CHAPITRE 16
― Je vous ai vu accompagner les policiers lors de leur enquête… commença Kinna en pianotant sur son clavier.
Elle faisait mine de poser la question de façon désinvolte, mais une tension était notable dans le son de sa voix.
Sorc se permit de sauter sur la table pour s’y asseoir.
― Oui. Ils m’ont convoqué pour tenter de les aider.
― Convoqué ? Pour les aider ? Depuis quand la police se met-elle à convoquer les sorcières et à leur demander de l’aide ? Et vous, vous avez accepté ?
― Et bien, oui. Vous êtes jeune, je ne sais pas si la notion de “Corbeau Blanc” vous est familière.
Kinna se tourna vers Sorc, surprise.
― Celui de la Guerre Froide ?
― Celui-là même. À ma propre surprise, il semblerait que la communication n’ait jamais été coupée.
― Plusieurs siècles plus tard ? Vous plaisantez.
― Je crains que non. J’ai reçu il y a quelques jours un message de la Ville porté par un corbeau blanc.
― Mais attendez, le “Corbeau Blanc” ? La ligne de communication d’urgence mise en place entre Ville et Zone au cours de la Guerre Froide ? Quel rapport avec vous, aujourd’hui et cette enquête ?
― Et bien je ne suis pas sûr de savoir, mais je me devais de venir voir.
― Non, vous auriez pu l'ignorer. Ça pue le faux corbeau.
― Jamais il n’a été fait mention dans l’Histoire de l’utilisation d’un faux corbeau. C’est le principe même de cette ligne. Le dernier lien de confiance.
― Je l’aurai ignoré quand même, dit Kinna.
― Vous n’avez pas mon âge, vous ne savez pas.
― Ah parce que vous oui ? Vous avez vécu la Guerre Froide peut-être ? s’amusa Kinna.
Sorc ne répondit pas.
Kinna, décontenancée, tenta de reprendre la conversation.
― Et pourquoi vous ? demanda-t-elle.
― C’est une très longue histoire. Mais disons que je suis une sorcière spécialiste de ce que les habitants de la Ville appellent des “monstres” qui ne contrôlent pas leurs pouvoirs.
― C’est donc cela leur piste ? Un être issu de la Zone à l’origine de ces morts et de ces incendies ?
― Ce n’est pas une mauvaise piste, même si elle me laisse de plus en plus perplexe.
― Vous n’y croyez pas ?
― Plus vraiment. Je pense que quelque chose de bien plus important est en train de se produire. Mais j’imagine que vous avez des choses à m’apprendre sur tout cela n’est-ce pas ? Pourquoi m’avez-vous fait venir ici ? Que faisiez-vous sur la scène de crime ?
Kinna hocha la tête et se retourna vers ses écrans.
― Mes recherches personnelles portent sur ce que j’appelle les “lumioles”.
― Les lumioles ? Qu’est-ce que c’est ?
― Comment expliquer cela de façon simple…Vous savez ce que sont les lumilles n’est-ce pas ?
― Oui bien sûr. J’en possède une colonie. Très pratique pour détecter les éléments ensorcelés.
Sorc repensa à la porte cachée qu’il avait découverte chez les krats grâce à ses lumilles.
― Exactement, reprit Kinna. Les lumilles sont attirées par les effets de la sorcellerie et cherchent à s’en rapprocher.
Sorc acquiesça, Kinna reprit son explication.
― Les lumioles quand à elle, sont des êtres attirés par les effets des pouvoirs divins et qui cherchent à s’en approcher.
Sorc écarquilla les yeux.
― Impossible. Pourquoi n’en ai-je jamais vu ou entendu parlé ?
― On ne peut presque pas les voir. Contrairement aux lumilles qui brillent, les lumioles, au contraire, absorbent la lumière et forment, dans certaines circonstances, de minuscules points noirs dans notre champ de vision. Très proches des artefacts qui flottent parfois devant nos yeux lorsqu’ils ont été éblouis. De plus, il s’agit d’une recherche très récente sur laquelle je travaille encore, avec du matériel de toute dernière technologie. Il aurait été impossible de découvrir leur existence auparavant.
Sorc en était abasourdi.
― Vous voulez dire qu’en suivant ces “lumioles” vous pouvez détecter l’action d’un Dieu dans notre quotidien ?
― Non pas vraiment. Je n’ai pas de colonie de lumioles comme l’on peut en élever une de lumilles. Mais lorsqu’elles sont nombreuses à se déplacer en même temps, cela créé une légère déformation de la lumière, ainsi que de l’espace-temps. À l’échelle de l’infiniment petit bien sûr. Ce sont ces écarts infimes dans un paysage donné que je tente de détecter avec mes machines et mes ordinateurs.
Sorc resta un temps silencieux, peinant à appréhender l’ampleur de cette découverte. Il se leva et s’approcha des écrans à la recherche d’une représentation concrète de ce qui venait de lui être expliqué. Mais les dalles n’affichaient qu’un assemblage de motifs complexes, de nombres et de courbes, de graphiques et de points.
Et son mal de tête commença à le reprendre.
― Expliquez-moi ce que vous voyez sur ces écrans. Où se trouve l’information ?
― Oh, ce serait bien trop complexe à expliquer, mais je peux vous montrer quelque chose de plus explicite.
Kinna pianota sur ses claviers, faisant rouler sa chaise d’un bord à l’autre du bureau. Puis après quelques manipulations supplémentaires, elle tourna finalement l’un des écrans dans la direction de Sorc.
Devant lui se dévoilait une carte de la ville. Une carte criblée de petits points, parfois solitaires, mais le plus souvent regroupés par essaims.
― Chaque petit point est une distorsion de l’espace-temps que j’ai pu mesurer au moment où je visais la région de mes appareils. Je les ai assemblés sur cette carte…
Sorc mit un peu de temps à se repérer et à comprendre où la scientifique voulait en venir.
― Il y a des points dans les quartiers ouest, quasiment aucun dans le centre ville, finit-il par annoncer.
― Oui. La religion est bien plus présente dans la petite-zone. Mais ce n’est pas ce que j’ai à vous montrer. Regardez plutôt ici, ici ou là.
Elle pointait du doigt des amas de points discrets qui apparaissaient dans les quartiers d’habitations plutôt riches de la ville.
Sorc se figea.
― Les différents lieux d’incendies !
― Exactement. D’où ma présence ce matin dans les égouts de la Ville. Lorsque j’ai eu vent d’un nouveau feu, j’ai voulu venir voir. Plus par curiosité scientifique qu’autre chose je dois dire.
Sorc ne répondit rien pour un temps. Il observait la carte avec effarement et minutie.
― Pour tout vous avouer, finit-il par annoncer, je ne suis qu’à moitié surpris. Cela fait un moment que je soupçonne des interventions divines dans cette histoire. Mais de là à pouvoir les visualiser sur une carte ? C’est extraordinaire. Vos recherches pourraient changer la face du monde.
― C’est pourquoi je tiens à ce qu’elles restent privées le plus longtemps possible. N’en parlez pas à la police je vous en prie.
― Bien sûr que non ! Vous avez ma parole.
― À vrai dire je peine même à bien réaliser l’étendue concrète de cette découverte. Je suis presque soulagée de pouvoir la partager avec quelqu’un ce soir, le poids devenait vraiment difficile à porter.
― Vous avez créé un détecteur à Divinités...
― Pas vraiment, je ne peux pas cibler toute la Ville en même temps, seulement petites sections par petites sections. Les calculs sont lents et les lumioles ne restent pas indéfiniment sur les lieux qu’elles ont visités. Il y a donc aussi une bonne part de hasard au début, de déduction ensuite. J’ai pointé mes détecteurs vers le sous-sol des krats ce midi, j’y ai bel est bien trouvé des résidus de distortions. Il y a une divinité d’impliquée.
― Peut-on faire un essai ? demanda Sorc.
― Un essai ?
― Oui, là, maintenant, peut-on pointer vos machines sur un point de la ville ?
― Vous avez une zone particulière à scanner ?
― Disons que je m’inquiète du devenir d’un lieu en particulier oui.
― Vous avez l’adresse ?
Sorc donna à Kinna l’adresse de l’appartement de Peet. Cette après-midi il était, contre toute attente, encore sur pied, avec sa grande fresque inaltérée sur ses murs. Mais pour combien de temps ?
Kinna entra l’adresse dans ses ordinateurs, ainsi qu’un foule d’autres données que Sorc n’aurait pu identifier. Les doigts de la jeune sorcière tambourinaient sur les claviers à une vitesse impressionnante. Elle finit par appuyer sur un dernier bouton avec énergie.
Les ventilateurs des ordinateurs redoublèrent de ronflements et les écrans clignotèrent de signaux et graphiques en vrac.
― Je vous préviens, cela va prendre un peu de temps, dit Kinna en se tournant vers Sorc.
Suspense, suspense !
Globalement, j'aime où ça va, je trouve ton univers riche, je dirais seulement que quelques indices plus tôt aideraient à ancrer plus l'univers (je me disais que 2 plans pourraient t'aider : les vêtements et l'architecture)
À bientôt
Merci !
Oh mais oui c'est vrai, la croisée des mondes, je n'y pensais plus mais tu as raison, ça ressemble un peu ! : D
Normalement on a déjà parlé des lumilles lorsque Sorc trouve la porte cachée dans le sous-sol des Krats, mais ce n'est peut-être p
Je note aussi pour les vêtements et les architectures, c'est vrai que je les présente peu.
Merci pour ton message : )
J'aime bien la tournure que prenne les choses. Surtout les explications liées au lore, que même les personnages sont en train de découvrir. Mêler science, magie et sorcellerie est une super idée que je trouve assez bien développée ici. En plus, cela ouvre de nouvelles pistes pour l'enquête.
Une difficulté que j'ai personnellement c'est de ne pas noyer mes textes de lore, ce qui complexifie tout très vite. C'est pour ça que je trouve que le lore de Feux est admirablement bien amené, on sait qu'il nous en reste à découvrir (nuance/différence entre magie et sorcellerie, fonctionnement des projections, etc.) sans que ça nuise à la compréhension de l'histoire.
Merci beaucoup pour tous ces compliments, c'est vraiment très gentil et super encourageant !
La suite de l'histoire est écrite de façon un peu plus laborieuse de mon côté (j'ai commencé à me demander où j'allais vraiment comme ça x'D), donc il est possible que ce soit moins fluide ou quoi, n'hésite surtout pas à me dire si tu décroches ou si tu remarques des choses pas terribles : )
Merci encore pour ta lecture et tes messages ! ♥