4150 euros.

Sept millions de wons = environ 5000 euros.

Dix millions de wons = environ 7000 euros.

Tofu : Il est de coutume d'offrir du tofu (blanc et sans goût) au détenu lors de sa libération pour symboliser son innocence retrouvée.

Dix mille wons = environ sept euros.

 

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