Chapitre 16 - Quand le sort s'acharne...

Par vefree
Notes de l’auteur : Où il est question de vie bouleversée, de tempête violente, de passé sensuel et d'une rencontre pas si anodine...
Bonne lecture !
 
 

 

            Alors que le jour en finit avec sa lumière blafarde dans une mousson interminable, l’arrivée sur l’îlot du temple se fait sous une tempête du tonnerre. Le Black Pearl a toutes les peines du monde pour s’ancrer près de la rive Est. Toutes les voiles carguées, les deux ancres rivées au fond de l’eau, le navire pirate ne cesse de tourner autour de ses cordages gênant considérablement la mise à l’eau d’une chaloupe. Aidés d’une dizaine d’hommes, pas moins, ils y parviennent enfin, risquant de basculer à l’eau à tout moment. Jack et Nanthan ont embarqué dans le frêle esquif. Finalement, ils échouent plus qu’ils n’accostent sur la plage. Ils ont tiré à sec leur embarcation tant bien que mal et ils s’engagent vers les murailles fortifiées du temple pour y chercher une entrée. Mais, dans cette purée de pois, ce qui aurait pu être simple sous un joli coucher de soleil devient une véritable sinécure. Nanthan en tête, connaissant les lieux et les escarpements à éviter, ils atteignent sans trop de mal un portail fraîchement massacré à coups de hache. Jack dégaine son sabre, arme son pistolet et passe devant, en silence, intimant à son fils de raser les murs avec lui. Nanthan, lui, armé d’un sabre aussi, le suit de près, plissant des yeux pour adapter sa vue au lieu très sombre. Plus loin, débouchant d’une coursive dans une sorte de patio entouré d’autres coursives à colonnades, les deux hommes se retrouvent face à un véritable massacre. Une quantité de cadavres disséminés un peu partout jonche le patio. La pluie torrentielle a fait ruisseler du sang partout. Surpris de voir le temple ainsi salement mis à mort, Nanthan ne peut réprimer un dégoût suprême. Maudissant une nouvelle fois, les larmes aux yeux, la barbarie de certains hommes, il dévisage, impuissant, les cadavres de ceux qu’il a connus, et qui les ont aidés, sa mère et lui, à vivre mieux pendant un certain temps. Jack ne dit rien, le visage fermé. Il observe attentivement. Le forfait n’est pas vieux. Le sang est encore frais. Ce cadavre-là est encore souple, constate-t-il en levant le bras de l’un d’eux et le laissant retomber lourdement. Regardant plus loin, sous les arcades, plusieurs issues sombres et ouvertes. Certaines portes, elles aussi, ont été abattues à coup de hache. Des statues des dieux hindous ont été mises à sac, détruites, renversées. Il enjambe un cadavre pour s’approcher d’un autre, le crâne pourfendu d’une hache fichée encore dans la cervelle. La porte la plus proche du pauvre homme montre une effraction venant d’ici. Il devait donc avoir surgit dans le dos de son agresseur, mais, celui-ci, plus aguerri, s’est retourné et lui a fendu le crâne sans coup férir. Il fait signe à Nanthan de le suivre. Mais, celui-ci, figé devant le premier cadavre, les épaules tressautant, ne voit pas Jack qui gesticule en silence.  Puis, se ravisant, le pirate regarde à nouveau la hache logée dans le crâne du pauvre homme. Il s’en saisit réprimant tout de même une grimace de dégoût en la retirant d’un coup suintant. Il se tourne à nouveau vers Nanthan pour attirer son attention, toujours en silence, et gesticule encore pour lui signifier de le suivre. Celui-ci le voit enfin et se décide tout de même à bouger en serrant le poing sur son sabre. Ils entrent dans une pièce vraiment sombre au bout de laquelle une autre issue semble se dessiner. Plus loin, un peu de lumière vient de droite, une fenêtre donnant sur la mer. De là, ils peuvent voir au loin un navire aux voiles blanches s’éloigner vers l’ouest, semblant visiblement avoir quitté les lieux depuis peu. Jack, faute d’avoir de longue-vue à portée de main, plisse les yeux pour ajuster au mieux sa vue et tente de viser le drapeau. Sous les bourrasques du vent et de la pluie mêlés, une vague évocation d’un bleu délavé semble être aperçue. Jack enrage.

- Moi, vivant, pas une seule de ces ordures ne restera sur pied face à moi ! dit-il en serrant les dents.

Nanthan, lui, observe le navire l’expression hésitant entre les larmes et l’impuissance. Il ne dit rien. Les deux hommes rebroussent chemin vers le patio. D’évidence, la CIO voulait faire payer à cette communauté la protection des évadés de Cochin.  Passant de portes en portes, visitant chaque lieu, chaque pièce, chaque endroit pour constater la même barbarie, leurs méthodes sont devenues indignes. De dépit, constatant qu’il n’y a plus âme qui vive ici, Jack balance la hache qu’il tenait en main pour rien à travers la pièce et elle va se ficher dans le bois d’une porte déjà ébranlée. Cela achève sa chute dans un grand fracas de bois et de fer qui résonne dans toute la coursive.

Soudain, alors qu’ils vont faire demi-tour, au détour d’un couloir, une lame acérée et inconnue se glisse sous le menton de Jack. Il se fige sur place en écarquillant les yeux. Une respiration rapide et angoissée se fait entendre à l’autre bout de l’épée. Il lâche ses armes et lève les bras en signe de paix.

- Je ne suis pas venu pour ça, promis ! s’exclame Jack.

- Pourquoi êtes-vous venu, alors ? demande une voix féminine mal assurée dans laquelle sourd une note d’une franche terreur.

- Nous étions venus pour trouver Shaakti, dit Jack, décidant de ne pas tergiverser, en pivotant le menton sur la lame pour faire face à son interlocutrice.

- Nous ? interroge l’inconnue d’un ton anxieux pivotant les yeux tous azimuts, cherchant un autre ennemi.

- Oui, moi ! s’exclame Nanthan qui surgit près d’eux à ce moment, le sabre en berne.

- Toi ?! s’exclame-t-elle aussi, en reconnaissant le jeune homme.

Elle hésite entre lâcher sa menace contre la gorge de Jack et se jeter dans les bras de Nanthan. Finalement, elle ne bouge pas, mais elle tremble toujours autant.

- Nanthan, tu es vivant ?! fait-elle, une vague de soulagement dans la voix.

- Oui. Et c’est grâce à mon père que vous tenez en joue, dit-il le plus calmement possible.

Sans quitter sa position menaçante, elle regarde le pirate qui lui offre un joli demi-sourire. Puis, elle regarde à nouveau le jeune homme, interrogative.

- Lui ? ... c’est ton père ?! s’exclame-t-elle, une petite grimace lui troussant les lèvres. Il ne te ressemble pas.

- Et c’est pourtant moi ! fait Jack en écartant les bras et fixant ses yeux étranges.

Elle pointe plus intensément son épée sur la gorge du pirate.- Vous ! Ne bougez pas ! s’écrie-t-elle sur un ton agressif et méfiant.

- Il ne vous fera pas de mal, tente de la rassurer Nanthan. Nous étions venus voir Shaakti, mais il semble que notre visite soit compromise...

La jeune femme lui répond par un silence éloquent. Toujours tremblante et son sabre braqué sur Jack, ses yeux se remplissent de larmes.

- Tout le monde est mort ! Le temple est détruit éclate-t-elle en sanglots. C’est fini.... C’en est fait de  ma tâche.

Eloignant d’un doigt sur le côté l’épée tremblante toujours pointée sur lui, Jack lui propose :

- Venez avec nous. Vous n’allez toute de même pas rester ici seule avec tous ces morts, fait-il avec ce ton ondulant qui le caractérise quand il parle à une femme...

Elle le regarde alors, étonnée derrière ses larmes.

- Mais, je ne vais tout de même pas laisser tous mes confrères ainsi, sans sépulture !! s’écrie-t-elle.

- Vous voulez vraiment enterrer tout ce monde ? demande Jack, intrigué. Vous avez vu le temps qu’il fait ?

- ... Au moins les brûler... fait-elle dans un gros sanglot. On ne peut pas les laisser sans qu’on ne se soit occupé de leurs âmes... je ne peux pas faire ça.

- Ah oui !!... c’est vrai qu’à terre, Will n’est pas de service... grimace Jack. Et si on laisse des âmes terriennes, ainsi, que deviennent-elles, alors ?

- Vu qu’elles ont été tuées violemment, elles vont probablement errer éternellement ici, ne parvenant pas totalement à se détacher de leur corps. Alors que si on les brûle...

- ... leurs âmes iront vers leur repos éternel... complète Jack, contrarié. Je vois.

Ravalant ses larmes et abaissant son arme, la jeune femme espère convaincre le pirate de l’aider, malgré son aversion d’avoir une telle tâche à faire avec ce ... ce ... forban mal fagoté.

- Trouver du bois sec par un temps pareil... fait Jack, dépité. ... et il en faut beaucoup... un grand feu .... un très grand feu ... grimace-t-il, encore...

- Nous avons ce qu’il faut, ici, répond la jeune femme en se mettant en mouvement vers un autre endroit. Venez.... Ici, notre communauté pouvait vivre en presque autarcie, nous avons beaucoup de bois. .... nous avions... se corrige-t-elle, plus bas, l’air triste.

Alors, à trois, ils se mettent à la tâche. Sous une coursive du patio, relativement abritée de la tempête, ils font un grand tas de bois et ils traînent les corps jusqu’à lui et les entassent dessus. Cela fait, ils y mettent le feu et ils reprennent le chemin à l’envers, non sans que la jeune femme ne fasse une prière pour ses compagnons.

Retourner à la chaloupe... La tempête est toujours là. Rejoindre le Pearl dans ces conditions demande adresse, force et maîtrise des éléments. A cela, le père et le fils se complètent. Le pêcheur trouve plus facilement l’astuce pour mettre la chaloupe à l’eau sans qu’elle se retourne sous les coups de boutoirs des vagues. Le marin, la force et le sens des éléments pour tirer sur les rames et amener la chaloupe à surfer sur la grosse houle. Tandis que la jeune femme, agrippée de toutes ses forces aux bords de l’esquif, n’en mène pas large, rarement confrontée à ce genre d’exercice. Une fois atteint le bord du navire, attraper l’échelle de coupée est tout aussi périlleux. Pendant que Nanthan saisit le cordage et le serre le plus possible pour rapprocher la chaloupe de l’échelle de coupée, Jack guide la jeune femme par le bras. Tous deux, dans un équilibre précaire, sans cesse ballottés en tous sens par de grosses vagues et une pluie battante, elle attrape enfin l’échelle et se met à grimper aussi vite qu’elle peut. Puis, c’est le tour de Jack, et enfin de Nanthan de monter à bord.

- Que s’est-il passé ? s’inquiète Gibbs auprès de Jack en forçant la voix pour se faire entendre malgré le vent. ... cet incendie ? Pourquoi revenez-vous si vite et avec une femme, en plus ? .... C’était pas prévu, ça !

- La Compagnie des Indes est passée par là, fait Jack en parlant fort, aussi. Un vrai massacre. C’est la seule survivante. Elle voulait qu’on brûle les morts avant de partir. Fais-la emmener dans ma cabine, au sec. J’ai des ordres à donner.

Lorsque le Black Pearl reprend enfin la mer, en pleine nuit, cap au sud-ouest, sous la tempête qui sévit toujours, Jack passe la barre à l’homme de quart. Il est temps, maintenant, de faire connaissance avec son hôte. Quand il entre dans sa cabine, il trouve une femme encore sous le choc. Visiblement, peu habituée à la navigation, accrochée à une main courante, elle le regarde entrer toujours terrorisée.

- Je ne vous veux aucun mal, vous savez. Détendez vous ! lui dit Jack, désinvolte, en retirant son tricorne et en titubant à cause du tangage.

- Vous .... vous ne m’inspirez pas confiance, fait-elle, la mâchoire rigide et les traits tendus.

- Pourtant, je vous assure que c’est vrai, fait-il, en rapprochant habilement son fauteuil grâce à la houle.

Une fois installé, il prend son temps pour l’observer en silence. C’est une femme superbe. Défaite par les événements qu’elle vient de vivre, mais magnifique. Son corps, gracile et galbé à souhait, invite spontanément à la sensualité. Ses traits fins et lisses, sa peau hâlée, son visage ovale et parfaitement dessiné, sont ceux d’une eurasienne. Elle a des yeux incroyables. Il les avait déjà aperçus lorsqu’ils étaient là-bas, même dans le drame. Malgré la pénombre de la cabine, il les voit bleus gris, quelque chose comme ça. Ils contrastent tellement avec sa peau bronzée et ses longs cheveux noirs qu’il est impossible de ne pas les remarquer. Là, ils expriment toujours méfiance et inquiétude. Elle est tel un chat sauvage. ... Ne pas lui faire peur... La rassurer... L’appâter... Elle ne dit rien, prête à griffer. Collée contre la cloison de bois, elle tient toujours la main courante dans son dos. Elle le regarde, lui tout ce qui l’entoure, le décor, les fenêtres sombres ruisselantes de pluie. Elle est vêtue d’un sari à motifs mordorés et d’un petit caraco turquoise. Le tissu, le long de sa jambe, est déchiré par endroits. Elle est pieds nus et trempée. Jack se lève pour prendre un drap dans un coffre et le lui tend.

- Tenez... séchez vous ! lui dit-il, en s’approchant pour le lui donner. Quand il est à portée, elle le lui arrache des mains sans rien dire et commence à essuyer ses cheveux et son cou. Jack ne se départit pas de son demi-sourire séducteur tout en la regardant faire. Elle est particulièrement mal à l’aise et lui jette un regard de reproche.

- Vous n’avez rien d’autre à faire que de me regarder ainsi ?

- Je vous regarde comment ? demande-t-il.

- Là !... Comme ça !... ... avec votre sourire narquois !

- Je ne suis pas narquois !

- Si, vous êtes narquois !

- Je ne le suis pas ! Ce n’est pas vrai !

- S’il-vous-plaît, ne restez pas planté là. Je suis fatiguée. J’ai vécu une journée épouvantable. Je voudrais dormir, dit-elle, gênée et rompue.

- Je n’ai pas d’autre endroit que mon lit à vous proposer, fait-il, avec une courbette en indiquant la couche près de la fenêtre.

Emmitouflée dans le drap, elle regarde l’endroit.

- Et vous ? Vous allez dormir où ? demande-t-elle en reniflant de fatigue.

- Par terre ! ... près de vous...

- Hors de question ! Je ne dormirais pas tranquille.

- Je vous fais si peur que ça ?

- Je vous l’ai dit ; je n’ai pas confiance en vous. Et puis, un gentilhomme s’effacerait et irait dormir ailleurs... fait-elle, tentant le tout pour le tout.

- Je serais bien allé dormir dehors si le temps le permettait, mais, là... regrette Jack en haussant les épaules.

- N’y a-t-il pas de place avec votre équipage ? renchérit-elle.

- Allons, mademoiselle, n’abusez pas de mon hospitalité, je vous en prie. Je suis capitaine de ce navire ! fait-il en s’approchant un peu. Et entre nous, ajoute-t-il, en baissant d’un ton, confident et contrit... ils ronflent tous !...

- N’approchez pas ! s’exclame-t-elle avec une main en avant. Non !

Jack arrête d’avancer et renonce même à la convaincre qu’elle n’est pas en danger. Elle le constatera d’elle-même à la longue.

- D’accord ! D’accord ! Je n’avance plus. Je ne dis plus rien. Je m’efface, puisque c’est ce que vous désirez. Reposez-vous. Dormez autant que vous le voudrez.

Puis, il reprend son tricorne, la salue d’une courbette et s’apprête à sortir de la cabine dans la tempête. Mais, il se ravise et se retourne face à elle.

- Puisque vous allez dormir dans mon lit, et que, par  là, nous devenons plus... intime, j’ai au moins le droit de connaître votre nom ?... n’est-ce pas ?... lui demande-t-il avec un grand sourire.

Surprise par sa façon de présenter la chose, elle écarquille les yeux.

- Vous ne manquez pas d’air, vous ! s’exclame-t-elle.

- Merci, je respire très bien, réplique-t-il, un tantinet agacé.

Voyant qu’il attend toujours sa réponse, et la fatigue s’abattant vraiment, cette fois, elle renonce à sa méfiance.

- Je m’appelle Christa.

- Bienvenue sur le Black Pearl, Christa !!

Puis, il sort de la cabine, la laissant seule et épuisée. Dehors, le pont continue de subir les paquets de mer. Cotton est de quart à la barre. Jack le rejoint en se tenant à tout ce qu’il peut, progressant au rythme de la houle jusqu’à la dunette. Cette purée de pois ne faiblira donc jamais !? C’est bien connu, Calypso est changeante, capricieuse, imprévisible. En voilà la démonstration. Il ne sert à rien d’aller contre elle, bien au contraire. Jack, le marin, ne le sait que trop bien. Il a toujours su composer avec elle, même du temps où elle était dans sa «prison humaine», comme disait Barbossa.

 

 

o0o0o

 

Quel drôle de moment, ce fut là ! Oui, c’est vrai qu’il avait adoré ça, à l’époque. Une navigation à nulle autre pareille, c’est le moins que l’on puisse dire. C’était au Bayou. Elle l’avait emmené loin, sur la rivière. Là où, même une pirogue ne peut plus avancer. Dans la mangrove, quand les racines aériennes des palétuviers plongent dans une boue chaude et fertile, parmi une faune incroyable, au son des coassements de crapauds, du caquetage des perroquets, sur les traces des crabes géants, sous les yeux omniprésents des serpents, dans le sillage des crocodiles, dans un entremêlement végétal qui confine au fantastique. Ils l’ont fait là, au cœur de mère nature, au sein de Gaya, dans la plus chaude des terres des Caraïbes. Un lieu suprêmement féminin.

Jack fut plongé immédiatement dans une voluptueuse atmosphère moite et salée. Il parcourait son corps de sa langue et de ses doigts agiles, se perdant dans les méandres de ses soupirs. Œuvrant sur sa peau d’ébène, comme l’esthète dans son art, il allait et venait au rythme de ses pulsions, tout en la couvrant de boue d’un geste à l’autre. Le féminin au plus haut degré d’incarnation. Tantôt louvoyant comme un serpent, tantôt ondulant comme le ressac d’un lagon, elle souriait sous ses caresses, suspendue à une branche par les bras, son corps offert à ses aspirations. Emportés dans leurs ébats, ne faisant plus qu’une seule respiration, la nature et eux, dans une communion parfaite, ils retinrent leur souffle. Tout ne fut que silence absolu, l’espace d’un instant. Mère nature communiait. Elle les écoutait. Elle participait. L’eau et la terre, ensemble, et dans un même élan, incarnées dans ce corps qu’il tenait embrassé, prêtes à déferler tel un barrage qui se rompt. Qui a dit que le sperme était plus puissant que tout ? Celui-là n’a jamais connu le déferlement des fluides féminins. Rien n’arrête l’eau et la boue réunies. Elles donnent tout. Offrent tout. Le pire et le meilleur. Les visions d’horreurs, comme les fantasmes les plus délicieux. La mort et la vie à la fois. Jack s’est senti alors très à l’étroit en elle, dans un tel état de transe, emporté, il a suivi la vague qui l’emportait. Il ne servait à rien de résister. Le délice était sublime. Tous deux, corps à corps, liés dans un râle commun, leur effusion s’est propagée dans tous les environs, faisant hurler tous les animaux alentour. Les crabes se sont mis à pincer l’air frénétiquement. La mer, au loin, s’est soulevée, puis elle est retombée, propageant des vagues loin sur l’horizon. Il s’est répandu en elle avec un délice sans pareil. Sa semence, ainsi, dans le calice de la déesse, comblée, la mer s’apaisa et les mains de Tia poursuivaient leurs caresses sur le corps du pirate, offert.

Elle aurait pu à cet instant l’éliminer, l’offrir à Davy Jones pour ses forfaits indignes du passé. Mais, elle ne l’a pas fait. Elle aurait même pu le faire pour ses forfaits futurs, mais là, c’était indigne d’elle et de son rang. Fût-elle une déesse maudite à la merci des humains, elle ne pouvait décemment pas décider de la vie de ceux qui l’avaient enfermée. Elle compromettait en cela la paix des océans et ce qu’elle pouvait tirer de la chair. Et, en l’occurrence, certains de ces pirates étaient de fins experts en l’art de ces plaisirs-là...

 

 

o0o0o

 

La cloche de quart sonne. Jack revient brutalement aux réalités bien trempées de cette nuit de tempête. Il prend la barre et enjoint à Cotton d’aller se reposer. Il terminera la nuit à la barre de sa chère et fidèle Pearl. Enfin, fidèle, mais non moins convoitée, telle la plus belle des femmes... Calypso est désormais libre, comme lui. Et elle soumet ses sautes d’humeur aux marins du monde entier. Ses amours terrestres, elle les a oubliés dans les bras éthérés d’un seul, désormais : ce cher Davy Jones. Pourtant, il n’oubliera pas, lui, Jack Sparrow, d’avoir été l’un de ceux qu’elle a initié aux plaisirs divins. Et il se plaît à croire que les humeurs de l’océan sont le reflet de ses ébats, les ondes de plaisirs tumultueux qui surgissent encore aujourd’hui du passé. La nuit passe doucement et écoule ses heures sombres et pluvieuses jusqu’au petit matin. Dans la lueur livide du jour qui se lève sur un horizon gris, l’océan se confond avec le ciel. Le vent s’est arrêté de souffler, et les vagues sont encore importantes. Dans ses pensées aussi, tout est gris, morne. Ne pas avoir trouvé de Shaakti vivante dans le temple le met au désespoir. Et cette Christa, rebelle et terrorisée, aussi belle soit-elle, ne l’inspire pas plus que ça. Ses espoirs de trouver d’autres plaisirs inexplorés s’en trouvent donc rincés par une mousson interminable et des circonstances abominables. Finalement, de ce qu’avait dit la devineresse chinoise, il n’a vu que les pires prédictions. Alors, où est cet amour si grand qu’elle lui avait promis ? Dans sa cabine en train de dormir ? Nooon !... Cela ne peut être elle... Non. Faut-il, alors retourner à Singapour pour la chercher ?... Une taoïste, vraiment ?... Et si c’était ... ?... Non, pas elle non plus. Impossible ! Lizzie n’est qu’une pucelle dépucelée, non initiée, c’est parfaitement inenvisageable. Mais, alors, que désire-t-il le plus au monde, désormais ? Pourquoi ce n’est jamais clair ? Serait-ce cela ou asseoir sa légende au panthéon des pirates ? ... ou les deux ? Ses idées n’ont plus aucun sens. La fatigue... Une gorgée de rhum en guise de petit-déjeuner, c’est une astuce pour rassembler ses méninges... Oh, et puis, pourquoi pas ! ... Il décroche son compas et l’ouvre... L’aiguille tourne à toute vitesse... Et elle se fixe droit devant lui. Cabine ! .... Sommeil... une femme dans son lit... Chaleur... Douceur... Si le malheur est derrière lui, que peut-il arriver de pire ? ... franchement !

La cloche sonne à nouveau. Le quart suivant prend la relève. C’est le tour de Gibbs de venir à la barre. Epuisé, Jack cède la navigation à son second sans un mot. D’une tape confiante sur son épaule, il s’éloigne jusqu’à sa cabine, s’agrippant pour ne pas tomber sous le tangage.

Lorsqu’il entre, il fait sombre et silencieux à l’intérieur. Toutes les bougies se sont éteintes. Seule la faible lumière du petit matin entre par les fenêtres. Elle est suffisante pour apercevoir les courbes de Christa sous le drap, endormie. A tâtons, il trouve dans un placard d’autres bougies et s’emploie à en allumer quelques unes. Il retire son tricorne, sa veste trempée, ses bottes, aussi. Assis dans son fauteuil, près du lit, il la regarde dormir. Couchée sur le côté, face à lui, une main entre sa joue et l’oreiller, ses longs cils noirs, ses paupières clauses, sa bouche à peine entrouverte et une mèche de cheveux tombée sur le visage, elle semble paisible.

- Ce qu’elle est belle, tout de même ! s’avoue-t-il en silence.

 

Installé devant ce tableau si tranquille, Jack se détend enfin. L’épuisement l’envahit. La tempête n’est plus qu’un lointain sifflement dans le silence de la cabine et les craquements des bois du navire. Le sommeil le prend tout entier et il s’écroule ainsi, vautré dans son fauteuil, endormi.

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dominosama
Posté le 30/12/2012
"Mais, dans cette purée de pois, ce qui aurait pu être simple sous un joli coucher de soleil devient une véritable sinécure."
En fait l'expression veut qu'on dise que : "ça n'est PAS une sinécure. "
En indiquant ainsi une lourde charge de travail souvent peu agréable, se réalisant avec beaucoup d'efforts.
A la base une sinécure est  un "cadeau" une "aide" (matérielle, financière et autre) fourni par l'église à un de ses hommes d'église qui l'autorise et lui permet de ne pas assurer  la messe ou autre boulot habituel afin qu'il puisse travailler sur autre chose, un livre, des enluminures, des recherches etc…
Si c'était une sinécure elle serait donc le contraire : une charge de travail légère et agréable se réalisant avec peu d'efforts ^^ (je sais je suis chiante ^^")
 
" lors, à trois, ils se mettent à la tâche. Sous une coursive du patio, relativement abritée de la tempête, ils font un grand tas de bois et ils traînent les corps jusqu’à lui et les entassent dessus."
--> ha c'est du vite torché dit donc lol ! On voit que Jack est de la partie :p
"- Vous ne manquez pas d’air, vous ! s’exclame-t-elle.
- Merci, je respire très bien, réplique-t-il, un tantinet agacé." --> hahaha! J'adore les répliques de Jack bien pensées et du tac au tac ^^
"C’était au Bayou. Elle l’avait emmené loin, sur la rivière. Là où, même une pirogue ne peut plus avancer. Dans la mangrove, quand les racines aériennes des palétuviers plongent dans une boue chaude et fertile, parmi une faune incroyable, au son des coassements de crapauds, du caquetage des perroquets, sur les traces des crabes géants, sous les yeux omniprésents des serpents, dans le sillage des crocodiles,"
--> je pensais qu'il n'y avait pas de crocodile dans le bayou, seulement des d'alligators mais en faite nan, y'a les deux, je viens d'apprendre un truc merci :)
vefree
Posté le 30/12/2012
Ah c'est vrai, Domino, je crois qu'on m'en a déjà fait la remarque, que j'avais vérifié et que j'ai pas modifié, comme une gourde. Sinécure... tu as raison, tu n'es donc pas chiante. Non, non !
Bon bah que veux-tu, hein ! Jack a la réplique facile, c'est bien connu. Merci d'avoir apprécié.
Quant au crocodile dans le bayou, maintenant tu me mets le doute. Va falloir que je vérifie si on trouve les deux races. Encore que ça doit dépendre de l'endroit géographique. Merci d'avoir soulevé l'interrogation quand même. 
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