Chapitre 16

Olga s'avança dans la pièce avec une assurance feinte, et posa un casier chargé de fioles au pied du lit. Elle l'avait apporté autant pour avoir quelques remèdes à sa disposition que pour se donner une contenance. Si elle n'avait aucune gêne en compagnie d'un membre de la lignée royale, elle en avait à être auprès d'un malade à qui on avait dû faire croire qu'elle le sauverait. Elle ignorait si elle était réellement en mesure de guérir le Sang d'encre. Elle n'avait su le combattre jusqu'alors, même détecté tôt, ni déterminer son mode de transmission. Ce mal était hors du commun, suspect. Il ne répondait pas aux lois de la terre.

La chambre était claire et agréable, bien que désordonnée. Elle fut surprise d'y voir quantités de fleurs sauvages, entreposées dans des récipients divers, gobelets de terre, carafes de cristal. Une grande tapisserie ornée d'animaux fantastiques cassait la fraîcheur des pierres, et l'âtre rougeoyait encore de quelques braises. Un petit écritoire était étrangement disposé, en oblique, apparemment pour avoir la meilleure disposition vis-à-vis de deux grandes fenêtres qui donnaient sur les sommets glacés des Serpantes. Des plumes de grues bleues y formaient d'autres bouquets, aux côtés d'une myriade de flacons d'encre. Aucun parchemin n'était visible, en revanche. Le lit, lui-même de disposition peu commune, permettait au malade de voir tant la porte d'entrée que les deux fenêtres y faisant face. Les rideaux étaient maintenus ouverts, noués par des chemises. Le tout ne ressemblait en rien à ce qu'elle avait imaginé.

Le prince lui tournait le dos, un dos arrondi, crispé. Le drap, remonté jusqu'aux reins, laissait à découvert une colonne vertébrale saillante, comme la crête des animaux sur la tapisserie brodée. Il n'avait pas fait un mouvement à son arrivée, ni au bruit des fioles s'entrechoquant quand elle avait déposé à terre le casier de bois. Elle fit le tour du lit, et vit ses yeux grands ouverts, animés d'une fièvre froide. Ils étaient fixés sur les glaciers dont ils avaient la couleur. La maladie était avancée. Elle lui dessinait un masque sur le visage, qui cernait ses yeux de rugosités bleues, et commençait à lui dévorer le front. Un masque de fines squames, comme des copeaux de bois sur les mains d'un l’ébéniste. Un masque troublant, qui faisait de lui une créature de conte horrifique plutôt qu'un prince malade. Ses mains et ses poignets, rassemblés sur l'oreiller, devant son visage, étaient complètement atteints par le mal. Ses doigts ne pouvaient plus se déployer sans en déchirer les chairs.

« Prince, on m'a fait venir pour prendre soin de vous. Je ferai ce qui est en mon pouvoir. N'attendez pas de miracles. Vous pourrez toujours me menacer de me mettre aux fers que je ne pourrais pas faire plus. »

Ses grands yeux, lentement, se tournèrent vers Olga, sans la regarder tout à fait.

« Les miracles... ne sont pas ce que l'on croit. Bien... Faites ce que vous voulez. Ne faites … rien … si vous préférez. »

Il n'y a bien que les fils de roi qui peuvent croire aux miracles s'agaça Olga, chauffant dans ses mains une pommade, mais par décence elle se tut. On n'importune pas un malade, même un fichu prince.