Gwenn :
Assise sur un banc en pierre, Gwenn attendait Arnitan. Autour d’elle, l’odeur âcre du sel et du poisson flânait dans l’air, tenace, trop familière.
J’aurais peut-être dû choisir un endroit moins… odorant, pensa-t-elle en fronçant le nez.
Mais, malgré tout, ces senteurs la rassuraient. Elles appartenaient à son quotidien. Et ce dont elle avait besoin, à cet instant précis, c’était d’un peu de stabilité. Car elle était nerveuse.
Elle voulait que son cadeau soit à la hauteur. Arnitan lui avait offert quelque chose de précieux, une véritable relique familiale, magnifique de surcroît. Et puis, il y avait eu ces jours terribles où il avait oscillé entre la vie et la mort… Elle avait cru le perdre.
Depuis, une évidence s’était imposée à elle : il fallait qu’elle lui parle.
Il faut que je lui dise ce que je ressens.
Rien qu’à repenser au baiser furtif qu’elle lui avait donné plus tôt dans la journée, son cœur s’emballa.
Je n’en peux plus d’attendre, murmura-t-elle en silence, jouant nerveusement avec ses doigts.
Le vent marin jouait avec ses mèches, les plaquant contre son visage. Elle s’agaçait à les remettre en place, sans cesse.
Il ne va pas tarder, se répéta-t-elle. Mais l’impatience menaçait de tout balayer.
Puis, enfin, des pas approchèrent. Une grosse boule de poils déboula en trottinant, tournant joyeusement autour du banc.
— Patan ! Tu es venu tout seul ? Ton maître aurait-il encore oublié son anniversaire ? lança-t-elle avec un sourire taquin, pour cacher sa nervosité.
— Très drôle… fit la voix familière d’Arnitan.
Il venait d’apparaître devant elle.
Pendant une seconde, elle resta figée. Comme si tout s’était suspendu.
— Gwenn ? l’appela-t-il doucement.
Elle sentit une main légère sur son épaule et cligna des yeux, revenant à elle :
— Désolée…
— Ce n’est rien, répondit-il avec un sourire bienveillant.
Il est si gentil… si doux…
Arnitan s’accroupit vers Patan et lui parla d’un ton désolé :
— Je lui avais dit que Rif serait sûrement là. Il est un peu déçu...
Gwenn pencha la tête, amusée :
— Désolée, mon grand. Rif est avec ma sœur, dit-elle au chien avec une moue désolée.
Elle hésita.
Le cadeau d’abord, ou… ce que je ressens ?
Son cœur cognait si fort qu’elle en avait mal au ventre. Le silence s’installa entre eux. À côté d’elle, Arnitan semblait lui aussi tendu.
C’est lui qui le rompit :
— Alors… tu as un cadeau pour moi ?
Gwenn inspira un bon coup, essaya de rassembler ses idées :
— Oui… Joyeux anniversaire, Tan.
Elle se pencha, fouilla sous le banc, et en sortit un petit coffret de bois.
— J’espère que ça te plaira.
Arnitan planta ses yeux dans les siens. Elle sentit son cœur faire un bond. Ce regard… elle avait rêvé de ce moment plus de fois qu’elle n’osait l’admettre.
— Quoi que ce soit, ça me plaira, assura-t-il.
Merci, murmura-t-elle intérieurement.
Elle le regarda attentivement tandis qu’il soulevait le couvercle. Un silence. Aucun mot. Aucune réaction.
Il n’aime pas…
Son estomac se noua. Elle détourna les yeux, se mordant la joue, ses doigts s’agitant sans qu’elle puisse les contrôler.
Comment pourrais-je lui parler de mes sentiments s’il n’aime même pas mon cadeau… ?
Puis il leva enfin les yeux, un grand sourire aux lèvres :
— C’est… la meilleure chose qu’on m’ait jamais offerte. Bon… peut-être après la dague, ajouta-t-il avec une pointe d’espièglerie.
Gwenn le fixa, bouche bée. Puis, avec un petit rire de soulagement, elle lui donna un coup à l’épaule.
— Aïe ! C’est ton deuxième cadeau ? fit-il, amusé.
— Tu m’as fait peur, répondit-elle simplement.
Arnitan leva doucement le médaillon. Il brillait sous les derniers reflets du soleil. Une fine chaîne argentée, et, à son extrémité, un petit médaillon gravé d’un bouquet de lavande.
— Merci… Gwennie, dit Arnitan en passant la chaîne autour de son cou.
Pour la première fois, ce surnom qu’elle avait toujours trouvé un peu enfantin lui parut doux. Il sembla le remarquer. Un pli se forma entre ses sourcils.
— J’ai quelque chose à te dire, lança-t-elle, rassemblant son courage.
Le visage d’Arnitan se figea. Son expression changea légèrement, une ombre passa dans ses yeux.
— Moi aussi, répondit-il, avec une pointe de gravité dans la voix.
Elle ne s’y attendait pas. Allait-il… dire ce qu’elle n’osait lui avouer ?
— Je peux commencer ? demanda-t-il.
Elle acquiesça, le cœur battant.
Arnitan inspira, puis se racla la gorge :
— Il s’est passé quelque chose… après que j’ai été attaqué par le loup. Quand j’étais inconscient
La gorge de Gwenn se serra. Elle s’attendait à tout sauf à ça. Son regard s’emplit d’inquiétude — et peut-être aussi d’un brin de déception. Elle avait cru, pendant une seconde, qu’il parlerait d’eux.
— J’étais dans le village. Je vous cherchais… toi, ma famille. Il n’y avait personne. Aucun son. Juste la nuit. Tout semblait figé
Il marqua une pause. Ses yeux brillaient.
— J’ai cru que j’étais mort.
Sans réfléchir, Gwenn posa sa main sur la sienne.
— C’était terrifiant. Tous ceux que j’aimais… disparus. Peut-être à jamais.
— Oh Tan… je suis tellement désolée, murmura-t-elle, sentant la culpabilité la ronger.
Il serra doucement sa main. Une chaleur discrète s’en dégageait.
— Ce n’est pas ta faute, Gwenn. C’est moi qui aie insisté pour que tu viennes, malgré tes avertissements. C’était à moi de rester. Pas à toi de risquer ta vie.
— Tu aurais pu fuir avec nous…
— Il nous aurait rattrapés. Et qui aurait-il attaqué ? Je ne veux jamais connaître la réponse à cette question. J’y ai tellement pensé… Je me suis senti faible. Inutile.
Elle vit son regard déterminé.
— Je te jure que plus jamais il ne t’arrivera quelque chose. Je te protégerai.
Gwenn sentit sa poitrine exploser.
Il… il me protège ?
— Tan…
Mais il ferma les yeux, comme pour rassembler ses pensées :
— Je n’ai pas fini. J’ai marché vers la tour, pensant y trouver quelqu’un. Mais à sa place, il n’y avait qu’une cabane. Tout était sombre, et pourtant, j’avais l’impression que le temps s’étirait à l’infini.
Il s’arrêta, et elle vit une lueur de peur traverser son visage.
Elle mourait d’envie de le prendre dans ses bras.
L’embrasser, pensa-t-elle.
Mais ce n’était pas le moment. Pas encore. Elle se contenta de serrer un peu plus sa main.
— Tu n’es pas obligé de tout raconter, souffla-t-elle.
— Si, il le faut. Si je ne le dis pas, j’ai l’impression que ça va… exploser à l’intérieur.
Elle acquiesça sans un mot.
— La porte s’est ouverte. Une lumière m’a ébloui. Quelqu’un… un homme, je crois, est sorti. Il m’a dit que j’aurais dû mourir ce jour-là. Que j’étais… qu’un destin immense reposait sur moi. Que le monde dépendait de moi. Et puis, un trou s’est ouvert sous mes pieds, et je suis tombé. Je me suis réveillé dans ma chambre.
Gwenn eut des frissons. Tout son corps réagissait.
— Il a parlé d’une hirondelle qui veillerait sur moi. Et… d’un serpent. Dont il faudrait se méfier.
Elle sentit son cœur se crisper.
Une hirondelle ?
Arnitan détourna les yeux.
— Je ne voulais pas y croire. Mais quand je t’ai vue… j’étais tellement soulagé, tellement heureux… Je n’ai pas réfléchi. Je t’ai offert la statuette. L’hirondelle.
Elle cligna des yeux, un peu perdue.
Qu’est-ce qu’il raconte ?
Elle resta muette un instant. Puis, dans un souffle :
— Et elle est magnifique.
— Ce n’est pas pour sa beauté… mais parce que l’hirondelle, c’était toi.
La main d’Arnitan tremblait dans la sienne :
— Je n’aurais pas dû. Si ce que cet homme a dit est vrai, alors… à cause de moi, tu pourrais…
Elle se tourna pour le regarder dans les yeux :
— Qu’il m’arrive quelque chose ? Tan… c’était peut-être qu’un cauchemar. Une hallucination due à la douleur…
— Je l’ai cru, moi aussi. Mais non. Le loup. Ce monde étrange. Et cette fille...
Gwenn se figea.
— Quelle fille ?
— Une nuit, elle est apparue dans ma chambre. Perdue. Puis elle a disparu. Elle s’appelait Aelia. Je suis sûr que je ne l’ai pas rêvée.
— Penses-tu qu’elle avait quelque chose à voir avec ce que t’as dit l’homme du Krieg étrange ?
— Je ne sais pas… elle non plus n’avait pas l’air de savoir…
Gwenn sentit un pincement. Tout cela lui semblait irréel. Mais Arnitan n’aurait pas inventé tout ça.
Et puis, il lui avait confié le rôle de veiller sur lui. Elle. Pas une autre.
Ce n’était pas qu’elle doutait de lui. Arnitan avait prouvé son courage, et elle laisserait sa vie entre ses mains. Non, elle craignait que ce soit vrai.
Si Arnitan lui avait raconté cette histoire, c’est qu’il y croyait. Pourquoi elle douterait de lui ?
Un bourdonnement montait dans sa poitrine.
— Merci, dit-elle doucement.
Arnitan la regarda, déconcerté :
— C’est tout ? Tu ne me dis pas que je suis fou ?
— Tu n’es pas fou. Je sais que tu y as réfléchi. Et si tu y crois… alors j’y crois aussi.
Il resta bouche bée. Gwenn porta ses mains à son visage.
— Tu m’as choisie, moi. Alors que tout le monde sait que je ne suis pas forte…
Les joues d’Arnitan étaient si douces, dans ses paumes.
— Tu es bien plus forte que tu ne le crois, Gwenn. À qui d’autre aurais-je pu faire confiance ?
— Ta famille. Gabrielle, plaisanta-t-elle.
Il sourit à son tour.
— Gabrielle ? Elle m’aurait tué avant même que le loup n’arrive.
Ils éclatèrent de rire.
— Tan… J’accepte ce rôle. Je veux rester à tes côtés. Toujours.
Il poussa un long souffle, soulagé.
— Alors, c’est à moi de te remerci…
Mais il ne put finir. Elle venait de poser ses lèvres sur les siennes.
J'ai cru que ces deux là ne se déclareraient jamais.
Bon, il faut dire que Arnitan avait "du lourd" à lui annoncer et je trouve qu'elle accepte bien toutes les informations qu'il lui donne.
Elle sera être une alliée pour lui.
Elle a confiance en lui et l'aime donc elle accepte.
A voir ce qui se trame pour nos deux amoureux :)
Un chapitre adorable. J'ai bien aimé le quiproquo que tu as créé entre Gwenn qui veut confier ses sentiments et Arnitan qui souhaite raconter ses visions. Meme si je te l'avoue, j'ai le presentiment que ca va mal se terminer pour Gwenn.
.
Sur la forme :
- fronçant le nez ( c'est... original. Ca se dit pour les sourcils mais c'est la première fois que je le vois ecrit pour le nez).
- Gwenn e fixa, bouche bée. Puis, avec un petit rire de soulagement, elle lui donna un coup à l’épaule. ( le)
— Aïe ! C’est ton deuxième cadeau ? fit-il, amusé.
— Tu m’as fait peur, répondit-elle simplement. ( je crois qu'il y a une erreur dans les répliques. Ce n'est pas Arnitan qui demande si c'est son deuxième cadeau).
A la prochaine,
Scrib.
Merci, peut-être un des chapitres les plus sympa à écrire.
Gwenn, personnage que je ne pensais pas autant adorer mais en l'écrivant c'était juste génial.
Je ne dirais rien sur la suite aha
Oula oui je me suis embourbé sur les répliques. Merci de tes retours, je fais les modifs.
A plus :)