Des gens murmurent autour de moi. Je ne comprends pas leurs paroles, mais j'entends mon nom. On me secoue par l'épaule, mais je ne veux pas ouvrir les yeux maintenant. Je suis fatiguée, j'aimerais bien me rendormir.
– Nausicaa…
Non, laissez-moi tranquille !
– Nausicaa, réveille-toi s'il-te-plaît…
Je grogne. Ma tête est lourde. J'ai le tournis. J'ai fait un malaise ? Encore ?
– Enfin ! s'exclame la voix qui appelle mon nom depuis tout à l'heure.
– Rafael, je marmonne, secouer par l'épaule n'est pas la meilleure façon de faire ouvrir les yeux à quelqu'un qui s'est évanoui…
– Je sais, mais ça fait déjà plusieurs minutes, et je m'inquiètais…, gémit mon ami.
Je prends peu à peu conscience de ce qu'il se passe autour de moi. Je me souvient ensuite des deux hommes qui menaçaient Liberté.
– Liberté ! je m'écris. Rafael, Liberté va bien ?
– Nausicaa, elle est juste à côté de toi…
Je tourne légèrement la tête et croise le regard de la blonde qui me sourit, l'air soulagée. Elle va bien. Elle n'est pas blessée.
– Ouf…, je soupire.
Le brouillard est toujours aussi présent.
– Et les deux autres…? je murmure.
Rafael hésite. Il regarde Liberté, puis moi à nouveau.
– Ils sont inconcients. Peut-être morts, je ne sais pas, je n'ai pas osé les approcher, de peur qu'ils m'attaquent.
– Qui leur a fait ça ? je le questionne.
Liberté me pointe doucement du doigt, l'air désolée.
– ...Moi ?
Je me lève et avance vers les deux hommes, étendus face contre sol. Je pose deux doigts sur leur gorge. Je ne sens pas leur pouls. Ils sont morts… Je les ai tués. Mais comment ? Je suis capable de mettre fin aux jours de quelqu'un en faisant un malaise, maintenant ?
– Qu'est-ce qu'il s'est passé ? je souffle dans un filet de voix.
J'ai parlé tellement bas que je ne suis pas sûre que mes amis m'ait entendue. Je me redresse et fait le tour de la zone des yeux. Où est ma sacoche ? Je l'avais avec moi tout à l'heure.
Je la vois ensuite, abandonnée sur le sol. Je remarque, étonnée, que la lanière est brûlée et séparée en deux. Elle a dû tomber de mon épaule à cause de ça. Elle est noircie et abîmée, comme mes vêtements d'ailleurs, mais je n'en prends conscience que maintenant.
À nouveau, je me tourne vers mes compagnons et leur pose la même question.
– Rafael, Liberté… Que s'est-il passé ?
Le rouquin soupire et prend une inspiration tremblante.
– Je ne sais pas vraiment… Comment expliquer ?
– À toi de savoir et de me le dire, dis-je. Liberté ne peut pas le faire.
– Lorsque l'homme qui menaçait Liberté a pointé son pistolet sur moi, tu as hurlé et tu as commencé à… à prendre feu, hésite mon ami, cherchant ses mots.
– Pardon ? je murmure, sidérée.
– Ne me regarde pas comme ça ! s'écrie le jeune homme en levant ses mains se devant lui. Je n'y peux rien.
– Comment est-ce que…, je bredouille. J'ai… j'ai senti quelque chose brûler en moi, mais qu'est-ce que c'était ?
– Comment veux-tu que je le saches ? lance Rafael, amer. De ce que j'en ai vu, ça ressemblait beaucoup à de la magie.
Je hausse les épaules. Je n'étais pas moi-même à ce moment, j'en étais sûre. Ça me rappelle mon combat contre Shadow… et cette voix.
– Continuons à avancer vers Stëlle et quittons ce brouillard au plus vite. Il me file la frousse, conclut Rafael.
J'acquiesce.
Plus tard, Rafael se rapproche de moi, et, en veillant à ce que Liberté ne l'entende pas.
– Qui est Karan ?
Mon visage se fige. Je reste bouche bée, comme un poisson hors de l'eau, interdite.
"Oh… intéressant" souffle la petite voix moqueuse dans ma tête.
Je ne sais plus quoi dire.
– Qu'est-ce que tu veux dire ? je murmure.
– Nausicaa, ne me fais pas croire que tu parlais réellement toute seule, l'autre fois.
– Tu as entendu ce que j'ai dit à ce moment-là ?
Comme en réponse à ma question, ses pupilles dorées s'illuminent d'un éclat plus fort.
– Tes yeux… plusieurs fois, je t'ai vu les poser sur mon omoplate. Tu peux voir ma marque ?
– Si tu parles de la grande tâche noire avec une mauvaise aura sur son dos, oui je peux. Même à travers des vêtements, et peu importe le nombre de couches que tu mettras.
– Comment est-ce possible ? C'est de la magie…? je demande.
– Pas comme dans les contes et les histoires, non ! soupire-t-il, un sourire peiné aux lèvres. Dans ma famille, on est capable de percevoir quelque chose que les autres ne voient pas. Ça peut être les émotions, l'aura, ou même les pensées parfois. Il existe plusieurs déclinaisons.
– C'est… fascinant. Je n'en avais jamais entendu parler… mais pas étonnant, vu que je n'ai jamais quitté Selka, j'affirme.
Rafael passe une main dans ses cheveux, gêné, les joues rose.
– Ma famille est assez secrète. Personne ne les connait, et ils ne connaissent personne.
– Et Cassandre ? Elle est capable de faire ça aussi ?
– Faire quoi ?
– Ce que tu peux faire… voir l'aura des gens, je crois ?
– Ah, non, elle ne peut pas. Elle, elle peut voir les émotions, sous forme de couleurs, si je me souviens bien. Son pouvoir n'est pas aussi développé que le mien… mais elle est douée dans plein d'autres choses ! affirme-t-il.
Je souris. Rafael a l'air de beaucoup aimer sa grande sœur. J'aurai aimé avoir de tels liens avec Anton, mais maintenant, c'est trop tard.
– Mais Nausicaa, ta marque…, continue le rouquin en revenant au sujet précédent. Elle a une aura effrayante et… sombre.
– Je sais. Je veux aller à Stëlle pour trouver un moyen de dissiper le sort qui m'a été lancé.
"Et pour te débarrasser de moi."
– Apparemment, Stëlle est connue comme la ville des mages, autant que Selka qui est connue comme la ville des mercenaires, j'ajoute.
– Oui, tu as raison.
Je passe ma main sur mon épaule, là où ma sacoche a laissé un vide, puisque je ne peux plus la porter en bandoulière, et également, sous ma chemise, là où ma marque s'étend, inquiétante.
– Et pour Liberté, tu as vu quelque chose ? je demande, curieuse.
– Non. Et ça me taraude depuis quelques temps. Je ne vois aucune trace d'aura sur elle, nulle part. Même pas sur sa gorge.
– Peut-être que sa voix est comme ça de naissance, je suppose, pas vraiment sûre de ce que je dit.
– Tu as déjà entendu parler d'une voix qui peut blesser les gens, toi ? me rappelle Rafael.
– Non… C'est vrai que ça sonne idiot, dit comme ça. Mais comment savoir ? Elle est amnésique. Et elle ne peut pas parler, de peur de nous blesser, ou pire.
Je jette un coup d'œil à mon amie, quelques pas derrière nous. Je croise son regard interrogateur. Je ralentis pour la laisser nous rattraper.
– J'ai parlé à Rafael de ma marque.
Elle hausse les sourcils. Elle paraît étonnée. Peut-être pensait-elle que je ne le comptais pas le dire à notre ami.
– Maintenant que je t'ai parlé de mon but et problème principal, j'ai une question, Rafael, dis-je.
– Je t'écoute…
Il semble avoir deviné de quoi je veux parler.
– Pourquoi tu veux aller à Stëlle ? Pourquoi tu as accepté de nous accompagner, Liberté et moi, jusqu'à là-bas ?
– Voyager à plusieurs est plus agréable. Et puis, je me suis dit que j'allais avoir besoin de toi.
– De moi ? je répète en fronçant les sourcils.
– Oui… c'est Cassandre qui m'a dit ça… En fait, je suis à la recherche de mes parents. Ils font partie d'une organisation dont Cassandre fait partie aussi, mais je ne veux pas avoir besoin d'elle pour les retrouve. Je veux le faire moi-même.
Il semble avoir un grand besoin d'indépendance.
– D'accord…, je souffle.
Rafael ne dit plus rien.
Il semble que la discussion s'arrête là.