Chapitre 17

Par Saphir

Je me tiens droite. Je ne peux pas bouger, mais de toute manière, où pourrais-je aller ? Mes yeux sont clos, mais si je les ouvre, je n’y verrai pas plus clair.  Je ne peux pas parler, et même si je le pouvais, personne ne m’entendrais.

Je sais pourquoi je suis debout, là, sans rien faire. J’attends. J'attends quelqu'un. J'attends Azarielle.

– Allez, Nausicaa. Il est temps de quitter cet endroit.

 

J'ouvre les yeux en sursaut. J'ai l'impression de souvent faire des rêves de ce genre, ces derniers temps, mais là… Une voix m'a parlé. Elle était douce et chaleureuse…

Dans mon rêve, j'étais persuadé d'attendre Azarielle. Pourtant, maintenant que je suis revenue à la réalité, elle me semble beaucoup plus étrangère et lointaine.

"Azarielle ?" répète Karan. "Comment peux-tu la connaître ?"

Je ne la connais pas…

"Oh, attends, ne dis rien. Je sais."

Je ne dis rien, patientant, mais Karan n'ajoute rien.

– Nausicaa ? appelle une voix à ma gauche. Tu es réveillée ?

– Oui. 

Je me tourne sur ma couchette et regarde Rafael. 

– Qu'est-ce qu'il y a ? je murmure.

Je mets de côté les paroles de Karan et me reconcentre sur le présent. Je me redresse sur ma couchette et observe le ciel et le brouillard opaque. Je ne sais même pas s'il fait jour ou nuit.

Par réflexe, je regarde Liberté, allongée non loin de moi. Heureusement, elle est toujours là. Elle est réveillée, elle aussi. Ses yeux couleur pomme croisent les miens. 

Je me lève et mon regard est attiré par ma sacoche. Je ne sais pas comment je vais faire pendant la suite du voyage.

– Je vais faire un feu et on pourra préparer un petit-déjeuner pour partir ensuite, dit Rafael. 

Je hoche la tête.

Au loin, j’aperçois le lac auprès duquel nous nous sommes arrêtés pour passer la nuit. Et soudain, là-bas, dans la brume, je vois deux points lumineux. Des yeux. Je jette un coup d'œil à mes compagnons, puis m’avance vers l’étendue d’eau. 

A ma gauche, je remarque une silhouette penchée au-dessus de l’étang. Elle s’aggroupit, met son bras dans le liquide, puis d’un seul coup, la personne tombe en avant. J’hésite à y aller, mais je me rends compte que les yeux brillants que j’ai aperçus tout à l’heure apartiennent à un gigantesque serpent ondulant à la surface de l’eau.

Un long frisson glacé remonte du bas de mon dos jusqu’à ma nuque. Je recule pas par pas, apeurée, et décide de retourner auprès de mes amis. 

Quand je les rejoins, Rafael, qui était accroupi, se relève et se tourne vers moi avec un air soucieux.

– Tu entends cette musique ?

Je tends l’oreille, curiseuse.

– Non, je n’entends rien. Tu…

– C’est une mélodie lnente et triste… Et envoûtante…

Je m'assois à côté de Liberté, les sourcils froncés. C’est étrange… 

Ce brouillard me met vraiment mal à l’aise. J’ai hâte qu’on en sorte. Ensuite, nous arriverons à Stellë. Je ne sais pas du tout ce que je ferai après ça, mais j’aurai largement le temps d’y réfléchir plus tard.

“Tu sais qu’il n’y aura peut-être personne capable de dissiper le sort que Shadow t'a lancé.”

S’il te plaît, Karan, tais-toi.

Liberté me passe une lamelle de viande séchée. Je la remercie, et croque dedans. Nous prenons le petit déjeuner tous ensemble dans le silence. Je crois que nous sommes tous fatigués. Tout cette brume, c’est oppressant, il faut bien l’avouer. Rafael ne cesse de regarder en direction du lac.

 

– Il faut que j’aille là-bas, déclare-t-il soudainement.

– Vraiment…? Pourquoi ? je demande.

– La mélodie… Elle vient de l’étang. Je… je ne sais pas pourquoi, mais j’ai envie d’y aller.

Je fronce encore plus les sourcils, vraiment sceptique. Mais je ne dis rien de plus que :

– C’est dans la direction de notre destination, de toute façon…, je murmure.

Nous levons le camp et commençons à marcher. A mes côtés, Liberté grelotte.

– Tu as froid ? je demande doucement.

Elle hoche la tête, les yeux rivés sur ses pieds.

– Rafael, tu sais quand est-ce qu’on sortira du brouillard ? je l’interroge.

Il ne répond pas. Je m'approche de lui et m'apprête à poser ma main sur son épaule pour le forcer à se tourner vers moi, mais soudain, il se met à courir. Avant même que je ne réagisse, il est parti loin devant, droit vers le lac.

– Mais qu’est-ce qui lui prend ? je m’écrie, choquée. Qu’est-ce qui lui arrive ?

Liberté secoue la tête, les yeux écarquillés;

– Vite, suivons-le !

J’espère qu’il ne va pas faire n’importe quoi… Inquiète, je repense à la silhouette que j’ai vu glisser dans l’eau et au long serpent aux yeux brillants. 

 

Mon amie et moi arrivons au bord du lac au pas de course, essouflées. 

– Où est Rafael ? j’halète, le cœur battant.

L’eau est plus sombre que la nuit, et à cause de la brume, je ne vois rien autour de moi, même pas le soleil. J’attrape la main de Liberté, ne voulant pas la perdre.

Puis peu à peu, des notes de musique montent à mes oreilles. La mélodie dont parlait Rafael. Elle m’attire. Un petit sourire naît sur mes lèvres. J’ai envie de plonger dans le lac, car je sais que c’est de là que provient l’air que j’entends. Mes doigts lâchent lentement ceux de Liberté. Je ne sais même pas si elle le remarque.

Je m’avance dans l’eau. Je ne me soucie plus de rien.

Le liquide recouvre mes chevilles, s’engouffre dans mes chaussures, monte jusqu’à mes genoux, alourdit mon pantalon, fait flotter ma chemise autour de moi.

Je ferme les paupières, et avance toujours plus. Je m’enfonce dans l’étang jusqu’aux épaules, puis jusqu’au menton. Je prends une grande inspiration et plonge. 

 

L’eau me recouvre entièrement, et ce n’est que maintenant que je me rends compte que je suis en train de me noyer. Je ne sens plus le fond du lac sous mes pieds. Je me débats pour remonter à la surface. Je suffoque, je n'ai plus d'air. Ma poitrine me brûle. Je pousse un cri silencieux qui libère quelques bulles. Elles remontent vers la surface tandis que je sombre. J'ai l'impression que des mains s'agrippent vers le fond. Désespérée, je me laisse faire. Je me demande simplement si Liberté m'a suivie ou non.

 

J'ouvre lentement les yeux, gémissante. Autour de moi, c'est le noir complet. Tout est silencieux. Mon dos me fait mal, ma poitrine aussi. Ma respiration est inégale, irrégulière. Je tousse, et me tourne sur le côté. Quelque chose me griffe la côte. Je pousse un petit cri de douleur.

"Tu es enfin réveillée !" s'écrie une voix dans ma tête.

– Karan…

"Toujours là."

– Malheureusement.

Elle fait comme si elle n'avait pas entendu.

– Tu sais où je… où nous sommes ? je la questionne.

"Je n'en ai aucune idée. Je ne prête pas attention à chacun de tes mouvements et à tout ce que je fais, tu sais."

Je me relève lentement, les bras tremblants.

– Tu n'es vraiment pas utile.

"Je ne suis pas là pour être utile" gronde Karan.

Je cligne des paupières plusieurs fois, essayant de m'habituer à l'obscurité. Pourquoi j'ai plongé dans ce lac, déjà ? J'ai entendu cette musique, et je n'ai pas réfléchi… Je vais tenter quelque chose. Je crie. Ma voix rebondit sur une paroi et me revient en un écho.

 

Je m'assoie et ramène mes genoux contre ma poitrine. L'air est humide. Je suis encore près du lac, mais comment est-ce possible. Puis je décide de me lever et de voir un peu autour. Je tends mes bras devant moi et marche lentement, pas par pas. Je parviens, après quelques minutes de tâtonnements, à un mur. Il est mouillé et rugueux. On dirait de la pierre. Voilà pourquoi il y avait de l'écho tout à l'heure.

"On dirait que tu es dans une grotte" dit Karan, dépassant ma pensée.

Je frissonne. Je suis un peu claustrophobe, et savoir que je suis bloquée dans le noir me met vraiment mal à l'aise.

 

Je suis le mur, la main collé dessus. Puis, soudain, une lumière bleue m'aveugle. Je plisse les yeux, mets ma main devant mon visage et avance. La lueur provient du fond de l'eau, mais elle est puissante tout de même. Je me rends ensuite compte que la pierre s'arrête et qu'une cascade tombe du plafond jusqu'à un bassin juste devant moi. C'est de ce bassin que la lumière vient. D'ailleurs, elle ne cesse de grandir. Je crois qu'elle remonte à la surface…

 

Une tête sort de l'eau dans une gerbe d'éclaboussures. Deux yeux brillants me fixent. On dirait ceux du serpent du lac. Grâce à la lumière, je peux enfin apercevoir la grotte où je me trouve, mais ce n'est pas ce que je regarde. Devant moi, une femme au visage couverte d'écailles me scrute.

"Oh, intéressant…, souffle Karan, la voix amusée. Nausicaa, je te présente les sirènes."

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