Béryl a enfin retrouvé le contact avec Azéline, malheureusement si elle peut l'entendre, elle ne peut pas la voir. D'où vient cette voix ?
« Tu as l'air bien perturbée ma pauvre Béryl, qu'est-ce qu'il t'arrive ? »
- Je t'entends, mais je ne te vois pas ! Où es-tu ?
- Je suis à côté de toi.
Béryl regarde partout autour d'elle, elle plisse les yeux pour scruter sa chambre, les murs, les meubles, le plancher, aucune trace de son amie. Ouessant remue la queue et semble s'amuser de l'attitude de la jeune femme.
« Tu me crois folle, Le Chien, je te comprends, à ta place je serais comme toi. »
Béryl tend les mains devant elle, et tente de toucher Azéline.
« Tu es toujours là ? Donne-moi une indication de ta présence, je ne t'entends plus ! »
- Je crois que ta perception est un peu altérée à cause de tes médicaments. Je pense que ça va revenir.
- Tu penses que c'est pour ça que je ne te vois plus ? C'est embêtant. Et si ça ne revenait pas ?
- Tu m'entends c'est déjà très bien.
- Ce qui est surprenant, c'est que le contact n'a pas été complètement rompu, j'ai pu deviner ton histoire à partir des cartes postales que j'ai lues. C'est exactement comme si tu parlais à l'intérieur de ma tête, ça se fait complètement naturellement.
- Je sais. Tu as besoin d'un semblant de contact physique, mais il n'est pas nécessaire. Nous ne vivons pas à la même époque, la perception des choses n’est pas la même, il faut t’habituer. La plupart des gens n’ont pas conscience de cette communication. Ils parlent d’intuition, de sensation. Ils pensent avoir eu l’idée de faire quelque chose, d’écrire une lettre, ou un texte, d’aller visiter un endroit ou d’écouter une musique, et en fait c’est quelqu’un qui vit comme moi qui leur a suggéré .
- Tu n’es donc pas toute seule ? demande Béryl un peu inquiète.
L’idée d’être entourée de revenants n’est pas très rassurante.
Azéline se met à rire :
« Heureusement que je ne suis pas toute seule, je m’ennuierais. Tu es de très bonne compagnie mais d’autres personnes partagent mon expérience et communiquent avec le futur ».
- Tu veux dire que je pourrais éventuellement communiquer avec d’autres personnes comme toi. » Béryl imagine déjà un quotidien entourée de fantômes qui lui demanderont de raconter leur histoire !
- Je pense que oui. Je t’ai choisie parce que tu étais capable de transmettre ce qui m’était arrivé, et que je sentais qu’une grande complicité était possible entre nous. Tu es quelqu’un de sensible, je savais que tu me comprendrais. D’autres peuvent avoir d’autres motivations. »
Pendant cette conversation Ouessant regarde Béryl comme si elle lui parlait. Ses yeux ont quelque chose d’humain.
« Et oui, petite Béryl, Ouessant m’aide à entrer en contact avec toi ! »
Effectivement, la jeune femme se rend compte que depuis le début, elle parle avec le chien…
« Quelquefois un animal peut servir de vecteur. Quand la communication manque de force pour une raison ou pour une autre, on peut « utiliser » un animal familier. Là encore, il faut qu’une relation privilégiée se soit créée entre la personne à qui on veut parler et le chien par exemple. »
La situation est cocasse, Béryl est en grande conversation avec Ouessant chienne Terre Neuve de 7 ans ! Les réponses d’Azéline sont probablement inaudibles pour les autres, mais est-ce que quelqu’un va s’apercevoir de l’attitude particulière du chien ? Et surtout, combien de temps est-ce que ça va durer ?
La jeune femme ouvre l’album de cartes postales :
Chère Azéline,
Ton séjour a été trop court, j’ai l’impression qu’on n’a pas eu le temps de se parler. Ma vie est différente maintenant que François est arrivé au village. Il est très intéressant. Je l’aide beaucoup, son travail est passionnant, il y a tellement de choses à faire pour aider les gens !
Tu me raconteras ce que tu fais, parle- moi de Jules…
Je t’embrasse,
Guillemette
Azie est rentrée dans le petit appartement qu’elle partage avec Germaine. Cette dernière est toujours à Paris, elle rentrera certainement la veille du début des cours.
Azéline avait prétexté qu’elle devait étudier pour revenir plus tôt à Rennes. Elle ne pouvait plus supporter la vie étriquée de Lannargan. Elle se sentait étouffer. Ses parents n’avaient pas cherché à la retenir, ils avaient même l’air contents qu’elle s’en aille. C’est décevant, mais elle peut les comprendre, un décalage s’est produit entre elle et eux. Est-ce qu’il va s’aggraver ? La jeune femme se sent seule. Il faut qu’elle aille de l’avant et qu’elle achève ce qu’elle a commencé, elle deviendra institutrice, une nouvelle vie l’attend. Elle n’a pas beaucoup de repères pour l’avenir, ça l’inquiète mais ça l’excite aussi, il y a tant de choses intéressantes à voir et à vivre !
Rien n’a bougé dans le petit appartement. Les affaires de Germaine traînent un peu partout. Azéline décide de faire un grand ménage, ranger permet de voir plus clair dans l’espace, mais aussi dans son esprit. La table est recouverte des livres et des cours de son amie, la jeune femme en fait des piles et les remet dans les tiroirs du meuble bas où ils doivent normalement se trouver. On voit que les études ne l’intéressent pas plus que ça, elle ne prend pas grand soin de ses cahiers. La belle Germaine a d’autres préoccupations. Tout l’intéresse, elle ne peut pas se focaliser sur un seul sujet, elle est curieuse de tout, c’est ce qui la rend si passionnante. Elle est tellement différente des habitants de Lannargan à l’horizon étriqué. Azéline a appris déjà tellement de choses à son contact, elle n’aurait jamais imaginé qu’on pouvait avoir accès à tant d’univers différents. Elle a découvert la musique, la politique, les sorties dans les cabarets. Les nouveaux sujets à explorer semblent illimités. Germaine apprend finalement peu de choses à l’Ecole Normale, pour elle la véritable école, c’est le monde dans son entier.
Azie peut suivre les déambulations de Germaine dans l’appartement en suivant ses vêtements. Un chapeau, des gants et des chaussures près de la porte, une veste et une robe un peu plus loin, elle a dû les enlever en entrant dans l’appartement. On reconnaît son empressement, Germaine n’a pas de temps à perdre, elle est toujours pressée, toujours prête pour de nouvelles aventures ! Ses bas et ses sous-vêtements sont de l’autre côté de l’appartement, devant le miroir où elle a dû se regarder. Azéline l’imagine complètement nue en train de se contempler. C’était quelque chose d’impossible à imaginer pour Azéline il y a encore quelques temps, se regarder nue dans un miroir ! Chez ses parents il n’y a qu’une petite glace où on a du mal à voir son visage en entier, elle sert pour toute la famille. Elle revoit Germaine la première fois qu’elle s’est examinée de la sorte devant son amie :
« Comment me trouves-tu Azie ? J’ai un peu grossi, tu ne trouves pas ? J’ai un popotin d’enfer ! »
Elle se tournait et se retournait en admirant son reflet.
« Pas mal, pas mal, il faut que je retourne chez le coiffeur par contre. »
En disant cela, elle passait la main dans ses cheveux noirs.
Azéline n’osait pas la regarder, elle n’avait jamais vu un sexe de femme, elle ne regardait même jamais le sien, ça ne se faisait pas, quant à sa mère, elle n’avait jamais rien vu de plus que son visage, son cou et ses avants bras !
« Tu es toute rouge mon Azie ! Qu’est-ce que tu es prude, allez déshabille-toi, qu’on regarde comment tu es faite ! »
Elle avait fait un pas vers Azéline en faisant semblant de vouloir mettre sa menace à exécution, ses yeux verts pétillaient de malice. La jeune femme s’était mise à trembler, ce genre de jeu ne l’amusait pas du tout !
« Allez, remets-toi, je plaisante, relax ! »
Germaine n’est pas là, Azéline se met devant le miroir, elle enlève ses vêtements et se retrouve toute nue. La femme qu’elle voit en reflet est une inconnue pour elle. Elle est grande, très fine, mais ses formes sont très féminines, elle a des seins et des fesses. Azie regarde sa peau blanche, elle a un teint de porcelaine, ses yeux bleus contrastent avec sa chevelure noire. Son reflet lui plaît, elle se sourit,
« Bonjour Azéline ! »
En se rhabillant elle sent qu’une nouvelle étape a été franchie, elle sait à quoi elle ressemble. La situation peut paraître ridicule, il a fallu qu’elle attende l’âge de 18 ans pour se voir enfin ! Elle ramasse les vêtements de Germaine, ils sentent le parfum, et l’odeur de la jeune femme, elle les respire avant de les déposer sur le lit de son amie.
FB arielleffe