Chapitre 16

Notes de l’auteur : Bonne lecture :3

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     Les heures parurent interminables pour Zhen YuJin. La nuit était déjà tombée lorsqu’il reçut finalement une lettre de Zhang JingXi. Ce dernier l’informait être bien arrivé entier, ne pas avoir eu le moindre souci sur le chemin et que tout se passait bien. Apaisé, il constata néanmoins à quel point son absence lui pesait.

     Chan YinMai s’était réveillé le temps de manger un morceau, avant de se rendormir, épuisé. Incapable de trouver le sommeil, le Musivateur veilla sur lui, rassuré de voir qu’avec les heures qui s’écoulaient, la fièvre diminuait progressivement. Et puis, une nouvelle missive lui sauta à la figure, à nouveau de la part de Zhang JingXi. Ce dernier l’informait que le Chef de Clan était en train de donner des directives à ses hommes. Dès que l’aube se lèverait, HengXing ShanYao, sa sœur cadette HengXing XiaoHong et son Maître d’Armes Hei TaiYang prendraient la route en sa compagnie pour les rejoindre. Ils devraient atteindre leur campement aux alentours de midi. Il précisait dans sa missive que la sœur disparue, HengXing YeWan n’avait toujours pas donné de nouvelles.

 

     Torse nu, Zhen YuJin avait décidé d’occuper sa matinée en s’entraînant afin de ne pas laisser son esprit divaguer ailleurs. Bien qu’encore affaibli par le chagrin, mais tout de même plus en forme que la veille, Chan YinMai demeurait au chaud près du feu, mais envoyait régulièrement et sans prévenir de petites attaques sur son ami. Celui-ci venait d’esquiver un monstre de feuilles mortes et une offensive sournoise de branches cassées, lorsque Chan YinMai tourna légèrement la tête, l’attention portée vers l’horizon, avant de sourire :

     — Ah, je crois qu’ils sont là.

     Aussitôt, Zhen YuJin pivota sur ses pieds pour effectivement voir quatre cavaliers au loin qui arrivaient dans leur direction. Un caillou lui percuta l’arrière du crâne. Il se retourna vers son ami d’enfance en fronçant les sourcils de protestation :

     — Aïe !

     Celui-ci haussa les épaules en réponse. Il agita ensuite la main, manipulant son vent, pour envoyer une nouvelle volée de petites pierres vers l’autre homme qui s’empressa de les esquiver agilement :

     — Si tu as un ennemi, prie pour qu’il n’utilise pas Zhang JingXi pour détourner ton attention, tu avais totalement baissé ta garde.

     — Dans ce cas, tu n’auras qu’à assurer mes arrières, rétorqua Zhen YuJin.

     Il reporta son intérêt sur les cavaliers et vit l’un d’eux talonner son cheval pour accélérer et distancer le groupe. Il reconnut immédiatement Zhang JingXi, qui lui faisait des grands signes de la main pour le saluer et, sans réfléchir, se mit à courir dans sa direction.

     Lorsque le Cultivateur s’arrêta près de lui, il tendit aussitôt les bras pour l’aider à descendre et réalisa trop tard qu’il devait avoir l’air absolument ridicule. L’instant d’après, il oublia cette pensée ; Zhang JingXi venait tout naturellement de prendre appui sur lui pour glisser de sa monture et ils étaient à présent très proches l’un de l’autre. Il ne put s’empêcher de humer cette légère odeur qu’il avait déjà senti sur lui, un effluve de camphre, très subtile, mais agréable.

     Les mains posées sur les avant-bras du Musivateur, Zhang JingXi devait faire un gros effort pour ne pas laisser ses yeux dévorer le torse qui se trouvait devant lui. Un effort qui n’était pas si difficile en fin de compte, tant le regard de son ami reflétait son soulagement et sa joie de le revoir. Ce regard toucha le Cultivateur en plein cœur. C’était bien la première personne, en dehors de celui qu’il appelait « oncle », qui le regardait ainsi, comme s’il comptait vraiment pour lui.

     — Me revoilà, sourit-il en parlant à voix basse. Tu vois, je suis revenu en un seul morceau.

     Il eut alors le curieux sentiment qu’il venait de « rentrer à la maison », en retrouvant le Musivateur. Celui-ci acquiesça doucement de la tête et résista à l’envie de le serrer dans ses bras. Peut-être aurait-il cédé à cette pulsion si les trois autres cavaliers n’avaient pas été présents et si proches. Et peut-être que Zhang JingXi trouverait ce geste déplacé…

     Constatant que ses deux amis semblaient soudain avoir oublié le reste du monde et étaient trop occupés à se dévorer mutuellement du regard, enfermés dans leur petite bulle, Chan YinMai rejoignit le groupe et s’empressa de saluer les nouveaux venus.

     L’air amusé par Zhang JingXi et Zhen YuJin, le Chef de Clan mit pied à terre et se tourna vers le Musivateur qui s’approchait d’eux :

     — J’ai presque l’impression que nous sommes de trop.

     L’œil pétillant, il le salua :

     — HengXing ShanYao, Chef de Clan. Je présume que vous êtes Chan YinMai ?

     L’intéressé acquiesça en s’inclinant devant l’homme qui venait de se présenter :

     — C’est tout à fait exact.

     Son interlocuteur eut un petit rire soulagé :

     — J’avais une chance sur deux de me tromper. Zhang JingXi m’a beaucoup parlé de vous et de votre ami. Surtout de votre ami, en fait…

     Le Musivateur ne put retenir un sourire amusé, tandis que la jeune femme dans le dos du Chef de Clan dissimulait son propre amusement derrière sa manche, ses yeux pétillants de la même malice que son frère aîné. Il fut loin d’être vexé d’avoir été moins mentionné que le Maître du Feu. Il devinait aisément que Zhen YuJin avait dû recevoir une pluie de compliments.

     Posant une main près de sa bouche comme s’il partageait un secret, mais sans prendre la peine de baisser la voix, HengXing ShanYao continua :

     — Mais étant donné qu’A-Xi a foncé droit dans la direction de… ah… comment il a dit, hier soir ?

     Il se tourna vers la jeune femme, interrogateur, qui fit semblant de réfléchir, avant de répondre :

     — N’était-ce pas quelque chose comme « le grand beau gosse musclé » ?

     — C’est ça ! approuva son frère. A-Xi ayant foncé en direction du « grand beau gosse musclé », j’ai supposé tout naturellement qu’il devait s’agir de Zhen YuJin. Le mignon jeune homme qui restait devait forcément être le fameux Chan YinMai. Ça aurait été dommage que je me trompe quand même…

     Le Musivateur rosit en l’entendant dire ces mots. Il ne sut pas vraiment quoi répondre sur l’instant et tourna machinalement les yeux vers les deux sujets de leur conversation.

     Les joues rouges, Zhang JingXi faisait mine de ne pas avoir écouté les commentaires de HengXing ShanYao et de sa sœur. Il croisa le regard de Zhen YuJin dont les sourcils s’étaient haussés, tandis qu’il répétait à mi-voix : « grand beau gosse musclé ? ». Il lui donna une légère tape sur l’avant-bras en répliquant :

     — C’est vrai, non ? Objectivement parlant tu es grand, tu es musclé et tu es beau gosse, j’ai rien inventé.

     Zhen YuJin regretta qu’il y ait autant de monde autour d’eux. Il mourrait d’envie de le serrer contre lui, dans ses bras musclés justement et de…

     Il s’efforça de calmer ses pensées qui s’emballaient à nouveau et se pencha vers lui. Zhang JingXi sentit son cœur accélérer brutalement et n’osa pas bouger, ne sachant pas exactement ce que faisait l’autre homme. Pendant une seconde, il eut la certitude de voir ses yeux se poser sur ses lèvres, mais sa bouche ne s’en approcha pas. À la place, elle remua près de son oreille tandis qu’il lui chuchotait de façon à ne pas être entendu par le reste du groupe :

     — Tu m’as manqué, A-Xi.

     Zhang JingXi eut l’impression d’exploser de l’intérieur en sentant la voix s’insinuer dans tout son être, tandis que Zhen YuJin lui pressait l’épaule dans une étreinte à la fois douce et forte. Si HengXing ShanYao l’appelait « A-Xi » sur le ton le plus amical et complice du monde, l’intonation de Zhen YuJin au moment où il lui avait donné ce surnom était bien plus intime.

     Déboussolé, il le suivit des yeux, incapable d’ajouter quoi que ce soit, tandis que Zhen YuJin se rapprochait du Chef de Clan pour lui adresser les salutations de rigueur. Celui-ci tendit ensuite un bras en direction de la jeune femme :

     — Et je vous présente ma sœur, HengXing XiaoHong. Ainsi que Hei TaiYang, mon Maître d’Armes.

     Tandis qu’ils se saluaient tous les uns aux autres, Chan YinMai et Zhen YuJin notèrent chacun de leur côté des détails qui les surprenaient. Certes, Zhang JingXi leur avait brièvement dit qu’il connaissait le Chef de Clan HengXing, mais de ce qu’ils pouvaient tous deux constater, leur relation allait bien au-delà d’une simple courtoisie. Il y avait entre eux une forme de familiarité et de complicité auxquelles ni l’un ni l’autre ne s’étaient attendus. Zhen YuJin restait étonné de réaliser que son ami semblait vraiment connaître pas mal de monde en réalité. Mais il était soulagé de voir, qu’au moins, HengXing ShanYao faisait partie du lot. Le Chef de Clan avait une bien meilleure réputation que ZiaHo ZaYing ou qu’un patron de bordel. Il s’intéressa ensuite à Hei TaiYang et eut la certitude que sous ses airs posés et calmes, l’homme était redoutable. À force de trainer sur les routes avec les Musivateurs, le Maître du Feu avait l’habitude de croiser toutes sortes de profils différents et ce Maître d’Armes avait une façon de se tenir et de se mouvoir qui en disait long. S’il paraissait un peu plus jeune qu’eux, nul doute que son expérience de combat en revanche pouvait largement égaler la leur, voire être meilleure.

     Chan YinMai se faisait à peu près les mêmes remarques, mais s’intéressa davantage à la jeune femme lorsque celle-ci s’avança vers lui. Si quelques minutes plus tôt, elle semblait aussi taquine que son frère aîné, à présent elle affichait un visage compatissant.

     — Pardon de me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais… Je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer que vous aviez un peu de fièvre. Souhaitez-vous que je vous donne quelque chose pour pouvoir mieux affronter le reste de la journée ? demanda HengXing XiaoHong d’une voix douce.

     — A-Hong est médecienne[1], s’empressa de préciser le Chef de Clan. Vous pouvez lui faire confiance, il n’y a pas meilleur qu’elle pour remettre mes disciples d’aplomb, surtout lorsque Hei TaiYang vient de s’occuper de leur entraînement.

     L’intéressé leva les yeux au ciel :

     — S’ils étaient moins mollassons aussi.

     Alors que Chan YinMai acquiesçait, acceptant de recevoir un remède, HengXing ShanYao se tourna vers Zhang JingXi, le regard interrogateur :

     — Maintenant que fait-on ? On trace jusqu’à Jinhar pour aller voir ces fameux souterrains ?

     Le Cultivateur approuva :

     — Oui, plus vite on mettra les pieds là-bas, plus vite nous pourrons aviser pour la suite.

     Zhen YuJin l’observa un bref instant, puis hocha la tête à son tour :

     — Très bien, laissez-moi juste replier la tente et m’habiller convenablement.

     Il retourna vers leur campement, certain de sentir un regard braqué dans sa direction.

     Effectivement, le Maître du Feu ne se trompait pas. Les yeux fixés sur lui, Zhang JingXi admirait son dos, suivant le mouvement de ses muscles et la chute de ses reins. Peu après, le Chef de Clan se rapprochera de lui avec nonchalance :

     — J’avoue, il est pas mal ton amoureux, susurra-t-il.

     — Oh la ferme… marmonna le Cultivateur en se sentant rougir.

     HengXing ShanYao étouffa un rire :

     — Mais regarde-le, A-Xi. Il bande pour toi là !

     — A-Yao ! s’exclama Zhang JingXi en se plaquant une main sur le visage.

     — Eh bien quoi ? C’est la vérité, ricana l’autre. Il bande tous ses muscles juste pour toi. Je suis sûr que la tente n’a pas besoin d’autant de forces pour être repliée. Sans compter qu’il aurait pu s’habiller avant de le faire…

     Zhang JingXi soupira, les joues cramoisies et, malgré la main sur son visage, ne put s’empêcher d’avoir l’impression que le Chef de Clan était dans le vrai. Lui-même avait un mal fou à détourner ses yeux du torse nu de Zhen YuJin.

     Bon sang… Il va vraiment falloir que je me calme.

     De son côté, Chan YinMai remercia chaleureusement HengXing XiaoHong qui venait de lui donner une petite fiole dont il but le contenu d’une traite. Il avait fait de son mieux pour ne pas laisser son regard s’attarder plus que nécessaire, mais au moment où la jeune femme lui avait tendu le remède sorti tout droit d’une sacoche accrochée à sa taille, il avait nettement vu que ses poignets présentaient des marques anormales. Maintenant qu’il se trouvait à côté d’elle, il sentait que HengXing XiaoHong était plus fragile que ce qu’elle laissait paraitre. D’ailleurs, au moindre de ses déplacements, même infimes, le Maître d’Armes la suivait du regard. Chan YinMai eut alors la curieuse impression que Hei TaiYang n’était pas là pour servir de garde du corps à HengXing ShanYao, mais pour veiller sur la Demoiselle du Clan. D’un naturel discret, il ne posa cependant aucune question et lui rendit la fiole vide en la remerciant une nouvelle fois.

 

     Quelques minutes plus tard, l’ambiance dans le groupe avait radicalement changé. Le sérieux remplaçait à présent la légèreté et les plaisanteries. Ils avaient repris la route, en direction de Jinhar. Zhang JingXi avait laissé sa monture à Chan YinMai, préférant que ce dernier n’utilise pas son Énergie Spirituelle pour se déplacer, alors qu’il ne se trouvait pas au mieux de sa forme. Le Cultivateur volait sur son épée, aux côtés de Zhen YuJin perché sur la sienne, qui écoutait attentivement le Chef de Clan :

     — Comme j’expliquais à Zhang JingXi hier soir, ma sœur HengXing YeWan n’est pas du tout rentrée à la maison et je n’ai plus de nouvelles d’elles depuis plusieurs semaines. Elle a effectivement eu une idylle avec le fils du riziculteur, Yang JuZheng, mais je ne me suis jamais opposé à cette relation, bien au contraire ! Les choses semblaient sérieuses entre eux et ce garçon paraissait bien élevé et adorable avec elle, donc je ne me suis pas méfié une seconde.

     Les sourcils froncés de contrariété et les yeux teintés d’angoisse, il continua :

     — Ma sœur est débrouillarde, je ne me suis pas inquiété lorsqu’elle m’a dit qu’elle allait se rendre chez les parents de Yang JuZheng pour les rencontrer. A-Wan ne se laisse pas facilement marcher sur les pieds. Elle est partie avec lui et après ça je n’ai plus eu la moindre nouvelle. C’est par Zhang JingXi que j’ai appris que ce type semblait faire partie d’une liste de personnes disparues et qu’il était apparemment revenu travailler à la rizière ces derniers jours. Je dois avouer que je crains le pire.

     Chan YinMai baissa les yeux, tout en gardant le silence, la gorge nouée. Il connaissait cette inquiétude de ne pas savoir… et en même temps, il était presque sûr que la jeune femme appartenait aux victimes et qu’elle qui lui avait parlé durant l’un de ses rêves. Mais il ne savait pas comment aborder le sujet. Comment annoncer à un homme, qui a encore un fond d’espoir en lui, que l’un des membres de sa famille était probablement mort depuis déjà plusieurs jours… ?

     Ils arrivèrent dans la ville et prirent une ruelle qui les conduisit vers un temple. Interloqué, Zhen YuJin vit le Chef de Clan mettre pied à terre et aller attacher son cheval plus loin, imité par les autres cavaliers. Il leva les yeux vers l’imposant temple, puis les baissa vers Zhang JingXi qui se tenait près de lui :

     — … Il y a une entrée ici ?

     Ce dernier acquiesça, puis lui fit signe de venir.

     Le groupe contourna le bâtiment pour accéder aux jardins qui s’étendaient derrière. Ils avancèrent parmi les petits chemins et Chan YinMai vit HengXing XiaoHong pâlir un peu plus à chaque pas, au point que le Maître d’Armes s’empressa de se poster à ses côtés pour demander à voix basse :

     — Tout va bien ? Si vous voulez renoncer finalement, vous pouvez faire demi-tour.

     Elle refusa d’un mouvement de tête :

     — Je préfère être là, on ne sait jamais…

     Surprenant la conversation, HengXing ShanYao avait machinalement ralenti l’allure et tourna la tête vers sa sœur qui lui fit signe de ne pas s’inquiéter. Constatant que le Musivateur blond n’avait pas manqué leurs échanges, elle lui adressa un sourire forcé :

     — Je suis déjà passée par ici.

     — Vous… ?

     Il ne sut pas comment continuer sa phrase, craignant de comprendre ce qu’elle signifiait. La jeune femme baissa les yeux, puis accéléra pour rejoindre son frère aîné qui posa une main rassurante sur son épaule, n’ayant vraisemblablement pas envie de s’expliquer davantage. Le peu qu’il venait d’entendre suffisait à Chan YinMai pour imaginer bien des choses et il préféra ne pas poser de question pour le moment.

     L’allée qu’ils empruntaient se retrouva bloquée par une chaîne qui interdisait aux potentiels visiteurs qui avançaient jusqu’ici de s’aventurer plus loin. HengXing ShanYao l’enjamba, imité par les autres, et au détour du chemin, ils tombèrent sur un petit temple de pierres grises.

     Zhen YuJin regarda machinalement par-dessus son épaule, contempla le grand temple plus loin, et sentit une sueur glaciale lui inonder la nuque.

     Mettre l’entrée des tunnels sur le domaine des Dieux, mais littéralement dans leur dos, feu Ming YanShi n’avait réellement pas froid aux yeux ! Cet acte blasphématoire reflétait à quel point cet homme manquait de respect envers les êtres humains. S’il se permettait déjà de tels affronts sur les terrains des temples divins, pourquoi s’étonner de le voir ensuite traiter ses semblables comme des esclaves et des êtres à écraser.

     Il reporta son attention sur HengXing ShanYao qui avait levé une main et la maintenait à une cinquantaine de centimètres du temple gris. Il hocha la tête :

     — Le sceau est toujours en place, si nous avons des intrus dans les souterrains, ce n’est pas par ici qu’ils sont passés.

     — Le réseau court sous toute une partie de la ville, rappela Zhang JingXi en croisant les bras. Il doit être facile pour certains de creuser leur propre tunnel pour y avoir accès.

     La paume du Chef de Clan fut brièvement éclairée par une lumière blanche, tandis qu’il faisait disparaitre le mur invisible qui empêchait quiconque de s’approcher davantage du bâtiment. Il contempla ensuite l’entrée bloquée par une épaisse porte sans poignée ni serrure, taillée dans un seul bloc de granit. Il se passa une main dans les cheveux, ennuyé :

     — J’avais oublié ce détail. Il va falloir la desceller ou la détruire pour pouvoir continuer.

     Zhang JingXi observa le bloc de bas en haut, l’air admiratif :

     — Ah oui, quand tu as fait fermer l’entrée officielle, tu n’as pas fait les choses à moitié…

     — Il n’était pas question que quiconque puisse s’amuser à revenir ici, commenta HengXing ShanYao. À l’origine, on n’était pas censé devoir retourner là-dedans, mais j’avoue que j’avais oublié que c’était aussi imposant.

     À quelques pas, le Maître d’Armes fronça les sourcils :

     — Attendez une minute, vous avez une idée de comment l’ouvrir,rassurez-moi ?

     — Eh bien, je suppose qu’avec quelques talismans explosifs, on doit pouvoir en venir à bout, suggéra le Chef de Clan en se grattant la joue.

     Hei TaiYang se pinça l’arête du nez :

     — Bien entendu, vous en avez votre possession ?

     Le silence de HengXing ShanYao fut une réponse on ne peut plus parlante. Il s’adressa ensuite à Zhang JingXi :

     — Je présume que tu n’en as pas non plus ?

     — Malheureusement non, je ne savais pas qu’il fallait abattre un monstre de pierre pour pouvoir passer. Quelqu’un a des talismans vierges pour qu’on s’en dessine une petite fournée ? Une dizaine devrait suffire.

     HengXing XiaoHong commença à fouiller dans sa sacoche de médecienne, sans grande conviction, tandis que le Maître d’Armes poussait un long soupir exaspéré.

     Chan YinMai donna un coup de coude à Zhen YuJin, puis lui désigna l’entrée bouchée d’un signe de tête suggestif. Ce dernier acquiesça, puis s’approcha :

     — Quelle est son épaisseur ? demanda-t-il en s’adressant au Chef de Clan.

     Celui-ci réfléchit, puis écarta les mains d’une bonne trentaine de centimètres.

     — À ce point ?! s’étrangla Zhang JingXi en le voyant faire. D’accord, comptons plutôt une quinzaine de…. Zhen YuJin, qu’est-ce que tu… ?

     Sa question mourut au bord de ses lèvres alors qu’il observait son ami en train d’accumuler son Qi dans ses paumes. Chan YinMai les attrapa par la manche, lui et le Chef de Clan, puis les tira doucement en arrière :

     — Reculez, ça pourrait devenir dangereux.

     Les deux hommes ne se le firent pas répéter deux fois et s’empressèrent de s’éloigner du mur.

     Quelques instants plus tard, la main gauche de Zhen YuJin frappa la porte de granit en son centre et d’immenses fissures se répandirent sur toute sa surface. Zhang JingXi sentit sa mâchoire se décrocher en le voyant faire. La seconde suivante, le Musivateur abattit la droite au même endroit et la porte entière s’effondra sur elle-même. Quelques fragments volèrent sous l’impact, aussitôt détournés par le vent de Chan YinMai qui les intercepta pour éviter que quiconque soit blessé.

     Stupéfait, Zhang JingXi contempla la porte à présent réduite en morceaux, tandis que Zhen YuJin se frottait nonchalamment les paumes :

     — On peut entrer, maintenant.

     — Impressionnant, commenta Hei TaiYang.

     — Oui, en effet… murmura HengXing ShanYao dont le regard avait glissé vers l’autre Musivateur.

     Le blondinet se faisait discret, mais le Chef de Clan trouvait que sa façon d’avoir intercepté les éclats était toute aussi remarquable. Sa manière de manier le vent avait quelque chose de gracieux, les pierres avaient tournoyé quelques instants comme emportées dans un ballet, avant d’être relâchées presque délicatement au sol.

     — Rappelle-moi de ne jamais me mettre ton chéri à dos, souffla-t-il à Zhang JingXi.

     Ce dernier le poussa soudain vers l’entrée libre, sans répondre. Sans insister, HengXing ShanYao s’empressa de pénétrer dans le petit temple et ouvrit une simple trappe donnant sur un escalier qui descendait dans les profondeurs de la ville. Zhen YuJin fit aussitôt apparaitre plusieurs boules de feu pour pouvoir les éclairer et ils s’engagèrent dans les marches, les uns derrière les autres. Le Chef de Clan en premier, suivi par Zhang JingXi, puis Zhen YuJin. Hei TaiYang tendait légèrement le bras en arrière, laissant HengXing XiaoHong s’y cramponner avec fermeté. Chan YinMai fermait la marche, estimant que la jeune femme voudrait sûrement avoir quelqu’un dans son dos pour se rassurer. Son stress grimpait un peu plus à chaque marche qu’elle descendait. Lui-même se sentait plus oppressé. Il n’aimait pas les endroits clos sans fenêtre et savait que plus ils avanceraient dans le boyau souterrain, plus ils allaient s’éloigner de l’ouverture d’où ils venaient. Il déglutit, conscient aussi qu’ils se rapprochaient du corps de Ping Yu.

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[1] Médecienne : féminin de « médecin » (terme ancien)

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