Chapitre 17 : Rhazek

Par Talharr

7 Ismira de l’an 1296 :

Rhazek :

Plusieurs mois s’étaient écoulés depuis que Rhazek avait pris une décision : il serait celui qui dirigerait le monde.

En attendant le signal, il s’était attelé à asseoir son influence. Il avait soigneusement consolidé ses alliances parmi les commandants de l’armée et les personnalités les plus influentes de Mahldryl. Son approche était simple : se rapprocher de ceux qui méprisaient son père ou rêvaient d’un changement radical.

Rhazek n'éprouvait pour Rhazlir III qu’un respect distant. Le lien entre eux se résumait à leurs rares échanges dans ce sous-sol obscur. Mais son père lui avait transmis une idée essentielle : prends tout ce qui peut te mener à la gloire. Alors, même s’il connaissait mal Erzic, il avait saisi l’occasion. Ce qui s’était passé au marché avait suffi à le convaincre.

Il redoutait le moment où il devrait tuer son père. 

J'y arriverai. Je vais prendre ce qui me revient. De droit. Et devenir le maître de ce monde.

Quant au moment d’agir, il l’ignorait. Erzic ne s’était pas manifesté depuis le jour de l’arène, et l’attente le rongeait. Faire semblant, discuter, jouer le jeu politique… tout cela l’ennuyait passablement. Mais il persévérait, conscient que sa popularité en dépendait.

Pour calmer son impatience, il s’occupait comme il pouvait : patrouilles, plaisirs, violences réprimées. Il attendait un jour comme aujourd’hui, où les choses pourraient enfin bouger.

Les rayons du soleil le faisaient plisser les yeux alors qu’il montait vers les hauteurs de la cité. Il se rendait chez l’un des plus puissants conseillers de Mahldryl. Le convaincre, c’était gagner le soutien de tout un peuple.

Les demeures des grands se dressaient là, rassemblées sur un des points culminants de la cité. Elles semblaient surveiller la ville en contrebas, guettant les opportunités à saisir. Leurs murs portaient les couleurs du pouvoir : rouge, vert, bleu, ocre…

Tout le contraire des habitations des citoyens ordinaires, condamnées à refléter la poussière sableuse du sol.

Des soldats veillaient à l'entrée du quartier.

Ils sont incapables de se défendre eux-mêmes, songea Rhazek.

Rhazek les salua, et ils le saluèrent en retour. L’armée était déjà acquise à sa cause. Ils voulaient combattre, et il leur avait promis des guerres. Rhazlir parlait souvent de conquêtes, mais n’avait réalisé que des traités.

Rhazek, lui, leur avait juré qu’au lendemain de la mort de son père, Mahldryl verserait son sable ensanglanté sur tout Drazyl. Puis, une guerre encore plus vaste les attendrait : une guerre contre les autres royaumes. Pour le bien du monde, disait-il. Et il s’en convainquait lui-même.

Les hommes de l’armée avaient été conquis d’entendre ses paroles et leur loyauté était acquise.

Mais il était trop stratège pour prendre le pouvoir par la force. Cela ne lui assurerait que le soutien des militaires. Or, tous à Mahldryl n'étaient pas avides de sang. Il voulait une cité unie, conquérante, loyale.

C’est pourquoi il avait besoin du soutien de l’armée et des conseillers.

Il faudra que nous soyons unis pour réussir ce que je vais entreprendre.

Devant lui s’élevait une maison aux murs beiges bordés de rouge. Au-dessus de la porte, un blason bien connu : un parchemin auréolé d’étoiles sur un bouclier rond.
La maison Llandryl. L’une des plus anciennes lignées de Mahldryl. Depuis des générations, ce nom n’avait jamais quitté les cercles du pouvoir, même si les conseillers étaient théoriquement renouvelés tous les vingt ans.

Un grand portail s’ouvrit. Un homme sortit pour l’accueillir. Jeune, maigre, mal vêtu.

Un esclave, pensa Rhazek avec dégoût.

Il les méprisait. Hommes, femmes, enfants… tous servaient les plus riches : aux marchés, chez les artisans, ou dans les tâches les plus indignes. On les reconnaissait à leurs haillons beiges, qu’ils étaient les seuls autorisés à porter.

Il détourna le regard et franchit le seuil, l’esprit déjà focalisé sur l’entretien à venir. Ce jour pouvait marquer un tournant. Et il comptait bien écrire sa légende.

Rhazek se demandait parfois si les esclaves de Mahldryl savaient à quel point ils avaient de la chance de vivre ici. Probablement pas.

     — Bonjour, jeune seigneur. Mon maître vous attend, dit l’esclave en s’inclinant.

     — Alors, conduis-moi, au lieu de me parler, grogna Rhazek avec dédain.

Le jeune homme acquiesça, baissant la tête. Rhazek aperçut sur son bras la marque au fer : une tête de Crazstyr. Sur l’autre bras, sûrement celle de son propriétaire.

Au moins, il aura eu droit à un peu de douleur, songea-t-il, un sourire au coin des lèvres.

Un petit chemin de dalles, jadis éclatantes, menait à un escalier.

En haut, l’esclave poussa une double porte ouvrant sur un vestibule austère.
Des manteaux pendus à des crochets, une odeur de poussière. Et rien d’autre.

Un tombeau avec des tableaux de famille, songea Rhazek. Charmant.

On le guida jusqu’à une grande salle. Une longue table, quelques chaises, des murs nus. Vide.

Même les baraquements de l’armée ont plus d’âme.

Ce conseiller ne ressemblait à aucun autre. Un esclave pour l’accueil, aucun signe de richesse visible, et surtout… pas là pour le recevoir.

Il doit y avoir des pièces remplies d’ornements et d’objets rares, songea-t-il.

     — Une pièce vide, et pas même un maître pour y siéger. J’espère que tu ne me fais pas perdre mon temps, sale…

Le jeune esclave ne répondit, baissant toujours plus la tête.

     — Je suis là, jeune seigneur, résonna une voix calme.

Une porte dissimulée s’ouvrit. Un homme aux tempes grises apparut, vêtu d’une tunique simple.

     — Pardonnez-moi. J’avais oublié votre empressement, dit-il avec un sourire.

Rhazek se mordit l’intérieur de la joue. Il ne pouvait pas exploser maintenant.

Un jour, je te ferai ravaler cette arrogance.

     — Je te remercie, Matir. Va nous chercher deux tasses de Grozyl, ajouta le conseiller.

Rhazek haussa un sourcil. L’esclave inclina la tête et s’éclipsa avec une révérence. Un nom ? Une marque de respect ?

Pathétique.

     — Bien. En attendant notre breuvage, venez-en au fait, jeune seigneur. Que me vaut votre visite ?

Rhazek n’aimait pas la façon dont cet homme lui parlait. Mais pour le moment il devait s’abstenir de s’énerver.

     — De grands bouleversements se préparent. Drazyl sera le premier royaume à en sentir l’impact.

     — Et pourquoi donc ? Notre royaume—si l’on peut encore l’appeler ainsi—vit en paix depuis des générations, répondit Prasto d’un ton neutre.

     — Justement. Drazyl doit redevenir ce qu’il était. Unifié. Puissant. Sous une seule voix.

     — Une voix, vraiment ? Et j’imagine que cette voix serait la vôtre ? demanda Prasto, un sourire en coin.

     — Mon père n’a jamais rien tenté, et il n’essaiera jamais. Moi, je ferai ce que nul autre n’a réussi. J’ai été choisi pour ça. Quand Drazyl sera réuni, nous marcherons sur les autres royaumes. Nous contrôlerons la Terre de Talharr. Je suis un élu.

On frappa doucement à la porte. L’esclave entra, un plateau entre les mains. Il déposa d’abord une tasse devant Rhazek, puis devant Prasto.

    — Merci. Je commençais à avoir la gorge sèche, dit le conseiller.

Rhazek fronça légèrement les sourcils. Il venait de remercier un esclave ?

L’esclave repartit, plateau en main.

L’odeur qui s’échappait des tasses était intense : un mélange d’épices, relevé d’un parfum iodé.

     — Je vous en prie, insista Prasto. Le sel noir est excellent cette année.

Rhazek attrapa la tasse tiède et en but une gorgée, par défi autant que par curiosité.
Contre toute attente, le goût était complexe, profond. Une chaleur parfumée lui monta à la tête — cannelle, fenugrec, et cette étrange pointe salée.

     — C’est… surprenant, admit-il à contrecœur. Bon. Mais je ne suis pas venu pour parler boisson.

     — Naturellement. Pardon. Vous disiez que votre père ne serait pas roi… et que ce serait vous, un élu, qui prendriez sa place ?

     — Un dieu m’a désigné. Une grande guerre approche. Je dois prendre le contrôle de la Terre de Talharr, pour la protéger.

Prasto haussa un sourcil, croisa les bras.

     — Et… comment savez-vous que vous êtes un « élu » ?

     — Des magiciens sont venus à Mahldryl, pendant les jeux. Ils m’ont parlé. Ils m’ont montré des choses… Des choses impossibles à nier. Je ne voulais pas les croire. Mais après ce que j’ai vu…

Prasto pâlit légèrement. Son regard se durcit.

    — Des magiciens, dites-vous ? Comment étaient-ils vêtus ?

    — Robes blanches. Et l’un d’eux, en gris.

    — Ont-ils parlé une langue étrange ? Une langue… qui semblait presque provenir d’un serpent ?

Rhazek hocha lentement la tête. Rien qu’à y penser, il sentit un frisson lui courir le long de l’échine. Le souvenir du cercle lumineux, des mots glacés, du silence.

Prasto se leva brusquement et fit les cents pas.

    — Vous les connaissez ? demanda Rhazek, intrigué.

    — Non… mais les anciens récits en parlent. Ces mages servaient autrefois les dieux. Lors de la guerre, chacun a dû choisir un camp. Drazyl était du côté de Malkar… sauf un peuple.

Malkar…  Ainsi, Drazyl était déjà leur serviteur. Et ce peuple ? Les Alkasrims ? Rhazek sentit une tension monter.

    — C’est ce peuple que mon père a craint pendant les jeux, n’est-ce pas ?

Prasto se renfrogna.

    — Ils étaient censés avoir disparu, quand votre arrière-grand-père, Rhazlir II, a pris le pouvoir et purgé les terres de toute opposition… dont les Alkasrims. Ils étaient dévoués à Talharr. Qu’ils ressurgissent maintenant… après ce que vous me dites… c’est inquiétant.

Il marqua un silence, puis planta son regard dans celui de Rhazek.

    — Vous êtes l’élu de Malkar, n’est-ce pas ?

    — En effet.

    — Alors votre première tâche est claire : vous devez tuer votre père.

Le ton était plat, froid. Prasto ne souriait plus. Cela dérouta Rhazek. L’homme jusque-là obséquieux parlait maintenant comme un juge.

    — Je ferai ce qu’il faut pour Drazyl. Et j’aurai besoin de votre soutien, lorsque je deviendrai le seigneur de Mahldryl.

Non pas que je le veuille... 

En effet Prasto Llandryl était d'une famille qui avait, autrefois, vécu avec le reste de la population. Il était, après le seigneur, l’homme le plus respecté et le plus écouté de la cité. Le peuple avait une confiance aveugle en lui. 

Rhazek savait que sans lui, sa notoriété serait mise à mal. 

    — Êtes-vous prêt à porter ce fardeau ?

    — Plus que vous ne le pensez. Sous mon commandement, notre peuple dominera le nouveau monde, répondit Rhazek en serrant les poings.

    — Alors ce ne sera plus à moi d’en juger. Mais au peuple.

Prasto s’approcha, changeant à nouveau de ton.

     — Je suis honoré que vous m’ayez choisi pour vous accompagner. Votre père a perdu en influence, et beaucoup s’en lassent. Sa chute ne chagrinera personne.

En d’autres temps, pour ce genre de trahison à peine voilée, Rhazek l’aurait envoyé dans le sous-sol du dôme. Mais aujourd’hui, il souriait. La victoire était proche.

    — J’accepte de vous soutenir, à deux conditions.

    — Parlez.

    — D’abord, je veux devenir votre conseiller le plus haut placé. Ensuite… je dois rencontrer vos magiciens. Je dois vérifier que tout cela n’est pas une mascarade.

Il s’approcha, tout près :

    — Autrement, j’irais parler à notre seigneur actuel.

Le sang de Rhazek bouillonna, mais il se contint.

    — Très bien. Quand le moment viendra, je viendrai vous chercher. Mais pas un mot sur cette conversation. Sinon, mes alliés s’occuperont de vous.

Prasto recula d’un pas. Rhazek sourit. Le message était passé.

Il termina sa tasse d’une gorgée, grimaça, puis se dirigea vers la sortie. À deux pas de la porte, il s’arrêta. Une image s’imposa à lui. La même qu’à l’arène.

Il resta immobile, le regard fixé sur le bois sculpté.

Ne pas vaciller. Pas devant lui.

    — Tout va bien ? demanda Prasto, de nouveau assis.

Rhazek se retourna lentement, un sourire figé sur les lèvres.

     — Ce soir. Au marché.

Sans attendre de réponse, il quitta la pièce.

Dans un angle d’ombre, il crut apercevoir un mouvement. Une silhouette furtive.
Sûrement l’esclave.

Et que ferait-il, celui-là ? ricana-t-il intérieurement.

Dehors, le soleil était rude. Il prit la direction du dôme, sans plus se retourner.

Ce soir, Je deviendrai celui que mes ennemis et alliés redouteront le plus.

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Brutus Valnuit
Posté le 28/07/2025
J'ai toujours un peu de mal à me passionner pour les intrigues politiques. Ici j'ai une remarque.
Je trouve que pour les enjeux qui se profilent et pour le rang qu'il occupe, Rhazek est très peu prudent.
Il dévoile frontalement ses intensions, sans détour.
Est-il si persuadé que son interlocuteur ne le trahira pas ?

Sinon, le chapitre fonctionne bien et le caractère de Rhazek (détestable) est bien décrit.
Talharr
Posté le 28/07/2025
Je suis pas passionné non plus par ça mais dans un monde il y a toujours de la politique ahaa mais je te rassure il n'y en a pas énormément :)

Rhazek, même s'il est jeune, sait comment fonctionne la politique. Il demande l'aide de Prasto pour lui promettre d'être le premier conseiller du prochain roi. Difficile de refuser et rhazek a besoin de lui pour le peuple ;)
Il lui parle de conquérir Drazyl, de servir un dieu. Difficile de refuser pour lui.

Personnalité de Rhazek complexe :)
Scribilix
Posté le 20/07/2025
Salutations.
Ah, une intrigue politique, tout ce que j'adore, l'on se croirait à Spyr :). blague à part j'ai bien aimé ce chapitre ainsi que les réactions Rhazek ( nottament sa façon de mépriser absoluement tout le monde).
big up pour cette phrase "Rhazek se demandait parfois si les esclaves de Mahldryl savaient à quel point ils avaient de la chance de vivre ici. Probablement pas." :).
Sinon je trouve toujours cela intéréssant de voir les relations de pouvoir dans un royaume ainsi que l'avancée du lore concernant les Alkasrims

quelques points peut-etre sur l'approche politique :
- je ne sais pas si c'est prévu mais je trouverais cela sympa de voir quelques divergences dans l'armée, tous ne souhaitent pas la guerre et cela pourrait donner une scène sympa où Rhazek punit les plus récalcitrants.
- Enfin, je ne vois pas en quoi un conseillers représenterait le peuple, la noblesse ou la bourgeoise à la rigueur s'il en est issu. Je vois que tu as accentué son coté humain et la façon dont il traite son esclave laisse envisager l'idée qu'il serait plus attentionné envers les moins fortunés de la cité. Néanmoins j'aurais peut-etre rajouté une scène un peu plus explicite pour évoquer le soutien voir l'admiration que les petite gens de la cité pourraient porter à Prasto.

Comme d'habitude, quelques remarques sur la forme :
- Il redoutait le moment où il devrait tuer son père, mais sa décision était prise. ( je trouve que tu te repetes un peu trop, tu as déjà ouvert ce chapitre en disant que Rhazek avait pris une décision.)
- Je vais prendre ce qui me revient. De droit. ( je ne sais pas si le point est voulu ?).
- Un petit chemin de dalles, jadis éclatantes, menait à un escalier.
Ils traversèrent une allée de dalles usées, menant à un escalier ( tu te repetes)
à plus dans la suite
Talharr
Posté le 20/07/2025
Hello,
Aha content qu'un peu de politique te plaise :')
Je suis pas hyper fort pour mettre ça en place mais si ça fonctionne déjà à peu près je suis content aha
Merci aussi pour Rhazek et la phrase :)
Pour Prasto, c'est exactement ça, j'ai essayé de le montrer plus humain ce qui pourrait faire que le peuple l'apprécie et qu'il passe par lui. Mais je comprends complétement ton commentaire et je vais ajouter une phrase pour que l'on comprenne bien son rôle.
La divergence dans l'armée comme à Spyr aha mmh j'y ai pas réfléchi, j'étais dans l'optique que c'était une armée unifiée dans le sens où tant que leur dirigeant leur promet guerres et gloires ils le suivaient. Mais ça peut changer au fur et à mesure :)

Merci pour les remarques je modifie ça :)
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