Très bien, tu es là.
Anastae hocha la tête, adossée contre un mur, soulagée de voir que Hélios l’avait bien rejointe au point de rendez-vous sans la planter comme l’avait si bien suggéré son frère une bonne dizaine de fois. Cependant, bien qu’elle tentait d’aborder une expression tranquille, la présence du deuxième prince était tellement différente de celle qu’elle avait l’habitude de ressentir avec Thalion. Ce dernier l’énervait, elle tentait de se tenir loin de lui, bien qu’il revienne toujours avec son sourire de chat, mais d’une certaine façon… cela brisait la hiérarchie sociale.
En ce moment précis, Anastae avait vraiment l’impression de se tenir devant un prince, qui ne montrait aucune expression et qui se contentait de dire des faits, sans jamais aucune once de sentiments dans sa voix. Hélios la perturbait tellement il lui ressemblait, du moins il ressemblait à celle qu’elle était avant que sa vie prenne une toute autre tournure.
La jeune fée se redressa et fit un pas vers lui :
- Tu sais où se situe la base ?
- Quel intérêt que je vienne si je ne le savais pas, répliqua-t-il sans pour autant avoir une once de mépris dans sa voix.
Une grimace chatouilla cependant les lèvres de Anastae : en temps normal, c’était elle qui agissait ainsi et elle ne savait quoi répondre devant une telle attitude. Elle se contenta donc de hausser ses épaules, indifférente, et de se mettre en route, derrière Hélios. Ce dernier n’avait pas de plan, semblait savoir où ils allaient et la seule émotion qui traversa son visage fut quand ils se fondèrent à la foule du marchée.
Anastae saisit très rapidement que cela avait un rapport avec son don : la foule devait apporter son lot d'émotions avec elle. Curieuse, elle se prit au jeu d’observer si ses émotions changeaient mais après un bref moment de trouble, il redevint aussi calme qu’auparavant :
- Tu sais, déclara-t-il subitement. Ce n’est pas parce que nous ne sommes plus seuls que je ne ressens pas tes émotions.
Il posa ses yeux sur elle :
- Pour une raison que je ne saurais expliquer, et contrairement à ton apparence, tes émotions sont bien plus fortes que celles des autres créatures. Alors, malheureusement pour toi, je connais exactement tes intentions.
Elle ne le quitta pas du regard et releva son menton :
- Cesse de m’observer et ravale ta curiosité, mon don n’est pas un spectacle.
- Très bien, rétorqua-t-elle.
- C’est tout, demanda-t-il. Pas de protestations ?
- Je ne suis pas idiote, répondit Anastae. Je comprends ton point de vue et je vais tenter de le respecter. Heureusement pour toi, tu n’es pas aussi énervant que ton frère, de ce fait, je me comporte normalement et respectueusement.
Hélios la jaugea un instant, impénétrable, cependant son regard ne fut pas suffisant pour qu’elle cesse de le fixer. Bien qu’il l’impressionnait, elle savait que ce n’était pas en étant gênée face à lui que leur mission deviendrait concluante. Anastae allait donc prendre sur elle-même, redresser ses épaules, et affronter cet événement.
Le deuxième Prince haussa ses épaules et se contenta simplement d’éviter une personne qui se collait trop à lui.
Ils marchèrent ainsi quelques minutes sans qu’il ne prenne la parole et sans qu’elle n’ose ou encore ressente le besoin d’engager le dialogue. Finalement, après quelques tournants dans une rue étroite, Hélios s’arrêta et saisit la capuche de sa cape pour la mettre sur sa tête :
- A partir de maintenant, plus aucun bruit, compris ? Tu vas me suivre et faire ce que je te dis.
- As-tu déjà participé à des missions comme celles-ci, demanda-t-elle en mettant sa propre capuche.
Hélios poussa un léger soupir, il devait sans doute trouver que ce n’était pas le moment pour avoir cette conversation et il avait sans doute raison :
- Emma trouve sans cesse des choses étranges, je me porte toujours garant de dénicher des informations, cela me change de ma vie au château.
Il indiqua du menton le bout de la ruelle alors que Anastae réfléchissait à ses dernières paroles : comment faisait l’elfe élémentaire pour toujours être au courant de tout sans même sortir du palais ? Anastae se doutait que des conversations pouvaient être entendues dans ce dernier endroit, cependant, Emma n’avait nullement le droit de se montrer aux invités ou de participer à des bals.
Les espionnait-elle ? :
- La base doit se trouver dans les alentours, nous allons tenter de trouver une entrée et si nous ne pouvons nous résoudre à réussir, nous surveillerons le lieu pendant une bonne trentaine de minutes.
- Je te suis, déclara Anastae sans rechigner parce qu’elle n’avait aucune expérience.
Aussitôt, Hélios se mit à raser le mur de la ruelle, une main à l’intérieur de sa cape comme pour être prêt à saisir une arme. Anastae, qui n’avait aucun moyen de se défendre si ce n’était en se mutilant, s’était de son côté munie d’une dague particulièrement aiguisée : elle espérait seulement qu’elle n’aurait pas besoin de s’en servir car comme le répétait souvent son père, elle était une catastrophe au maniement des armes.
Sur la pointe de ses pieds, elle imita Hélios, s’étonna d’être particulièrement calme, et scruta les environs du mieux qu’elle le pouvait à cause de l’elfe juste devant elle. Il n’y avait rien d’anormal, à part le fait qu’aucun bruit ne leur parvienne, et même en tendant ses oreilles le plus loin possible, elle n’entendait toujours rien.
Soudainement, Hélios plaqua son bras contre son torse et lui indiqua ainsi de cesser de bouger. Immobile, elle le regarda du coin de l’oeil en se demandant ce qui avait suscité ce geste quand des paroles lointaines surgirent :
- Toute cette histoire a mis du grabuge dans les affaires, tu en es consciente ?
- Je le suis, répondit une voix féminine. Cependant, il y avait sans doute de meilleures proies que cette fée.
La voix masculine fut saisie d’un rire gras :
- Facile pour toi de dire ça, tu es une fée, tu ne sais pas le pouvoir que les serviteurs détiennent dans une demeure.
- Il s’agit de la fille de l’Ancien général de l’armée, vous n’aviez pas imaginé une seule seconde qu’elle serait capable de se défendre ?
Anastae sentit son souffle se couper quand elle comprit qu’il s’agissait d’elle. Elle sentit distinctement la main de Hélios se crisper sur son haut et ils échangèrent un bref regard. En articulant silencieusement, le deuxième Prince lui dit de ne pas bouger et de se tenir tranquille.
Les yeux grands écarquillés, Anastae le regarda se détacher du mur pour passer habilement à celui d’en face, sans aucun bruit et aussi vif que l’éclair. Il avança de quelques pas alors que les voix se rapprochaient :
- Tu l’as déjà vue au moins pour ça, déclara la voix masculine. C’est une faiblarde, sans aucune énergie, et pour l’avoir vue s’entraîner, je peux te dire qu’elle n’a aucun talent en matière de défense.
Anastae pinça ses lèvres : non parce qu’il venait de l’insulter avec une facilité déconcertante mais plutôt parce qu’il l’avait déjà observée… Si seulement, elle pouvait voir le visage de cette créature :
- Oh pitié, ne me dis pas que tu es aussi idiot. Un pauvre pixis empoissonné ne pouvait rien contre elle. C’est une fée, vous nous êtes inférieurs autant sur le plan physique que moral.
- La ferme, siffla son compagnon, ou son ennemi. Tu es au courant qu’ici il n’y a plus de codes sociaux, n’est-ce pas ?
- Et je trouve cela bien dommage, soupira la fée.
Un souffle étranglé passa entre ses lèvres quand les deux personnes passèrent devant la petite ruelle, à deux rues d’où ils se trouvaient. Elle repéra tout d’abord la fée, aux longues boucles argentées, qui marchait le menton relevé, fière et imbue d’elle-même.
Bien que paniquée à l’idée qu’ils se fassent repérer, elle eut la présence d’esprit de se demander où était son acolyte. Elle en eut la réponse quand la fée souleva ses boucles d’une main et provoqua un léger décalage, dévoilant ainsi un troll, aussi vert que la fougère.
Il n’en fallut pas plus pour que Anastae comprenne qu’il s’agissait sans doute d’un de ses anciens serviteurs et qui s’était donc rebellé contre ses maîtres. Les serviteurs étaient donc bien corrompus, bien qu’elle n’ait aucune idée de combien d’entre eux était prêt à vouloir sa tête entre leurs mains.
Soudainement, la fée se figea dans la ruelle, releva encore plus son menton, et sembla froncer ses sourcils, comme perturbée. Sans qu’elle n’ait eu le temps de s’en rendre compte, Hélios lui avait alors saisi le bras sans aucun bruit et la força à se retourner, bien trop rapidement pour la demi-fée qu’elle était.
Elle manqua de pousser un petit cri quand il se mit à courir en l’entraînant à sa suite avant de se rendre compte que cela n’avait plus grande importance désormais. Ils étaient repérés :
- Bouge pas, cria la fée derrière eux au troll. On a été suivi !
- Je préviens les autres, rétorqua ce dernier sur le même ton.
Anastae s’empressa d’arracher son bras à la poigne de Hélios pour ne plus être entravée dans ses mouvements et força le plus possible sur ses jambes pour tenter tant bien que mal de suivre le rythme. Heureusement, sa capuche ne tomba et ainsi ne dévoila pas l’identité de celle qui était sur une liste noire de meurtriers.
Les bruits de pas de la fée derrière eux se rapprochaient : elle était bien trop rapide et à ce que Anastae avait vu d’elle, sa silhouette athlétique laissait deviner qu’elle n’était pas à sa première course poursuite.
Cette situation dura environ deux minutes avec les bruits de pas qui sonnaient comme son heure fatale.
Hélios, devant elle, accéléra, creusa un léger écart entre eux et Anastae sentit avec horreur ses jambes devenir de plus en plus lourdes pour signifier leur fatigue. La mâchoire crispée, elle tenta de réfléchir à un plan, n’importe lequel.
Une idée germa alors dans son esprit.
Vivement, elle tendit son bras pour saisir le derrière de la cape d’Hélios et le ralentir alors qu’elle l’entendait jurer, ce qui en temps normal l’aurait fait esquisser un sourire du fait de sa position royale. Sans plus réfléchir, Anastae passa devant lui et sauta de toutes ses forces.
C’était quitte ou double.
Heureusement, sa main rencontra les lianes qui avaient poussées sur le toit d’un pauvre habitat abandonné du marché. Elle se coupa la main elle ne savait comment, manqua de lâcher sa prise, mais avec toute la force qu’elle avait, elle s’efforça de se hisser de toutes ses forces. Pendant un instant elle crut qu’elle n’y arriverait pas, ma is Hélios qui était toujours à terre poussa sur ses jambes avec ses mains pour lui permettre de se hisser encore plus haut.
A bout de souffle, elle roula sur le haut du toit.
Anastae se ressaisit cependant assez rapidement : hors de question qu’elle laisse Hélios pourrir en bas. Ce dernier cependant n’eut pas besoin d’aide de sa part, il parvint à se hisser tout seul au bout de cette liane et à atterrir à ses côtés, sans aucun souci apparent.
La fée aux cheveux argentés était désormais à quelques pas de leur perchoir. Anastae se pencha alors, toujours en dissimulant son visage, et sortit la dague de sous sa cape. Hélios saisit de suite ce qu’elle comptait faire et saisit ses chevilles pour qu’elle puisse glisser sur le bord du toît. Retenue de cette façon, elle s’empressa, sans danger, de couper la liane en y mettant toute ses forces :
- Espèce de…, grinça la fée en contrebas.
Cette dernière sauta alors de tout son élan en avant et saisit la liane qui pendait. Anastae secoua sa tête, comme pour tenter de la dissuader, et au fur et à mesure que la créature se hissait vers elle, beaucoup plus douée et expérimentée que cette dernière, elle manqua de prendre ses jambes à son cou pour s’enfuir sur les toîts.
Seulement, elle regroupa tout son courage, tenta de ne pas faire attention à celle qui était en train de grimper pour sans doute les tuer, et finit ainsi de trancher définitivement la dernière prise de la liane. La fée ouvrit sa bouche en grand, comprit qu’elle n’avait pas été assez rapide et avec une dernière plainte, elle chuta.
Anastae ne prit pas le temps de vérifier si elle était encore en vie, et Hélios en fit de même en la tirant de nouveau sur la toiture.
Elle se redressa, manqua de glisser sur les tuiles, mais reprit rapidement son équilibre pour suivre son partenaire qui courait déjà sur le haut des bâtiments avant de sauter sur un toît adjacent. Anastae était à bout de souffle, n’ayant pas l’endurance des elfes et des fées normalement composés, et ce fut avec des jambes tremblantes qu’elle réussit tant bien que mal à suivre le mouvement.
La cape lui donnait l’impression d’être en enfer, ses cheveux collaient à sa nuque, ses oreilles sifflaient et le rouge à lèvre de ce matin coulait sur ses commissures :
- Dépêche-toi, hurla Hélios, quelques mètres devant elle.
- J-je…
Sa phrase se perdit dans sa respiration sifflante, son pied se tordit dans une tuile, elle s’effondra à terre. Honteuse d’être aussi faible, elle s’efforça de dire à Hélios qui s’apprêtait à faire demi-tour pour l’aider :
- Continue !
Violemment, elle se mordit la lèvre inférieure, du sang se mit à parler sur cette dernière, et la douleur eut comme un effet énergisant sur elle. Anastae se releva, grimaça au goût de sang, mais reprit sa course effrénée, toujours aussi fatiguée mais avec les idées plus claires.
Hélios pila alors, lui lança un regard en arrière et lui expliqua, à peine essoufflé :
- On va descendre ici et se fondre dans la foule.
Un bref regard en contrebas lui permit de prendre conscience du brouhaha du marché dans ses oreilles et de la foule qui s’y trouvait. A peine arriva-t-elle à la hauteur du deuxième Prince que ce dernier glissa au bord du toît, sauta, avec courage, et se réceptionna sans aucun souci apparent derrière un chariot. Il s’empressa de se décaler d’un pas pour lui laisser la place nécessaire pour faire de même.
Cependant Anastae savait qu’une telle chute, au mieux, lui foulerait la cheville, au pire la lui casserait. Essoufflée, elle fixa quelques secondes le sol et secoua violemment sa tête pour se convaincre d’une chose : mieux valait une jambe cassée que d’être retrouvée par la fée qui semblait vouloir en découdre.
Elle prit son courage à deux mains, glissa au bord de la toiture, et se jeta dans le vide : cela n’avait rien à voir avec l’expérience qu’elle avait vécu avec Emma, l’elfe élémentaire. A ce dernier moment, elle avait cru voler, flotter, en sécurité, retenue. Aujourd’hui, le vide qui s’ouvrit sous ses pieds la prit aux tripes, au cœur, et elle eut le sentiment qu’elle courrait à sa perte.
Rapide fut la chute, violent fut l'atterrissage.
Son premier pied rencontra le sol, se tordit sous son poids et sous sa chute et un craquement distinct résonna dans ses oreilles. Elle retint un hurlement en se mordant la lèvre inférieure, manqua de s’effondrer à terre. Au lieu de cela, Anastae s’empressa de prendre appui contre le chariot, de se retenir de tout son cœur pour ne pas hurler tant la douleur était violente.
Hélios n’avait rien vu mais dès le moment où la douleur s’infiltra dans chaque parcelle de son corps, il sursauta et se tourna vers elle, le visage crispé. Anastae ne put soutenir son regard, supplia sa cheville de guérir aussi rapidement que celle des fées et des elfes, mais elle savait pertinemment que la fracture ne guérirait complètement que dans deux jours, contrairement à environ une heure pour une fée.
Le deuxième Prince s’approcha d’elle :
- Tu t’es cassé la cheville ?!
Même chez lui, la surprise transparaissait :
- Foulée, rétorqua sans réfléchir la jeune fée en sentant sa gorge brûler.
Elle releva son menton, la bouche tremblante, avec l’impression qu’on venait de broyer toute sa jambe :
- Je ne sais pas si je vais être capable de courir.
- Tu vas boîter, mais tu n’as pas le choix.
Anastae tenta bien de poser discrétement son pied par terre mais la douleur s’intensifia à un point où elle poussa un léger gémissement. Hélios poussa un soupir, s’agenouilla dans le but de toucher son pied. Cependant, il en était hors de question. Elle se doutait bien qu’il ne ferait pas le rapprochement tout de suite, mais si des éléments tels que ceux-ci venaient à s’accumuler… Elle ne donnerait pas cher de sa peau.
Elle tourna la situation dans tous les sens, recula d’un pas d’un petit bond et déclara :
- J’ai un plan.
Il soupira :
- Arrête, s’écria Anastae en serrant des dents, l’esprit embrouillé. L’idée des toîts c’était celle de qui ? De couper les lianes également ?
- De toi, je dois bien l’avouer.
- Alors écoute moi.
Il se releva, les bras croisés, dans l’attente de son idée si brillante :
- On va partir chacun de son côté et enlever nos capuches.
Hélios secoua sa tête :
- Quel intérêt ?
Elle serra des poings, tenta de reprendre une respiration régulière. Le deuxième Prince porta une main à sa poitrine, haleta et leva des yeux remplis de douleur vers elle. Jamais Anastae ne l’avait vu autant dans le mal ni même afficher une expression si… claire.
La fée se pencha pour tendre une main vers lui, seulement il l’arrêta :
- Ta jambe… C’est horrible.
Anastae ouvrit la bouche pour lui assurer que ce n’était pas si grave, sa gorge se préparant à brûler, quand il attrapa fermement son bras, le passa au-dessus de son épaule avant de la saisir par la taille. La jeune fée écarquilla ses yeux, manqua presque de tomber en avant :
- Qu’est ce que…
- Je vais t'emmener à une calèche et tu vas rentrer chez toi. Hors de question que tu restes seule dans cet état, tu te feras tuer en quelques secondes.
La jeune fée eut l’idée de le repousser, de lui crier dessus pour qu’il la laisse tranquille, mais elle jugea, dans un bref moment de lucidité, qu’il avait raison : mieux valait qu’elle soit dans une calèche loin de lui pour éviter d'attiser sa réflexion.
Soudainement, elle pensa aux paroles de Thalion, qui avait assuré qu’elle n’avait rien à faire là-bas et si elle savait tout de même que c’était elle qui avait trouvé l’idée d’aller sur les toits, elle avait également conscience qu’elle était trop fragile dans ce monde féerique.
En retenant un gémissement, elle posa son premier par terre, ignora la moue colérique du troll qui l’avait conduite ici qui était en retard selon lui, et claqua la porte de la calèche derrière elle, perchée sur un seul pied. Cette dernière quitta les lieux la seconde qui suivit et laissa Anastae face à sa demeure et à sa propre sort.
Des excuses, ou du moins des mensonges, elle en avait : elle était tombée d’un arbre, elle s’était prise le pied dans un piège d’un lycorde ou encore, elle avait subi une nouvelle attaque. Cependant, elle craignait la réaction de son père et ce fut avec un sursaut qu’elle se rendit compte que ce dernier sortait de la demeure, une cape dans la main, une épée dans l’autre.
Elle savait également qu’il était le seul à pouvoir la couvrir pour une blessure de ce genre et que si elle voulait bénéficier des soins de sa belle-mère, il était le seul à pouvoir la convaincre. Celle qui lui faisait office de mère aurait préféré la voir se tordre de douleur devant ses yeux plutôt que de gaspiller de son don pour elle, sa “fille” qu’elle ne reconnaissait pas.
Alors, terrifiée, honteuse, dans la douleur, elle attendit que son père se retourne totalement vers elle et prenne connaissance de sa cheville cassée.
De loin, elle vit ses yeux rouges s’écarquiller et elle entendit très distinctement le bruit de ses bottes qui claquaient contre les pierres et qui indiquaient sa colère. Le cœur au bord des lèvres, Anastae se laissa faire quand il la saisit le haut de sa cape pour rapprocher son visage du sien.
La jeune fée savait que son père avait horreur qu’on baisse le regard et de ce fait, elle releva son menton, tenta de le fixer droit dans ses yeux remplis de colère. Seulement, elle sentit rapidement ses pieds quitter le sol et Anastae saisit rapidement que sa blessure allait plonger son père dans une rage folle.
Chaque petit détail qui lui rappelait le sang impur, humain, qui coulait dans ses veines suffisait pour que toute la colère accumulée durant ces dernières années resurgisse.
Par simple réflexe de survie, elle agrippa l’avant bras de son père et planta ses ongles dans ce dernier. Son père, ce monstre, resserra sa prise avec son sourire aiguisé :
- Petite idiote, je te demande seulement une chose, celle de ne pas leur faire comprendre à quel point tu es impure, et tu réussis tout de même à échouer ?
- C’était une simple erreur, siffla Antasae, la gorge serrée. Je n’en commettrai plus aucune.
- Que des mensonges.
Il la secoua, émit un rire narquois, et, par pure cruauté, donna un coup de pied dans sa cheville brisée. Anastae sentit la douleur devenir d’un seul coup surpuissante et poussa un cri étranglé. Sans pouvoir se retenir, des larmes naquirent dans ses yeux et, une nouvelle fois par simple instinct de survie, elle tenta de l’attendrir :
- Je ferai de mon mieux pour vous être digne…
- Mais regarde toi… En temps normal, tu me défies et là, miraculeusement, tu me complimentes presque ?
Il sourit encore plus :
- Tu cherches à ce que je convaincs Alvina de te soigner ?
Elle manqua de lui dire qu’en ce moment précis, à la tenir ainsi à un mètre du sol, il lui faisait peur et qu’elle n’avait aucune envie de le combattre. Puis, elle comprit que cela ne servirait à rien : son père était l’ancien général de la Reine, il aimait les batailles, qu’on cherche à aller contre lui pour avoir plus de pouvoir.
Si la détresse et la douleur qu’elle ressentait lui avait fait oublié ce léger détail, désormais, elle était plus que déterminée à avoir ce qu’elle souhaitait, la guérison de sa belle-mère pour que personne ne comprenne rien :
- Vous avez tout autant intérêt que moi à ce qu’elle me guérisse, siffla-t-elle. Si on venait à comprendre que je n’étais pas totalement une fée…
Le dire à voix haute lui faisait toujours autant peur, son secret était tellement enterré en elle que l’exprimer de cette façon lui donnait l’impression qu’elle le dévoilait au monde entier.
Son père haussa un sourcil, son sourire retomba, et il la lâcha.
Anastae n’eut pas le temps de réfléchir et atterrit sur le dos contre le sol, souleva du sable de l’allée et toussa pendant un instant, le dos douloureux :
- Si on venait à le comprendre, répondit son père, calme, les mains derrière le dos. Je te trancherai la tête devant tout le monde, je leur crierai à quel point tu étais un monstre, à quel point tu n’étais pas digne de ma famille. Je leur montrerai mon dégoût de t’avoir cru que tu étais réellement ma fille et personne ne viendra jamais à penser que j’étais au courant de ton sang-mêlé. Je ne prendrai même pas la peine de t’enterrer, je te laisserai en pâture aux créatures sauvages et je me réjouirai de ta mort. Crois moi, tu as plus à perdre que moi sur ce coup là.
Les mots si durs de son père la firent replonger dans son état d’auparavant, cette fée qui ne ressentait rien, qui se tenait à l’écart de toutes situations, qui plongeait dans un monde calme, sans cri, sans violence, pour oublier le fait qu’elle était rejetée, que son père préférait la voir morte que vivante, à ses côtés.
Anastae sentit sa bouche s'entrouvrir, un râle franchir cette dernière, sans pour autant trouver la force de répliquer :
- Cependant, continua-t-il et son sourire redevint aiguisé. Ce serait mentir de te dire que je n’aime pas te voir dans cette position, si faible, alors que les serviteurs observent sans aucun doute la scène en se disant à quel point je suis cruel de te faire subir ça. J’ai donc une seule chose à gagner dans ta guérison par Alvina.
Il s’approcha d’elle, tendit sa main, caressa sa joue d’un geste presque doux qui la fit frémir. Son père leva alors sa main, la gifla une première fois, puis une seconde fois.
Anastae sentit sa lèvre s’ouvrir, sa nuque craquer, ses ongles s’enfoncer dans le sol alors qu’elle tentait de s’éloigner de lui. Mais il saisit ses cheveux, la tira vers lui, lui arracha un cri, et enfonça son pied dans ses côtes, lui en brisa sûrement une paire à l’entente de ses os qui craquaient.
La douleur l’envahit, elle n’entendit plus le bruit des coups de son père, et elle ne comprit même pas quand il la releva, appelant sa belle-mère. Elle entendit à peine cette dernière ricaner, sentit à peine sa main sur son bras, et ce fut seulement quand les blessures disparurent qu’un soulagement sans nom l’envahit et qu’elle se sentit sombrer dans un noir profond.
Attention aux choix de mots pour ce chapitre, certains passages n'étaient pas facile à comprendre. Il y a des erreurs, comme quand tu dis : Violemment, elle se mordit la lèvre inférieure, du sang se mit à parler sur cette dernière.
D'autres sont un peu maladroites, j'ai eu du mal à tout saisir.