Chapitre 16 - Cuisine à deux
Cette symphonie culinaire, c’était du sérieux.
Marion commença sa création sitôt rentrée du jardin potager avec Léo. Elle partagea avec lui, tous deux penchés sur des feuilles de papier, les idées qui lui étaient venues et qu’elle dessinait grossièrement. Ses premières ébauches. Sa vision de la chose. Elle la voyait tel un repas extraordinaire dont ils seraient le duo créateur, l’un féminin, l’autre masculin. Une harmonie devrait être trouvée entre les deux pôles, les liant pour l’éternité dans une danse universelle. Tous les sens seraient de la partie, bien sûr, et chaque éléments devraient constituer les plats du menu. La vue, l’ouïe, le goût, le toucher et l’odorat s’allieront avec le minéral, le végétal, l’animal et l’hominal. Pour faire le lien, les principes vitaux devront être appliqués : la terre, l’eau, le feu et l’air.
Léo l’écoutait, fasciné. Jamais il n’aurai imaginé constituer un repas en tenant compte de préceptes aussi fondamentaux.
- Mais si tu veux que notre menu tienne la route, il faut en tenir compte, certifiait Marion tout en jouant de son crayon sur une feuille remplie de croquis et de notes. De l’harmonie entre les plats et autour de la table, tout doit être parfait !
- Je croyais que rien n’était parfait en ce bas monde ? interrogea Léo.
- Non, c’est vrai, se rectifia-t-elle. Mais, on peut tendre vers la perfection, non ? C’est aussi ça la transcendance.
- Parce que tu veux aussi y mettre de la philosophie ?
- Non, de la spiritualité.
Il sourit presque malgré lui.
- ... Parce que si on ne met pas d’amour dans ce qu’on fait et dans la cuisine en particulier, comment veux-tu en tirer des bienfaits ? la singea-t-il en s’amusant de ses paroles souvent répétées.
- Exactement ! cligna-t-elle d’un œil. Tu auras beau travailler les meilleurs produits du monde, si tu le fais sans amour, ça se sentira quand même dans l’assiette. Il manquera toujours quelque chose à ton plat. Ce sera difficile à définir, mais ce sera de cet ordre. Je te l’assure.
Il approuvait silencieusement tout en lui souriant. Puis, il se concentra sur les croquis. C’était elle, la chef d’orchestre. Lui, le premier violon. Un maître de la pratique, celui par qui tous les instruments et la matérialité de la chose devront passer. Elle était le lien entre l’immatériel et la réalisation concrète, celle qui donnait vie. Marion dessinait la représentation d’un plat qui lui passait par la tête.
- Tu vois, ça pourrait être un truc comme ça, pour l’entrée... disait-elle en traçant la silhouette d’un feuilleté. Tu fais la base solide, bien minérale, avec une assiette en pierre, genre ardoise, marbre ou autre chose. Ensuite, tu construits ton feuilleté comme un mandala vertical, un truc qui élève, quoi. Et tu le fais rond, parce que la rondeur, c’est la forme finie la plus harmonieuse de l’univers, celle qui contient toutes les autres. Ça pourrait être une sphère, aussi, mais ça serait plus dur à réaliser pour une entrée. Donc, il y aurait une base végétale pour commencer, puis l’animal, en trouvant une viande ou un poisson qui s’accorde... et l’hominal... là, on pourrait faire une sorte de gelée qui maintiendrai une forme symbolique à l’intérieur qu’on aurai fait avec plusieurs colorants alimentaires, comme la betterave, la carotte... et faire toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.
- Et les éléments chinois, là ?... demanda-t-il.
- Eh bien, la terre est représentée par la base végétale, la plante qui pousse dans la terre, l’eau, elle est forcément contenue dans la recette, à la fois dans le végétal, l’animal et l’hominal. Le feu, on s’en servira pour la cuisson. Pourquoi pas aussi avoir flambé la viande au préalable ? Et enfin, l’air sera dans le feuilleté en grillant au four une émulsion de parmesan et aussi en tentant d’introduire dans la gelée, juste au moment où elle est en train de figer, des bulles d’air avec une paille.
Léo la regarda avec un drôle d’air.
- Tu n’as aucun esprit de productivité, là ! lui reprocha-t-il.
- Évidemment, puisqu’on n’en a pas besoin, répliqua-t-elle. Tu regardes la pendule quand tu fais l’amour, toi ?
- Heu... non.
- Eh ben, là, c’est pareil. On a tout notre temps. On le fait juste pour nous. Enfin, on le crée pour nous, mais on le partagera, bien sûr. On invitera notre famille et nos amis les plus chers. Et nous prendrons le temps qu’il faut pour la réalisation. Même si ça prend des mois pour aboutir à des recettes parfaites. Il faut qu’au bout du compte, ce soit orgasmique !
Léo arrondi les yeux en la regardant, effaré.
- Tu comptes que tout le monde mouille sa petite culotte à la fin ??
Elle rit de bon cœur.
- Tout de même pas, mon amour, fit-elle calmement. Ce n’est pas une orgie non plus. Tu sais bien ce qu’il se passe en toi quand tu prends du plaisir, n’est-ce pas ? ... des petits papillons partout... eh bien, ça doit faire pareil avec ce repas.
- Oui. En somme, tu veux qu’on prenne notre pied en mangeant ce repas, conclut-il.
- Mouais... dit vulgairement, c’est ça, fronçait-elle le nez. Mais non. Pour nos convives, il s’agira qu’ils prennent plaisir comme dans le plus sublime des restaurants. Et s’ils parviennent à atteindre notre nirvana comme nous l’aurons vécu tous les deux en le fabriquant, on aura gagné.
- On va faire l’amour en cuisinant, alors ? s’enthousiasma, Léo. On commence quand ?
- Oui, non mais, ne t’emballe pas, hein ! le retint-elle en souriant. Ce n’est pas du tout comme tu l’entends.
Elle le regarda bien au fond des yeux.
- Je parle de l’Amour avec un grand A, là. Pas le côté sexuel. Vu ?!
- Dommage... fit-il déçu, en la gourmandant du regard. J’ai repris de l’appétit de ce point de vue, tu sais.
- Je vois ça ! Mais ce n’est pas le propos. Je n’ai pas fini de t’expliquer le repas.
Elle poursuivit ses petits dessins sur d’autres papiers sous les yeux attentifs de Léo qui se concentrait de nouveau sérieusement sur ses explications.
- Pour le plat principal, il faudrait imaginer un truc du genre... viande farcie en croûte. Ça donnerait le végétal à l’extérieur, l’animal à l’intérieur et au cœur, une farce combinant de l’œuf, symbole universel de toute vie sur Terre, un légume et une viande... Je crois que ça le ferait, comme ça.
Et elle fignolait des arabesques sur la croûte de son plat dessiné.
- Tu vois ? montra-t-elle du doigt son dessin tout en regardant son compagnon.
- Oui, je vois bien ce que tu veux faire, dit-il. Mais.... je ne vois pas trop à quoi rime, cet étrange repas. Mais, je suppose que tu sais où tu vas, dit Léo.
- Fais-moi confiance, le rassura-t-elle. Tu verras où je veux en venir en le faisant. C’est là que réside tout le secret.
- Et pour le dessert, alors, ce sera quoi ?
- La terre, c’est le minéral, continua-t-elle toujours inspirée. Donc, on va dire que ce sera le contenant. Les fruits seront le végétal... non, tout compte fait le minéral sera le sucre sous sa forme cristallisée. Ensuite, les fruits et l’eau sous forme glacée. Pour l’animal, une crème aux œufs et l’hominal avec l’élément feu qu’est le chocolat...
- Attends, le chocolat, c’est du feu ? interrogea-t-il.
- Oui. Tout comme le sucre, car il faudra les passer par le feu pour leur transformation. L’un en cristal, l’autre fondu, dont les fèves ont été torréfiées. Tout ça, c’est du feu.
- Et l’air ?
- Une mousse avec des œufs montés en neige et de la chantilly. Ça, c’est pour l’aérien.
- Et pour l’ouïe ?
- Une coque en chocolat croquant avec un effet chaud-froid pour provoquer un crépitement et de la fumée. Tu dois savoir faire ça, non ?
- Heu... une réaction chimique ? Oui. Il faudra de l’azote liquide.
- Et, tu sais où trouver ça ?...
- Je connais un fournisseur en cuisine moléculaire...
- Parfait ! Ça devrait être réalisable, alors.
- Et la forme du dessert ?
- J’hésite...
Elle essayait plusieurs formes sur le papier, mais aucune ne lui plaisait.
- Une base carrée en chocolat... un dôme en chocolat que l’on casse pour faire surgir l’intérieur sous forme de glace aux fruits légère... enfin, un truc comme ça... il faudrait approfondir.
Léo lui prit le papier et le crayon.
- Tu peux aussi faire un truc de ce genre... dit-il en se mettant à dessiner une pyramide.
- Non, surtout pas une pyramide, ça fige tout ! refusa Marion. C’est tout le contraire de l’idée de vie en mouvement que je veux exprimer.
- Ah ? s’étonna-t-il.
- Oui ! Pourquoi crois-tu que les égyptiens utilisaient des pyramides pour enterrer leurs momies ?
Léo fit la moue.
- Ouais... pas de pyramide, alors. ... et une tour ? ... un truc en hauteur. Des filaments de sucre enroulés autour d’un tube de chocolat. Avec les émulsions et les glaces à l’intérieur.
- Mmmmhh... pas mal, pas mal ! s’exclama Marion. Ça me plairait d’essayer.
- Et pour combien de convives ? demanda Léo.
- Eh bien... Maxime et Diane, sans les enfants, Stéphane, le cousin de Bordeaux, Yvan et Valérie, mes amis de Cluny... ça fait cinq.
- Camille et mon collègue de concours, aussi, la coupa-t-il.
- Camille ?... Il va supporter un tel repas, tu crois ? interrogea-t-elle.
- Je ne sais pas. Je pense que oui.
- Dans ce cas, proposons aux deux ainés de venir, sinon, il va se sentir un peu isolé, lui, si jeune... ça fait donc... cinq et deux... plus Ludo et Justine, ça fait neuf !
- Tu as raison. Ils seront trois et je pense que ça leur plaira.
Ainsi avaient-ils posé les fondations de leur repas extraordinaire. Il s’agissait désormais de travailler et peaufiner ces créations afin qu’elles répondent au mieux à leur expression commune, à ce qu’ils voulaient célébrer. Il leur fallu prendre du temps. Beaucoup de temps pour une quantité d’essais, de combinaisons, de constructions et d’élaborations. Le maître mot était Amour. La ligne de conduite était Respiration.
Quand l’un cuisait, rôtissait, réduisait, l’autre pétrissait, fouettait, assemblait. Quand l’une épluchait, ciselait, éminçait l’autre enduisait, farcissait, beurrait. Les alchimistes œuvraient à leur création. Le temps n’avait plus d’importance. Peu importait la valeur des à-côtés ; ils étaient dans ce qu’ils devaient faire, heureux d’y être et de le faire ensemble. Enfin.
Léo reprenait du poids et recouvrait une énergie toute nouvelle. Sous l’impulsion de sa belle cuisinière, l’appétit lui revenait et elle lui rendait le sourire. Amusé de ses facéties culinaires, il acceptait volontiers de goûter une bouchée improbable composée d’une chips de parmesan au wasabi surmontée d’une purée de fenouil, un champignon cru trempé dans une sauce cocktail, un petit rouleau de jambon cru et crème de camembert aux herbes de Provence. Elle les lui présentait directement en bouche et il s’ingéniait à lui mordre les doigts au passage. Le petit cri de surprise qu’elle poussait l’amusait autant qu’elle. Elle ne retirait jamais les doigts assez vite et elle les secouait aussitôt. Puis, elle se suçait l’un d’entre eux rapidement comme pour faire passer la semblante douleur. Il l’observait d’un sourire narquois avec l’air de dire : «recommence, un peu, pour voir...» Et elle se faisait un plaisir de reproduire l’expérience avec d’autres mélanges de saveurs.
Il leur fallu deux bonnes semaines pour élaborer et parfaire l’entrée du menu. Les bulles dans la gelée avaient été autant un amusement qu’une bonne respiration, soufflant l’un après l’autre délicatement dans une paille à l’intérieur de l’appareil en train de figer. Le dosage était délicat et demandait beaucoup de maîtrise. Il fallut presque trois semaines pour le plat principal. L’animal à désosser n’offrait pas spécialement de difficulté, mais la farce, au contraire, obligeait à une superposition de mélanges délicats et subtils. Quant au dessert, la difficulté était telle qu’ils eurent besoin d’un bon mois entièrement consacré pour être satisfaits tous les deux du résultat.
Une fois le menu réalisé et maîtrisé, quelques trois mois plus tard, ils purent envisager de formuler leurs invitations et fixer une date. Maxime les raillait tous deux à passer autant de temps en cuisine. Le lieu était devenu une sorte de camp retranché lors de leurs préparations secrètes et personne d’autre n’avait le droit d’y pénétrer. Le frère de Marion s’interrogeait sur ce qui pouvait bien demander autant de secrets et de temps à préparer.
Leur fabuleux repas se déroulerait alors que les rosiers offriraient leurs premiers boutons rouges devant le perron du château et que le vert tendre des pousses de printemps formeraient un camaïeu avec les tiges matures. Les genêts au fond du parc ensoleilleraient le vieux mur d’enceinte. Le couple avait réinvesti leurs appartements depuis un moment et rendu aux services médicaux le lit et tout le matériel médical. Le plus grand plaisir de Léo était de grimper les escaliers deux par deux et de se jeter dans les bras de Marion qui l’attendait en haut, appuyée à la rambarde dans une posture suggestive. Il lui murmurait des «je t’aime» essoufflés qui lui faisaient chaud dans le cou et lui donnaient l’envie de glisser ses mains sous sa chemise.
Ils envisageaient deux tables différentes selon la météo. L’une sur le vieux kiosque en partie restauré et décoré pour l’occasion, ou alors une grande table ronde dans la salle de réception et tout le décorum digne d’un repas prestigieux. Il restait encore à trouver les vins qui accompagneront les plats, les décors des tables, la vaisselle, les couverts et les verres spécialement achetés. Tels un mariage et sa nuit de noce, tout devait être exceptionnel et ne servir qu’une fois. Tout comme les vêtements du jour J.
- Je crois que j’ai une idée pour les vins, fit Marion, un matin, alors qu’ils venaient de se réveiller en faisant l’amour.
Léo, le visage à peine éclairé par la lumière rayée qui filtrait à travers les persiennes, la regardait. Elle était réflexive, allongée sur lui de tout son long, peau contre peau.
- Ah oui ? interrogea-t-il.
- Tu te souviens, lorsque que je suis allée explorer la cave pour trouver notre épigraphe ?... J’ai découvert une alcôve remplie de bouteilles. Et des pleines... J’aimerai y jeter un œil plus approfondi. Peut-être qu’avec un peu de chance, il reste quelques bons vins...
- Depuis quand sont-elles là ?
- Oh, sûrement très longtemps ! Peut-être même trop. Mais comme l’endroit était scellé et à température constante depuis des années, j’ai bon espoir.
- Alors, qu’est-ce qu’on attend pour aller voir ? s’exclama soudain l’homme qui, d’un coup de rein habile, la bascula sur le côté pour s’allonger sur elle en lui volant un baiser.
Aussitôt, il se dégagea et sortit du lit en saisissant son pantalon posé non loin.
- Quoi, tu veux y aller tout de suite ? s’étonna-t-elle.
- Oui. Pourquoi attendre ?
- Oh et puis, tu as raison, se convainc-t-elle sans tergiverser.
Tous deux s’habillèrent en vitesse, ils passèrent à la cuisine pour engloutir quelques tartines et un café. Puis, Marion s’équipa d’une lampe de poche, d’un sécateur, d’une autre lampe pour Léo et ils sortirent. Elle se dirigea vers le fond du jardin, son compagnon sur les talons.
- Pourquoi passe-t-on par là ? s’étonna Léo. La porte des caves n’est-elle pas sous la tour ronde ?
- Si, mais l’alcôve des bouteilles est proche de cette sortie. Et puis, autant dégager la trappe si ce trésor vaut le coup, on aura moins de chemin à faire.
Pendant que la jeune femme s’attaquait aux ronces avec le sécateur, Léo s’attarda non loin à regarder de nouveau l’épigraphe sur le vieux mur, s’interrogeant intérieurement sur le sens des mots qui y étaient inscrits. L’idée même qu’il était partie prenante dans cette histoire d’amour le touchait désormais et son cœur reconnaissait la vérité sur ce passé comme étant le sien. Son esprit rationnel doutait encore mais, quelque part en lui, les sentiments séculaires restaient bien présents. Et quand il posait les yeux sur sa compagne d’alors, il n’avait plus de doute.
Marion bataillait ferme avec les ronces et ouvrait un passage jusqu’à la vieille trappe vermoulue. En tirant, arrachant, cisaillant les végétaux, elle finit par être dégagée. Léo l’aida à parachever l’ouverture en tirant sur le vieux bois. Puis, sans attendre, il enfila le faisceau de sa lampe allumée dans le noir et secret endroit.
- Attention, les escaliers sont glissants, prévint la jeune femme.
Avec précaution, Léo s’engagea à l’intérieur, lumière en avant. Marion le suivait de près. Là, sous le rai dansant, luisait par endroits le verre d’un empilement de bouteilles logées dans des alvéoles de brique. À d’autres endroits, elles se présentaient en désordre dans la poussière et le salpêtre, soit par le goulot enduit de cire, soit par le fond creux. De vieux pots de terre cuite gisaient là aussi, à même le sol. Il garnissait deux côtés de l’alcôve sur environ deux mètres cinquante de côté, haut de la taille d’un homme. Léo saisit une bouteille au hasard et y braqua sa lumière. L’étiquette était trop abimée pour y lire quoi que ce soit, attaquée par l’humidité et l’usure du temps. Il la reposa et en choisit une autre. Celle-ci comportait une étiquette comme celle des écoliers d’antan, petite, encadrée d’un filet bleu marine rectangulaire et des lignes d’écriture au centre sur lesquelles s’inscrivaient au trait de plume : «1912 - Vignes Sud - Aloxe Corton - Domaine de Barjac» Il examina l’état du bouchon ; la cire rouge sombre était intacte. Il la reposa et en prit une autre à côté, par le cul. Celle-ci avait la même étiquette mais le millésime était 1909. Le bouchon de cire était craquelé et moisi sur toutes ses fentes. Il la reposa aussi à sa place. Puis, il se retourna et rejoignit la recherche de Marion de l’autre côté.
- Qu’est-ce que tu as trouvé de beau ? demanda-t-il par-dessus son épaule.
- 1850... 1792, énuméra-t-elle en désignant celles qu’elle avait déjà examiné. Mais les bouchons ne semblent pas en très bon état.
- Plus vieilles que celles que j’ai vues, constata-t-il. Fais voir, ces fameux bouchons ?...
Il s’en saisit d’une. Il en frotta la cire.
- Pas si mauvais que ça, tu sais, conclut Léo. La cire n’est pas fendue. C’est juste moisi en surface.
Il y braqua sa lampe pour tester la transparence du breuvage. De sombres dépôts garnissaient le flan de la bouteille à l’intérieur en couche épaisse.
- Ouais... faut voir, ajouta-t-il en reposant celle-ci et en en prenant aussitôt une autre.
- En fait, il faudrait les classer un peu pour se faire une idée de ce qui est exploitable, suggéra Marion. Enfin... ce qui pourrait être consommable.
- C’est un vrai foutoir, en fait. Les rouges et les blancs sont mélangés et les dates sont quelques peu aléatoires... Et puis, on peut faire une croix sur les blanc. Ils doivent être d’immonde picrates depuis le temps. Celui qui a fait cette cave n’était visiblement pas très soigneux... ou alors, il a fait ça à l’arrache, parce qu’il y avait urgence...
- Possible, oui. Je vais voir si je trouve des caisses pour commencer un tri.
Elle se faufila aussitôt par le petit passage qui menait à la grande cave.
- Hé ! Attends-moi, ne me laisse pas ici tout seul ! s’exclama-t-il.
Sans l’attendre, elle s’enfonça plus avant. Il la poursuivit dans l’obscurité humide. Les endroits sombres et exigus tels que les caves n’avaient jamais été son fort. Là, devant cet amoncellement de vieilles bouteilles disparates et poussiéreuses, il n’était pas plus à l’aise qu’un morceau de chocolat farci dans un oignon. Il préférait donc ne pas perdre de vue sa compagne. Et puis, aventurière comme elle était, elle pouvait encore tomber sur une étrangeté peu recommandable. Il valait mieux l’avoir à portée de main. Marion s’était mise à fouiller les recoins de la cave. Elle disparaissait avec sa lumière entre les foudres et réapparaissait soit avec un vieux panier percé, soit en tirant sur une vieille benne en bois vermoulu, soit encore rien. Un instant après, elle revint avec un vieux coffre qu’elle exhuma par une anse qui lui resta dans la main. Ce dernier s’écrasa dans un grand bruit au milieu de la travée centrale, brutalement délesté de sa prise.
- Dis, tu veux réveiller les vieux fantômes ou quoi ? s’inquiéta Léo. Tu en fais, un raffut !
Penchée sur le coffre avec sa lampe braquée dessus, elle ne releva pas la remarque et se concentrait sur une inscription gravée sur le couvercle. Une grosse plaque en métal doré et cloutée sur le bois incurvé recouvrait le sommet sur environ une dizaine de centimètres et toute la longueur du coffre. Elle était gravée d’inscriptions et d’un blason. Elle brilla sous la lumière lorsque Marion frotta l’épais dépôt de poussière.
«1921 - famille de Barjac» était-il inscrit dessus en lettres anglaises.
- On dirait que ta famille a encore des choses à te dire, soupçonna Léo, penché lui aussi sur le coffre.
- On dirait, oui... laissa-t-elle en suspend.
- Tu veux qu’on l’ouvre tout de suite ?
Elle se redressa, réflexive.
- Non, finit-elle par dire. On va le ramener à la maison et on l’ouvrira avec Maxime.
- Oui... si tu préfères.
- Cherchons ces caisses, plutôt. Nous avons des bouteilles à trier.
Il en restait peu qui fussent capables d’être solides pour contenir plusieurs bouteilles. Mais Marion estimait que quatre contenants pourraient déjà faire l’affaire. De retour dans l’alcôve, ils se lancèrent dans la lecture des étiquettes et commencèrent le classement. Les rouges avec les rouges, et les blancs laissés de côté sauf s’ils n’avaient pas plus de dix ans. Puis, les plus vieilles dans une caisse et les plus récentes dans une autre. Autrement dit, les moins de 1900 séparés des plus jeunes. Les illisibles ou non étiquetées resteraient dans un coin. Une fois la majorité du stock inventorié, Léo prit l’initiative d’aller chercher un diable pour le transport. En attendant, Marion retourna à la cave pour traîner le coffre par l’autre anse et le rapprocher de l’entrée. Peu de temps après, Léo fut de retour, équipé comme il se doit.
- J’ai apporté aussi une autre caisse pour celles que nous aurons sélectionnées, fit l’homme en pénétrant de nouveau dans l’alcôve.
Marion avait disposé les caisses des bouteilles classées verticalement contre un mur de manière à ce qu’elles soient bien visibles et accessibles.
- Parfait ! C’est exactement ce qu’il nous fallait, dit Marion. Remontons le coffre et la caisse. Quels vins ramène-t-on ?
- Moi, je dirais un échantillon des plus vieux et des plus jeunes en rouge et blanc, répondit Léo en commençant à scruter précisément les étiquettes. Disons... tu vois, comme ce Pernand Vergelesses de 1802... le bouchon est en bon état, je pense qu’elle mériterai un examen approfondi. Une douzaine de bouteilles du même genre et on est bon.
- Il risque d’y en avoir pas mal qui ne seront pas bonnes.
- On ne prend que les bouchons parfaits. Comme ça, on aura plus de chance de tomber sur des bonnes.
Le plus dur fut de remonter à bout de bras la caisse et le coffre par les escaliers. Ensuite, c’était un jeu d’enfant. Le tout fut rapatrié avec précaution, sans les secouer, jusqu’à la cuisine.
Il n’était pas loin de midi lorsqu’ils revinrent avec leur trésor. Diane et Ludovic étaient présents. Ce dernier se préparait une assiette et devait manger rapidement pour terminer ses révisions. Le baccalauréat de français était dans trois semaines.
- Vous faites quoi avec ces vieux trucs poussiéreux ? demanda le garçon, intrigué. Vous avez trouvé ça où ?
- Dans la cave, dit Marion en se redressant et se tenant les reins pour les soulager. Le coffre semble contenir des souvenirs de famille, figures-toi. On va l’ouvrir. Où est Maxime ?
- Papa est dans son bureau, comme d’hab’, répondit-il.
- Il faudrait aller lui demander de venir maintenant, fit Marion. J’ai besoin de lui. Tu veux bien aller le chercher, s’il-te-plaît ?
- Laisse, Ludo, j’y vais, intervint sa mère qui lâchait le tri de sa salade. Il faut que tu manges, toi.
Le garçon se rassit sur son tabouret haut, Marion cherchait un chiffon sous l’évier pour épousseter le coffre et Léo revenait avec des outils pour faire sauter le vieux cadenas rouillé. Le blason gravé sur la plaque de cuivre du couvercle ressemblait étonnamment à celui des parchemins à quelques nuances près. En lustrant la plaque dorée, on pouvait distinguer les cordelières à deux houppes entourant le blason comme sur les sceaux. Le blason lui-même étant composé d’un semis de fleurs de Lys, d’un lion et d’un épi de blé. Armé d’un marteau et d’un burin, Léo, d’un coup bien placé, brisa le cadenas qui céda aussitôt. Il le détacha de ses anneaux et ouvrit le couvercle. Tous s’étaient penchés sur l’ouverture béante. Médusés, ils découvrirent une quantité d’objets et de parchemins divers.
- Qu’est-ce que vous êtes encore allés exhumer ? s’exclama Maxime en arrivant à la cuisine, un air sérieux et peu enclin à s’amuser.
Marion se redressa et invita son frère à venir participer à la découverte.
- Nous avons trouvé ça dans la cave tout à l’heure, lui dit-elle en lui montrant le coffre ouvert sur le carrelage. Viens voir ce que nos ancêtres nous ont laissé.
- Vous ne pouviez pas laisser ça où c’était, franchement ?! se désola-t-il. On n’a pas besoin de soulever des secrets de famille. Je ne le sens pas, moi. J’ai pas envie que notre famille se retrouve bouleversée par je ne sais quel ancêtre qui aurait fricoté avec la bonne...
- Tu n’en sais rien, d’abord, lui répliqua Marion. La curiosité ne te démange pas, là ?
Pendant que frère et sœur cherchaient un terrain d’entente, Léo et Ludovic sortaient du coffre une urne funéraire, une boîte contenant une médaille de la légion d’honneur, un portrait peint sur une toile, un tissu de velours bleu marine brodé de fils d’or et d’argent représentant une croix à fleur de lys sur des flammes, un sabre dans son fourreau gravé et ciselé de la même croix ré-haussée d’or et plusieurs chemises de cuir marron, parfois incrustés d’un blason, elles aussi, qui contenaient des parchemins et des lettres de papier. Le jeune garçon admirait le sabre et sa crosse finement ciselée, pendant que Léo fronçait un sourcil sur l’urne et le tableau, Diane ouvrait une chemise de cuir contenant un vieux parchemin.
- C’est un acte de baptême très ancien, constata la mère en lisant les vieux traits de plume. Un certain Arnaud-Baptiste de Montory...
- Qui ?!! firent en chœur Marion et Léo, étonnés.
Tous deux entourèrent Diane pour lire eux-même ce qu’elle tenait entre les mains. Que venait faire un document des Montory dans un coffre estampillé de Barjac ? Marion s’empressa sur un autre document et l’ouvrit.
- Là, j’ai... j’ai une sorte... on dirait, prononça-t-elle en hésitant ... ils disent une lettre de charge... c’est signé du Roy Louis le quatorzième. Ça parle de Comté de Bourgogne et de justice...
- Moi, il semble que j’ai un acte de propriété, dit Maxime qui s’était finalement intrigué d’une autre chemise incrustée d’un blason. Une estampille des Notaires impériaux Boroy-Giraud de Cluny... Geoffroy-Richard de Montory a cédé à Joseph-Aubin de Barjac le couvent de Bligny... ça date de 1802.
- C’est la date qu’il y avait marqué sur notre acte notarié, non ? s’interrogea Marion en jetant un œil sur le document que lisait son frère.
- Peut-être, je ne sais plus...
- Mais les Montory... c’est bien le nom qui était inscrit sur les parchemins que tu m’as montré l’autre fois, non ? demanda Léo à sa compagne.
- Oui, confirma-t-elle. C’est bien pour ça que c’est particulièrement étonnant. Les parchemins qu’on nous a envoyé par la poste...
- Quel rapport peut-il y avoir entre les deux ? demanda Diane qui n’y comprenait rien. Et qui c’est ce «on» ?
- Je soupçonne qu’il s’agisse du vieil Antoine, figures-toi, répondit Marion qui gardait le même parchemin dans les mains, la cervelle en pleine réflexion.
- Quoi ? Mais de quoi se mêle-t-il, celui-là ? s’exclama Diane qui grimaçait chaque fois qu’il s’agissait de ce vieil importun qui habitait les lieux autrefois.
- La croix de la Légion d’Honneur appartenait à Joseph-Aubin de Barjac, fit Ludovic qui parcourait des doigts et des yeux tous les objets, devenu aussi curieux que les autres. ... 1802.
- Si c’est ça, c’est la même date que son acquisition du château, constata Maxime.
- Il me semble me souvenir qu’à l’époque, la Légion d’honneur permettait d’acquérir des terres et des biens en même temps que le titre, émit Léo ressortant ce qu’il avait appris étant jeune. Ça voudrait dire qu’un Montory s’est retrouvé dépossédé au profit d’un de Barjac...
- Ça alors ! s’exclama Marion.
- Là, c’est un acte de Mariage, dit Diane après avoir ouvert une autre chemise de cuir. Arnaud-Baptiste de Montory et Anne de Bourbon... rien que ça ! .... mariés par l’Evêque de Bourgogne en 1665.
- Je ne vois pas le rapport, grigna Maxime.
- Moi non plus, dit Marion.
- Et qui est cet homme peint sur cette toile ? demanda Ludovic.
- Regarde derrière, c’est peut-être inscrit, lui dit son père.
- Joseph-Aubin de Barjac, lut le jeune garçon.
Tous venaient détailler le portrait par-dessus les épaules de Ludo. L’homme posait pour la postérité. Il affichait un air sérieux et solennel. Il arborait sur son costume de militaire impérial, la croix de chevalier de la Légion d’Honneur. Il était coiffé d’un bicorne où la cocarde tricolore ressortait nettement. La peinture était craquelée et les couleurs affadies par le temps, mais on distinguait bien les traits du personnage ; l’ancêtre qui avait vécu le premier en ces lieux.
- Et cette croix brodée, alors ? interrogea Diane en tendant le velours face à elle.
- C’est pas la croix des Mousquetaires, ça ? s’intrigua Léo.
- Mais les mousquetaires, c’était bien plus vieux que la Révolution et l’Empire, non ?... émit Maxime.
- Oui, enfin, ils existaient encore un peu... Fais voir ? fit Marion en prenant le tissu des mains de Diane.
La jeune femme se concentra sur l’objet qu’elle tenait en main et ferma les yeux. Caressant légèrement des doigts le relief brodé de la croix, elle «lut». Des flashs successifs se bousculèrent derrière ses paupières. Et soudain, ce fut évident.
- C’est Guillaume ! ... Le mousquetaire, c’est Guillaume, s’exclama-t-elle en rouvrant les yeux sur Léo.
Il la regarda, les yeux arrondis d’étonnement.
- Quoi ?!
- Oui, tout se recoupe. Dans mes visions... dans la crypte, j’ai déjà vu cette croix. Et puis, sur les parchemins du colis, ils étaient signés du «Capitaine» Montory, je m’en souviens.
- Mais, qu’est-ce que ça vient faire là ? grigna Léo qui ne comprenait toujours pas.
- J’ai un autre papier, là... dit Maxime en lisant un autre document un peu plus récent. Il est dit que Edmond-Jean de Barjac est déchu de ses droits nobiliaires. La date, c’est 1909.
- Ça a dû jaser dans la famille à l’époque, ricana Ludovic.
- Oui, mais ça ne nous avance pas pour savoir ce que les Montory venaient faire avec les de Barjac, dit Diane.
- Si, on le sait un peu, puisqu’il y a un acte de propriété entre les deux, rappela Marion. Ils se sont passé le château. Enfin, le roi a décidé pour eux. Mais, ce qui n’est pas dit, c’est comment les Montory l’ont eu, puisque c’était un couvent, avant. Et si un des Montory était mousquetaire, je ne vois pas le rapport...
- Et l’acte de baptême, alors ? s’enquit Léo qui recherchait le bon parchemin pour le relire. ... un certain Arnaud-Baptiste de Montory, né à Montory le quatorze janvier 1644, fils aîné de Thibaud de Montory, comte de Gascogne, et Anne-Christine de Montory, née Laffite de Bigorre. Baptisé par l’évêque... bon, on s’en fout... et il y a un sceau.
- Attends, je vais chercher les autres parchemins pour comparer les sceaux, fit Marion en disparaissant rapidement de la cuisine pour courir au bureau.
Elle revint avec le colis des parchemins et s’en saisit d’un pour les mettre l’un en face de l’autre.
- C’est très ressemblant, non ? constata-t-elle après un rapide examen comparatif. Les cordelières à six houppes et le chapeau de sinople... la croix au-dessus du blason ... et le lion et la gerbe de blé... ce qu’on peut en déduire, sans en savoir plus sur les significations, c’est qu’au moins ça vient de la même région ; la Gascogne.
- Les Montory étaient Gascons, ok, accepta Léo. Mais qu’est-ce qu’ils viennent faire en Bourgogne, alors ?
- Eh bien, je suppose qu’à cette époque, la politique était troublée pour les nobles, les terres et les pouvoirs ont souvent changé de main, suggera Marion. C’est, en gros, la seule explication plausible.
- Ouais, admettons. Mais, Guillaume, lui, s’il était mousquetaire... qu’il est venu en Bourgogne pour faire je ne sais quoi ... il est tombé sur Mathilde et il en est devenu amoureux. Ok. Mais, ça ne nous avance pas sur ces passations de pouvoirs et de biens...
- Non... concéda sa compagne.
- Regardez, fit Ludovic qui lorgnait sur l’urne. On dirait que le blason ressemble à celui du papier, là...
- Lequel ? Celui du baptême ?
- Oui, celui-là...
Tous, s’intéressèrent alors à l’urne, le dernier objet qui restait et qu’ils n’avaient pas décrypté. La comparaison des blasons étaient identique, en effet. Visiblement, il s’agissait de l’évêcher de Gascogne. Ludovic ouvrit l’urne sans difficulté. À l’intérieur, il y trouva une poudre grise très fine.
- C’est de la poussière ? grimaça le jeune garçon.
- Non, ce sont les cendres d’un défunt, le corrigea sa mère.
- Beuh !!
Marion la lui prit des mains.
- Fais voir...
Tout comme pour le velours brodé, elle se mit à la «lire». À peine l’eut-elle dans les mains que, soudain, la jeune femme eut très chaud dans tout son corps et se mit à trembler violemment. Elle manqua de lâcher l’urne en sentant ses jambes se dérober sous elle. Léo, dans un réflexe immédiat, la retint sous les bras et Maxime se précipita pour retenir l’urne avant qu’elle ne lui échappe des mains.
- Chérie, que se passe-t-il ? s’inquiéta son compagnon.
Avant de pouvoir prononcer quelques mots, elle dut reprendre son souffle et appuis sur ses jambes.
- C’est ... ce sont les cendres de Guillaume. J’ai vu l’Afrique et ressenti ses souffrances avant sa mort. C’était... c’était comme il le décrit dans ses lettres.
Léo fixait les cendres de l’urne ouverte que tenait Maxime d’un drôle d’air et il n’osa plus rien dire. Il grimaça.
- Ça n’explique toujours pas ce que Guillaume vient faire ici, déduisit Maxime qui réfléchissait intensément. Il faut croire probablement à un concours de circonstances qui a rapproché les deux familles par l’entremise d’une passation de territoires décidés politiquement. Je ne vois que ça.
- Mais il doit nous manquer une information pour qu’on puisse trouver rassemblés des effets personnels de Guillaume et de sa famille dans un coffre des de Barjac... ajouta Marion.
- Je ne sais pas... réfléchissait Léo. Peut-être que, comme Guillaume n’a pas eu d’enfants, ce sont les effets de son frère... mais pourquoi a-t-il fait suivre sa mémoire avec lui ?...
- ... Il existe peut-être un testament de Guillaume plus explicite chez un notaire qui stipule des choses pour son frère... le coupa Marion. Enfin... si c’est bien de son frère dont il s’agit... finalement, ce n’est pas très précis...
- Non... ça nous laisse dans le flou, tout ça...
- Bon, bah... tout ce qu’on peut conclure, finit par conclure Maxime, c’est que votre histoire de réincarnation, là, se lie directement à notre famille... J’en serai presque à dire que Léo fait partie de la famille.
- Mouais... enfin... n’exagérons rien, grigna le cuisinier. C’est pas comme si j’étais un de vos ancêtres.
- Non, mais les signes sont quand même troublants, constata Marion.
- Certes, concéda ce dernier.
Un silence réflexif s’était installé dans la cuisine. Ludovic avait abandonné son assiette qui refroidissait sur un coin de la table, oubliant que le temps passait pour se mettre à ses révisions. Et tous restaient plantés là, à essayer de comprendre l’énorme mystère émergé du coffre. Pendant ce temps, Marion se saisit du sabre pour l’observer de plus près. Elle caressait d’un doigt les fines ciselures de la croix des Mousquetaires gravées sur le métal doré de la crosse. Et inévitablement, des visions assaillirent son esprit, un enchaînement de scènes d’une clarté inouïe. L’adoubement du capitaine Mousquetaire par le Roi en personne. Les images des combats meurtriers dans le couvent, les mêmes qu’elle avait vues lorsqu’elle était dans la crypte, près des gisants. Le retour d’Afrique des effets de Guillaume, le sabre compris, porté par un ecclésiastique coiffant le chapeau de sinople, remis en mains propres à un homme de haute lignée. À son annulaire droit, il portait une chevalière avec le même blason que sur l’acte de mariage et de baptême. L’homme était très peiné de recevoir ces objets, encore plus peiné de voir l’urne et de la serrer dans ses bras. Marion rouvrit les yeux et observa de nouveau le sabre avec un nouveau regard. Elle le tendit à Léo.
- Tiens, prends-le, lui dit-elle. Il est à toi, finalement.
Incrédule, Léo prit le sabre dans ses mains en hésitant. Il regarda l’objet comme si on lui offrait un trésor inconcevable, une émergence improbable d’une partie de lui-même. Il empoigna le pommeau fermement et sorti la lame de son fourreau dans un long tintement métallique. Il l’érigea devant ses yeux à la verticale. Le métal scintillait dans la lumière de la cuisine. Il était gravé d’une inscription tout le long du fil :
«Un pour tous, tous pour un.»
Indéniablement, la marque des mousquetaires. Les yeux du cuisinier brillaient. C’était comme une nouvelle vie que lui insufflait l’objet. Il était le premier surpris par l’impression que lui communiquait le simple fait de tenir dans ses mains une telle relique. On aurai pu dire que les circonstances s’étaient liguées pour que son histoire se poursuive avec autant de précision que possible. Le cœur de Léo était rempli d’émotions.
De son côté, Marion réalisait que le petit vers qui sonnait dans sa tête n’était là que pour l’appeler à la vigilance du souvenir. Désormais, comme l’objet des convoitises étaient dévoilé, plus rien ne la retenait en arrière, ni elle, ni plus aucun membre de sa famille. Elle pouvait donc se consacrer entièrement, corps et âme, et ensemble, avec son amour de toujours, à leur tâche merveilleuse qu’était la cuisine. Un sourire angélique s’étira sur son visage. Lorsque Léo relogea le sabre dans son fourreau et leva les yeux, il vit la figure émerveillée de son amour qui l’embrassait du regard sans aucune retenue. Ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre et s’embrassèrent amoureusement. Un silence embarrassé se fit dans l’assistance.
- Ahem ! fit Maxime en se raclant la gorge. Je crois qu’on dérange, là... ajouta-t-il à l’attention de sa femme de l’autre côté de la table.
Diane riait sous cape. Le couple d’amoureux se sépara.
- Pardonnez-moi, s’excusa faussement le cuisinier. J’ai du mal à résister à ma femme quand elle me sourit jusqu’aux oreilles.
- Pas la peine de te justifier, répondit Maxime, narquois. Nous comprenons tout à fait.
Ludovic, lui aussi, un instant suspendu dans la gêne, revint à son assiette abandonnée en bout de table.
- Je dois filer à mes révisions... dit-il en engloutissant ce qui restait de ses pâtes froides.
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Dans ses yeux bruns brillants d’envie, Léo lisait tout le désir qu’elle était prête à lui offrir. Mais, il était hors de question pour elle de larguer tout à trac sa faim de lui sans le goûter avant avec lenteur et appréciation. Elle espérait bien le faire se balancer au rythme de sa respiration, le faire de synchroniser à son désir oscillant, allant crescendo. Alors, Léo promenait ses mains joueuses sur la peau de son amour avec autant de subtiles touches sensibles qui lui électrisait l’épiderme, déjà empressé d’obtenir son cadeau. Lorsqu’il s’approchait un peu trop des zones érogènes, les crispations de ses muscles et l’agitation de ses doigts lui intimait de battre en retraite, reculant encore un peu le moment des grands soupirs. Alors, il progressait autrement, usant de son souffle chaud dans son cou, de sa langue aventureuse sur sa gorge, puis un téton dressé et sur son ventre fébrile. L’un et l’autre, prêts pour un grand voyage au fond d’eux-même, les gestes se calculaient avec autant de précision que la cuisson d’un caramel : au degré près ! Marion soupirait d’aise sous les caresses de son partenaire et le guidait vers des contrées merveilleuses. Elle voulait garder pour elle ce regard vert sombre qui l’embrassait toute entière avec gourmandise. Ne plus le lâcher des yeux et plonger en lui pour y rencontrer l’Amour, son étincelle de vie retrouvée, plus active que jamais et prête à être déversée comme un torrent formidable. Léo, à la fois caressant et empressé, obligeait Marion à accélérer sa respiration. Il lui intimait à elle aussi d’ouvrir les vannes. Il savait son plaisir là, à la fois léger et impérieux. Lorsqu’elle aurait atteint la tension suprême, il lui serait permis d’user et d’abuser du formidable flot de jouissance qu’elle saurait lui offrir.
Il voulait se fondre en elle, aller et venir au rythme de leur respiration commune. Et, pour cela, il devait s’introduire dans l’antre des délices. Plus rien n’existait d’autre pour lui que de l’emporter loin, très loin, d’un simple coup de rein donné au bon moment. Les petits tremblements qui agitaient le corps de sa partenaire lui disaient qu’il était sur la bonne voie. Quand l’un expirait son souffle chaud, l’autre inspirait l’énergie délicieuse. Montant imperceptiblement d’un palier à chaque fois, la respiration suivante les unissait inexorablement dans une ascension merveilleuse. Petit à petit, emportés par leur symbiose, pulsant à l’unisson dans un seul et même rythme, bien au-delà de toutes les tempêtes coïtales, s’ouvraient en eux le paradis des plaisirs, frontière que seuls les couples en parfaite harmonie parviennent à atteindre.
Soudain, Léo bascula sa partenaire et la saisit pour rouler ensemble. Marion se retrouva sur lui et se redressa. Ondulant du bassin sur ses hanches avec sensualité, elle cherchait d’autres sensations à l’intérieur de son ventre. Mais la proximité de leur souffle avait ainsi été brisé et Léo se redressa aussitôt pour réclamer à nouveau l’immersion dans ses prunelles dilatées de plaisir. Cœur contre cœur, assis l’un contre l’autre, l’intensité gagnait son paroxysme. Une fusion à jamais consommée d’un plaisir hors limites. L’étau délicieux se referma soudain sur son membre immergé, ne lui laissant plus la possibilité de résister à une aussi impérieuse aspiration. Il se libéra, dans un râle grimaçant. Marion, aussitôt, le serra très fort dans ses bras comme si elle désirait se fondre en lui ou lui se fondre en elle. Tremblante de tout son corps, elle recevait ce don incommensurable avec un sourire angélique, dans un profond soupir qui semblait ne jamais vouloir s’arrêter. La sueur de leur peau se mélangeait. Sensibles au moindre mouvement, le souffle haletant, l’épiderme tout entier en alerte, les muscles recouvrant doucement leur tension ordinaire, ils goûtaient chacun le plancher des merveilles. Celui dont les étincelles se dispersent joyeusement dans toutes les fibres du corps y laissant un souvenir si merveilleux qu’il y restera à jamais gravé. Plus rien ne pouvait être aussi fabuleux que cet instant-là : l’amour partagé marqué pour toujours dans leur être.
En reprenant doucement leur souffle normal, ils restèrent ainsi, longtemps enlacés, laissant à leur corps le plaisir de partager encore un peu la peau de l’autre, sa vibration et son émotion qui s’apaisaient petit à petit et la confiance mutuelle qui en émanait. Les doigts caressants de Marion se promenaient nonchalamment sur la poitrine de son amant, le regard dans le vague, un sourire qui semblait éternellement indélébile accroché au visage, la joue reposée sur son épaule, elle goûtait encore les pétillements que ses cellules avaient éprouvées comme des bulles de champagnes qui s’affinaient dans son verre. Rien de plus beau n’aurait pu être envisagé à cette heure que cette félicité post-coïtale.
Ils avaient vécu des mois à lutter contre la maladie en mettant totalement aux oubliettes l’idée même de faire l’amour. Par simple notion de survie, cet acte semblait ne plus faire partie de leurs préoccupation quotidiennes, rangée au banc du superflu. Libido en berne. Aujourd’hui, ils se redécouvraient, corps et âmes, avec encore plus de plaisir que la première fois. Et leur visage l’exprimait avec encore plus de vérité que toute autre dissertation.
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Le printemps annonçait ses bourgeons gavés de sève lorsque la silhouette claudiquante du vieil Antoine se faufila dans l’allée des peupliers en une matinée fraîche et ensoleillée. Ces dernières semaines avaient été mises à profit pour tailler les buis de l’entrée et garnir de nouveaux graviers les allées bordées de massifs devant le château. L’accueil du bâtiment se refaisait une beauté pour la belle saison.
Léo vit arriver le vieil homme le premier. Un grand râteau à la main, il donnait la dernière touche à l’étalage du gravier entre le grand massif du centre et le perron. Marion, un peu plus loin, binait quelques rosiers taillés et bourgeonnants.
- Oh, misère, voilà les ennuis qui reviennent ! s’exclama l’homme au râteau.
Marion se redressa avec un regard interrogatif.
- Comment ça ?
- Ben, tu ne vois pas celui qui débarque encore une fois ? fit Léo en désignant du menton la silhouette qui s’avançait vers eux.
Elle n’avait pas encore osé lui dire ce qu’il s’était passé lors de sa rémission grâce à ce vieil homme jamais bienvenu. Elle savait Léo réfractaire au personnage et n’avait pas tenté de lui avouer quoi que ce soit à son sujet. Le vieil Antoine était un sujet tabou. Elle-même se connaissait toujours un malaise lorsqu’il apparaissait près d’elle et, l’un comme l’autre, elle ne pouvait lui en vouloir de ne pas l’apprécier ; il se montrait bien souvent antipathique. Malgré ses performances de médium à leur service, le vieil homme avait le don de rebuter et de créer l’inimitié, comme s’il voulait garder une distance permanente entre eux et lui. Marion ne sut quelle attitude adopter. D’ailleurs, c’était la première fois qu’elle ne se faisait pas surprendre par une de ses arrivées intempestives. C’était un peu comme s’il voulait cette fois s’annoncer officiellement. Et cela ne lui disait rien de mieux qui vaille.
- Cette fois, je lui file mon poing dans la gueule avant même qu’il ouvre la bouche, marmonna Léo en faisant blanchir ses phalanges autour du manche du râteau.
- Ah non, je t’en prie, pas d’esclandre, c’est inutile, le pria Marion d’une voix inquiète. Voyons ce qu’il a à nous dire et il s’en ira comme il est venu. C’est toujours comme ça.
- Mais bien sûr ! Je vais faire confiance à un type qui me désignait mon cancer avant même que je lui dise bonjour, c’est ça !
- Il a fait ça ?! s’étonna Marion, surprise.
- Eh oui, figures-toi. Pourquoi crois-tu que je ne puisse pas l’encadrer ? narguait-il tout en avisant le vieil homme arriver à leur hauteur.
Marion s’était rapprochée de son compagnon.
- Il faut que je te dises vite fait, avant qu’il ne te mette en boule, commença la jeune femme d’une voix basse. Il était là pour ta guérison miraculeuse.
- Hein !!!!! s’étrangla-t-il.
D’un bloc, il lui fit face en la fusillant du regard. Il tournait le dos à l’arrivée du vieil homme.
- Et c’est maintenant que tu me le dis ??! siffla-t-il.
- Je suis désolée, s’excusa-t-elle d’un air sincèrement contrit. Je ne savais pas comment te présenter la chose...
- Et je suis sensé faire quoi, maintenant, hein ?! éructa-t-il aussi bas qu’il pouvait. Mon poing dans la gueule avec un remerciement ?...
Impossible de répondre. D’une part parce qu’elle n’aurait pu trouver un bon argument, mais aussi parce qu’elle n’en eut pas le temps. Le vieil Antoine était là, à quelques pas du couple, les toisant étrangement de ses yeux à la cataracte sévère et pourtant étonnamment perçants. Il ne prononça aucune parole durant un moment, se contentant de les observer. Pas plus que Marion ni Léo qui lui faisaient face sans oser avancer vers lui. Le vieil homme se campa sur sa canne des deux mains, un petit air sévère et narquois à la fois affiché sur le visage. Sa petite taille aurait pu le révéler frêle, surtout en face de celle de Léo qui le dominait de deux têtes au moins, mais la puissance de sa présence était telle qu’il en imposait bien plus que sa simple apparence. Le couple ressemblait ridiculement à des enfants. Antoine les étudiait avec une acuité sidérante, silencieusement. Ses yeux ne bougeaient pas, comme s’il parvenait à distinguer l’un et l’autre sans pour autant les confondre. Il les «lisait» extrêmement bien et son attitude était particulièrement intimidante. Léo, en face de lui, eut un rictus d’impatience et tout ses muscles auraient voulu le propulser en avant pour l’étrangler, mais il fut stoppé net lorsque son adversaire se dérida pour dessiner un véritable sourire paternel sur son vieux visage. Le cuisinier, désarmé, oublia ses velléités de nuisance. Les deux hommes finirent par seulement se toiser et le regard étrangement éteint du vieil homme avait définitivement jeté son dévolu sur le plus jeune, l’obligeant à réviser ses intentions. Marion en était réduite à observer leur joute visuelle en suppliant sans rien dire qu’ils fassent la paix.
- On dirait que je n’ai pas bossé pour rien, prononça enfin le vieil Antoine sans perdre son grand sourire à qui il manquait quelques dents. C’est redevenu sain là et là...
Il désignait tour à tour son foie et son cœur avec un doigt tendu.
- Bien... bien, je suis content, ajouta-t-il
Les yeux arrondis par la surprise, Léo le fixait toujours aussi méfiant.
- De quoi est-ce que vous vous êtes mêlé, encore, vieux grigou ? demanda le cuisinier en fronçant les sourcils. Qu’est-ce que vous m’avez fait ?
- Oh, moi, rien, répondit innocemment le vieil homme. Je n’ai fait que servir d’intermédiaire... Le reste, c’est vous qui l’avez décidé avec les Êtres de Lumière, vous savez.
Léo regarda alors tour à tour sa femme et le vieil homme.
- Vous vous êtes donné le mot, tous les deux, ma parole ! s’exclama-t-il.
Marion prit un air outré.
- Comme si j’étais du genre à être complice d’Antoine, tiens !
- Alors, pourquoi tu l’as laissé faire ?
- Je te rappelle que tu étais entre la vie et la mort, Léo, se justifia-t-elle. Fallait-il que je te laisse partir sous prétexte que tu n’aurais pas voulu qu’il intervienne ?
Le vieil Antoine éclata de rire.
- Vous savez que vous êtes uniques, tous les deux ! riait-il de bon cœur.
Mais il ne leur laissa pas le temps de répliquer.
- Au fait, avez-vous reçu les parchemins ? demanda-t-il.
- Les parchemins ? interrogea Léo.
- Les parchemins, oui, bien sûr, confirma Marion en opinant du chef. Alors, c’est bien vous qui les avez envoyé... je m’en étais doutée.
Le vieil homme cligna d’un œil en signe d’affirmation.
- Instructif, n’est-ce pas ? fit-il, complice.
- Mais vous cherchez quoi, à la fin ? demanda Léo, agacé de ne rien comprendre.
- Moi ? Rien, répondit Antoine. Ma seule tâche était de vous réunir tous les deux pour que vous puissiez effectuer la vôtre et j’espère qu’elle est en bonne voie.
- Alors, c’est pour ça que... commença Léo qui comprenait soudain les motivations du vieil homme. ... que vous m’avez...
- ... je ne suis qu’un passeur d’âmes, Léo, se justifia modestement Antoine en lui coupant la parole. Et je n’ai fait que rassembler les conditions pour que vous ne passiez pas l’arme à gauche avant d’avoir effectué ce que vous êtes venu faire ici-bas. On dirait qu’ils ont été très persuasifs, là-Haut !...
- Je ne sais pas, je ne me souviens plus, répondit Léo qui s’adoucissait.
Il tentait pourtant intérieurement de rassembler les quelques éléments qu’il avait gardés de sa rémission, mais outre la formidable poussée d’énergie mêlée dans des visions oniriques délirantes, rien d’autre n’éveillait en lui le moindre souvenir. La Lumière et puis l’irrésistible retour en arrière...
Marion, elle, se souvenait bien de l’intervention d’Antoine, de son angoisse de voir partir son amour, de son impuissance, de sa peur de finir sa vie sans lui. Elle ne pouvait s’empêcher de lui en savoir gré. Elle savait qu’elle n’aurait pas été heureuse sans lui et qu’elle ne pouvait réaliser ce pour quoi elle était venue sur Terre. En somme, rien n’était plus précieux que d’avoir Léo à ses côtés. Leur amour partagé valait bien le prix d’une rémission, le plus beau cadeau que la vie ait pu lui faire. Antoine avait beau jouer les modestes, il était là pour eux, rien que pour les réunir à travers les siècles. Et ils lui étaient redevables.
- Je crois que nous vous devons bien le mérite d’être ensemble, n’est-ce pas ? conclut-elle tout en tripotant son sécateur. Qu’est-ce que vous diriez si nous vous invitions à notre repas fabuleux ?
- Non !!!! couina Léo entre ses dents à l’attention de sa femme. Ça va pas la tête !
- Si ! On lui doit bien ça, non ?
- Non !
- Si !
Antoine s’amusait énormément.
- Vous êtes décidément charmants, tous les deux, vous savez ! riait-il. Mais les plaisirs de ce bas-monde me sont parfaitement inutiles. Je ne mange jamais.
- Alors, tu vois, ça ne sert à rien de faire des ronds de jambe à ce monsieur, s’adressait Léo à Marion. La bouffe et lui, ça fait deux !
Pourtant, il eut un rictus interrogateur à l’attention d’Antoine. Comment ça, il ne mange jamais ?
- Mais pourtant, je trouve que ce serait une belle manière de vous remercier, insista la jeune femme tournée vers le vieil homme.
- Vous n’avez pas à me remercier. Grâce à vous, ma mission ici-bas est terminée dans ce corps. Mais pour cela, vous pouvez faire quelque chose pour moi...
- Que pouvons-nous faire pour vous ? demanda Marion.
- Lui payer sa maison de retraite, tu vas voir !! se moqua Léo.
- Mieux que ça ! cligna Antoine, facétieux. Je vais abandonner ce corps, là, ici, maintenant. Et pour cela, je voudrais vous demander de vous en occuper lorsque je serai reparti dans l’autre plan.
- C’est une plaisanterie là ! s’exclama Léo, effaré. Vous voulez en plus qu’on s’amuse à jouer les croque-morts !
- Ça me semble un peu difficile de répondre à votre demande, fit Marion embarrassée.
- Au contraire, rien de plus simple, les contredit Antoine. Vous allez m’accompagner jusqu’à la chapelle, puis à la crypte. Sur place, je vous expliquerai tout ce que vous aurez faire au fur et à mesure.
- Non, je refuse de faire ça, déclara Léo en reprenant fermement son râteau. C’est trop dégueu’.
- Ce n’est pas dégueu’ du tout, vous verrez, affirma le vieil homme en se mettant en route en direction de la chapelle. Vous venez ?...
Léo avait beau pester, retenir Marion de ne pas le suivre, l’irrésistible et irrévocable décision d’Antoine les impliquait malgré eux. Ils durent se résoudre à l’accompagner jusqu’au St-Sacrement et suivre ses directives.
Ce que tu révèles des ancêtres de Marion et de Léo est aussi bien joué ; j’aime vraiment beaucoup la façon dont les éléments se combinent (depuis le début, en fait…) pour finalement se retrouver à la fin…
Lire la convalescence de Léo, c’était également très chouette ! J’ai bien aimé la façon dont il retrouve de sa vitalité et comment son histoire d’amour avec Marion reprend tout doucement, c’est tellement joli (et qui l’aurait cru après toutes les épreuves qu’ils ont traversées tous les deux…) !
J’ai été en revanche très intriguée par la fin… Tout s’explique si Antoine est un passeur d’âmes, qu’il a aidé Léo à trouver son chemin jusqu’aux puissances supérieures et pour en revenir… Je me demande ce qu’il entend par ce qu’il demande à Léo et Marion, ce n’est quand même pas anodin, je suppose qu’il y a un protocole à suivre…je vais aller lire ça tout de suite :D
Tu as bien aimé les révélations historiques de la famille de Barjac ? J'avoue que cette partie m'a donné du fil à retordre. C'était pas facile de trouver des liens à la fois probants et vérifiables tout en ajoutant du mystère sur les liens avec les Montory. Mais si tu n'as pas trouvé de couac dans ce passage, tant mieux.
Ils reviennent de loin, tous les deux, c'est vrai. Alors autant qu'ils se lâchent vraiment dans ce qu'ils aiment faire le mieux : la cuisine. J'avoue que le menu qu'ils sont en train de concocter serait personnellement un défi énorme à relever. Je n'ai jamais expérimenter le quart de la moitié de ce que je raconte. J'attend d'avoir une belle cuisine bien équipée pour me lancer à tenter la réalisation. C'est à dire bientôt... (on peut rêver !)
Tu as tout compris pour Antoine. Le truc à ne pas oublier, c'est que Léo, quand il est 'là-haut' c'est aussi pour prendre conscience de tout un tas de choses qu'il avait occulté dans sa vie et que le cancer était un moyen pour lui de symboliser un mal-être qui s'est construit depuis sa vie d'avant. Je ne me suis pas trop étalée là-dessus mais c'est ce que je voulais transmettre en fait.
"Mon poing dans la gueule avec un remerciement ?" mouhahahah! trop bon ^^
Ha.. bha maintenant il va mourire O_o!
Me suis bien marrée aussi avec le poing dans la gueule avec un remerciement. Loool !
Bonne déduction, en fait...
J'ai trouvé que c'était encore bien mystérieux, tout ça. À moins que ma mémoire m'ait fait défaut... mais pourquoi donc ce couvent est-il arrivé en possession de la famille de Guillaume ? Bon, après, la passation à la famille de Barjac, j'ai à peu près compris, sauf que tu n'expliques pas trop pourquoi ce sont les descendants de Guillaume qui sont dépossédés de leur bien, et pas une autre famille. J'imagine que c'est le hasard...
Enfin, la rencontre Marion / Antoine / Léo, savoureuse à souhait ! Il a l'esprit quand même bien plus ouvert qu'au début, Léo ! ^^ Je trouve quand même ça dur à avaler, pour ma part (je veux dire, dans la vie réelle, parce que dans ton histoire ça passe comme une lettre à la poste ! Mais je suis beaucoup plus pragmatique IRL ^^'), mais bon, la rémission complète et miraculeuse est quand même un événement suffisant pour convaincre Léo...
La scène de l'ouverture de la malle m'a donné beaucoup de fil à retordre. J'ai dû pour cela construire deux arbres généalogiques sur 6 ou 7 générations, celui des Montory pour la famille de Guillaume et celui des de Barjac. C'était pas une mince affaire. Et tous les mystères ne sont pas résolus, c'est vrai. Sans vouloir trop en faire ou en dire sur ce qu'il reste de non résolu, c'est une affaire très politique en fait. Les histoires de Légion d'Honneur et de territoires à l'époque de Napoléon ont donné lieu à une multitude de possessions et dépossessions pour bien des familles. Les dessous de ces privilèges d'états sont emprunts de secrets et de critères parfois obscurs et bien souvent croulant sous le poids des intérêts et de l'orgueil. Là-dessus, on peut donc broder tout ce qu'on veut. Le hasard pourrait être une raison, mais pas forcément. Je te laisse alors imaginer ce que bon te semble.
Ah, c'est vrai qu'une fois Léo revenu à la vie, il s'en retrouve bien plus ouvert, c'est vrai. Une expérience proche de la mort telle que celle-ci ne rend pas la personne telle qu'elle était partie ; elle est transfigurée. Peut-être as-tu du mal à l'imaginer pour de vrai, mais je t'assure pour avoir côtoyé des gens qui en ont fait l'expérience ; ils ne sont plus jamais comme avant. Et bien souvent, c'est très positif. Léo, lui, pragmatique comme toi, a changé de point de vue une fois sa rémission effective. Ce n'est pas qu'il ait bien tout appréhendé de ce qu'il a vécu, mais il sait en son for intérieur qu'il en est l'instigateur. Et le fait qu'il apprenne que c'est Antoine qui lui a donné la pichenette pour qu'il revienne l'énerve d'autant plus qu'il comprend alors qu'il se trompait sur son compte et qu'il n'était pas tout seul dans l'affaire.
Je suis contente que tu aies apprécié l'idée de l'exploration de la cave et du coffre, parce que ce morceau m'a valu une bonne quantité de recherches et aussi la construction de plusieurs arbres généalogiques pour faire coïncider 5 ou 6 générations de deux familles différentes. Malheureusement, pour la devise des mousquetaires, renseignement pris un peu trop tard : elle n'est pas historique mais bien sortie par ce fourbe d'Alexandre Dumas et donc, je vais devoir en changer. Alors, comme ça, les russes ont une adaptation des Trois Mousquetaires... ça sonne étrange, la devise, dite comme ça... hihi !
Ce cher Antoine, si je ne l'avais pas... j'ai adoré écrire ce passage révélateur entre ces deux-là qui ne peuvent s'empêcher de se chipoter. Et la suite devrait être haute en couleur aussi, tu verras.
J'espère que je ne te décevrai pas pour le final. A bientôt, j'espère.
Biz Vef'