Comment ça Val-Griffon m'a rattrapé, que me racontes-tu là ? »
« Il a accouru vers toi, ainsi que Monseigneur, mais Val-Griffon a été plus rapide. C'est même lui qui t'as porté jusqu'à ton lit et j'ai ouï dire qu'il venait prendre de tes nouvelles régulièrement, même s'il a toujours refusé d'entrer dans ta chambre. »
Édith rougit malgré elle et toussota, mal à l'aise par ces révélations... Comment ce... cet odieux fanfaron avait-il osé la toucher !
« Ne te fais pas des idées sur sa grandeur d'âme Esperanza, il ne venait sûrement que pour le compte de Monseigneur ! » rétorqua-t-elle pince sans rire.
« Possible, mais Val-Griffon semblait inquiet pour toi. »
« Pourtant quand il est venu avec le Dauphin me visiter, il a été particulièrement malséant et toujours prêt à me lancer des menaces ! »
« Ça ne lui ressemble pas, peut-être a-t-il ses raisons ? »
Édith haussa les épaules et ne renchérit point. Elle était convaincue que Val-Griffon était mauvais et qu'il n'était habité que par des intentions néfastes à son égard, en témoignait son comportement infect avec elle depuis le premier jour !
Édith déposa Esperanza à terre et la petite épagneule se mit immédiatement à gambader, la truffe au sol, faisant des zigzags de tous côtés, la queue remuante.
Leur baguenaude (1) les conduisit, jusqu'à une extrémité des jardins où des hauts platanes s'élevaient vers le ciel et en face d'eux : une étrange cavité. Il y avait là l'entrée d'une grotte, sans doute celle que les courtisans appelaient la grotte des Pins, avec ses géants sculptés sur des colonnes de grès. Sans être le moins du monde intimidée, Esperanza y entra de bonne allure et Édith la suivit, peu rassurée.
Il faisait sombre et frais, et contre toute-attente, la cavité abritait une âme.
Un jeune garçon était assis et lisait un livre. Il soupira, ferma son ouvrage et étira ses jambes lorsqu'il sursauta et se leva d'un bond en remarquant Édith et surtout Esperanza, qui était venue à sa rencontre, la queue battant l'air d'un air enjoué. Il se dégageait du garçon une grâce bridée, une fragrance de noblesse supérieure à d'autre, toutefois contenue, muselée.
Ses vêtements étaient de la meilleure facture, ses manches étaient galonnées de passementeries dorées, les dentelles de ses poignets étaient d'une valeur inestimable, tout dans sa vêture indiquait la plus grande richesse. Malgré cela, l'habit du garçon avait un air de décontraction. Édith voulut lui demander qui il était, mais il la devança en prenant Esperanza dans ses bras pour lui gratter la tête.
— Ma pauvre mère va être triste quand je lui dirai que vous avez volé sa précieuse Esperanza, mademoiselle de Montgey.
Édith balbutia des mots intelligibles et tiqua après un instant sur le mot « mère ». Elle se hâta de se plier dans une profonde révérence !
— Pardonnez-moi, je ne vous avais point reconnu Monseigneur !
Le Dauphin ne portait pas le cordon bleu qu'Anne lui apprit être le cordon bleu du Saint-Empire à la croix de Malte. Ce cordon n'était pas porté par n'importe qui et seuls les princes en étaient pourvus dès le berceau, les autres devaient chèrement le mériter. Ce petit détail qu'Édith avait fait son "alarme" afin de ne point commettre d'impair devant le fils du roi... et qui lui avait joué un vilain tour ce jourd'hui par son absence sur le justaucorps de Monseigneur, la faisant se sentir une vraie godiche...
Elle avait cependant à sa décharge un autre point qui pouvait la disculper, à savoir que Monseigneur était retranché en lieu en solitaire avec la liberté d'un gentilhomme ordinaire, ce qui trompait sur son rang, lui qui n'était jamais quitté d'une semelle !
— Cela n'est point grave, lui dit-il.
Le Dauphin reposa la petite chienne à terre et se rassit posément sur le banc. Devant lui, Édith ne savait quelle consistance adopter. Sentant son désarroi, Monseigneur leva la tête vers elle et lui proposa.
— Souhaitez-vous me tenir compagnie, mademoiselle de Montgey ?
— Avec plaisir, répondit-elle un peu trop vite pour ne pas le froisser.
Le Dauphin arqua un sourcil et un sourire doucement écarta ses lèvres pleines.
L'héritier de France avait treize ans ; cependant la maturité se lisait dans ses yeux et ses paroles, qui, pour un aussi grand prince, étaient humbles. Ce qui tranchaient d'avec la Grande Mademoiselle qui faisait bien sentir son ascendance royale en tous instants !
— J'avais grand hâte de vous revoir, surtout pour vous demander quelque chose, dit-il la mine espiègle. Est-ce bien vous qui avez teinté en rouge la joue de mon ami Val-Griffon ? Dès que j'ai eu vent de cette affaire, je lui ai sommé le nom de son agresseur et il m'a rétorqué que c'était une furie en jupons... mais de votre nom point de trace, je n'ai appris le pot-aux-roses que par des rumeurs lancées par mademoiselle d'Humières. C'était bien vous, n'est-ce pas ? lui demanda-t-il en plantant son regard dans le sien.
Édith s'empourpra et bredouilla une réponse affirmative mêlée d'excuses et cela fit éclater de rire le Dauphin.
— Ainsi c'était bien vous ! J'étais curieux de voir à quoi pouvait bien ressembler une demoiselle de cette trempe !
Il se pencha en avant et lui souffla sur le ton de la confidence : « Que j'eusse aimé être présent pour assister à ce recadrage tonitruant ! J'ai toute estime en mon ami mais je lui reconnais parfois un verbe incisif et une impulsivité à s'emporter. Or c'est qui fait son charme et que l'on s'attache à sa personne. »
— S'il plaît à Monseigneur une envie de revoir cet exploit, un mot de lui et l'autre joue de Val-Griffon sera fardée pour la saison !
Ce n'était pas l'envie qui lui manquait...
— Mademoiselle de Montgey, vous êtes délicieuse ! fit-il entre deux respirations et rire.
Édith prit place sur le banc sur l'invitation du Dauphin et lissa ses jupes. Elle attendit que Monseigneur parle en premier et cela lui allait très bien car elle était impressionnée par l'héritier du trône.
— Mademoiselle de Montgey, vous plaisez-vous au service de Mademoiselle ?
— Tout-à-fait Monseigneur ! répondit-elle du tac au tac.
Cette manière hâtive et maladroite accentua le rire qui ne quittait guère Louis de France.
— Avez-vous fait des rencontres agréables ?
— Oui Monseigneur ! D'abord Ses Majestés vos parents, mademoiselle de Meslay et puis Carlotina, qui à sa manière est attachante.
— Je note que vous ne mettez pas monsieur de Val-Griffon dans la liste, la chambra-t-il.
Édith rougit malgré elle et toussota.
— Il a mal agi avec moi par deux fois et dans ces deux fois, il m'a insulté de la plus vile des façons.
— Oh ! Que vous a-t-il dit, mademoiselle de Montgey ? Répétez-le moi pour que je le corrige quand je le verrai.
— Il a remis en cause la noblesse de ma famille !
Elle se garda bien de lui avouer qu'il l'avait également accusé d'un meurtre dans une rue de Dijon et qu'il avait fait grand tort au vicomte de Sanloi.
— Effectivement, c'est laid, très laid.
— Monseigneur... je vous remercie d'être une nouvelle fois venue à mon secours quand j'ai perdu connaissance dans la tente de la reine... dit-elle en rougissant.
Tout le monde ne pouvait point se vanter d'avoir été aidé par deux fois par le fils du roi !
— Je vous en prie, il aurait été inconvenant de vous laisser vous écrouler à terre.
Pendant une heure et demie, Édith et le Dauphin conversèrent ensemble et leur caractère s'accordèrent naturellement qu'ils se sentirent heureux de leur cordialité partagée. Ils parlèrent d'Art, de Lettres, de la vie à la Cour, de Versailles qui était en construction et une merveille que créait le roi, mais aussi de la vie en province, et des longs voyages éreintants. Tout était limpide entre eux et à les entendre converser, on pût les croire amis depuis le berceau !
Édith appréciait le Dauphin, elle lui trouvait un certain charme qui ne la laissait pas indifférente...
Durant leur échange, la demoiselle apprit que la duchesse de Montpensier était en réalité très seule, son fort caractère, parfois froid et cassant, éloignait les gens autour d'elle, même si elle était un des éléments les plus recherchés en public en terme de fréquentations. Il lui confia qu'il était content qu'elle fût au service de Son Altesse Royale Mademoiselle car elle aurait au moins quelqu'un qui serait là pour elle et rajouta qu'il savait de source sûre qu'elle l'appréciait beaucoup.
Édith fut touchée par ce discours et son cœur s'ouvrit d'autant plus à la sensibilité du Dauphin, esprit calme, méditant chaque parole qu'il prononçait pour ne blesser personne.
Encouragée par le climat amical entre eux, Édith prit son courage à deux mains et osa plaider en faveur du malheureux vicomte de Sanloi.
— Monseigneur... peut-être qu'un homme qui souffre de votre mésestime a été injustement renvoyé à cause d'une trop grande amitié pour vous...
Le Dauphin haussa les sourcils et attendit la suite sans rien dire.
— Monsieur le vicomte de Sanloi...
— ASSEZ ! coupa-t-il sèchement.
Leur conversation fut interrompue par l'arrivée de Val-Griffon qui avertit Monseigneur que mademoiselle de Blois l'invitait à se promener en sa compagnie et celle de son frère, dans les jardins. Le visage fermé, le Dauphin se leva et quitta la grotte sans un mot pour Édith, clouée sur le banc, perdue et dépassée. Venait-elle de se mettre à dos le fils du roi !
Un vertige la saisit et elle sentit une lueur méprisante passer dans le regard de Val-Griffon.
— Je ne sais encore quel est votre rôle dans cette affaire mais sachez que je réprouve votre conduite et vos... relations ! Ayez donc la décence de vous taire et de ne pas importuner Monseigneur avec vos paroles sournoises ! lui lança-t-il avec dégoût.
Édith attendit que le Dauphin soit assez loin pour riposter.
— Depuis que je vous ai rencontré, je n'ai pour vous que de la pitié, vous êtes l'incarnation de la haine ! Vous êtes un feu mal maîtrisé monsieur et un jour vous vous brûlerez tout seul !
— Vous avez raison, cependant vous devriez prendre garde, le feu peut ravager.
Édith se leva d'un bond du banc et fut bien inspirée de le gifler ; or cela ne passerait pas une seconde fois.
— Monsieur, vos menaces m'insupportent !
À vrai dire, il ne l'écoutait plus, il s'était accroupi et donnait un petit gâteau sec à Esperanza qui s'était redressée sur ses pattes arrières. La petite chienne en mâchant la friandise se retourna vers Édith et lui dit : « Vous voyez qu'il est gentil ! »
— Certes pas non ! Il est grossier et méprisant ! lui répondit-elle à haute voix.
— Pardon ? fit Charles, la fusillant du regard. Vous m'insultez ?
Édith se mordit la bouche et ferma les yeux ! Quelle bévue !
— Moi ? Je ne vous ai pas adressé la parole !
— Si vous venez de le faire et avec un joli brocard(2) qui plus est !
— Je vous dis que non ! Sur ce monsieur je vous dis au revoir ! Ou adieu si j'ai de la chance !
Elle se dépêcha de reprendre Esperanza dans ses bras et s'enfuit par le premier chemin que dessinaient les bosquets. Derrière elle, Charles la regardait partir les sourcils froncés, suspicieux.
Un merle noir qui assistait à la scène depuis l'entrée d'Édith dans la grotte, se posa sur le banc et Charles lui dit : « Je n'ai pas rêvé, elle m'a parlé ! »
Et l'oiseau répondit par un joli chant qui ressemblait à un rire moqueur.
GLOSSAIRE :
(1) Promenade, flânerie.
(2) Raillerie mordante.
Si ça peut t'intéresser, j'ai publié des posts sur cette histoire sur insta (emilieauteur1778) :)