CHAPITRE 17

Le 29 juin, château de Fontainebleau

Édith avait eu l'opportunité de s'excuser auprès du Dauphin et celui-ci reçut ses excuses avec magnanimité, toutefois, il lui fit promettre avec autorité de ne jamais plus prononcer ce nom devant lui. Édith eut de la douleur à jurer et elle sentit au fond d'elle qu'elle abandonnait un innocent aux intrigues des Grands. Quand elle avait promis, elle avait surpris le regard acéré de Val-Griffon posé sur elle, le gentilhomme cherchait à percer ses secrets. La demoiselle voulait en faire autant pour faire tomber ce fielleux de son piédestal !

Monseigneur fut satisfait de cette promesse et pardonna à Édith son inconduite et la rappela auprès de lui comme si rien ne s'était passé. Ainsi, à mesure qu'ils parlaient, leurs conversations redevinrent bavardages. L'aisance du début s'installa de nouveau entre eux et Édith devenait de plus en plus impatiente de le revoir à chaque entrevue. L'épisode de Sanloi semblait loin et pourtant si près... Or elle était si grisée par être celle qui avait l'attention du Dauphin qu'elle passait parfois exprès près de ses appartements dans l'espoir de l'apercevoir et à chaque fois, le Dauphin lui faisait signe de venir, un grand sourire fiché sur les lèvres.

Son gouverneur, le sévère duc de Montausier(1) reniflait de désapprobation quand il trouvait Monseigneur entrain de perdre du temps avec elle. L'oisiveté était une chose rare chez l'héritier du trône. Et quand c'était le précepteur de Louis de France qui les séparait, Bossuet(2) ne manquait pas d'avertir le Dauphin des dangers des femmes et de leur emprise sur les hommes. Toutefois, Bossuet reconnaissait que l'éducation d'Édith était sérieuse et qu'elle avait du goût pour l'étude, ce qui le fit -parfois, rarement- fermer les yeux quand elle était proche de Monseigneur.

De son côté, Édith était réjouie de cette nouvelle fréquentation, d'autant que Val-Griffon la fuyait comme la peste ou passait son temps à l'observer quand il était dans les parages sans jamais nouer dialogue. Elle le croisa deux fois en train de badiner avec Marie d'Humières et cela avait irrité la demoiselle, ressentiment qu'elle mit sur le compte du dégoût que lui inspirait Charles !

Quant à Anne, elle lui écrivait car la mignonne avait regagné Paris, sa petite sœur avait fait une rechute de mauvaise fièvre... Édith devait bien l'avouer, Anne lui manquait... Pour ce qui était de Carlotina, elle la voyait peu, la naine étant continuellement auprès de la reine et Édith ne comptait pas parmi les gens de la souveraine.

Édith était toute affairée à son ouvrage quand la duchesse de Montpensier se tourna vers elle et l'invita à prendre le thé. Cela la réjouit car elle commençait à piquer du nez sur ses travaux d'aiguille.

Comme à l'ordinaire, un domestique fut appelé pour les servir et la duchesse attendit qu'il se retire pour lui parler.

— Le duc de Montausier m'a fait part d'une de ses inquiétudes, commença-t-elle.

Édith fit mine de ne pas saisir.

— Vous devenez de plus en plus proche de Monseigneur... Il vous estime beaucoup, on dirait qu'il vous vénère...

Cette phrase la fit s'empourprer et elle serra fort son mouchoir qu'elle avait dans la main.

— Monseigneur est très généreux envers ma personne, il est vrai, répondit-elle, il est fort instruit et me parle souvent d'Art. Cela me plaît beaucoup.

— Il n'y a pas que vos discussions qui lui plaisent si vous voulez mon avis, continua-t-elle habile.

— Oh Mademoiselle, je ne saurais voir plus loin que du respect...

— Il a refusé l'invitation de mademoiselle de Blois il y a deux jours pour vous montrer les plans d'un bassin que prévoit Sa Majesté à Versailles.

Édith rougit de plus belle et bégaya, mal à l'aise.

— Il me les a montré il est vrai, c'est un fort beau dessin...

— On jase mademoiselle de Montgey, la Cour jase...

— Mademoiselle, je vous promets qu'il n'y a rien de compromettant dans notre commerce(3) ! s'écria-t-elle les joues en feu.

La duchesse de Montpensier porta à ses lèvres un massepain et le savoura en examinant d'un œil d'aigle sa demoiselle de compagnie. Elle nota qu'Édith était chamboulée dès qu'on nommait le Dauphin et que sa nervosité était de plus en plus visible.

Si la Cour racontait en messe-basse que mademoiselle de Montgey briguait sur la position future de favorite du Dauphin, la duchesse de Montpensier voyait dans ce rapprochement un signe de la providence. La montée en puissance d'Édith faisait reculer la mainmise de Val-Griffon sur Monseigneur et avec lui la Montespan. Ce qui arrangeait parfaitement ses plans.

Quant à ce Charles de Val-Griffon, il s'était présenté il y a peu dans ses appartements à l'heure où les visites n'étaient plus admises et lui avait tenu un entretien difficile. Il lui apprit que ce maudit vicomte de Sanloi s'était grimé en garde du corps pour retrouver le chemin de sa grâce auprès du Dauphin et qu'il l'avait perdu de vue depuis sa fuite à Beaune. La Grande Mademoiselle était tombée des nues en oyant cela, elle le croyait toujours à la Bastille ! Charles avait refusé d'avaler cette menterie et l'avait prié d'un ton sec de museler son chien ! Sans quoi, il parlerait au roi de certaines manœuvres qu'elle conduisait auprès de son fils...

La Grande Mademoiselle avait congédié avec rudesse et menace Val-Griffon qui avait eu le toupet de venir alors qu'elle était en son particulier(4), lui promettre l'orage et la tempête ! Elle, la cousine du roi ! Après le départ du gentilhomme, elle avait longuement médité...

— Mademoiselle de Montgey, je souhaite que vous vous teniez prête, demain nous partons très-matin pour Paris.

— Bien Mademoiselle.

Le soir, à la nuit tombée

Seule dans sa chambre, Jacquemine dans celle des domestiques dans les communs, Édith tournait et retournait dans son lit, une image tenace en son esprit. Le beau visage du vicomte de Sanloi, son air de détresse, son navrement, son dépit affiché sans une once d'orgueil revenait de plus en plus à sa mémoire et toutes ses pensées s'emmêlaient quant il était question de ce gentilhomme désavoué(5).

Édith avait beau réfléchir, elle sentait que Val-Griffon tenait le Dauphin sous sa coupe et l'empêchait que vérité fût rétablie ! Toutefois, elle ne pouvait agir, elle avait essayé et s'était superbement cassé les dents... Or tous les crimes de ce Charles de Val-Griffon commençaient à lui faire monter la moutarde au nez !

Il l'exaspérait, la faisait sortir de ses gonds même sans rien lui adresser, sa présence suffisait à la chambouler, à la rendre nerveuse et sur ses gardes.

Un faible coup étouffé à sa porte la fit se redresser d'un bond dans ses draps.

— Qui est là ?

— Celui qui vous est obligé, mademoiselle, répondit un murmure de voix masculine.

« Sanloi ! »

Édith sauta de sa couche et courut lui ouvrir en chemise.

— Que faites-vous là ? Si l'on vous prend, vous serez arrêté !

— Mademoiselle, dès que j'ai su, je n'ai pu me terrer plus longtemps dans l'ombre.

— De quoi parlez-vous ? fit-elle étonnée.

— De votre bonté sans borne, la Cour a fait gorge chaude que vous ayez eu le toupet -pour moi le courage- de tenter de plaider ma cause au Dauphin !

Il mit un genoux à terre et lui baisa les mains. Édith sentit soudainement le caractère impudique et compromettant de la situation, elle presque nue, un homme dans sa chambre. Elle recula, il se releva et entra, referma la porte et la demoiselle croisa ses bras sur sa poitrine instinctivement.

— N'ayez crainte mademoiselle, je ne suis point de ces pourceaux qui vous ont blessé, lui décocha-t-il du tac au tac comme s'il eut percé ses pensées. J'ai besoin que vous m'aidiez car votre courage a fait bel exemple sur le mien !

— Je ne saisis goutte vos paroles.

— Vous vous rappelez le joyau dont je vous ai parlé ?

— Assurément.

— Le voici, lui murmura-t-il en sortant de dessous son manteau un gros saphir.

Édith écarquilla les yeux et eut le souffle coupé, quelque chose allait trop vite, une pièce manquait à l'appel...

— Prenez-le !

— Moi ! s'écria-t-elle la panique l'envahissant soudainement.

— Oui ! Oh je sais que j'exagère à solliciter une fois encore votre hardiesse et votre témérité, mais je suis seul dans cette lutte infernale et vous êtes mon seul appui, ma seule... amie.

Ce mot lui fit l'effet d'un boulet de canon. Elle se fustigea d'avoir été ingrate à le soupçonner d'avoir commis une folie et avoir manqué de compassion à sa situation désespérée.

— Si je peux vous aider...

— J'ai besoin que vous alliez dans la chambre de Val-Griffon et que vous y cachiez le joyau. De mon côté, je serai du côté de l'appartement du Grand prévôt de l'Hôtel(6), prêt à donner l'alarme, de cette façon Val-Griffon sera fait comme un rat, c'en sera fini de lui !

— Mais il risque l'échafaud s'il est pris ! s'écria-t-elle avec de l'inquiétude dans l'esprit pour la victime.

— Oh non, non, la rassura le vicomte, tout juste un séjour à la Bastille. D'expérience, je sais qu'on y est bien. Il est noble, il est riche, il aura une belle chambre, un beau lit, des livres, de la visite même, non, non ce sera pour le mieux.

Édith ne répondait rien et examinait l'expression du vicomte de Sanloi, les entrailles agitées. Elle-même risquait gros à devenir sa complice.

Voyant qu'elle hésitait, le vicomte rangea le saphir sous son manteau et partit, triste. Sous le chambranle de la porte, il lui lança d'une voix dépitée.

— Je ne vous en veux pas, vous avez déjà tant fait pour moi... je suis peut-être fol mais je le deviens quand je pense que le Dauphin est la proie de ce rapace sans amitié pour lui !

La mention de Monseigneur, cette exquise personne qu'elle appréciait de plus en plus, finit d'abattre le dernier rempart qui résistait en elle et Val-Griffon devait enfin payer une fois pour toutes ! Édith courut le rattraper en vitesse, le tira par la manche et lui dit :

— Laissez-moi m'habiller et je vous suis !

GLOSSAIRE :

(1) Charles de Saint-Maure (1610-1690), duc de Montausier, gouverneur du Dauphin.

(2) Jacques-Bénigne Bossuet, (1627-1704). Homme d'église et précepteur du Dauphin, il est connu pour être un des plus grands orateurs du royaume.

(3) Discussion.

(4) Être retiré dans sa chambre, dans son cabinet.

(5) Renié.

(6) Louis François du Bouchet de Sourches (1645-1716), marquis de Sourches. Le Grand prévôt était chargé d'assurer la sécurité et la police là où étaient le roi et la Cour.

 

 

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