Chapitre 17

Notes de l’auteur : « All I want for Christmas ... » is being alone
--> https://www.youtube.com/watch?v=yXQViqx6GMY

*Emilie

 

Noël, cette fête que je redoute chaque année depuis le divorce de nos parents, que je redoute d’autant plus depuis que nous sommes complètement livrées à nous-mêmes Clara et moi. Depuis que j’ai dû accepter que ma mère ne nous reviendrait jamais.

Je devrais être heureuse de pouvoir le faire avec ma sœur. Mais cette période de l’année m’emplit toujours d’une grande tristesse, sur laquelle je n’ai aucun contrôle. Je m’en veux beaucoup de ne pas pouvoir apprécier ce que j’ai, de ne pas arriver à me défaire de cette mélancolie qui me colle au corps. 

Hugo nous propose toujours de faire le réveillon avec sa famille. Mais je n’ai jamais été à l’aise d’accepter sa généreuse proposition. Il en fait tant pour nous. Je ne veux pas incommoder sa famille qui a accepte déjà qu’Hugo nous héberge presque gratuitement. 

Clara et moi avons pris l’habitude de partager des pizzas devant Harry Potter. Nous enchaînons les films jusqu’à s’endormir d’épuisement sur le canapé. Le jour J, je la laisse rejoindre Kenza et sa famille nombreuse. Ils adorent ma petite sœur si spontanée et joyeuse. Je suis heureuse qu’elle puisse vivre le jour de noël au sein d’une famille qui festoie, parle fort et danse toute la journée. Elle est toujours gênée de me laisser seule. Mais je n’imagine pas passer cette journée autrement qu’en extérieur. Généralement, je prends mon appareil photo et pars en vadrouille dans nos montagnes. Je ne reviens que lorsque la nuit est complètement tombée. Et je finis la saga du sorcier toute seule jusqu’à ce qu’il soit l’heure pour moi de me coucher. 

Quand j’étais au collège, puis au lycée, je passais le réveillon ou le 25 avec la famille de Vanessa, ma meilleure amie. J’aimais beaucoup ça, j’avais l’impression de vivre un vrai noël en famille. Sa mère, Christine, cuisine divinement bien. Et son père, Philippe, était toujours en train de faire le clown. On se régalait, c’était joyeux, simple. Mais j’ai dit au-revoir à tout ça, comme au reste, quand je suis partie faire mes études. J’ai tourné la page à un passé qui m’oppressait, mais aussi à des personnes que je portais sincèrement dans mon cœur. 

« Joyeux noël l’intello. Tu passes une bonne journée ? » je reçois de Martin le 25 à 13 h. Je suis comme une conne à regarder la pluie tomber par ma fenêtre avec ma playlist intitulée « émotion », autant dire la playlist qui sert à entretenir la déprime.

« Joyeux noël à toi aussi. Et toi ta journée? » je réponds. Je n’ai pas envie de mentir et espère qu’il ne relèvera pas que j’ai ignoré sa question.

Il m’appelle. J’hésite, regarde une dernière fois le paysage citadin depuis ma vitre et décroche.

- Allo ? 

J’entends des éclats de rire derrière. 

- Qu’est ce que tu fais de beau ? il me demande

Je me mords l’intérieur de la joue. Je ne peux pas lui dire la situation pathétique dans laquelle je me mets toute seule.

- Et toi ? Raconte-moi. 

Le silence me répond.

- Martin ? 

- Tu es chez toi ? 

- Oui pourquoi ? 

- J’arrive. 

- Quoi ? Comment ça tu arrives ? je panique.

Le silence me répond encore une fois.

- Martin ?! 

Je regarde l’écran de mon téléphone : il a raccroché. Je tente de le rappeler mais ce con ne daigne pas répondre.

Je grogne et regarde ma tenue. Je suis en pyjama, mes cheveux sont gras, je ne me suis ni lavée ni brossée les dents. En résumé : je suis une arme de séduction massive.

Je rouspète en me levant de ma chaise et attrape en vitesse des sous-vêtements propres, un jean et un pull et descends à la salle de bain. 

Quand Martin sonne à l’interphone, je suis habillée mais mes cheveux encore mouillés. Je me regarde une dernière fois dans le miroir et hausse les épaules. Tant pis pour le maquillage et le reste. Il n’avait qu’à pas débarquer comme ça, je me dis, maussade.

 

Je n’ai pas le temps d’ouvrir la porte de l’immeuble en grand, qu’il me soulève de terre et me serre contre lui.

Surprise une seconde par cet élan de tendresse inattendu, je ne peux m’empêcher de passer mes bras autour de son cou et d’encercler ses hanches de mes jambes. Je respire son odeur et là, comme ça, j’oublie toute ma morosité comme si elle n’avait jamais existé. Il ne dit rien, ne demande pas d’explication, se contente de me garder contre son cœur. Puis il se recule et me transporte vers sa voiture qui attend sur le trottoir, les warnings allumés.

- Mais qu’est ce que tu fais ? 

- Tu viens avec moi. 

- Martin … je proteste, lasse.

Il ne m’écoute pas et me pose sur le siège passager, allant même jusqu’à attacher ma ceinture. Je ne dis plus rien et me laisse faire. 

Une fois derrière le volant, il me jette un coup d’œil et fronce les sourcils. Mais il garde le silence et démarre. 

Je réalise que je n’ai pas fermé l’appartement à clé. Mais au moins la porte principale, elle, est toujours verrouillée.

Nous arrivons devant une maison blanche, au style très moderne, bordée par un jardin impeccablement entretenu. Il se gare dans l’allée, sous un énorme pommier. 

A l’intérieur, je perçois du bruit, des éclats de voix et une délicieuse odeur parvient jusqu’à mes narines.

Je souffle, dépitée. Je n’ai pas tellement envie qu’on me voit comme ça.

- Tu es très belle, quoi que tu portes. Et tout le monde s’en fiche que tu ne sois pas d’humeur, tu as le droit, d’accord ? il me dit, comme s’il me connaissait par cœur.

Je penche la tête, me mords la lèvre et le regarde, attendrie.

Il me prend la main et y dépose un baiser qui me rend toute chose. Ce simple contact. Juste ses lèvres sur mes doigts …

Il me décoche un sourire coquin en coin, comme il sait si bien faire. Je pouffe malgré moi. Et son sourire s’élargit face à ma réaction. 

- Let’s go Beauté ! dit-il en sortant de la voiture.

Il m’attend devant la porte, la main tendue vers moi. Je la prends avec plaisir et le suis à l’intérieur. 

- Emilie ! s’exclame Simon joyeusement, avant de me soulever de terre dans une étreinte appuyée.

Je le regarde, agréablement surprise de le voir ici, et le trouve éblouissant dans sa chemise bordeaux agrémenté d’un nœud papillon dans des tons mordorés. Ses grands yeux verts n’en ressortent que davantage. Je découvre, à la table chargée en victuailles qui se trouve derrière lui, la présence d’Anthony, élégamment vêtu, en train de se chamailler avec un jeune garçon qui ne doit pas avoir plus de 14 ans et qui lui ressemble étrangement, et d’un homme d’âge mûr qui me détaille, curieux, dans une posture très droite. Je rougis et lui adresse un sourire timide. Ses lèvres étirent élégamment son visage bienveillant et d’un simple geste, il m’invite à me joindre à eux. Puis je remarque soudainement sa ressemblance frappante avec l’homme dont je suis en train de tomber amoureuse. Je reconnais Martin dans ses yeux bruns perçants, ses sourcils broussailleux, son grand nez droit, ses mains larges, sa silhouette, du moins du peu que je puisse voir dans sa position assise. Seules sa bouche et la couleur de ses cheveux, presque noirs, diffèrent. 

Martin me guide vers un siège libre entre Simon et lui. Anthony et celui que je suppose être son frère me font face. Le père de Martin se tient en bout de table, à ma droite.

Anthony m’adresse un clin d’œil. Je lui souris et désigne son supposé frère du menton. Celui-ci le remarque et se présente gentiment en me tendant la main :

- Loïs, son petit frère.

Je lui serre la main et taquine Anthony :

- On dirait qu’il n’a pas hérité de ta réserve. 

- C’est moi qui ai pris toutes les qualités, déclare faussement modeste le concerné.

Anthony lui donne un léger coup d’épaule sans avoir l’air aucunement vexé. 

- Je vois ça, je rigole.

Entre-temps, sans que je m’en aperçoive, Simon m’a servi une assiette plus que copieuse. 

- Je suis censée manger tout ça ? je m’amuse.

- Si tu veux du dessert, Beauté, oui.

Je souris. Simon m’appelle ainsi depuis notre première rencontre, après avoir entendu Martin me dénommer ainsi, ce qui a le don d’agacer celui-ci.

Il me serre un verre de vin.

- Oui le verre aussi doit être vidé, rajoute-t-il.

Je regarde mon verre, perdue un peu dans mes pensées. Martin s’empare discrètement de ma main droite sous la table et la caresse du pouce. Et ce simple toucher me donne des ailes. 

- Allez on trinque ! s’exclame Simon.

Chacun se saisit de son verre.

- On trinque à quoi ? demande Loïs.

- Chacun dit un mot, propose le père de Martin.

C’est la première fois que j’entends sa voix. Elle est posée et discrète.

- A la bouffe et au bon vin ! clame Simon, avant de faire signe à l’adolescent de prendre la suite.

- Au champomy … déclare celui-ci en grimaçant.

J’esquisse un sourire en apercevant le regard moqueur de son frère. 

- Aux amis, dit-il en désignant tout le monde autour de lui, m’incluant dans le lot.

Je rougis, flattée d’être considérée comme telle.

- Au partage, proclame solennellement le père de Martin.

- A la beauté, dit Martin, en me serrant la main.

Simon étouffe un petit rire mais étonnamment parvient à s’abstenir de tout commentaire.

Un peu gênée de devoir prendre la parole devant tous, je dis timidement :

- Aux mains tendues. 

- Je suis ému, s’amuse Simon, théâtral en faisant mine de s’essuyer une larme au coin de l’œil.

- A nous, mes amis !! 

Et nous trinquons dans des échanges de regards chaleureux et aimants, tous heureux d’être en simple et si bonne compagnie.

 

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