« Elle se réveille. »
La voix n’était pas inconnue aux oreilles d’Esther. Elle ne savait pas où elle était, mais immédiatement, elle se sentit en sécurité. Elle battit les paupières, remua sa tête lourde de sommeil.
Il fallait dire que le lit sur lequel elle reposait ne l’invitait pas à se lever. Elle n’avait pas le souvenir d’en avoir jamais connu d’aussi confortable. En comparaison avec les matelas bon marché de l’internat…
Non. Elle n’était pas à l’internat. Elle était en mission. Elle avait quitté les Îles civilisées avec Ana, Esteban et Alain. Mais où était-elle ? Ils avaient tellement voyagé…
Elle se redressa sur ses coudes, tâchant d’apercevoir le décor qui l’entourait. Il faisait sombre. Elle bougea les doigts sans y penser pour faire naître une petite flamme. Mais la flammèche s’éteignit bien vite. En effet, si créer une étincelle n’avait rien de compliqué, l’empêcher de mourir nécessitait de rester concentrée sur le feu et de lui donner en permanence de l’énergie – ou alors de disposer d’un combustible, ce qu’elle n’avait pas sous la main.
« Ne te fatigue pas, dit une deuxième voix ; il y a des lampes. »
Progressivement, une douce lumière se répandit dans la pièce. Esther regardait autour d’elle, émerveillée. Son lit se trouvait au milieu d’une grotte entièrement creusée dans du cristal. Du sol au plafond, des milliers de petites facettes translucides jouaient avec les rayons de lumière et se les renvoyaient tantôt roses, tantôt bleus, tantôt arc-en-ciel. Un bref souvenir lui traversa l’esprit : c’était Ana qui lui expliquait la théorie de la diffraction. N’était-ce pas fou que des atomes alignés avec régularité et des ondulations électromagnétiques parviennent à produire pareil enchantement ?
« Où sommes-nous ?
- Sous la bibliothèque », reprit la première voix, celle qu’Esther reconnaissait – et soudain elle comprit que c’était celle de monsieur Victor, le bibliothécaire de l’École. « C’est mon petit coin secret. Enfin, c’était mon petit coin secret jusqu’au printemps dernier. Nous nous y retrouvons avec quelques autres désireux de sauver les Îles et les magiciens. Si j’avais su que c’était vous…
- Attendez. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? La bibliothèque de l’École ? Nous sommes aux Îles ? Et puis d’abord, depuis quand me vouvoyez-vous ? »
Un silence. Monsieur Victor semblait peser ses mots. Esther se redressa avec peine et vit qu’il était assis sur un cristal géant.
« Vous avez été choisie par les dieux…
- Tu lui rendras hommage plus tard, Hugo. »
Esther tourna la tête vers la deuxième voix. C’était un homme grand et brun habillé entièrement en noir, avec un béret à pompon et une épée au côté. Esther l’avait déjà vu quelque part, mais elle ne savait plus où.
« Nous avons besoin de toi, Esther, pour en finir avec les persécutions. Tu as le pouvoir de l’amulette des étoiles. Tu as le pouvoir de purger les Îles civilisées des magicophobes une bonne fois pour toutes.
- Adèle ! »
Esther se souvint de qui était cette personne. Il s’agissait de Maître Adèle, qui était en fait une femme, et qui enseignait la télépathie à l’École.
« Il faut dire les choses franchement, poursuivit Maître Adèle. Tu trouves cela normal que nous ayons à endurer les moqueries, les insultes, les privations, les coups, les enfermements, les meurtres, les tortures et les traumatismes à vie, alors que ce sont nous qui avons des pouvoirs magiques ? »
C’était vrai. Esther avait un peu perdu de vue tout cela pendant qu’elle était partie au loin, mais aux Îles, les magiciens devaient sans cesse se battre pour survivre. Entre l’École de magie qui ne recevait qu’une fois sur deux sa part des financements publics dédiés aux écoles spécialisées, l’enfant télépathe du fin fond de la campagne sidalanaise que ses parents frappaient pour qu’il cesse d’entendre des voix, les lettres de menaces que recevaient régulièrement certains pensionnaires de l’École, les douleurs des magiciens qui essayaient de se couper de leurs pouvoirs, le harcèlement scolaire au sein même de l’École que personne ne pouvait dénoncer sous peine que les extrémistes se saisissent du prétexte pour faire fermer l’établissement, entre la démission forcée d’Alain, le meurtre des parents d’Esteban, la peur constante d’Ana… Pourquoi ? Pourquoi, alors que c’étaient eux qui avaient des pouvoirs magiques ?
Elle connaissait malheureusement la réponse.
« Nous savons tous ce qui s’est passé en 1208. L’incident du mois de la baleine blanche, rappela-t-elle à la Maître et au bibliothécaire qui se trouvaient en face d’elle. Quarante magiciens ont essayé de prendre d’assaut le siège du Parti Magicophobe Ramien. Cent quinze morts. Trente-neuf magiciens et soixante-seize militaires ou membres du Parti. Le seul survivant des magiciens a été jugé pour terrorisme et condamné à la prison à vie dans une camisole magifugée. S’en est suivi un pic de magicophobie sans précédent. Jacques Legarnieux a été réélu trois fois président de la Ramie. La chasse aux sorcières au Sidalan a redoublé d’ardeur, des centres spécialisés pour magiciens ont ouvert en Ekellar. Quant au duché de Nariflor, il a carrément exilé tous les magiciens de l’île principale. Voilà pourquoi nous acceptons en silence les persécutions. Vous le savez aussi bien que moi. Est-ce vraiment nécessaire de se forcer à se rappeler pourquoi nous sommes pieds et poings liés ?
- Mais s’il y avait moyen de se montrer subtil ? S’il y avait un moyen d’éliminer les têtes pensantes de la magicophobie, sans que personne ne se doute qu’il y a des magiciens derrière cela ? »
Esther soupira.
« Si seulement. Si seulement il y avait la moindre chance d’assassiner discrètement Marlène Mesnor et Nathan Nozœsir, avec tous les gardes du corps et tout le tralala. Et encore, ça ne réglerait pas le problème des médecins et de leurs rééducations insensées, des groupuscules qui se réunissent la nuit pour nous assassiner, ni des gens qui sont juste trop bêtes pour traiter les magiciens comme leurs égaux.
- Tout cela est possible. Nous avons simplement besoin de l’amulette des étoiles… et de la personne capable de maîtriser ses pouvoirs. »
Le dragon d’Alain atterrit sur l’île Lothaire Ier de l’archipel du septentrion. Le prince attacha sa monture au parc-dragon, traversa trois rues – c’était vraiment une petite île – et poussa la porte de l’hôpital. Il n’eut pas besoin de décliner son identité, car l’infirmier de l’accueil le reconnut immédiatement.
« Il s’est réveillé il y a une demi-heure, mon prince. Ses blessures sont sévères, mais il s’en sortira. Votre intervention lui a probablement sauvé la vie. »
Puis il frappa à la porte numéro dix-huit :
« Monsieur ? Vous avez de la visite. »
Ils étaient huit. Monsieur Victor, Hugo de son prénom, le bibliothécaire de l’École. Maîtres Adèle, Raymond, Édouard, Brigitte et Dominique. Une étudiante de cycle supérieur prénommée Chloé Bonnefour, qui était connue pour son activisme anti-magicophobie depuis que sa sœur jumelle avait été assassinée à sa place par erreur. Et Maître Tanager, le propre professeur de thermomagie d’Esther.
« Nous connaissons les principaux bastions de la magicophobie, expliquait Maître Tanager à Esther, et nous avons tous un jour ou l’autre eu des idées pour les détruire discrètement. Évidemment, nous ne pouvons pas faire cela avec nos simples pouvoirs magiques, et si nous utilisons l’amulette sans l’approbation des étoiles, tu sais aussi bien que nous les conséquences imprévisibles qu’auront nos tentatives. Mais depuis que Hugo a découvert la venue de l’élue de l’amulette, nos espoirs s’en sont trouvés raffermis. Nous nous sommes réunis et avons échafaudé des plans viables.
- Le plus évident, et le plus simple, ce sont les quartiers généraux des gangs de purification, poursuivit Maître Adèle. Celui du Sidalan, évidemment, mais nous en avons trouvé trois mineurs au Nariflor et en Ramie. »
Esther hocha la tête. Les gangs de purification, ces associations criminelles qui prétendaient « purifier » les Îles de la peste que représentaient les magiciens… Au Sidalan, ils avaient même le statut d’association. En théorie, ils se contentaient de défiler avec des fumigations d'amanite tue-baleine et de proposer des contraceptions gratuites aux magiciennes. En théorie.
« Vu tous les produits inflammables qu’ils gardent dans leurs placards, cela ne surprendrait personne si, en plein été, une étincelle y mettait accidentellement le feu, n’est-ce pas ? Ce ne devrait pas être trop compliqué pour vous, étant donné que vous êtes déjà thermomagicienne.
- Vous voulez que je m’en charge ? s’étonna Esther. Mais c’est beaucoup trop loin, il faudrait que je me rende sur place.
- L’amulette des étoiles vous donnera le pouvoir de surmonter la barrière de l’éloignement. »
Elle hocha la tête en silence. L’amulette des étoiles… Elle ne parvenait toujours pas à se faire à cette idée. Elle avait besoin d’encaisser l’information. Elle essaya de s’imaginer, toute-puissante, disposant d’une énergie infinie accordée par les dieux, rétablissant la justice au sein de ses contrées natales… C’était effrayant.
« Il faudrait également s'occuper des têtes des différents partis magicophobes, poursuivit Maître Tanager. Il faudrait que ce soit un peu discret, sinon les gens feront le lien avec les incendies. Le mieux serait d'organiser une épidémie, qui serait bénigne pour 90% de la population, et de mettre le dos sur les produits toxiques stockés par les gangs de purification... »
Esther n’arrivait pas à se concentrer. Elle sentait que la situation la dépassait. Ils avaient tout prévu, tout planifié… Et elle, elle se trouvait là, dans une grotte souterraine, à opiner en silence. Sans parler du fait que monsieur Victor s’était subitement mis à la vouvoyer, comme si elle était une déesse ! Parviendrait-elle à se montrer à la hauteur de leurs attentes ? Cela ne lui rappelait que trop une situation passée…
Non. Elle devait se ressaisir. Elle n’était pas Estelle. Elle chassa très loin de sa conscience toute pensée qui pouvait l’affaiblir, toute pensée qui pouvait lui rappeler ses tourments passés ou justifier de quelque manière ces fils de poulpes de magicophobes. Elle se rappela plutôt le meurtre d’ Isabelle et Ferdinand Lupéar, les parents biologiques d’Esteban. Elle vengerait son ami. Elle était Esther, et c’était là l’occasion rêvée de foutre une raclée à tous ceux qui leur avaient fait du mal.
Esteban voletait autour de l’École, cherchant un orifice suffisamment large pour pouvoir entrer. L’idéal aurait été de se changer en insecte, un moucheron ou une fourmi, mais c’était encore trop difficile pour lui. Il n’était qu’un élève de cycle inférieur… Il était déjà fier d’avoir réussi à prendre la forme d’une mouette. Coiffé du petit bandeau de tissu que lui avait donné la duchesse de Lapulline, afin de protéger ses pensées des télépathes, il essayait à présent de trouver une ouverture par laquelle il pourrait investir les lieux.
Ah, là ! Une fenêtre mal fermée. Il donna un petit coup de tête dans le battant et sautilla à l’intérieur du bâtiment.
Cécile de Lapulline, qui guettait les progrès d’Esteban depuis sa cachette, se disait qu’elle allait devoir prendre sa retraite. Cinquante-neuf ans, ce n’était plus un âge pour ramper dans les buissons humides. Mais pour des missions délicates comme celles-ci, elle ne faisait aucunement confiance à ses subalternes. Joachim était très discret et perspicace, mais il était une bille dans tout ce qui touchait aux appareils technologiques ; Christelle était beaucoup trop portée sur l’action et était capable de faire foirer une simple mission de reconnaissance à cause de ses décisions impulsives ; Vincent était bien trop bavard et se servait de l’émetteur pour envoyer à la base tout ce qui lui passait par la tête, ce qui déchargeait l’appareil au bout de dix minutes. Et puis, au passage, aucun de ces petits jeunots n’aurait été à l’aise pour travailler avec un magicien.
C’était probablement l’élément le plus déterminant, se dit la directrice des services secrets. En fait, si la reine Louise l’avait choisie, elle, parmi toute l’équipe des services secrets, ce n’était pas à cause de ses compétences. C’était simplement parce qu’elle était la moins magicophobe de tous.
« Il reste tout de même un problème dans votre plan. L’amulette des étoiles. Elle a été volée. Et Cristalline a refusé de nous aider. Je ne peux pas utiliser ses pouvoirs si je ne l’ai pas sous la main… si ? »
Les magiciens se regardèrent, gênés. On aurait dit que chacun espérait qu’un confrère réponde à la question. Peut-être même étaient-ils en train de se refiler la patate chaude par télépathie.
Finalement, monsieur Victor prit la parole.
« C’est nous qui avons l’amulette. Maître Cornélius n’était pas d’accord avec notre plan. Nous avons dû agir sans son aval, de notre côté.
- Nous pensions qu’il nous suffirait de prendre l’amulette et de la passer au szoplenoscope pour retrouver la personne capable de s’en servir, poursuivit Maître Raymond. Mais Maître Cornélius avait pris la précaution d’enduire l’amulette de gel d’œuf de dragon marin ; ça nous a pris trois jours pour la nettoyer, et quand nous avons enfin pu procéder au rituel, vous aviez déjà quitté les Îles.
- Maître Cornélius nous a devancés, clarifia Maître Adèle. En t’envoyant au loin, il nous a empêchés de mettre la main à la fois sur l’amulette et l’élue.
- Attendez. Maître Cornélius savait que c’était moi, l’élue de l’amulette ? Et il a décidé de garder l’amulette hors d’atteinte, pour que je ne puisse pas l’utiliser ? Et quand vous la lui avez prise, il a préféré m’envoyer dans une mission impossible pour se débarrasser de moi ?
- Heureusement, vous êtes revenue, conclut monsieur Victor avec une courbette.
- Mais… Mais pourquoi ? »
Chloé Bonnefour soupira.
« Il a passé trop de temps avec les politiques et pas assez avec les magiciens. Il est convaincu qu’il faut laisser les choses se faire et attendre que la magicophobie disparaisse toute seule. Comme si les télépathes qui ont des maux de tête infernaux à force de se contenir ou les mages sur le point de se pendre pouvaient s’offrir le luxe d’attendre un siècle ou deux. »
Esther était sous le choc. Maître Cornélius, le directeur de l’École, celui qui l’avait accueillie, qui l’avait protégée de sa famille, qui s’était démené pour trouver de l’argent pour qu’elle puisse étudier gratuitement, ce même directeur retournait sa veste en l’envoyant mourir dans la forêt plutôt que de la laisser accomplir son destin. Même en Maître Cornélius, elle ne pouvait pas avoir confiance ?
Qui lui restait-il ?
Toi-même, souffla une voix dans sa tête. Personne d’autre que toi-même.
Elle hocha la tête. Elle repoussa une nouvelle fois ses doutes et ses incertitudes, et tendit la main d’un air décidé.
« Donnez-moi l’amulette. »
Esteban glissa sur un courant d’air jusqu’à Mme de Lapulline. Il retrouva le reste de son corps original et se retransforma illico en elfe.
« L’École en elle-même est déserte. Mais… »
Les doigts d’Esther se refermèrent sur le bijou. C’était un petit disque de métal gravé de symboles anciens : « le pouvoir des étoiles est entre tes mains », traduisit-elle instinctivement. Au centre, des petits morceaux de pierre de lune dessinaient une galaxie spirale. Elle serra les doigts autour du disque et ferma les yeux.
Elle sentait la puissance de l’amulette. Contre sa peau, le métal pulsait, comme s’il était habité par un cœur. Elle n’avait qu’à se saisir de cette force et la diriger…
Elle se remémora son premier objectif. Le quartier général du gang de purification du Sidalan. Une étincelle pour mettre littéralement le feu aux poudres. Juste une petite étincelle, et les locaux de ces sombres sbires de la mort partiraient en fumée. Ainsi qu’un bon nombre d’entre eux. Elle allait tuer ceux qui lui voulaient du mal…
… comme les barbares qu’elle avait foudroyés…
… et comme son frère Auguste. Aussitôt ces pensées surgies dans son esprit, une vague de panique la submergea et l’envahit toute entière. Sous le choc, Esther se sentit expulsée de son propre corps. Et sans comprendre ce qui se passait, elle se retrouva à flotter dans les airs, immatérielle, comme un fantôme. Est-ce qu’elle venait de mourir ? Non. À côté d’elle, son corps tenait encore debout. Il tremblait, sa main lâcha l’amulette qui tomba sur le sol de cristal ; et soudain, il s’enflamma.
Ana pestait contre les commandes de l’émetteur. Elle avait passé de longues minutes à essayer de mettre en place le décryptage FZL, avant de se rendre compte qu’elle avait faux sur toute la ligne. Les Ekellariens encodaient simplement leurs messages par le petit bout ! Il fallait avouer que c’était malin. Elle avait finalement réussi à paramétrer la machine. Il était temps ! Le voyant vert clignotait.
La jeune fille quitta la salle des communications et sprinta jusqu’à la chambre d’Alain. Elle faillit percuter un monsieur à l’air important, mais elle l’esquiva à la dernière seconde grâce à un dérapage en règle. La chambre d’Alain était vide ; la reine Louise devait être retournée dans son bureau. Heureusement, le palais était pourvu de bons panneaux indicateurs. Ana dévala les escaliers et se glissa entre les ministres jusqu’à la salle du trône.
« Votre Majesté ! haleta-t-elle, à bout de souffle. Un message de madame l’espionne ! »
Esther revint peu à peu à elle-même. Les précédentes minutes avaient été très confuses. Elle se trouvait à présent adossée contre un mur de la grotte, ses mains posées à plat sur le sol lisse et froid. Lisse et froid et solide et translucide comme du cristal. Cela la rassurait. Le cristal ressemblait à de la glace, et la glace était l’opposé du feu, n’est-ce pas ? Elle regarda ses mains, ses bras, ses jambes. Visiblement, elle n’avait aucune brûlure. Ah, si, là, sa peau était un petit peu brune et un petit peu douloureuse, mais ce n’était rien. Son chemisier était à peine roussi, et ses nattes se tenaient encore. Avait-elle rêvé ?
« J’ai éteint le feu », lui expliqua Maître Tanager, son professeur de thermomagie.
Ceci expliquait cela.
Cela faisait longtemps qu’une telle attaque de panique n’était pas arrivée. Comme toujours, elle était épuisée. Elle laissa ses mains glisser sur le sol de cristal, savourant le contact avec la paroi. Elle regardait ses jambes, le tissu de sa jupe, elle détaillait toutes les reprises qu’elle avait dû effectuer dessus, essayait de se souvenir de chacune d’entre elles. Elle ne demandait qu’à se blottir sous une couette avec une tasse de chocolat chaud…
Des cris paniqués la sortirent de sa torpeur. Elle releva la tête…
Et elle éclata de rire.
Les hauts et respectables Maîtres en magie se débattaient sous une montagne de plumes blanches. Le sol, lui, était inondé d’un liquide marron à l’odeur qui ne laissait aucune place au doute.
« Mais qu’est-ce qui se…
- C’est toi qui as fait ça, Esther ? l’engueula Maître Édouard.
- Édouard, ne parlez pas sur ce ton à l’élue de l’amulette !
- De quoi je me mêle, Hugo ? Je lui parle sur le ton que je veux ! J’ai bien vu l’amulette se mettre à briller au moment même où ces… choses, sont apparues de nulle part ! »
Esther écarquilla les yeux.
« Pardon ! Je n’ai pas fait exprès. J’ai juste pensé à une couette et une tasse de chocolat chaud. Je ne pensais pas que cela allait se réaliser.
- Voilà ! Il n’y a pas de quoi la blâmer, dit Hugo Victor. Au contraire même ! Si Esther est capable de déclencher tout cela simplement à cause d’une petite pensée, que ne serait-elle pas capable d’accomplir par la force de sa volonté ! »
Quelques Maîtres hochèrent la tête, d’autres grimacèrent en se disant probablement qu’il valait mieux voir le verre à moitié plein, mais que ce serait préférable si on pouvait les débarrasser de ces saletés.
Esther toucha timidement l’amulette. Aussitôt, le chocolat chaud fut aspiré dans le néant. Les adultes autour d’elle étaient soulagés d’être enfin au sec. Ce qu’elle ne savait pas, c’est que tout le chocolat chaud de toutes les tasses et toutes les casseroles s’était volatilisé à dix kilomètres à la ronde, causant l’amère déception d’une centaine de braves gens qui n’avaient rien demandé. On balaya les plumes et essora les chaussettes trempées de chocolat. À présent, il fallait revenir à l’objectif principal : éradiquer la magicophobie.
Éradiquer. Le simple fait de penser à ce mot la mettait mal. Comme s’il y avait une bête à l’intérieur d’elle qui grognait et n’attendait que de brûler tout le monde.
Et d’un coup, elle se souvint.
Le démon.
C'est intéressant d'enfin voir l'enjeu de toute cette histoire d'amulette et de magicophobie. Je trouve ça un peu dommage qu'on ait eu à attendre aussi longtemps avant de constater les vrais effets et l'ampleur de la magicophobie, mais mieux vaut tard que jamais.
Le point de vue des élève est bien amené aussi, on visualise bien l'implication de chaque protagoniste dans l'acte final, et j'ai hâte de voir si ils se réuniront finalement ou si, au contraire, on perdra Esther pour toujours. C'est surtout ça qui m'intrigue !
J'ai aussi rajouté un petit point covid, c'est purement gratuit, je ne sais pas si je le laisse...