Chapitre 16 : Confession, négocations et tabagisme clandestin.

[ 1 ]

Le jeu avait pris une tournure aussi chaotique qu'imprévisible. Pour commencer, Min-ji improvisait les règles au fur et à mesure, ce qui rendait la partie très confuse. En plus des pénalités, elle avait rajouté d'autres conditions qui compliquaient inutilement le jeu. Chaque joueur avait le droit de poser trois questions d'affilée au lieu d'une. Si la machine affichait rouge aux trois questions, le perdant recevait sa pénalité. Si une des trois questions obtenait un vert, ils étaient exemptés de pénalité. Ils répondaient chacun à leur tour, mais celui qui pouvait poser les questions était tiré au sort à chaque fois. Le tirage au sort se décidait au lancer de dé. Le plus haut score l'emportait.

Ils avaient commencé par des questions basiques pour se familiariser avec les règles et le fonctionnement de la machine. Des questions dignes d'un interrogatoire policier. Prénom, âge, adresse, couleur préférée, etc. Des questions assez peu palpitantes qui avaient toutes obtenues un laissez-passer vert.

C'était au tour de Jong-goo, et c'était Min-jun qui avait remporté le droit de l'interroger.

— Est-ce que tu t'es déjà battu ?

— Oui. Pourquoi tu me poses une question aussi évidente ?

— Ouais, c'était nul comme question ! renchérit Min-jin. Il passe sa vie à se battre. Tout le monde le sait déjà.

— Taisez-vous ! répliqua Min-jun avec un claquement de langue irrité. C'est pour lancer le thème. Est-ce que tu as déjà volé quelque chose ?

— Non.

— Est-ce que tu as déjà tué quelqu'un ?

La question avait laissé Jong-goo songeur. Un vieux souvenir était remonté à la surface. Celui de M. Yoon, l'employé de bureau qui avait essayé de le rouler et qu'il avait poignardé dans une ruelle sombre et déserte. Le fait est qu'il n'avait jamais éprouvé la moindre culpabilité. Il ne savait même pas si M. Yoon avait survécu ou pas, ni ce qu'il était devenu après ça. Il ne s'en était jamais soucié.

— Peut-être, fit-il en haussant les épaules avec indifférence.

La machine avait affiché vert aux trois questions, mais sa dernière réponse avait laissé ses trois amis perplexes. Ils le dévisageaient avec inquiétude et curiosité.

— Comment ça "peut-être" ? dit Min-jun en fronçant les sourcils. Comment tu peux ne pas être sûr d'un truc pareil ?

— No comment. J'ai fait mes trois questions. C'est à ton tour, Yerin.

Il poussa le détecteur en direction de sa voisine. Personne n'avait insisté. Ils préféraient ne pas savoir. Le jeu avait repris et Min-ji avait tiré un six. C'était à son tour de cuisiner sa meilleure amie.

— Est-ce que tu as déjà embrassé quelqu'un ?

— C'est quoi cette question ?! Bien sûr que non !

La lumière afficha vert, mais Yerin commençait à se sentir nerveuse. L'expression d'espièglerie sur le visage de son amie ne la rassurait pas.

— Est-ce que tu es déjà tombée amoureuse de quelqu'un ?

— N-non.

Cette fois-ci, la machine avait affiché rouge et elle s'était prise une petite décharge électrique. Ce n'était pas douloureux, mais ça surprenait.

— Aïe !

— Ha ! Je le savais !

— C'est ta machine qui est cassée ! protesta Yerin.

— Elle marchait très bien jusque-là. Essaye pas de te défiler ! Si tu ne veux pas répondre à la dernière question, tu peux toujours boire un shot d'eau de mer.

— Je crois que je vais faire ça, dit Yerin en prenant un air résigné.

Elle avait à peine trempé ses lèvres qu'elle avait tout recraché. C'était affreusement dégueulasse. Elle ne pouvait pas avaler ça. Finalement, elle avait décidé de se soumettre à la dernière question, mais cette pause lui avait permis de reprendre le contrôle de ses émotions.

— Alors, c'est qui ? Le garçon dont tu es amoureuse ? Je veux son nom, pas une réponse vague.

— Jong-g... Jong-geon ! Park Jong-geon !

Contre toute attente, la machine avait affiché vert. Jong-goo, qui sirotait son verre de coca, avait avalé de travers à la mention du jeune yakuza. La boisson gazeuse lui était monté au nez et il en avait les larmes aux yeux.

— Gun ? fit-il en toussant. T'es sérieuse ?! T'as un crush sur Gun ?!

— C'est qui ça ? demanda Min-ji, confuse.

Ce n'était pas la réponse qu'elle avait anticipée. À vrai dire, elle ne s'attendait pas à ce que Yerin réponde honnêtement à la question. Elle voulait juste la taquiner un peu et trouver une excuse pour lui tirer les vers du nez.

— Un gars que j'ai rencontré en prison, expliqua Jong-goo. Il se tapait toujours l'incruste quand Yerin venait me voir. Mais Yerin, t'es tombée sur la tête ou quoi ?

— Quoi ? Pourquoi ? J'ai pas le droit d'avoir un crush sur lui ?

— Non ! Enfin si... Enfin, peut-être... mais tu risques d'être déçue. Je pense pas que tu l'intéresses.

— Et alors ? Je n'ai pas dit que je voulais sortir avec lui. Juste qu'il me plaisait.

— On se demande bien ce qui te plaît chez lui. C'est juste un mec chelou.

— Il est grand.

— Pas plus que moi.

— Il est beau.

— Pas plus que moi.

— Il est fort.

— Je suis plus fort que lui.

— Il a de meilleures notes que toi !

— Comment tu peux savoir ça ?

— Ça se voit. Il a l'air intelligent. En plus, c'est lui qui t'a aidé à réviser. Si t'as de bonnes notes aux examens, ce sera grâce à lui.

— Pff. N'importe quoi. Et tu sais quoi ? Tu peux pas avoir de crush sur Gun, parce que Gun a eu un crush sur moi en premier ! Ha ! Bonne chance pour rivaliser avec moi !

Yerin resta interdite un moment.

— Excuse-moi, tu peux répéter ? Qui a un crush sur qui ?

— Ça s'appelle de la bromance, répliqua Jong-goo en croisant les bras, l'air très sûr de lui. Tu peux pas comprendre. Change de crush.

— Tu crois que les sentiments ça se change juste comme ça ? C'est pas une paire de chaussures.

— Cette conversation n'a aucun sens, commenta Min-jun, l'air profondément blasé. Peut-être qu'on devrait remballer et aller se coucher.

— T'as raison, acquiesça Min-ji. Ces deux-là sont irrécupérables. Ils ont tout gâché avec leur dispute débile.

[ 2 ]

Les filles partageaient une chambre spacieuse avec deux grands lits. Les garçons couchaient dans la chambre voisine. Les événements de la soirée avaient suscité quelques interrogations et deux conversations bien différentes se déroulaient dans chacune des chambres.

— Tu es vraiment amoureuse de ce Gun ? demanda Min-ji, assise en tailleur sur son lit.

— Oui. Tu veux voir à quoi il ressemble ?

Au point où elle en était, elle pouvait continuer à tisser son mensonge. Elle avait pris un selfie avec lui et Jong-goo lors de sa dernière visite pour immortaliser leurs séances de révisions intenses. 

— Ah, oui, confirma Min-ji en hochant la tête avec approbation. Il est vraiment pas mal. Mais il fait un peu peur aussi. Il a des tatouages sur les bras. J'ai jamais vu un garçon de son âge avec des tatouages comme ça. On dirait vraiment un gangster. Tu vas essayer de le revoir ?

— Je ne sais pas. Je pense pas. Jong-goo l'a dit, il n'est pas intéressé.

— Tu peux pas savoir si tu lui demandes pas.

Yerin sentait qu'elle s'embourbait dans son mensonge.

— Gun n'est pas comme Jong-goo. Il a été envoyé en centre de détention parce qu'il a commis un vrai crime. Il paraît qu'il vient d'une famille de yakuzas. Ce sont des gens dangereux.

— C'est vrai, mais... Tu trouverais pas ça super romantique ? Une histoire d'amour avec un beau yakuza. Toutes les filles rêvent de sortir avec un bad boy qui n'a d'yeux que pour elles et qui serait prêt à tuer pour les protéger.

Yerin secoua la tête avec consternation.

— Min-ji, la vie c'est pas une comédie romantique. Je n'ai pas envie que le garçon que j'aime se mette en danger pour moi. Encore moins qu'il tue des gens pour moi. Regarde Jong-goo... Tu crois que ça m'a fait plaisir qu'il aille en prison juste parce qu'il a essayé de me protéger ?

— Non, c'est vrai. Tu as raison... mais en parlant de Jong-goo, pourquoi est-ce qu'il fait tout ça pour toi ? Tu ne crois quand même pas qu'il fait ça parce qu'il a des sentiments pour toi ?

— Ça m'étonnerait. Il fait ça pour l'argent, c'est sûr. Je ne sais pas combien mon père le paye, mais c'est lui qui a demandé à Jong-goo d'être mon garde du corps. Puis je te rappelle que c'est mon frère adoptif.

— J'ai entendu dire que ton père ne l'avait pas vraiment adopté, il le parraine juste dans le cadre d'un programme d'aide aux orphelins.

— C'est possible. On ne peut jamais vraiment savoir avec mon père. Mais que Jong-goo ait été adopté légalement ou pas, ça ne change rien au fait qu'il fait partie de ma famille.

Min-ji avait sorti son téléphone pour faire quelques recherches. Elle avait trouvé des informations sur le statut légal lié à l'adoption et les différents cas possibles.

— Ils disent que pour qu'un enfant soit adopté légalement et qu'un lien de filiation soit établi, il faut qu'il soit inscrit dans le registre familial. Si ce n'est pas le cas, il ne peut pas hériter de ses parents adoptifs. Une fois l'adoption légalisée, elle est irrévocable, sauf cas exceptionnels. Par exemple, si l'adoptant a commis des crimes qui portent préjudices à l'adopté. Les liens entre les membres ont la même valeur que les liens biologiques. En gros, tu ne peux pas te marier avec ton frère adoptif, même si vous n'avez aucun lien de parenté réel.

— Ça me semble normal. Et sinon ?

— S'il n'est pas inscrit dans le registre familial, alors il n'a aucun lien légal avec la famille. On peut recueillir un orphelin en tant que famille d'accueil et devenir son tuteur légal, on a le devoir de subvenir à ses besoins jusqu'à sa majorité, mais aucune obligation à lui léguer quoi que ce soit. Le tuteur peut choisir d'en faire son légataire s'il le souhaite, mais ce n'est pas automatique. Faut faire un testament ou une donation ou un truc du genre. Tu devrais poser la question à ton père. Au moins, comme ça, tu seras fixée.

— Il s'appelle Kim comme moi. S'il n'avait pas été légalement adopté, il porterait un nom différent.

— Ça veut rien dire, ça. Des Kim y en a plein. Rien que dans notre classe, y a cinq Kim différents. J'ai le même nom de famille que Min-jun, même nos prénoms ont la même première syllabe. On pourrait croire qu'on est frère et sœur, mais pas du tout.

Min-ji marquait un point. Yerin était songeuse. Elle avait toujours trouvé étrange la façon dont son père traitait Jong-goo. Il l'avait exilé pendant six ans puis l'avait soudainement rappelé dans la famille. Il le payait pour qu'il aille à l'école et tienne compagnie à Yerin. Il l'avait même envoyé en prison sans le moindre scrupule. Il ne lui avait pas rendu visite une seule fois. Quel père traitait son fils de cette façon ?

Jong-goo aussi se comportait bizarrement. Il n'avait jamais vraiment fait d'effort pour s'intégrer dans la famille. Il vouvoyait sa mère et l'appelait toujours "Madame Kim". Quant à Yerin, il la traitait plus comme une amie que comme une sœur. C'était très perturbant. Min-ji avait raison. Il fallait qu'elle pose la question à son père la prochaine fois qu'elle le verrait. Si elle pouvait se faire une idée claire de son lien légal avec Jong-goo, elle pourrait plus facilement faire le tri dans ses sentiments.

[ 3 ]

De l'autre côté, les garçons étaient loin de ces préoccupations romantico-légales. Ce qui intéressait Min-jun, c'était la confession à mots couverts de Jong-goo.

— T'as vraiment tué quelqu'un ?

— Pourquoi tu veux savoir ? Tu vas me dénoncer à la police ?

— Non, je suis juste curieux.

— Qu'est-ce que tu crois, toi ? Tu penses que je l'ai fait ?

— Je pense que t'en serais capable. Yerin m'a dit que tu avais presque tué le Dr Ahn. Que tu l'aurais décapité si elle ne t'avait pas arrêté. Elle a vraiment eu peur pour toi. Elle a dit que si tu l'avais tué pour elle, elle ne se le serait jamais pardonné. Mais si tu as vraiment tué quelqu'un, j'imagine que tu avais une bonne raison. Tu n'as pas l'air du genre à tuer pour le plaisir.

— Tu crois que quelque chose peut justifier le meurtre ? On tue parce qu'on le peut et parce qu'on le veut. Il n'y a que deux façons de tuer quelqu'un. Par accident ou par désir. Que ce soit par plaisir ou par vengeance, c'est pareil. C'est pour ça que j'ai été condamné. La loi c'est la loi. C'est la même chose pour tout le monde.

— C'est vrai... mais je pense quand même qu'il y a parfois des circonstances atténuantes. Mais ça ne répond pas à ma question. Tu as déjà tué ou essayé de tuer quelqu'un à part le Dr Ahn ?

— J'ai poignardé un mec un jour. Un voleur et un traître. Mais je ne sais pas s'il est mort. J'ai appelé une ambulance juste après, alors peut-être qu'il a survécu.

Jong-goo avait dit ça sans la moindre émotion. Il ne s'en vantait pas, mais il n'exprimait aucun remords non plus.

— Tu n'as pas peur ? Quand tu fais ce genre de choses et que tu mets ta vie en danger comme ça, tu n'as jamais peur ? Tu ne doutes jamais de toi ?

— Non.

C'était tout le contraire. Il s'enivrait du rush d'adrénaline que lui procurait le danger. Il n'était pas aussi obsédé que Gun, il ne cherchait pas la baston à tout prix, mais il appréciait l'exaltation grisante d'un combat à mort. Il n'avait pas peur de tuer si le jeu en valait la chandelle. Et il n'avait pas peur de mourir non plus.

— T'as de la chance, soupira Min-jun. J'aimerais avoir ton courage et ta confiance.

— T'as qu'à devenir plus fort. Je n'ai pas peur parce que je n'ai rien à craindre. Si tu es plus fort que tout le monde, t'auras plus jamais peur de personne.

— Mon prof de taekwondo m'a dit que ce n'est pas parce que les hommes sont forts qu'ils n'ont pas peur. Il a dit que c'est parce qu'ils n'ont pas peur qu'ils sont forts.

— Ah bon ? Peut-être que ton prof a raison alors. Qu'est-ce que j'en sais moi ?

Jong-goo s'était redressé sur son lit pour se mettre en tailleur. Il venait d'avoir une idée.

— Dis, ça te dit de rejoindre mon gang ?

— Ton gang ? T'as un gang ? Depuis quand ?

— Depuis maintenant. Je tiens juste à te prévenir qu'on a deux autres membres. Kang Kang-ho et Tak Tae-jun. Je sais que vous êtes pas trop potes, mais ils me collent aux basques depuis que je leur ai pété la gueule et ils ont leur utilité.

— C'est clair que ça ne vend pas du rêve, répliqua Min-jun avec une grimace. Pourquoi je voudrais rejoindre ton gang ? Je ne suis pas un délinquant, moi.

— Écoute mon plan d'abord. Je pense que ça te plaira.

[ 4 ]

Min-jun ne savait pas trop quoi penser du projet de son camarade. C'était à la fois absurde, irréaliste et sensationnel.

— Donc, si j'ai bien compris, tu veux qu'on propose nos services aux élèves qui se font harceler ? Ils nous payent et en échange on les venge en pétant la gueule à ceux qui les emmerde ?

— Exactement ! Le gang des perles va bientôt avoir un nouveau chef et les racketteurs vont reprendre du service. Ça veut dire qu'il va y avoir plein de gamins qui vont avoir besoin de notre protection.

— On va avoir le gang des perles sur le dos. C'est presque une déclaration de guerre. Ils ne vont pas rester les bras croisés, à nous regarder foutre la merde dans leurs affaires.

— Ça c'est pas grave. On s'occupera d'eux. On va nettoyer l'école de la racaille et tirer un max de profit au passage. Et si en plus je peux racketter les racketteurs, c'est tout bénéf.

— Tu sais que c'est diabolique comme plan ? Au final, tu exploites la faiblesse de ces élèves qui se font harceler, toi aussi.

— Tu peux le voir comme ça. Ou alors, tu peux te dire que je propose simplement mes services. Ils peuvent toujours refuser de me payer, s'ils préfèrent continuer à se faire harceler.

— Et comment on va faire pour proposer notre aide à ces élèves ? On ne va pas poster une annonce publique sur le site de l'école.

— Je vais voir avec Kouji pour qu'il me programme une application.

— Une application ?

— Oui. Le principe, ce serait de créer une app qui permette de recenser tous les cas de harcèlement. Chaque élève aura accès à l'application depuis son portable. Il pourra lancer un signalement en renseignant son nom, le nom des harceleurs et les circonstances du harcèlement. On étudie son cas, on lui envoie un devis, qu'il accepte ou pas, puis on se met au boulot. Les transactions se feront aussi via l'app.

— Et comment tu vas faire pour diffuser l'application parmi les élèves qui en ont besoin ?

— Le bouche à oreille. Il suffit de lancer la rumeur, puis envoyer le lien de l'application à un ou deux élèves qu'on aura repéré à l'avance. On les convainc d'essayer, et s'ils sont satisfaits du service rendu, on leur demande de partager l'application avec d'autres élèves dans la même situation. Une affaire qui roule.

— Tu crois vraiment que ça va marcher ?

— On verra. Ça dépendra surtout de Kouji. Alors, t'es partant ou pas ? Tu feras une bonne action et en plus t'auras l'occasion de devenir plus fort. C'est en forgeant qu'on devient forgeron et c'est en se bastonnant qu'on devient roi de la baston.

— Je vais y réfléchir.

C'était tentant. Très tentant. Jong-goo avait raison. Ce n'était pas comme s'ils faisaient quelque chose de mal. Au contraire. C'était presque comme s'ils étaient des sortes de justiciers. En revanche, l'idée de se faire payer pour ça mettait Min-jun un peu mal à l'aise. Il ne comptait pas toucher un centime de l'argent récolté par Jong-goo. Il se contenterait de la gloire.

— Il a un nom ton gang ?

— Payback. Ce sera aussi le nom de l'application.

— Cool ! J'aime bien ce nom.

[ 5 ]

Yerin et Min-ji étaient parties se changer pour aller à la plage. Min-jun aidait Mme Kim à préparer les sacs et à faire l'inventaire de toutes les choses dont ils allaient avoir besoin. Jong-goo s'était désintéressé de ces préparatifs. Allongé sur un des transats de la terrasse, il était au téléphone avec Kouji pour lui exposer son tout nouveau projet et essayer de le convaincre de se joindre à lui. Son cadet avait déjà lancé les négociations.

— Ça va te coûter cher. Je veux cinquante millions de wons* pour l'application. Et vingt-cinq pour cent des bénéfices.

— Cinq pour cent.

— Vingt.

— Dix.

— Quinze.

— Dix. J'irai pas plus haut.

— Ok. Va pour dix.

— Mais seulement si tu participes activement aux missions. Il me faut un hacker comme toi pour trouver les infos dont on a besoin rapidement et couvrir nos arrières. Je te laisserai aussi gérer la compta.

— Tu sais que c'est pas très légal, tout ça ? D'un point de vue purement financier, si on lance une application qui génère des revenus, il faut la déclarer. Ce serait mieux de faire une app gratuite et de se faire payer cash. Le liquide, c'est plus difficile à tracer.

— Je sais, mais on est que quatre. Cinq avec toi, mais tu ne sors jamais de chez toi et tu ne sais pas te battre. Faudrait qu'on soit constamment sur le dos des clients pour récupérer l'argent. On n'a pas le temps ni les effectifs pour faire ça.

— Alors, déjà, je sais me battre. J'ai juste la flemme. Et ensuite, vu ton plan foireux, je ne pense pas qu'on gagnera assez d'argent pour attirer l'attention du fisc... Mais avoir un statut juridique légal pour nous couvrir, ce serait quand même mieux. Juste au cas où. Sauf qu'il faut avoir au moins seize ans pour fonder une entreprise, et sous certaines conditions seulement.

— Je vais voir si M. Kim peut nous aider avec ça. Il aura peut-être une solution à nous proposer. Pour le reste, ça ne devrait pas poser de problème. Sur le papier, ce sera juste une application d'aide à la lutte contre le harcèlement. Dans un premier temps, il faudra limiter son téléchargement aux élèves de mon école, pour limiter sa diffusion. Tu peux faire ça ?

— Hm... ça va me prendre un peu de temps.

— Combien de temps ?

— Donne-moi deux semaines. Faut que je rédige des C.G.U en béton armé si on veut assurer nos arrières.

— Parfait. Je compte sur toi.

[ 6 ]

Jong-goo venait de raccrocher lorsqu'une odeur de tabac lui chatouilla les narines. Il suivit l'odeur qui le mena jusqu'à un petit coin en retrait de la propriété, près du garage. C'était Jun-ho et Soo-ah.

— Madame Kim a horreur de la fumée de cigarette, leur lança-t-il en s'avançant vers eux, les mains dans les poches. Je pensais qu'elle avait été claire quand elle avait dit que c'était interdit de fumer dans l'enceinte de la maison, que ce soit à l'intérieur ou dans le jardin. Je dirai rien pour cette fois, alors éteignez ça et retournez bosser.

— J'ai pas d'ordres à recevoir d'un sale gosse ! répliqua Jun-ho avec mépris. Tu crois que juste parce que ta famille est pétée de thunes, tu peux me traiter comme de la merde ?

— Si c'était moi qui donnais les ordres, je vous aurais déjà viré depuis longtemps. Vous avez de la chance que Madame Kim soit aussi généreuse. Vu ce que vous branlez, vous ne méritez clairement pas votre salaire.

— T'entends ça, Soo-ah ? Il nous prend vraiment pour des sous-merdes.

Jun-ho jeta son mégot à terre et l'écrasa en affichant une expression rageuse. Il s'avança vers Jong-goo, poings serrés.

— C'est pas Séoul ici ! cracha-t-il en le dominant de toute sa hauteur. Fais gaffe à toi. Si je te croise sur mon territoire, je te défonce. Reste bien au frais dans ta jolie petite maison de chaebol si tu veux pas qu'il t'arrive malheur.

— Ton territoire ? T'es quoi ? Le boss des coquilles d'huîtres ?

— Te fous pas de ma gueule ! J'ai grandi ici, tout le monde me connaît et me respecte, et je ne vais pas me laisser emmerder par un petit casse-couilles de la capitale. T'es prévenu !

Jun-ho le bouscula d'un coup d'épaule avant de disparaître au coin de la maison. Soo-ah avait ramassé son mégot qu'elle avait jeté avec le sien dans un buisson. Elle lui lança un regard condescendant avant de disparaître à son tour. C'était Jong-goo qui avait récupéré les mégots pour les jeter à la poubelle, mais il avait été pris en flagrant délit par Yerin.

— Qu'est-ce tu fais ? On t'attend ! C'est quoi ça ? Tu fumes ?! T'es fou ?!

lI l'arrêta d'un geste de la main avant qu'elle ne se jette sur lui comme une furie hystérique.

— Non. C'était pas moi. Je les ai trouvés par terre, j'allais juste les jeter à la poubelle.

— C'était qui alors ? Maman va être furieuse. Elle déteste vraiment les gens qui fument.

— C'était Jun-ho et Soo-ah. Qui tu veux que ce soit d'autre ? Mais je les ai prévenus. S'ils recommencent, je leur ferai bouffer leurs mégots. D'ailleurs, qu'est-ce que ta mère a contre les fumeurs ?

— Je crois que ça a un rapport avec mon grand-père. Je ne l'ai jamais connu, mais il paraît qu'il fumait beaucoup. Il a développé un cancer des poumons assez jeune et il est mort quelques jours avant le mariage de ma mère. Depuis, elle est super sensible avec ça. Même mon père ne fume pas. Il est revenu une fois avec une odeur de cigarette sur ses vêtements, je ne l'ai jamais vue aussi furieuse. Elle l'a même menacé de divorcer et l'a mis dehors. Elle lui a dit de revenir quand il ne sentirait plus le tabac.

— Carrément ?

Madame Kim, c'était vraiment quelque chose. Jong-goo imaginait mal qui que ce soit mettre le PDG de Blue Sky à la porte de son propre appartement. Sa mère adoptive était la douceur et la gentillesse incarnée. Elle avait le cœur sur la main, elle traitait tout le monde avec respect et bienveillance, elle n'abusait jamais de son statut et ne faisait pas de discrimination. Elle était toujours juste et tolérante.

En revanche, elle ne se laissait pas marcher sur les pieds. Ceux qui faisaient l'erreur de prendre sa gentillesse pour un signe de faiblesse finissaient souvent par le regretter. Elle pouvait se changer en lionne féroce si quelqu'un dérogeait aux règles ou s'en prenait à sa famille.

— Dans tous les cas, je suis d'accord avec Maman, dit Yerin. Fumer c'est mal. Boire de l'alcool aussi. C'est mauvais pour la santé et ça n'apporte que des problèmes. T'as pas intérêt à essayer !

— J'y comptais pas. J'ai pas envie de me faire virer.

[ 7 ]

Après cet incident, Jong-goo avait gardé un œil sur les deux employés au professionnalisme douteux. Il les avaient surpris une nouvelle fois, dans la buanderie, mais dans un contexte différent. Jun-ho était en train de flirter avec Soo-ha de façon un peu trop insistante et sa collègue avait clairement l'air mal à l'aise. Jong-goo s'était caché dans un coin pour écouter leur conversation avant de décider d'intervenir ou pas.

— Allez, Soo-ah. Fais pas ta prude. Je connais les filles de Busan.

— Ah ouais ? Et qu'est-ce qu'elles ont les filles de Busan ?

— Vous êtes toutes des dévergondées. Vous adorez faire la fête. On va juste s'amuser un peu. Je peux te faire entrer en boîte, même si t'es pas majeure.

— Et si j'ai pas envie d'aller en boîte ? Tu me prends pour une idiote ? Tu crois que je ne vois pas ce que t'essayes de faire ? T'essayes juste de pécho, mais c'est mort. Tu ne m'intéresses pas. T'es trop fauché pour moi.

Jun-ho l'avait plaquée contre la machine à laver en prenant un air menaçant.

— J'aime pas trop qu'on me dise non, répliqua-t-il avec irritation. Je te demande pas de m'épouser, je te demande même pas de sortir avec moi, je veux juste qu'on passe du bon temps ensemble. À moins que tu préfères que je dise à Madame Jo que tu voles les bijoux de sa patronne ?

— C-com... c-comment tu sais ça ? bégaya Soo-ah en se décomposant.

— Je t'ai vue par la fenêtre quand je ratissais le jardin. T'étais en train de fouiller dans ses affaires. Les perles, ça te va pas du tout.

— Je... je regardais juste. J'ai rien pris !

— Vraiment ? Dans ce cas, si j'en parle à la gouvernante Jo, tu n'auras aucun mal à prouver ton innocence.

— T'oserais pas ! s'exclama-t-elle en lui lançant un regard de défi. Si tu me dénonces, je dirai à Madame Jo que tu fumes en secret. On se fera virer tous les deux.

— Fumer c'est pas un crime, mais voler oui. Si Madame Kim porte plainte à la police, tu vas finir en tôle. T'es plus maligne que ça, Soo-ah. Et baisse les yeux quand je te parle. J'aime pas les filles irrespectueuses.

[ 8 ]

Jong-goo en avait assez entendu, mais il voulait éviter la confrontation pour le moment. Il avait fait du bruit pour alerter les deux employés et mettre fin à leur conversation. Jun-ho s'était empressé de quitter la buanderie par la porte de derrière. Dès qu'il avait disparu, Jong-goo avait intercepté Soo-ah.

— Qu'est-ce que tu fais là, toi ? lui demanda-t-elle avec agacement. Ne me dis pas que... Tu as tout entendu ?

— J'ai tout entendu et j'ai tout enregistré, répondit-il en lui montrant son téléphone.

— Espèce de... Qu'est-ce que tu vas faire ? Nous dénoncer à ta mère ?

— Non. Je veux te proposer mon aide.

— Tu veux m'aider ? Pourquoi ?

— Ce ne sera pas gratuit. Pour commencer, je veux que tu remettes les bijoux que tu as volés à leur place. Je ne dirai rien, mais je trouverai le moyen de m'assurer qu'il ne manque rien. Ensuite, je veux la moitié de ta paye. Primes comprises.

— La moitié ?!

— C'est trop ? Un quart alors. Je sais que tu touches au moins sept cent mille wons* pour une semaine de travail. Connaissant Madame Kim, elle te paiera la deuxième semaine complète aussi, même si on s'en va avant. Et c'est sans compter l'éventuel bonus qu'elle pourra ajouter, juste parce qu'elle t'aime bien.

— Pourquoi je devrais te payer ? T'as pas besoin d'argent. Ta famille est déjà riche.

— Parce que rien n'est gratuit dans ce monde. Comment tu crois que les riches deviennent riches ? Pas en faisant la charité, en tous cas. Si tu préfères te taper Jun-ho, c'est toi que ça regarde.

— Tu peux vraiment te débarrasser de lui ?

— Oui. Je ferai en sorte que la prochaine fois qu'il te croise, ce soit lui qui baisse les yeux. On a un deal ?

— D'accord.

— Parfait ! Et t'as pas intérêt à essayer de me la mettre à l'envers. Si tu ne remplis pas ta part du marché, j'enverrai l'enregistrement à la gouvernant Jo, Madame Kim et son mari. Je l'enverrai même à la police s'il le faut. Alors t'as intérêt à me payer en temps et en heure.

— T'es vraiment spécial comme gosse toi. Tu ne me laisses pas vraiment le choix... Si tu tiens ta promesse, je tiendrai la mienne.

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Cinquante millions de wons = environ 35 000 euros

Sept cent mille wons = environ 480 euros

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