Chapitre 15 : vent de révolte

Notes de l’auteur : Attention, c'est parti !

Tout se prépara sans accrocs. Les fées, et particulièrement Masami, avaient millimétré l'opération. Il fallait au moins ça, pour que de êtres de 15 cm osent s'en prendre à un gigantesque monstre en blouse blanche. Certains auraient trouvé ça ridicule. Ça n'était le cas de personne, ici. Les sacs furent chargés de tout le nécessaire, leur contenu passé en revue deux ou trois fois. Rien ne devait manquer. Évidemment, Sera n'avait pas pu s'empêcher d'y glisser deux, trois tartines. "Juste en cas d'imprévu". Cette femme ne perdait jamais le nord, c'était une qualité qu'Ethel appréciait grandement chez elle. Enfin, surtout son estomac.

Les fées avaient revêtu les vêtements les plus standards possible, en fonction de leur modèle. Elles étaient allées jusqu'à feuilleter les catalogues de jouet trouvés dans les salles de marketing pour vérifier ce qui passerait le plus inaperçu ce Noël et avaient rapiné tout le nécessaire, au pendentif et foulard près. Le résultat était, il fallait l'admettre, assez édifiant. Pour Clo et Ethel, ça passait encore. La première avait l'habitude de se vêtir avec ce qui lui passait sous la main, ce qui incluait beaucoup de vêtements standards de fée. Et puis de toute façon, tout lui allait toujours bien. Aucun vêtement, ni modification artificielle ne parvenait à ternir l'éclat chaleureux de sa personnalité, songea Ethel. C'était comme si elle avait fait sienne la beauté irréelle de la fée qu'on lui avait plaquée sur l'âme. Elle s'éloigna très vite de ces pensées dangereuses pour se recentrer sur Mélusine. Elle qui avait l'habitude d'adopter les modes féeriques les plus exubérantes, sa tenue rose bonbon bouffante, rehaussée de perles bleues, ne déparait pas avec son style habituel. Quant à Sera, elle avait la chance d'avoir écopé d'une tenue plutôt simple.

Pour Masami et Sacha, par contre, c'était une tout autre histoire. Quand Ethel les vit débarquer, elle ne put s'empêcher de laisser échapper un petit rire étouffé. Elles montraient une synchronisation parfaite dans leur application à arborer une tronche de six pieds de long. Sourcils froncés au maximum, aucun sourire ne venait égayer leur visage étincelant. Elles s’efforçaient visiblement de conserver une certaine forme de dignité. Or, c'est une tâche compliqué, de conserver sa dignité, quand on est affublé de tutus à paillettes multicolores.Visiblement, l'édition limitée de cette année concernant leurs séries de fées était sur le thème de la danse. Il avait fallu une certaine force de persuasion pour convaincre Sacha de revêtir cette jupe semi transparente aux couleurs de l'arc-en-en-ciel, agrémentée d'un petit haut aux manches bouffantes de la même couleur. On avait aussi dû trouver une perruque pour camoufler la broussaille de ses cheveux coupés courts. Or, la couleur la plus fréquente cette année, c'était le violet. Ça n'était certainement de la faute de personne, mais Sacha avait l'air de le prendre comme une offense personnelle. Enfin, pour couronner le tout, elle portait de petits chaussons de danse qui enrubannaient ses pieds comme d'adorables petits bijoux. Non, vraiment, le seul truc qui jurait, là dedans, c'était son expression. Elle avait littéralement l'air prête à exploser d'un moment à l'autre. Bien sûr, ça ne devait pas être très drôle pour elle, mais Ethel n'y pouvait rien. Dans ce moment à la charge dramatique intense, elle trouvait ça tout bonnement hilarant. Masami était globalement logée à la même enseigne, si ce n'était qu'elle avait eu le droit, elle de conserver sa chevelure standard.

Elle et Sacha se tournèrent d'un même mouvement dangereusement lent vers la source de ce petit rire qui devait être odieux à leurs oreilles et lancèrent un regard digne des premiers Westerns de l'humanité dans sa direction. Cela eut pour seul effet de transformer le rire étouffé en franc éclat de rire. Ethel dû s'asseoir en se tenant les côtes. Pour ne rien arranger, Clo et Sera commencèrent à être contaminée par cet accès d'hilarité incontrôlé. Malgré tous leurs efforts, la commissure de leurs lèvres tressautèrent légèrement, le rire coincé dans leur thorax se fraya inexorablement un chemin à travers leurs cordes vocales, et finit par éclater au dehors. Les deux fées qui étaient la cause de cette allégresse générale pincèrent leurs lèvres d'un même mouvement, ce qui renforça l'hystérie générale. Il leur fallut quelques longues minutes pour se calmer, d'autant plus que les râleries combinées de Masami et Sacha ne cessaient de relancer les choses dans de grandes vagues de gloussements incontrôlés. Dommage, les fées ne pouvaient pas non plus pleurer de rire. La salle commune se serait autrement très certainement retrouvée changée en petit lac.

"Bien, si vous avez fini de vous marrer comme des gros sacs, on va peut-être pouvoir commencer notre mission à haut risque pour renverser le cours de l'histoire de ce quartier", ironisa Sacha. Ethel faillit se laisser emporter dans un accès d'hilarité. Le décalage entre ces mots dramatiques et l'accoutrement de Sacha était difficile à encaisser. Elle se contint cependant, consciente que l'heure tournait et qu'il allait bientôt falloir faire preuve de plus de sérieux que jamais. Les fées remballèrent donc leurs sourires, rangèrent ces rires précieusement au fond d'elles pour des jours pires ou meilleurs et ajustèrent leurs sacs sur leurs épaules, bien calés entre les nervures lumineuses de leurs ailes, pour celles qui en avaient.

Le trajet jusqu'à la salle de conditionnement passa bien trop vite au goût d'Ethel. Il faut dire qu'elles l'avaient parcouru tellement de fois, maintenant, qu'elles auraient pu le faire les yeux fermés. Masami et Clo se postèrent au creux de l'ouverture près du plafond qu'elles avaient aménagé jour après jour, tandis que Sacha, Ethel et Sera se perchaient où elles pouvaient dans les alentours, guettant les allées et venues des blouses blanches. Les plannings avaient été dûment étudiés au préalable pour s'assurer qu'il y aurait le moins de passage possible, mais rien n'était jamais figé, ici. L'échappée manquée de Linda en restait la preuve cuisante dans toutes les mémoires, et elles ne pouvaient pas se permettre de se relâcher. Personne ne pointa pourtant le bout de son nez, et Clo fit bientôt signe à Masami de se lancer avec elle. Elles exécutèrent des circonvolutions qui suivaient le plan de vol préalablement défini par Masami pour échapper le plus possible au champ des caméras, puis elles vinrent s'accrocher sur le derrière d'un de ces petits blocs qui constituaient les yeux de Feniel. Là, elles sortirent des fils de fer qu'elles tordirent astucieusement pour se sécuriser sur l'objet, et pouvoir s'arrêter de voler. La longue et laborieuse opération pour dériver l'image de la caméra sur l'autre débuta alors. Ethel allait vérifier de temps à autre si tout se passait bien à travers l'ouverture, mais les visages de Masami et de Clo ne laissaient rien transparaître. Elle espéra très fort que c'était parce que tout se déroulait sans accrocs. Elles avaient prévu une marge conséquente pour se donner quelques droits à l'erreur avant l'arrivée du "livreur", mais elles ne pouvaient pas pour autant se permettre trop d'écarts. Soudain, au bout d'un temps qui lui parut intolérablement long, Clo forma un cercle avec son pouce et son index, tandis que Masami esquissait un sourire subtil, mais sans équivoque. Elles avaient réussi. Ethel eut l'impression que la première pièce d'un mécanisme s'ajustait. Elle ressentit une satisfaction immense, si intense que c'était comme si elle ne lui appartenait pas vraiment. Elle en fut surprise. Après tout, ça n'était que la toute première étape.

Les autres fées, guidées par l’œil acéré de Masami, passèrent une à une par l'ouverture pour les rejoindre. En passant par le nouvel angle mort élargi, elle purent se poser au sol sans encombres, à proximité des cuves qu'elles convoitaient tant. Elles vérifièrent méthodiquement leur apparence pour vérifier que rien ne clochait avant de faire le grand saut. Puis, toutes celles qui avaient pu emmener des contenants remplis du mélange fabriqué par Mélusine les sortirent. Elles s'y mirent à plusieurs pour subtiliser des boîtes libellées au bon nom dans la pile qui était à disposition pour les machines. Les pinces s'affolèrent un peu lorsqu'elles ne rencontrèrent que le vide, mais elles finirent par se reconfigurer vers d'autres containers. Ethel recommença à respirer à ce moment là. Si elles n'avaient pas eu de chance, il y aurait pu avoir une alarme programmée pour ce genre d'erreurs sur la chaîne. Elle commençait tout juste à réaliser à quel point leur plan était exposé à toutes sortes de défaillances. Mais au point où elles en étaient, il n'était plus question de reculer.
La première cuve fut celle de Masami. On simula les liens qui devaient supposément la retenir à la boîte avec des morceaux de plastique similaires qui se détacheraient sur une simple secousse de sa part. Une arme, si on pouvait appeler ainsi le morceau de métal à l'allure dangereuse façonné par les soins de Sacha, fut posée à ses pieds, puis recouverte d'une sorte de mousse conçue par les soins de Mélusine qui, une fois aspergée, formait une couche qui ressemblait à s'y méprendre à la paroi de base de la boîte. Il lui suffirait pourtant de plonger la main dans la matière étrange pour en ressortir l'arme intacte. Une fois appliquée, on passa aux choses sérieuses. Ethel grimaça en se tâtant l'arrière de la nuque pour y trouver l'embouchure que Mélusine avait mis au jour chez chacune d'entre elles. Elle avait fini, en effet, par percer le secret de la conservation des fonctions vitales des fées dans ces étranges containers. Le bouchon à l'arrière de la boîte ne servait pas à introduire le liquide dans la boîte, comme elles l'avaient d'abord pensé. Il s'agissait de l'embouchure d'une intubation directement reliée à la trachée, pour permettre à la fée en léthargie de continuer à respirer.

Mélusine leur avait annoncé cette nouvelle étape horrifique de leur folle épopée avec beaucoup trop d'enthousiasme, et elles avaient dû, une à une, repasser sur la table d'opération pour recréer ce système qui n'avait pas encore eu le temps d'être implémenté à leur stade de la chaîne. Ce n'était pas avec gaîté de coeur qu'elles s'étaient prêté à cette nouvelle chirurgie, mais elles étaient allée trop loin dans l'idée de leur révolte pour reculer devant une manipulation corporelle. Celle-là, au moins, elles l'avaient choisie, et pourraient la revendiquer fièrement comme symbole de leur soulèvement. Ethel se disait qu'elle en ferait bien le point de départ d'un nouveau tatouage, ensuite. Mais pour l'heure, c'est avec une certaine horreur qu'elle regarda Masami se faire intuber par la nuque grâce aux gestes précis de Mélusine. Un petit haut le corps de la fée leur signala que le tube était bien arrivé à destination. Après quelques réglages, elle parvint à respirer bouche et narines fermées. Les fées commencèrent alors à déverser le contenu de leurs récipients dans la cuve jusqu'à ce que le liquide atteigne son menton. Elles marquèrent une pause à ce stade. "On se revoit de l'autre côté", souffla Masami d'une voix étouffée, dans un petit sourire crispé. Mélusine hocha la tête et acheva de remplir le récipient, qu'elle verrouilla avec le couvercle après avoir vérifié que Masami respirait toujours. Fort heureusement, elles avaient d'abord placé la boîte dans le fameux carton qui était régulièrement emmené dans le bureau de Feniel, et elle n'eurent pas à déplacer la cuve alourdie par le liquide.

La même opération fut répétée pour Sacha, puis pour Sera, sans qu'aucun souci notable ne vienne les interrompre. Tout se passait si bien que c'en était presque louche, ne put s'empêcher de penser Ethel. Mélusine, Clo et elle se retrouvèrent bientôt toutes les trois devant les autres cuves fermées. La prochaine était Ethel. Clo et elle s’observèrent du coin de l’œil pendant quelques secondes, ne sachant trop quoi dire. Clo lui effleura le bras, ce qui eut pour effet de la faire sursauter au contact de ses petits doigts glacés. Si elle avait quelque chose à dire, c'était sans doute le moment, mais elle ne parvenait pas à vraiment déterminer ce qu'elle aurait dû dire, justement. Mélusine, toujours un oeil sur l'horloge, coupa court au flux chaotique de ses pensées. "Allez, hop, au bain Ethel ! On n'a pas toute la nuit. A moins que vous n'ayez quelque chose à vous dire ? " suggéra-t-elle malicieusement en glissant un regard vers Clo.

Ethel l'ignora et se dirigea mécaniquement vers sa cuve, où elle rentra les pieds en avant. C'était très étrange, de se retrouver là. L'espace d'un instant, elle s'imagina observer les passants du rayon jouets d'un grand magasin, coincée derrière cette même vitre, et elle frissonna. "Attend, je t'aime !Je t'aide !" se corrigea fiévreusement Clo en rougissant tout ce qu'elle savait. Ethel se sentit rougir en retour sans pouvoir rien y faire et écarquilla les yeux. Elle entendit Mélusine se marrer malgré la situation. Les liens pour les mains, c'était de cela dont elle parlait, bien évidemment… Elle avait toujours fait des erreurs dans les mots. Celui là était juste particulièrement mal placé. Clo l'aida donc à s'attacher, Mélusine la brancha, et sa cuve fut dûment rempli. A part une sensation désagréable dans la gorge, le tube ne lui causa aucune douleur. Elle eut un moment de panique lorsque le liquide bleu dépassa le niveau de son menton, puis de sa bouche, et enfin de son nez, mais la gêne disparut une fois immergée. Elle respirait sans encombre, à son grand soulagement. Elle vit Clo être empaquetée de la même façon. Cela prenait de plus en plus de temps, puisqu'il y avait de moins en moins de bras pour aider à déverser le liquide dans les containers. Sans pouvoir dire un mot, Ethel fixa avec appréhension Mélusine lorsque celle-ci s'occupa de sa propre cuve. Elle avait bien sûr préparé la méthode en amont, mais la tester en situation réelle était autre chose. Cette fois-ci, elle remplit la cuve au préalable, et se plongea dedans d'un seul coup. En quelques secondes seulement elle avait réalisé l'intubation avec brio, au grand soulagement d'Ethel. Elle rabattit le couvercle au dessus de sa tête. Elle ne pourrait pas le verrouiller complètement, c'était là la seule faille de son plan. Elle adressa un signe de tête à Ethel derrière la vitre. Elles croisèrent toutes deux les doigts pour que l'anomalie passe inaperçue. Cela prit un petit moment pour que Mélusine parvienne à se tortiller pour ligaturer elle même ses pieds, puis ses mains avec les fausses attaches, mais elle y parvint tant bien que mal. Un instant resta suspendu dans le temps. Tout était en place.

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Poppy Bernard
Posté le 01/05/2022
Houlalalaaaaaaa cette romance Clo / Ethel, j'adore !
Un plan rudement bien ficelé, même si j'ai du relire plusieurs fois ce passage pour bien comprendre : " La première cuve fut celle de Masami (...) Ethel grimaça en se tâtant l'arrière de la nuque pour y trouver l'embouchure que Mélusine avait mis au jour chez chacune d'entre elles" : j'avais oublié le plan initial (c'est ma faute, ma lecture du dernier chapitre date un peu, je relirai les deux ensemble), et j'ai eu un peu de mal à re-situer.
Ce chapitre reste très chouette, j'ai vraiment l'impression de visualiser un Mission Impossible de petites fées ! Et le début avec Sacha et son tutu m'a bien fait marrer. Hâte de les voir dégommer Feniel !!!
Marlène Goos
Posté le 16/06/2022
C'est vrai que c'est un chouilla alambiqué, héhé ^^ J'ai ennnfin posté la suite, c'est fou ce que je galère à le faire alors que la V1 est entièrement écrite ! De ton côté j'ai vu que tu avais été bien productive pendant mon absence, je vais me régaler !
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