Alajéa se dirigeait d'un pas guilleret vers la chambre du terrien. Ezarel lui avait confié une mission « de la plus haute importance » dont elle comptait s'acquitter à la perfection. En échange, il lui avait promis de lui apprendre quelques astuces pour l'aider à mieux réaliser ses potions. Elle frappa à la porte de son nouveau collègue qui ne tarda pas à ouvrir.
— Bonjour, je m'appelle Alajéa Tyriallis, je suis une sirène atlante et une brasseuse de potions pour la garde Absynthe, se présenta-t-elle d'une voix chantante. C’est le capitaine Ezarel qui m'envoie. Il veut que je t'accompagne à la bibliothèque.
Lysandre acquiesça. Alors qu'ils se dirigeaient vers la salle commune des Absynthes, le faelien jetait des coups d'œil furtifs à la sirène, fasciné par ses oreilles en forme de nageoire turquoise et sa peau hâlée parsemée de fines écailles scintillantes tirant sur le bleu roi. Il avait croisé plusieurs de ces êtres à l'allure fantastique arborant des queues, des cornes, des sabots ou des crocs protubérants, mais il ne se faisait pas encore à tous ces attributs hors du commun. D’autres faeries avaient une apparence parfaitement humaine, mais il y avait toujours une caractéristique qui trahissait leurs véritables origines, que ce soit la couleur atypique de leurs yeux ou de leurs cheveux, ou bien leur teint qui tirait parfois sur des couleurs inhabituelles, comme le bleu pastel ou le mauve. En cela, Lysandre se reconnaissait parfaitement, lui qui était né avec des cheveux gris argenté et des yeux vairons, ambre et turquoise.
Quand il était enfant, ses grands-parents lui teignaient les cheveux en noir et l’obligeaient à porter des lentilles de couleur brune pour masquer ces anomalies, lui épargnant ainsi la curiosité parfois cruelle de ses camarades de classe et l’incrédulité des adultes. Au lycée, il avait décidé de retrouver son apparence naturelle, mais faisait croire à ses camarades qu’il s’agissait d’une couleur artificielle et qu’il portait des lentilles de couleur. Castiel, Rosalya et Leigh étaient les seuls à savoir de quoi il en retournait vraiment. Ils n’avaient jamais questionné cette bizarrerie, ils l’avaient mis sur le compte d’une anomalie génétique, et n’avaient émis aucun jugement négatif à son égard. Rosalya avait même décidé de se teindre les cheveux en blanc et de porter des lentilles roses pour qu’il se sente moins seul dans son étrangeté.
Pourtant, malgré le soutien et la bienveillance de ses amis, Lysandre souffrait souvent de sa différence. Ici, personne ne s’étonnait de ce physique si particulier. Lysandre avait même l’impression d’être on ne peut plus normal en comparaison de toutes ces créatures humanoïdes, qui tenaient parfois plus de l’animal que de l’homme. Si les gardiens d’Eel le regardaient avec méfiance et curiosité, c’était à cause des origines terriennes. La nouvelle qu'un homme venu de la Terre avait intégré l'Absynthe avait déjà fait le tour de la Garde, même si les détails de son arrivée au QG restaient flous. Il attirait les regards et on se retournait souvent sur son passage, mais les gardiens maintenaient une distance respectueuse, et personne n'avait osé l'aborder pour le bombarder de questions indiscrètes auxquelles il aurait été bien en peine de répondre.
Quelques membres de l'Absynthe présents dans la salle commune le dévisageaient avec des yeux ronds où se mêlaient méfiance et curiosité. Lysandre ne pouvait qu'imaginer toutes les pensées qui traversaient leur esprit alors qu'il suivait la sirène à travers la salle de repos. Elle s'arrêta devant une grande porte en bois massif.
— Nous y voilà, sourit-elle en le faisant entrer dans une vaste salle d'études aux murs couverts d'étagères qui croulaient sous le poids des livres.
Ezarel les attendait depuis quelque temps déjà, sa présence forçant un silence respectueux et quelque peu intimidé chez ses subordonnés qui se questionnaient sur la raison de sa visite soudaine, lui qui venait si rarement en ces lieux. Les plus nerveux d'entre eux redoutaient une inspection surprise, mais ils se détendirent lorsqu'ils virent Alajéa et le terrien le rejoindre.
Les bras croisés, le capitaine de l'Absynthe commençait à s'impatienter. Il fit asseoir Lysandre à une table un peu en retrait, même si son arrivée avait déjà distrait ses collègues Absynthes qui avaient abandonné leur lecture, leur attention tournée vers leur supérieur et le terrien qui alimentait les rumeurs les plus folles du QG.
Agacé par les messes basses de ses subordonnés, l'elfe se tourna vers les curieux qu'il fit taire d'un simple regard. Les gardiens s'excusèrent d'un signe de tête et retournèrent aussitôt à leur étude. Reportant son attention sur Lysandre, Ezarel déposa une pile de vieux livres poussiéreux devant lui.
— Miiko m'a dit de t'apprendre les bases, et la théorie c'est la base, donc voilà. Tu as ici tous les rudiments concernant l'alchimie et la fabrication de potions. Quand tu auras fini de tout lire, tu me feras une synthèse des lois et principes qui régissent les réactions alchimiques.
Lysandre avait déjà commencé à feuilleter l'un des livres que l'elfe lui avait recommandés. Il remarqua bien vite que la tâche allait être bien plus ardue que ce qu'il pensait. Pour cause : il ne comprenait pas un traître mot de ce qui était écrit, les textes étant rédigés dans un alphabet qui lui était inconnu.
— Je ne peux pas lire ça, déclara-t-il alors.
— Pardon ? Ma façon de faire ne te convient pas ? C'est trop de travail pour toi ?
— Non, ce n'est pas ça, se défendit Lysandre qui ne voulait pas que le capitaine se méprenne sur ses intentions. C'est juste que je ne sais pas lire cette langue.
Ezarel haussa un sourcil.
— Pourtant tu la comprends parfaitement quand on te parle.
— Je sais, mais je ne peux pas la lire. Je ne sais pas déchiffrer ces lettres.
— Étonnant, fit Ezarel en se caressant le menton, l'air songeur. Eh bien, ce n'est pas très grave. Alajéa est là pour ça. Elle te lira les chapitres, tu n'auras qu'à prendre des notes dans ta langue originelle. Puis ça ne lui fera pas de mal de revoir quelques bases, elle aussi.
— Ce n'était pas ce qu'on avait convenu ! protesta la sirène en affichant une moue boudeuse.
— Je t'ai dit que je t'aiderais à améliorer tes techniques de fabrication de potions, et c'est ce que j'ai fait. Tu n'as quand même pas cru que j'allais te donner un cours particulier ? Tout ce dont tu as besoin est là. Toi aussi, tu devrais reprendre les bases. Puis si je t'avais demandé de t'occuper du faelien, tu aurais prétendu avoir mieux à faire ailleurs. Maintenant que tu es là, tu ne peux plus vraiment refuser, n'est-ce pas ?
Alajéa lui jeta un regard noir, honteuse et furieuse de s'être – encore – fait rouler dans la farine. Elle avait renoncé à le séduire depuis longtemps déjà, elle avait compris qu'il n'y avait pas de place pour elle dans son cœur gelé par la cruelle Sorcière Blanche, mais elle voulait au moins gagner son respect et son estime. Elle ne voulait plus de ce regard empreint de mépris et de haine. Elle avait tout fait pour répondre à ses exigences et entrer dans ses bonnes grâces, mais il la traitait toujours comme la dernière des cruches.
Ezarel lui adressa un sourire condescendant avant de laisser les deux Absynthes à leur lecture. Alajéa se mordit l'intérieur de la joue si fort qu'un goût ferrugineux envahit sa bouche. Elle refoula ses larmes et ravala sa déception pour faire bonne figure face au faelien.
— Ça va ? demanda Lysandre qui avait ressenti le trouble de la sirène. Si tu ne veux pas m'aider, je me débrouillerai tout seul. Tout cela a l'air un peu trop compliqué pour moi. Il doit bien y avoir des tâches plus simples et plus concrètes que je pourrais accomplir.
— Ne t'en fais pas, fit la sirène en secouant la tête. J'ai l'habitude. Puis le capitaine n'a pas tort, revoir les bases ne me fera pas de mal.
Les deux gardiens s'étaient donc plongés dans une étude minutieuse de ces ouvrages indigestes, chapitre par chapitre. Alajéa semblait parfois tout aussi perdue que Lysandre, mais elle s'efforçait de lui expliquer les choses le plus clairement possible.
Cela faisait bien deux bonnes heures qu'ils planchaient sur le sujet lorsqu'une jeune femme rousse aux longues oreilles de lapin fit irruption dans la bibliothèque. Les joues rosies par l'effort et le souffle court, elle prit une profonde inspiration avant de débiter son discours à toute allure. Elle s'appelait Ykhar Lindbergh, elle faisait partie de la Garde Étincelante où elle occupait le prestigieux poste de Secrétaire générale de la Garde d'Eel, elle était spécialisée dans l’étude de la culture terrienne et avait participé à de nombreuses missions de reconnaissance culturelle sur Terre. Elle était absolument ravie de pouvoir enfin avoir un véritable contact avec un terrien en chair et en os. Elle avait cherché Lysandre partout dans le QG. Elle commençait à se désespérer de ne pas le trouver lorsqu'elle avait croisé le capitaine de l'Absynthe qui lui avait indiqué où il se trouvait.
— Pourquoi me cherchiez-vous ? demanda poliment Lysandre qui n'avait retenu que la moitié de ce qu'elle lui avait dit.
— Miiko veut tester tes capacités sur le terrain. Elle m'a demandé de te remettre ton ordre de mission et de t'expliquer ce qu'on attend de toi.
— Le capitaine Ezarel m'a déjà donné du travail, répondit Lysandre en désignant de la main la pile de livres devant lui.
— Ah... euh... oui je sais, mais je lui en ai parlé et il a dit, euh... je cite hein ! Il a dit : « Si c'est une mission pour qu'il aille se perdre en forêt et ne revienne jamais, je suis d'accord », balbutia-t-elle avec un petit rire nerveux.
— Je vois... fit le jeune homme sans grande surprise. En quoi consiste cette mission ?
— On nous a signalé la disparition d'un jeune kappa, mais certains témoins prétendent l'avoir aperçu dans la forêt, à l'extérieur de la cité. Il faudrait aller vérifier sur place. C'est une simple mission de reconnaissance et de sauvetage.
— Un kappa ?
— Tu ne sais pas ce que c'est ? s'étonna la brownie.
Lysandre secoua la tête. Ykhar lui fit une description détaillée de la créature ; elle lui décrivit en long et en large ses particularités physiques – en particulier son odeur corporelle pestilentielle –, ses facultés psychiques et magiques, ainsi que ses mœurs sociales.
— Il est très important qu'on ramène ce petit à sa famille. Il accompagnait une délégation venue des Terres d'Azur lorsqu’il a disparu. S'il lui arrivait quelque chose, nous courrions le risque de créer un incident diplomatique.
— Pourquoi me confier une telle mission ? Je viens d'arriver, je ne connais rien de cette ville et de ce monde. Je ne sais même pas me repérer à l'intérieur du QG.
— Oh, ne t'en fais pas, tu n'iras pas seul. Le capitaine de l'Ombre, Nevra Dragoman, t'accompagnera. Tu devras simplement l'assister dans les recherches, il se chargera du reste. Il t'attend dans le hall principal.
— On part tout de suite ?
La brownie hocha vivement la tête, le mouvement saccadé de ses oreilles trahissant son impatience. Lysandre s'était à peine levé qu'elle l'avait empoigné par le bras et courait déjà vers la sortie.
***
Miiko avait saisi cette occasion pour mettre la loyauté du terrien à l'épreuve. Elle avait demandé à Nevra d'observer son comportement pendant la mission et de noter tout ce qui lui paraissait suspect. Avant tout, elle voulait la confirmation que ce n'était pas un espion venu se renseigner sur leur monde.
— Tu es prêt ? demanda le vampire en voyant Lysandre arriver au bras d'Ykhar.
— Euh... je suppose, oui.
— Tu vas y aller comme ça ?
— Comment ça ?
— Tu n'es pas armé.
— Je ne me suis jamais servi d'armes de ma vie, répondit Lysandre qui savait à peine tenir un couteau de cuisine correctement.
— Eh bien, il y a une première fois à tout, répliqua Nevra avec un large sourire en s'emparant d'un poignard à sa ceinture.
Il tendit la lame à Lysandre qui s'en saisit timidement, les mains légèrement tremblantes.
— Si tu n'as pas d'étui, tu peux le glisser dans ta manche, comme ça, en gardant la lame bien à plat contre l'intérieur de ton bras et en laissant le manche reposer dans la paume de ta main.
— Ce n'est pas très pratique, nota le faelien. Je ne risque pas de me couper comme ça ?
Le capitaine de l'Ombre secoua la tête.
— Aucune chance. Si pour une raison quelconque tu devais tomber et que tu avais peur de te blesser, ouvre la main et la lame glissera avant que tu percutes le sol. Tout est une question de réflexes.
Cela pouvait paraître évident pour le vampire, mais Lysandre n'était pas certain de posséder de tels réflexes.
— Finalement, je préfère y aller sans arme, s'excusa-t-il en lui rendant le poignard. Ce sera plus prudent.
Nevra haussa un sourcil en reprenant la lame. Était-ce une manœuvre pour se faire passer pour un simple civil sans aucune expérience en matière d'armes ? Il ne pensait pas qu'une seule mission suffirait à le démasquer, mais une occasion de le provoquer un peu pour le forcer à lui montrer son jeu se présenterait peut-être plus tard.
Rosalya mais tu es hyper sympa d'avoir fait ça pour Lysandre. C'est super cool. Bon euh Lysandre, bon courage pour ta mission. Sinon, il n'avait pas un meilleur endroit pour mettre son poignard ? La ceinture, garder le manche en main, chez pas mdr.
Et elle a arrêté d'essayer de séduire Ezarel ouvertement, ça veut pas dire qu'elle a arrêté d'avoir des sentiments pour lui, ni qu'elle qu'elle peut avoir une attitude problématique.
C'est bien, t'es encore optimiste si tu t'attends au meilleur comme au pire. x)
J'avais vu ça, l'histoire du poignard dans la manche pour les assassins et le fait de le laisser glisser pour pas se blesser, je me demande si c'était pas dans une vidéo sur le krav maga, mais apparemment c'est une façon legit de porter un poignard sans que ça se voit. x)
Aucune idée pour le poignard. Je pense simplement que s'il a peur de se blesser, autant faire plus simple. Après, es que ça changerait un truc mdr. Lysandre est plus innofensif qu'un caillou immobile. Quoi qu'un petit caillou dans la chaussure, ça peut faire mal ^^. Tant qu'il n'eveille pas ses pouvoirs, je ne l'imagine pas être une menace.
Pour chuter c'est chiant. La taille épaisse du poignard colle la manche. Il met du temps à chuter. De plus, le poignard doit d'abord glisser le long du bras. Je peux faire une roulage sur l'épaule avant et arrière ou une chute sur le côté. Par contre, je suis incapable de tomber de face et de me rattraper à deux bras. La lame appui sur le bras, voir vient dans le coude. Si c'était un couteau aiguisé, et bien j'aurais regretté de ne pas avoir pris une fausse lame.
C'est chiant à dégainer. Ça prend du temps, ce c'est pas très pratique. Je dois attendre que la lame glisse pour la saisir avec l'autre main, ou d'abord saisir le dos, puis changer de main.
Autant mettre le couteau dans une poche, voir la glisser dans le pantalon, sur le côté de la hanche. On peut aussi la mettre dans une poche et la couvrir d'un tee-shirt, ou d'une veste.
Sinon Nevra, donne lui l'étui et on en parle plus mdr.
Par contre, je peux lever les mains et choper le manche avec ma main libre. Ça fonctionne plutôt bien pour dégainer, mais si la lame touche le manche par inadvertance sa trajectoire change. J'ai mis des coups dans l'artère, alors j'imagine que ça peut te buter. Ça reste un peu hasardeux. Parfois, la lame accroché sur la peaux et on peut ne saisir que l'extrémité du manche.
Ça peut le faire mais c'est un peu le hasard.
Oui, je suis allé tester ça pour un micro détail insignifiant.
Alors peut-être que je vais être surpris des capacités de Lysandre, mais pour moi, Nevra se trompe complètement sur le compte de Lysandre ! Le petit gars sait pas se battre, il ment pas ahah. Finalement, Ezarel pourrait avoir son souhait exaucé !
Hâte de voir le duo à l'action, ceci dit. Lysandre a eu le temps de s'installer, maintenant, il doit prouver son utilité !
Haha non, c'est juste les gardiens qui sont trop parano, Lysandre est vraiment inoffensif, du moins pour le moment, quand il aura développé ses pouvoirs, ce sera différent, mais c'est pas pour tout de suite.