Chapitre Seize : Juste un oui ou deux !
- Mon dieu Val’, tu le verrais…il te rendrait dingue ! Maintenant qu’il sait marcher, il court partout, et il nous fait que des conneries ! La dernière fois, il a même mis sa tête dans le hublot de la machine à laver !
- Et bah, Berthier, ton fils est déjà un délinquant, ça promet pour la suite ! Heureusement que Papa est là pour fixer les limites, hein ?
- Clair. Et regarde-le là, il avait piqué les lunettes à sa mère…
- Comme il a trop changé ! Hallucinant ! J’ai l’impression que c’était hier qu’il était né et que tu nous l’amenais au 36…
- Tu as raison, ça passe très vite.
Aujourd’hui, Corentin avait amené des photos de son fils pour les montrer à ses collègues de travail lors de la pause-café. Tout en les regardant, Valentin soupira.
- T’as trop de chance…
- Je ne suis pas tout le temps avec ma famille, ma belle-mère me pourrit la vie, je gagne tout juste le SMIC, mes voisins me font tellement chier qu’ils n’en peuvent plus, et…tu trouves que j’ai de la chance ?
- Tu as une famille, c’est bien, ça, non ?
- M’enfin Val’, toi aussi, t’en as une !
- Pas vraiment. Ouais, j’ai Gabrielle, mais ça s’arrête là. J’ai pas d’enfants, et vu comme c’est parti, je suis plutôt mal barré pour en avoir…
- Ah…Gabrielle ne veut toujours pas ? s’inquiéta le gardien de la paix.
- Non. Toujours pas.
- Mais tu sais pourquoi ?
- Oh…euh…bof…elle trouve chaque jour une nouvelle excuse !
- Ouais mais dis-moi, ça fait longtemps que vous êtes ensemble ?
- Un peu plus d’un an à tout casser !
- Ah…c’est tout ?
- C’est bien assez !
Devant l’air chamboulé de l’officier, Berthier chercha une solution à son problème. Il en trouva une, mais il hésitait à le lui dire.
- Et bien…
- Écoute, au point où j’en suis, j’accepte toutes les propositions, même les plus connes !
- Tu as discuté avec Gabrielle ?
- Discuter ?! s’étouffa Valentin avec son café. Mais je lui en parle tous les jours ! Et la réponse reste la même : « Non » !
- Oui, d’accord, et si tu continues comme ça, elle va prendre ses clefs et claquer la porte ! Non Val’, est-ce que tu as déjà discuté calmement et sérieusement avec elle, pour savoir ce qui la bloque ?
- Euh…non…
- Bon, voilà ! Tu sais ce qu’il te reste à faire !
- Okay, mais t’en penses quoi, toi ?
- Moi, je comprends tout à fait Gabrielle. Surtout si ça fait un an que vous êtes ensemble et…
- Accouche.
- Tu sais Valentin, la connaissant comme une femme qui ne brûle jamais les étapes, je pense que…
- Que ?
- Que Gabrielle préférerait peut-être se marier avant d’avoir des enfants, répondit Berthier en un souffle. C’est plus logique, non ? Enfin, je dis ça, mais je n’en sais rien. Il y a pas mal de femmes qui fonctionnent comme ça, tu devrais te renseigner auprès d’elle.
- Le mariage ? répéta l’officier, abasourdi.
Au même moment, Anthony arriva près des deux flics, une tonne de paperasse à photocopier dans les bras. Valentin oublia momentanément son histoire de mariage et son visage se fendit en un sourire mauvais.
- Salut…Cadet !
- Mais euh ! brailla Anthony, vexé.
Voilà quelques temps déjà qu’un nouveau grade avait fait son apparition au sein de la Police Judiciaire. Celui de Cadet de la République. Il était destiné aux jeunes adultes sortant de l’ENP, soit aux flics âgés de moins de 25 ans. Anthony, ayant toujours été très fier d’être un gardien de la paix, avait vu sa vie basculer le jour où il avait appris la grande nouvelle. N’ayant pas 25 ans, il avait eu peur d’être rétrogradé à ce nouveau poste, et les moqueries de Valentin ne l’avaient pas rassuré. Finalement, ses supérieurs l’avaient soulagé en lui expliquant qu’il n’était pas issu de la première promotion des Cadets de la République, et qu’il restait donc un gardien de la paix. Malheureusement pour lui, Valentin et Corentin n’étaient pas prêts d’oublier l’épisode « Cadet ».
- Au fait, ironisa Berthier, c’est quand que tu t’inscris à la Musique des Gardiens de la Paix ?
- Mais voyons Coco, tu sais bien qu’il ne peut pas ! C’est un Cadet !
- Arrête Val’ ! J’suis pas un Cadet ! Si je veux pas faire partie de la Musique des GPX, c’est simplement parce que j’ai une réputation à tenir si je veux devenir commissaire divisionnaire ! - Tiens, tu vises encore plus haut maintenant ? se moqua Valentin.
- Enfoiré merdeux !
- Coco, sors le dico’, Antho’ vient de nous sortir une nouvelle expression !
- Grouuu…
- Attends un peu, il me reste encore combien d’années avant la retraite, pour voir si je serais encore là quand ce moment viendra ? Une…douze…vingt…sachant que je pars à 50 ans parce que je suis fonctionnaire sur le terrain…Putain ! Vingt ans à tirer au Quai des Orfèvres ! Sans ascenseur ! Mais on fera comment quand on sera tout ratatiné ?! Si ça se trouve, je serais dans une chaise roulante quand Anthony sera commissaire divisionnaire !
- Rah ! J’en ai marre ! J’me casse !
Il s’éloigna en ruminant contre Valentin, son tas de paperasse toujours dans les bras. Les deux flics éclatèrent de rire, jusqu’à ce que Berthier reprenne son sérieux.
- Bon Val’.
- Oui ? De quoi on parlait déjà avant ça ?
- De Gabrielle. Le mariage.
- Ah oui ! Le mariage ! Bizarre, je n’y avais jamais pensé avant.
- Parce que tu penses trop aux gamins justement.
- C’est vrai, mais écoute Berthier, c’est fabuleux ! Je vais me marier avec Gabrielle, et on va avoir des tonnes de bébés !
- Euh…attends deux minutes là ! Je t’arrête ici !
- Quoi ?
- Tu ne comptes tout de même pas épouser Gabrielle juste pour avoir des enfants ?
- T’es dingue ?! Tu crois que je suis salaud à ce point ou quoi ?! Non, non, Berthier, tu as tout à fait raison ! Je l’épouserai, parce que je l’aime. Et comme ça, on pourra -aussi- faire des enfants tranquillement ! Tu vois, si j’y avais pensé plus tôt, je l’aurais demandé en mariage bien avant ! Mon dieu, j’y crois pas ! Je vais me marier !
- Euh…en même temps, tu ne le lui as toujours pas demandé…et elle n’a toujours pas répondu !
- C’est vrai ! Putain, mais c’est génial ! Ça faisait déjà un petit moment que j’en avais marre qu’on l’appelle toujours Mademoiselle de Caumont !
Valentin avait posé son gobelet vide sur le radiateur, et partait déjà vers son bureau. Il continuait toujours à pousser des exclamations.
- Hey Val’ ! appela Berthier, tout sourire. Tu vas où ?
- Préparer un plan diabolique !
Avant de disparaître, le jeune homme se tourna une dernière fois vers le gardien de la paix.
- Au fait, Madame Levesque, ça sonne bien ?
Deux matins plus tard, Gabrielle se réveilla avec une sensation de bien-être à l’intérieur d’elle. Lorsqu’elle ouvrit les yeux, ceux de Valentin l’étaient déjà. Avant qu’elle ne sorte de son sommeil, il était sur son petit nuage, à penser.
- Bien dormi ? demanda la jeune femme en s’étirant avec la grâce d’une panthère.
- Toujours avec toi, tu sais bien ! répondit-il en se roulant sur elle pour l’écraser.
Il déposa une multitude de baisers au creux de son cou, et elle fronça immédiatement les sourcils. C’était le signe d’une future conversation sur les éventuels bébés à venir.
- Vous n’avez rien à me demander par le plus grand des hasards ?
- Moi ? Non, s’étonna l’officier sans relever le visage de la gorge de Gabrielle.
- Et bien…si vous le dîtes…
Elle referma les yeux mais elle sentit Valentin s’arrêter dans son activité. Il appuya sa tête sur sa main et fixa longtemps la jeune femme.
- En fait…si, reprit-il, l’air embêté face à un regard chargé d’interrogations. Tu sais, on en avait déjà discuté, mais tu ne m’as pas souvent précisé pourquoi tu te sentais pas prête pour…aller plus loin, on va dire.
L’officier avait essayé de suivre les conseils de Berthier : parler calmement et sérieusement. Il fut étonné de voir à quel point cette méthode était efficace. En effet, Gabrielle l’avait attiré jusqu’à elle pour qu’il pose sa tête sur son ventre et, tout en glissant sa main dans ses cheveux blonds, elle lui avait répondu franchement et sans s’énerver.
- Je pense que notre couple n’est pas stable.
- Et pourquoi ça ? avait-il demandé, étonné.
- D’abord, tu as ton appart’ et j’ai le mien. Où vivons-nous ? Dans les deux. Un coup chez l’un, un coup chez l’autre. Tu crois qu’un couple stable ferait ça ?
Valentin devait l’admettre. Elle avait raison. Ils n’arrêtaient pas de faire des allers-retours entre son appartement et le sien à cause de vêtements manquants ou de courriers à prendre. Ils avaient deux chambres, deux cuisines, deux salles de bains et deux salons. Comme deux célibataires. C’en était presque pathétique de ne pas s’en être rendu compte plus tôt.
- Bon…fit-il, déterminé. Gabrielle, veux-tu vivre avec moi ?
Elle sursauta et le fixa avec des grands yeux ronds. Elle n’y attendait pas vraiment.
- Quoi ? T’es sérieux ?!
- Évidemment, je dis pas ça pour déconner ! Alors, tu veux ?
- Euh…oui, répondit la jeune femme en rougissant.
- Et bah voilà ! On sera stable maintenant ! Et puis, pour les bébés…
- Attends Valentin, tu ne fais pas tout ça juste pour avoir des enfants quand même ? Je compte, moi, dans tout ça ?
Il aurait cru entendre Berthier, ce qui le fit sourire.
- Non, Gabrielle, je t’assure que je ne fais pas tout ça dans mon intérêt. Je veux qu’on soit heureux, c’est tout.
- En tout cas, reprit-elle sérieusement, ce qui me décourage pour avoir des enfants, c’est surtout le boulot. Il peut arriver qu’on soit au bureau jour et nuit, et six jours par semaine ! Tu comprends bien, qu’avec des enfants, c’est impossible à gérer !
Le pire dans tout cela, c’est qu’elle avait une nouvelle fois raison. Valentin en était conscient. Pourtant, il lui fallait trouver absolument un moyen pour faire pencher la balance de son côté. Son avenir était en jeu. Il ne désirait pas mourir sans avoir vu de ses propres yeux ne serait-ce qu’un seul accouchement !
- Mais tu sais, Gabrielle, les assistantes maternelles, les crèches, les nounous…c’est leur boulot de s’occuper des enfants quand les parents travaillent !
- Oui mais Val’, tu n’as pas encore compris que les crèches sur Paris sont bondées, que les assistantes maternelles et les nounous de la capitale sont prises d’assaut par tous les jeunes parents, que mes parents à moi habitent dans la région d’à côté et ne pourront donc pas s’occuper des bambins !
- Et la crèche de la PJ ?
- Complet, je me suis déjà renseignée.
- Oh…déjà ? répéta malicieusement le jeune homme.
Elle le foudroya du regard, et reprit ensuite son explication.
- Et même si nous trouvions une assistante maternelle sur Paris, je doute qu’elle accepte qu’on apporte nos enfants chez elle à quatre heures du matin ! Puis même, pense à eux Valentin ! Toute cette organisation démoniaque va les chambouler ! Je me vois mal les réveiller en pleine nuit pour les amener ailleurs, tout simplement parce que je dois filer de toute urgence à la Crim’ ! Et tu trouveras une assistante maternelle qui aura assez de lits pour les accueillir ?!
Gabrielle avait des arguments de taille, Valentin ne pouvait qu’en convenir. Persister, persister, persister…
- Et pourquoi la nounou ne se déplacerait-elle pas d’elle-même ? Elle pourrait passer la nuit à la maison dans le pire des cas ?
- Tu trouveras facilement une nurse qui acceptera ce genre de contrat ?
- Et bien, fit sournoisement le jeune homme, si je la paie à la hauteur de ce qu’elle doit faire, je pense qu’elle sera d’accord…
Il reprenait l’avantage. Il le sentait. Gabrielle n’avait pas répliqué à son dernier argument, ce qui était un bon signe pour lui. Elle allait céder. Persister, persister, persister…
- Et puis, à l’origine, une nounou est payée pour s’occuper des enfants non ? Alors, si on double, voire triple, son salaire…je pense qu’elles seront nombreuses à sonner à notre porte !
- Oui. C’est vrai, admit-elle, lassée.
Un sourire éclatant fendit le visage de Valentin. Enfin. Elle abandonnait.
- Mais Val’, il n’y a pas que ça.
Le sourire de l’officier retomba aussitôt. Gabrielle était devenue un peu trop déterminée à son goût. Persister, persister, persister…
- Où tu trouves un autre problème, ma chérie ?
Au fond de lui, il connaissait la réponse. C’était ce qu’il attendait de cette conversation.
- Tu sais…reprit la jeune femme, terriblement gênée.
- Hum ? Quoi donc ?
- Je vais te dire un truc, mais je ne veux pas que tu le fasses seulement parce que j’en ai parlé…
- Je te promets. Alors ?
- Et bien…en général, les femmes préfèrent…se marier avant d’avoir des enfants. Enfin, oublie ça Valentin. Ce n’est pas parce qu’on ne se mariera pas que je n’accepterais pas un jour de te donner un enfant.
- Okay, répondit-il simplement.
Étonnée, elle se demanda s’il était malade. Il lui sourit et ne fit rien d’autre.
- Ne t’inquiète pas Pitchounette, je ne compte pas me marier tout de suite, de toute façon !
C’était la vérité. Ou presque.
- Promets-moi juste une chose, Gabrielle.
- Oui ?
- Le jour où je te demanderais en mariage, tu arrêteras la pilule ?
Elle chercha le piège mais elle n’en trouva pas.
- D’accord.
Le jeune homme se retourna dans le lit pour cacher son sourire satisfait. Ce n’était plus la peine d’insister maintenant. Gabrielle venait de tomber inconsciemment dans un piège qui se refermerait petit à petit sur elle. Il fallait juste attendre un peu et se montrait patient.
Quatre mois avaient passé depuis cette conversation entre Valentin et Gabrielle. La jeune femme l’avait presque oubliée, préférant se concentrer sur son aménagement définitif chez son petit-ami. L’officier, lui, n’avait pas effacé de sa tête cette histoire de mariage. Un soir dans le salon, elle feuilletait un magazine de décoration lorsqu’il déboula de la salle de bain, sur son 31.
- Hey Gabrielle ! On va en boîte ce soir ?
- Sans moi.
- Oh allez…on va bien s’amuser si tu viens !
- Non.
- T’as rien à craindre, je te jure, il peut rien t’arriver tant que je suis là, tu sais bien !
- Valentin, je t’ai dit que je ne voulais pas ! T’as qu’à y aller tout seul si ça te chante !
- Réfléchis un peu Pitchounette. Si j’y vais tout seul, je vais avoir un ramassis de jolies jeunes femmes sur le dos, et ça, tu ne le supporterais pas !
- Je n’en doute pas Val’, mais de toute façon, je parie tout ce que tu veux que tu n’es absolument pas capable pas t’envoyer en l’air avec une autre que moi. Je ne me fais donc vraiment aucun souci !
Elle regretta aussitôt ses paroles, car Valentin venait de froncer les sourcils. Son regard s’était fait dur. Elle lui avait lancé inconsciemment un défi.
- Ah ouais ? Tu crois ça ? Très bien ! Celui qui perd paie le resto à celui qui gagne !
Elle resta muette. Muette et pétrifiée. Le jeune homme enfila sa veste soigneusement posée sur le canapé, et se tourna vers le miroir pour s’admirer. Il lança à Gabrielle un dernier regard furtif.
- M’attends pas, je dors à l’hôtel ce soir ! À demain !
La porte claqua et la jeune femme se retrouva dans un silence pesant. Il était parti, sans se retourner. Elle ne savait pas comment réagir. Une partie d’elle lui disait qu’il reviendrait dans cinq minutes, car il n’était pas de nature infidèle. Il avait toujours été sincère dans ses sentiments, et elle savait qu’il ne pouvait pas aller voir ailleurs.
Pourtant, l’autre moitié d’elle imaginait déjà Valentin perdu dans une jungle débordante de femmes-piranhas-mangeuses-d’hommes qui n’attendaient plus que lui pour passer à table. Il ne pouvait que succomber ! De plus, il était beaucoup trop fier pour ne pas relever ce genre de défi. Il n’aurait aucune difficulté à dénicher une, deux, trois, quatre, voire cinq femmes, beau comme il était !
Voilà dix minutes qu’il était parti, et il ne revenait toujours pas. Il n’avait donc pas renoncé. Les yeux mauves de Gabrielle menaçaient d’ouvrir les robinets. Elle s’en voulait terriblement. L’idée que Valentin la quitte définitivement suite à la nuit qu’il aurait passé ailleurs l’envahit aussitôt et elle éclata en sanglots. Et s’il la délaissait pour une femme plus belle, plus intelligente, plus gentille et plus douce qu’elle ?
À cet instant précis, Valentin débarqua avec vacarme dans l’appartement. Il avait l’air paniqué. Il claqua la porte, jeta le paquet qu’il tenait à la main par terre, et courut se jeter à genoux devant une Gabrielle en pleurs.
- Gabrielle, je ne peux pas ! Tu peux me demander tout ce que tu veux, mais je ne peux pas m’envoyer en l’air avec une autre que toi ! Quand je suis parti, je me suis rendu compte en route qu’aucune femme ne t’arrivait à la cheville, et que tu étais la seule qui comptais pour moi ! Je te jure ! Pardonne-moi s’il te plaît ! Je te promets de ne plus recommencer !
- Valentin…
- Je suis un con ! Je n’aurais jamais dû tenir ce pari ! De toute façon, je suis incapable de faire ce que tu m’as dit ! Je suis trop dingue de toi ! Excuse-moi Pitchounette ! Si tu savais comme je t’aime…
Le jeune homme lâcha les genoux de Gabrielle, releva la tête vers elle, et se remit finalement debout. Elle s’empressa de le serrer contre elle. Il encadra son délicat visage entre ses deux mains et l’obligea à le regarder dans les yeux.
- J’ai cru que tu en aurais trouvé une autre…murmura-t-elle.
- Mais non ! Tu sais bien que tu es vraiment la seule qui compte pour moi ! La preuve : c’est avec toi que je veux construire une famille, pas avec une autre !
- Je ne veux plus que tu me quittes.
- Rassure-toi, ça n’arrivera plus. Allez, arrête de pleurer maintenant, s’il te plait.
Il sécha doucement les larmes perlant sous les paupières de la jeune femme, et déposa un baiser sur ses lèvres.
- Bon, continua-t-il soudainement plein d’entrain, comme t’as gagné, je t’invite au resto !
- Quoi ? s’étonna Gabrielle, encore un peu perturbée.
- Puis, ça te fera la Saint-Valentin que je t’avais promise depuis longtemps ! Tu te souviens ?
- Oui, vaguement…
- Allez, va enfiler ça et fais-toi jolie !
Valentin lui désigna le paquet qu’il avait jeté tantôt par terre. Elle le ramassa et l’ouvrit d’un air curieux. C’était une robe qu’il lui avait achetée pour l’occasion.
- Merci beaucoup, fit-elle gênée, mais tu ne crois pas que c’est un peu décolleté ?
- Décolleté, ça ?! Non, tu plaisantes ?!
- Non.
- Je l’ai prise exprès pour toi, parce que je savais qu’elle t’irait bien !
- Justement ! Avec toi, je me méfie !
- C’est pas souvent que ça arrive, alors ne te plains pas ! Allez va la mettre, j’ai réservé le restau pour dans une demi-heure !
Elle disparut dans la salle de bain, et il se laissa tomber sur le canapé pour souffler un peu. Son plan avait marché. Just, just, mais il avait fonctionné. Gabrielle avait pleuré, mais il avait pu la rassurer. Et se rassurer lui-même.
Valentin esquissa un sourire satisfait. Lorsqu’il lui avait demandé si elle désirait aller en boîte avec lui, il connaissait déjà sa réponse. Il avait saisi le pari au vol, et l’avait utilisé dans son intérêt. Après avoir claqué la porte, il s’était enfermé dans sa voiture pour ne plus en bouger. Il avait attendu dix minutes en bas de chez lui, histoire de faire mijoter Gabrielle à petits feux. Après, il avait pris le paquet qui enfermait la robe et était remonté en courant jusqu’à son appartement. À partir de cet instant, il avait joué la comédie, même s’il avait été sincère dans ses propos. Et Gabrielle avait mordu à l’hameçon. En résumé, tout n’était que complot.
Gabrielle sortit de la salle de bain au bout d’un quart d’heure, vêtue de sa nouvelle robe, de talons-aiguilles neuves, de petites boucles d’oreilles, et d’un petit châle. Elle avait appris à laisser ses cheveux détachés pour le plus grand plaisir de Valentin.
- Ça va comme ça ? demanda-t-elle.
- Parfait ! s’écria l’officier en se relevant d’un bond pour aller l’embrasser. T’es magnifique !
Il l’aida à enfiler sa veste et la poussa vers la sortie de l’appartement.
- Allez, on y va maintenant !
Afin de passer une bonne soirée entre amoureux, Valentin et Gabrielle avaient décidé de ne surtout pas parler « du boulot ».
- Et ta Jessica, comment elle va ? demanda l’officier en reposant son verre de vin sur la table. Ça fait longtemps que je n’ai plus eu de ses nouvelles.
- Elle n’en donne pas souvent, des nouvelles, mais c’est la preuve qu’elle va très bien ! D’après ce que je sais, elle n’arrête pas de se crêper le chignon avec Raoul. Il ne peut plus la supporter !
- Je le comprends… Ça ne doit pas être facile de bosser avec ta copine ! Le pauvre, je le plaindrais presque !
- C’est vrai. Et côté amour, elle nage en plein dans le Triangle des Bermudes ! Rien à l’horizon, et si elle continue à ne rien faire, elle n’est pas prête de trouver quelqu’un sur son chemin !
- Ouais, mais va lui faire comprendre ça, si t’y arrives…
- Je sais bien que je n’y arriverais pas. Mais ça lui tombera dessus quand elle ne s’y attendra pas, c’est tout…
- Comme tu as eu le malheur de tomber sur moi !
- Tout à fait, approuva Gabrielle en éclatant de rire.
Ils se turent pendant quelques secondes, jusqu’à ce que Valentin s’agite, pressé.
- Hey Gabrielle ! On va danser ?
- Quoi ? T’es dingue ?!
- De toi, tu sais bien !
- Mais Val’, on va être les seuls au milieu de la salle et…
- Et c’est pas grave ! coupa le jeune homme en lui prenant la main pour l’entraîner au milieu du restaurant.
De temps en temps Je craque sous le poids de l'espérance Je vais parfois à contre sens
De temps en temps J'ai des flèches plantés au cœur De la peine, de la rancœur
De temps en temps Je ris de rien
Je fais le con parce que j'aime bien
De temps en temps J'avance en ayant peur Je suis le fil de mes erreurs Et très souvent… Je me relève sous ton regard Je fais des rêves où tout va bien Je me bouscule, te prends la main Au crépuscule, je te rejoins
Je me relève sous ton regard Je fais le rêve d'aller plus loin Je me bouscule, te prends la main Du crépuscule jusqu'au matin
De temps en temps
Je plie sous le poids du sort
Et des souffrances collées au corps
De temps en temps
Je prends des coups dans le dos
Des conneries, des jeux de mots
De temps en temps
Je regrette l’innocence
Qu’on peut avoir dans notre enfance
De temps en temps
Je veux la paix
Pour moi je n’ai plus de respect
Et très souvent…
Je me relève sous ton regard Je fais des rêves où tout va bien Je me bouscule, te prends la main Au crépuscule, je te rejoins
Je me relève sous ton regard Je fais le rêve d'aller plus loin Je me bouscule, te prends la main Du crépuscule jusqu'au matin
De temps en temps Je pense à tort Que pas de larmes, c'était trop fort Au fond ce que j'attends C'est voir le bout de nos efforts Que l'amour soit là encore Je me relève sous ton regard Je fais des rêves où tout va bien Je me bouscule, te prends la main Au crépuscule, je te rejoins
Je me relève sous ton regard Je fais le rêve d'aller plus loin Je me bouscule, te prends la main Du crépuscule jusqu'au matin
Quand ils sortirent du restaurant, ils décidèrent de se promener avant de rentrer chez eux. Le couple marcha jusqu’à un petit parc, et s’assit sur un banc, à la lueur d’un lampadaire. Aucun des deux ne parlait, et Valentin avait l’air assez embêté.
- Ça va ? s’inquiéta Gabrielle.
- Oui, oui…
- T’es sûr ?
- Oui…enfin…non…
La jeune femme haussa un sourcil, alors qu’il avait lâché un gros mot de sa bouche.
- Je ne sais plus quoi dire, avoua l’officier, de plus en plus gêné. C’est bien ma veine !
- Nous n’avons qu’à attendre que ça te revienne ! En tout cas, je ne peux rien faire pour toi !
- Si, tu peux.
Gabrielle lui lança un regard chargé d’interrogations, auquel il ne prêta pas attention.
- Tu as juste un truc à dire.
- Et quoi donc ?
- Oh, juste un oui, ça suffira…
Cette nuit-là, Gabrielle n’avait dormi que trois heures, et Valentin, quatre. Vers neuf heures du matin, ils étaient si épuisés qu’ils n’arrivaient même pas à ouvrir les yeux.
- Aïe…ma tête…soupira la jeune femme, en se massant le front.
- Huuum…grogna seulement le deuxième occupant du lit.
- Heureusement qu’on…
Un bâillement silencieux la coupa.
- Ne travaille pas aujourd’hui…
- Huuum…
Dix minutes passèrent sans que ni l’un, ni l’autre ne bouge. Enfin, Valentin fit un ultime effort et se hissa sur Gabrielle, qui réagit aussitôt.
- Oh non Val’ !
- Oh si ! Encore !
- Non ! Je suis trop fatiguée !
- T’as rien à faire, promis !
- On l’a déjà fait cinq fois cette nuit ! Stop !
- Mais…
- Dégage !
Elle se retourna dans le lit, et le fit tomber par la même occasion.
- J’suis vexé. Oh, pourquoi tu veux pas qu’on réessaie encore ?
Ils avaient commencé à se battre sous les draps à coup de bras et de jambes.
- Parce qu’on a déjà beaucoup essayé ! Et pas besoin de te fatiguer, ça ne marchera pas tout de suite !
- Hein ? paniqua le jeune homme, essayant encore de monter sur elle (en vain).
- Tout à fait. Il faut un certain temps pour que le corps se réhabitue à fonctionner sans pilule.
- Hey ! C’était pas mentionné dans le contrat ça, je n’étais pas au courant ! Tu m’as arnaqué !
- Pitié Val’… Tu me fais mal !
Il avait réussi à la plaquer au matelas, et elle ne pouvait plus bouger.
- Tu m’écrases ! s’écria Gabrielle, exaspérée et tentant de se débattre.
- On aura tout entendu…soupira l’officier en déposant des petits bisous au creux de son cou. Allez, Gab’, on réessaie ?
- Pas trop le choix, de toute façon. Abus de position dominante.
Quelques instants plus tard, à la plus grande joie de la jeune femme et au plus grand dam de Valentin, le téléphone sonna.
- J’suis outré, souffla-t-il en s’asseyant sur le matelas et en foudroyant du regard l’appareil.
- Tu devrais répondre.
- Non, nous ne sommes pas là.
- Et si c’est la Crim’ ? Et si c’est important ?
- On s’en fout, on n’est pas là !
- Mais…
- Chut…
Il posa son doigt sur sa bouche pour l’empêcher d’en dire davantage. Après avoir sonné plusieurs fois, le répondeur s’enclencha et l’interlocuteur s’annonça.
«Oui, Val’, c’est Nico… »
Le chef de la Crim’. Gabrielle et Valentin se regardèrent, bouches bées. L’appel devait certainement être important.
« Écoute, dès que tu entends ce message, tu sautes dans ta voiture, et tu ramènes ta fraise au 36 ! Et si tu peux récupérer au passage Gabrielle, ça ne sera pas plus mal, parce que je n’arrive pas à la joindre ! Bref, je veux vous voir tous les deux le plus rapidement possible, c’est clair ?! Alors fini la grasse mat’, je vous attends au plus vite dans mon bureau ! »
Un bip signala la fin du message enregistré et le jeune homme soupira de soulagement. Elle, au contraire, tapota nerveusement sur l’épaule de l’officier.
- Il faut qu’on y aille.
- Tu plaisantes Gab’ ? On ira après ! Avant, on continue et on termine !
- Non !
- Si !
- Mais…
- Allez !
Il ne la libéra de son emprise démoniaque seulement un quart d’heure plus tard. Gabrielle avait ensuite vite fait de se lever et d’enfiler son peignoir.
- Cette fois-ci Val’, on y va. Et on se grouille !
Malheureusement, Valentin n’avait aucune envie de se lever et s’était royalement rendormi. Elle le secoua dans tous les sens, et elle prit de plein fouet la mauvaise humeur du jeune homme.
- Mais laisse-moi dormireuh…
- Valentin ! On est déjà en retard et…
- Pfouu…t’es chianteuh quand tu t’y meeets…et arrêteuh de me secoueeer !
- Debout, gros paresseux ! J’en ai marre !
- Huuum…grogna l’intéressé, le visage enfoui dans l’oreiller.
Gabrielle contourna le lit et tira énergiquement le drap, qui dévoila instantanément Valentin nu comme un ver.
- Hey ! s’écria-t-il (cette fois-ci, bien réveillé) en sentant une vague d’air froid l’envelopper.
- Lève-toi tout de suite, sinon j’utilise les grands moyens !
- Ah ouais ? railla-t-il. Je ne vois pas du tout ce que tu peux faire pour m’empêcher de rester au lit ! Tu ne peux plus refuser de faire des enfants !
- C’est vrai, mais je peux toujours divorcer avant même de t’avoir épousé. Et même me barrer, ventre rond ou pas.
Valentin fronça les sourcils alors qu’elle enlevait la bague de fiançailles qui était autour de son doigt.
- Tu vois ta bague, Pitchoun, elle peut partir directement à la poubelle si tu ne te lèves pas, et si tu ne t’habilles pas immédiatement…
- Okay, okay, abdiqua le jeune homme. Je me lève. Je me lève. Je me lève. Et je m’habille. Mais t’es vraiment diabolique !
- Pas plus que toi, sourit Gabrielle en glissant la bague à son doigt.
Elle se retourna pour quitter la chambre, mais le bruit d’une boîte en carton écrasé attira son attention. Elle jeta un regard en direction de son fiancé qui se trouvait debout et le pied tendu en l’air. Il était presque chamboulé, mais il n’y avait rien de naturel dans sa tristesse. La petite boîte se décolla du plant de son pied et retomba sur le sol, sous le regard abruti de la jeune femme.
- Oh mon Dieu, Gabrielle ! Je viens de m’apercevoir que j’ai malencontreusement écrabouillé ta boîte de pilules contraceptives ! Je suis vraiment navré ma chérie, mais je crois que tu ne pourras plus jamais t’en servir vu dans l’état où elles doivent être ! Oh…comme c’est dommage…
11 h 27, dans le bureau du commissaire divisionnaire.
- Bon sang, mais vous étiez passés où ?
- Partie acheter des fraises chez le primeur, répondit Gabrielle, qui ne comprenait pas d’où lui venait cette idée soudaine.
- Parti promener le chien, inventa à son tour Valentin. Quoi ? Tu n’étais pas au courant ? J’ai acheté un chien la semaine dernière ! Il s’appelle Radar.
Le couple essaya de rester naturel, mais il était extrêmement gêné. Aucun des deux officiers n’avait imaginé que Martine Monteil les avait attendus aussi dans le bureau de Nicolas. Or, le fait était qu’ils avaient fait attendre la directrice au profit d’une partie de jambes en l’air. C’était un acte grave et impardonnable.
- Alors qu’est-ce que tu voulais ? demanda Valentin à son chef. Je te rappelle qu’on était en congé aujourd’hui !
- J’ai des nouvelles à vous annoncer. D’abord, laissez-moi vous présenter Jean-Pierre, le nouveau partenaire de Mademoiselle de Caumont, fit-il en désignant un homme dans le coin du bureau.
Il y eut quelques salutations timides, au cours desquelles Valentin toisa son concurrent. En effet, sa Gabrielle allait travailler avec un nouvel homme qu’il ne connaissait pas, et cette idée ne l’enchantait pas. Il pensa à faire engager un détective privé pour le faire surveiller, mais Nicolas attira toute son attention.
- En fait, je vous ai fait venir tous les deux ici, parce que je voulais vous prévenir de quelques changements… Il s’agissait notamment de vous récompenser par rapport à votre performance de ces derniers temps.
Martine Monteil hocha la tête pour approuver le commissaire divisionnaire. Valentin et Gabrielle, quant à eux, se regardèrent mutuellement, l’air étonné.
- Honneur aux femmes. Gabrielle, ça faisait déjà un petit moment, un an et demi exactement, que tu réclamais une augmentation assez élevée…Après réflexion sur le sujet, c’est accordé.
- Quoi ? C’est pas vrai ?! s’écria la jeune femme, surprise et ravie à la fois. Oh Valentin, vous entendez ça ?!
- J’aurais préféré être sourd, marmonna l’intéressé.
- Oh c’est génial ! Merci beaucoup !
Son chef lui répondit mais elle ne l’écoutait déjà plus. Tout en tripotant sa bague de fiançailles, elle imaginait déjà la robe de mariée qu’elle allait pouvoir s’offrir avec cette augmentation qui, décidément, tombait à pic. Cette bague, Martine Monteil venait tout juste de l’apercevoir, et elle paniqua aussitôt, alors que Nicolas s’adressait au second officier.
- Quant à toi Valentin…
- Nicolas, attendez ! interrompit la directrice.
- Laissez-moi finir Martine, s’il vous plait. Donc Valentin, il y’a deux ans, tu m’as demandé une mutation en Corse, mais sur le moment, je t’avais répondu que ce n’était pas possible…
- Oui…fit le jeune homme, qui voyait où il voulait en venir.
- Et bien récemment, un commissariat d’Ajaccio a vu son chef partir à la retraite…
- Ah…
- La place est libre, et j’ai pensé à toi. Le contrat n’attend plus que ta signature.
- Mais ce n’est pas un peu comme brûler les étapes ? demanda-t-il, étonné de passer si vite de lieutenant à commissaire divisionnaire.
- Val’, tu as vraiment le potentiel tu sais ?
- Oh bah alors, c’est…cool ! Vraiment génial ! Je suis très content !
C’est à ce moment-là que Gabrielle redescendit de son petit nuage blanc. En réalité, elle en tomba comme une enclume. Elle n’avait pas vraiment écouté la conversation, mais les dernières paroles des deux hommes ne lui avaient pas échappé.
- Quoi ?! s’étrangla la jeune femme. Tu veux t’en aller ?! C’est pas vrai, j’hallucine ! T’es qu’un enfoiré de première !
- Mais Gabrielle…balbutia son fiancé, qui ne savait quoi répondre.
- Fous-moi la paix !
Sur ces derniers mots, elle quitta le bureau du commissaire divisionnaire en claquant la porte. Martine Monteil enfouit son visage entre ses mains, désespérée. L’officier resta immobile. Et le commissaire cligna plusieurs fois des yeux pour se persuader qu’il ne rêvait pas. Quelques secondes après, Valentin semblant se réanimer, un peu paniqué à l’idée d’une Gabrielle enflammée.
- Excusez-moi…je reviens dans pas longtemps…lança-t-il à son tour en quittant la pièce en courant.
Dès qu’il fut sorti, le chef de la Crim’ se tourna vers sa supérieure, un air hébété collé au visage.
- Je dois vous avouer que je ne comprends pas…
- Nicolas, ils sont fiancés !
- Ah bon ?! Mais je n’étais pas au courant justement !
- Si vous m’aviez seulement écoutée avant d’annoncer sa mutation à Valentin, nous n’en serions pas là !
Tôt ce même matin, le commissaire divisionnaire avait appris aux hommes de Gabrielle qu’il avait de bonnes nouvelles pour elle. Ceux-ci, qui ne savaient pas de quoi il s’agissait, s’impatientèrent de la venue de l’officier. Pourtant, lorsqu’ils la virent débarquer en larmes dans leur bureau, leur gaieté retomba aussitôt.
- Gabrielle, qu’est-ce qu’il y a ? s’étonna Germain.
- Ce qu’il y a ? s’étrangla-t-elle. Il y’a simplement que j’ai été augmentée et que Valentin se barre aux Antipodes !
- Mais tu t’en vas ? demanda Jérôme, en l’observant enfiler sa veste et prendre son sac.
- Oui, je rentre chez moi… Non, pas chez moi…Ailleurs !
Son chez-elle était aussi le chez-lui de Valentin, et il était hors de question de retourner dans un endroit où son ex-futur-époux pourrait la retrouver facilement. Elle pensa immédiatement que Jessica ou Lucile accepteraient volontiers de l’héberger quelques temps, histoire de voir au moins comment évoluerait la situation.
La jeune femme voulut faire face à la porte mais au lieu de ça, elle se retrouva nez à nez avec Valentin. Il la repoussa jusqu’au fond de la pièce.
- Sors d’ici !
- Non, c’est eux qui sortent ! répliqua-t-il en pointant les autres flics qui regardaient la scène. Allez, les mecs, par ici la porte !
Les hommes de Gabrielle sortirent à la queue leu leu du bureau, tout en rouspétant contre l’officier. Celui-ci se posta devant elle et s’agrippa à son poignet.
- On doit discuter.
- On n’a rien à se dire. Il fallait m’en parler avant !
- Laisse-moi au moins t’expliquer !
Voyant qu’il ne la laisserait pas partir avant d’avoir donné ses raisons, elle soupira et lui accorda d’un signe de tête sa requête.
- Je sais que tu m’en veux de ne pas t’en avoir parlé plus tôt, mais même moi j’avais oublié cette demande de mutation. À l’époque, je l’avais réclamée parce qu’on ne pouvait pas être dans la même pièce sans se crêper le chignon ! C’était pour notre bien à tous les deux. Il a refusé, notre relation s’est améliorée, nous sommes sortis ensemble et…j’ai complètement zappé cette mutation en Corse ! Gabrielle, je suis vraiment désolé, je ne voulais vraiment pas te faire de la peine…
- Ce n’est pas pour ça que je suis énervée, expliqua tristement la jeune femme. Je t’en veux parce que tu m’as demandée en mariage hier, et que tu as accepté de t’en aller en Corse aujourd’hui. Les deux ne vont pas ensemble. Faut faire un choix.
- Mais Pitchounette, il va de soi que tu m’accompagnes à Ajaccio !
Elle ne répondit pas, et Valentin remarqua qu’elle s’était remise à pleurer. Alors il la prit délicatement dans ses bras et la berça pendant de longues minutes.
- Val’…chuchota-t-elle, toujours suspendue à son cou. Je ne peux pas venir avec toi. J’ai mon boulot et mes amies à Paris, et j’ai ma famille en Bourgogne. Tu sais bien que je tiens à tout ça… Et même si je t’aime, je ne veux pas tout quitter pour toi. Pire même, je n’en serais jamais capable !
- Mais…tous les deux, on peut toujours…même avec la distance, non ?
- Non, justement ! Déjà, tu pars à Ajaccio. Les terroristes font sauter tous les postes de police là-bas ! Ça fera même pas trois mois que tu seras là-bas que tu vas exploser ! Comment veux-tu que je vive seule à Paris avec l’angoisse que mon mari soit victime d’une dynamite ou d’une bombe du même genre ?!
- Arrête de dire des conneries…
- C’est pas des conneries ! Ils font tout sauter dans cette région, et tu le sais aussi bien que moi !
- Gabrielle, je t’en prie…
- Et puis, une femme ne peut pas vivre à plus de 1 500 kilomètres de son mari, voyons ! C’est impossible ! Et les enfants, tu as pensé aux enfants ?
Elle le regarda avec ses grands yeux humides. Lui était désespéré. Il voyait peu à peu où elle voulait en venir. Il approcha son visage lentement du sien pour l’embrasser, mais elle recula et secoua la tête.
- Il faut que tu comprennes que je ne pourrais jamais vivre comme ça…
- Bien sûr, acquiesça-t-il la gorge nouée, je comprends…
Gabrielle observa longuement sa bague de fiançailles et, après avoir reprit son souffle, elle fit l’effort de l’enlever. Le monde semblait s’écrouler pour Valentin, qui l’implorait du regard de la remettre. À la place, elle déposa en douceur l’anneau au creux de la main du jeune homme.
- Je suis désolée…
Elle se recula de quelques pas et, voyant qu’il n’avait pas la force de la retenir, elle lui tourna le dos et se sauva en courant. Quand l’officier réalisa qu’elle avait rompu et qu’elle était partie, il n’hésita pas du tout à faire ce qu’il pensait de mieux pour son couple. Refuser la mutation, et rester à Paris avec Gabrielle pour le pire, et surtout pour le meilleur…
- Ce n’est vraiment pas malin ! répéta Martine Monteil, agacée.
Elle faisait les cent pas dans le bureau du chef de la Crim’. Ce dernier ne savait plus où se mettre, et le nouveau flic restait dans son coin, terriblement gêné.
- Je vous assure que je n’étais vraiment pas au courant de leur liaison ! affirma Nicolas.
- Alors vous étiez presque le seul, parce que la moitié de la Brigade Criminelle le savait, figurez-vous !
Au même moment, Valentin déboula dans la pièce et fit sursauter les personnes qui s’y trouvaient déjà.
- On annule tout ! s’écria-t-il.
- Quoi ? s’étrangla son chef.
- Je refuse la mutation ! Garde-moi à Paris ou fous-moi ailleurs en région parisienne mais surtout pas en Corse !
- Mais t’avais déjà signé la clause de mobilité dans le premier contrat ! Tu vas te retrouver en tord Val’ !
- Tant pis ! T’as qu’à me virer, c’est pas grave !
- M’enfin voyons…commença Nico.
- Ne vous faites pas de soucis, rassura Martine Monteil à l’officier. Allez, dépêchez-vous de la rattraper, elle va partir !
Le jeune homme jeta un regard interrogateur à sa supérieure, qui fronça immédiatement les sourcils.
- Vous n’allez quand même pas filer une perle pareille ! gronda la directrice, menaçante. Allez, ouste !
Il ne discuta pas l’ordre une seule seconde et eut tôt fait de quitter le bureau à grand galop pour rattraper Gabrielle. C’est alors que quelque chose de jamais vu au Quai des Orfèvres se produisit. La jeune femme, qui déambulait le long escalier, était poursuivie par Valentin, qui courait derrière elle à toute vitesse. Celui-ci ne s’était pas rendu compte que Martine Monteil les suivait aussi, emportée par la curiosité. Le chef de la Crim’ ne la quittait pas d’une semelle. Les flics que l’officier avait mis à la porte patientaient toujours dans le couloir et, lorsqu’ils virent leurs supérieurs partir si précipitamment, ils se demandèrent les raisons de cette agitation, et les suivirent à leur tour. Leurs collègues qui se trouvaient encore dans les bureaux s’étonnèrent de cette disparition soudaine, alors qu’ils allaient chercher du café en rab. Poussés par le désir d’en savoir plus, ils dévalèrent l’immense escalier dans un vacarme assourdissant. Voilà comment Gabrielle avait involontairement réussi à vider l’étage de la Brigade Criminelle, rien qu’en s’enfuyant comme une voleuse.
Au rez-de-chaussée, les standardistes s’inquiétèrent. D’où provenait ce grondement étrange ? De l’escalier A. On aurait dit des mammouths qui en descendaient. Elles ne purent se poser davantage de questions car un énorme troupeau de flics envahit l’accueil du bâtiment. À leur tête, une Gabrielle en larmes, et un Valentin affolé juste derrière elle.
- Gabrielle, attends ! supplia-t-il.
Il réussit enfin à la rattraper et Martine Monteil arrêta tous les flics qui se trouvaient derrière. Elle leur ordonna aussi de se taire, pendant que le jeune homme tentait sa dernière chance.
- Gabrielle…
- S’il te plait, ne rends pas les choses plus difficiles qu’elles ne le sont déjà…
Son maquillage avait coulé tellement elle pleurait que Valentin en avait un haut-le-cœur. Lentement, il la prit dans ses bras, devant tous leurs collègues. Lentement, il glissa son pouce sur la joue de la jeune femme pour sécher une larme parmi tant d’autres. Ils se regardèrent dans les yeux et, bientôt, il n’y avait plus qu’eux. Peu importe s’ils se donnaient en spectacle. Peu importe si tout le monde les regardait. Ils étaient dans leur bulle rien qu’à eux seuls, et les autres n’existaient plus.
- J’ai tout abandonné Gabrielle. Je ne veux pas que nous soyons séparés. Et puis, on a bien commencé à fonder une famille, il faut bien qu’on termine aussi, non ?
- Mais Valentin, t’es dingue ?! Tu n’as quand même pas refusé cette promotion ?!
- Si.
- C’est la chance de ta vie ! Tu te rends compte que tu peux devenir commissaire divisionnaire ! C’est le haut de la hiérarchie ! Tu ne peux pas laisser passer ça quand même !
- Gabrielle, tu n’as pas encore compris que c’est toi la chance de ma vie. Mieux que ça même ! Tu es celle avec qui je veux passer le restant de ma vie. Et c’est de toi que je veux des enfants ! Le boulot, que ce soit lieutenant ou commissaire divisionnaire, ça n’a pas d’importance à côté de toi ! Tu sais, je t’aime vraiment…
La jeune femme pleurait de plus belle, mais un petit sourire éclairait désormais son visage. Valentin sourit à son tour, et sortit de sa poche la bague de fiançailles offerte la veille.
- Je t’en prie, remets-la…supplia-t-il, avec un ravissant petit air malheureux qui la fit sourire encore plus.
- Crétin ! Tu n’as qu’à la remettre toi-même !
- Quel caractère, Seigneur !
Des sourires complices, c’était exactement ce qui faisaient d’eux un couple à part. L’officier saisit la main gauche de Gabrielle et y glissa délicatement l’anneau autour de son annulaire. Elle n’arrêtait plus de pleurer, même s’il s’agissait de larmes de joie cette fois-ci. Valentin avait gardé sa main dans la sienne, mais il ne savait plus trop quoi faire. Il était un peu gêné sous le regard insistant de la jeune femme, d’autant plus qu’il savait que les autres fonctionnaires les regardaient.
- Le bisou ! hurla la voix d’Anthony, perdue dans le troupeau de flics-mammouths.
Les deux fiancés rirent nerveusement. Enfin, Gabrielle entoura de son bras le cou de Valentin, et celui-ci s’approcha le plus près possible d’elle pour déposer sur ses lèvres un chaste baiser. Elle le gronda gentiment et le pinça pour avoir fait si peu. Alors, il lui lança un sourire narquois et l’embrassa à pleine bouche, avec une petite touche d’amour et de passion, sous les applaudissements de la Crim’ au complet. Décidément, personne, mais vraiment personne, n’avait jamais vu un tel évènement se produire ici, au 36, quai des Orfèvres…
Extra Sept : Lucile et Raoul
- Tu sais pas quoi ? Si j’étais pas sérieuse, j’aurais couché avec toi.
- Et tu sais pas quoi ? Si j’étais pas fiancé, j’aurais couché avec toi.
Jessica et Thierry se sourirent. Ils s’entendaient bien, voire même, très bien. Il fallait dire qu’ils avaient pu se rencontrer grâce au mariage de Valentin et Gabrielle. C’était un petit mariage. Juste la famille de la jeune femme, et les amis respectifs. La salle ne comptait même pas une cinquantaine de personne. Dans le coin, Lucile était assise toute seule et pensive. Elle avait envie de partir.
- Tu plaisantes ?! s’esclaffa Gabrielle. Il n’est qu’une heure du matin !
- Je bosse à huit heures demain, tu sembles oublier ? Ah mais suis-je bête ?… Toi, t’as l’habitude de te coucher à cinq heures du mat’ !
- Oh Lucile ! J’aimerais que tu t’amuses un peu, c’est trop te demander ?
- Oui.
La jeune mariée allait répondre mais le bruit d’un bouchon propulsé avec force la fit sursauter. Son époux, Valentin, sabrait une énième bouteille de champagne. Ses collègues de bureau étaient autour de lui, excités.
- Allez ! brailla-t-il en levant la bouteille en l’air. Une autre tournée pour tout le monde !
- Ouais ! hurla un chœur de voix masculines.
- Val’ ! s’écria la jeune femme. Qu’est-ce que tu fais ?!
- Très chère, je sers du champagne à nos invités.
Et sur ces paroles, il versa le contenu de la bouteille dans les flûtes à champagne.
- C’est la sixième bouteille que tu ouvres !
- Normal, nous sommes nombreux !
- Non mais cherche pas Gabrielle, s’exclama Berthier, il est bourré !
- Ouais, et toi, t’en mènes pas large non plus, ironisa la femme du gardien de la paix.
La mariée soupira tandis que Marietta faisait une apparition sulfureuse. Pour combler le manque de sa propre famille, Valentin avait voulu reprendre contact avec elle. Et il l’avait regretté aussitôt.
- Val’ ! Va faire danser ta femme plutôt que de boire !
- C’est ce que j’allais faire Marietta !
- Allez !
- Mais…
- Allez !
Il se tourna, forcé, vers Gabrielle, qui le repoussa.
- Fallait te proposer avant, je n’ai plus envie maintenant ! rétorqua-t-elle.
- Hey ! Mais…
- Je vais m’occuper de Lucile.
- Hey ! Mais…lâcheuse ! Puisque c’est comme ça, je vais emprunter Sophie !
Hélas, la jeune femme se prêtait difficilement. Pour cause, Anthony faisait la plante verte devant sa copine. Pas question qu’on lui pique son trésor.
- Hey Anthony, je peux danser avec ta nana ?
- Dégage ! C’est ma nana à moi ! Ouste ! Pas touche ! Fais gaffe, Val’, je ne plaisante pas !
- Roh, abusé quoi ! s’exclama le commissaire. J’avais juré de faire danser toutes les femmes présentes à mon mariage.
- Bah fais-les danser, mais pas Sophie !
- Abusé, quoi !
Gabrielle s’assit près de son amie et passa son bras autour de ses épaules.
- Lucile, je n’aime pas te voir comme ça…
- C’est rien.
- Tu parles ! T’as toujours cet imbécile dans la peau, ça se voit !
- J’y peux rien. C’est un salaud, je sais, mais je le vois tous les jours au boulot et ça me fend le cœur.
La mariée se tut. Elle chercha une idée, et bientôt, elle afficha un énorme sourire qui étonna l’infirmière.
- J’ai la solution, déclara-t-elle, en se levant et en prenant la main de son amie.
- La solution ?
- Suis-moi.
- Mais…
- Pas de discussion. J’ai le meilleur remède au monde qui va soigner ta maladie.
Et ce fameux remède n’était autre qu’un rouquin moyennement charmant assis seul à une table, dans l’autre coin du restaurant. Dès qu’elle le vit, Lucile lança un regard lourd de protestations à Gabrielle.
- Raoul ! Je te présente Lucile, une de mes amies.
- Ah ? fut la seule réponse du journaliste.
- Lucile, voici Raoul. Je pense que tu t’entendras bien avec lui. Oh ! Je reviens ! Val’ a encore une bouteille de champagne dans la main !
Il n’existait pas une meilleure excuse pour abandonner la jeune femme dans les bras de Raoul. Une excuse, qui était pourtant vraie. En regardant par-dessus leurs épaules, les deux invités aperçurent la mariée empêchant Valentin de sabrer sa bouteille.
- Mais c’est eux qui en veulent ! protesta-t-il en pointant ses collègues.
- Et si on attaquait la pièce montée, hein, c’est pas une bonne idée ? La pièce montée ?
Elle avait sorti un argument de taille. En effet, la pièce montée avait été choisie par Valentin en personne, qui avait littéralement craqué en la découvrant derrière la vitrine d’une délicieuse pâtisserie. « C’est celle là, et pas une autre », avait-il dit à sa femme le soir, en rentrant chez lui.
- Excellente idée.
Reposant la bouteille de champagne sur le buffet, il reprit son souffle et hurla à l’attention de ses invités :
- Oh les gars ! Ramenez vos fraises ! On va couper ma pièce montée !
Et aux flics de répliquer :
- Ouais !
- Grouillez-vous ! Y’en aura pas pour tout le monde !
- Enfin !
- Je me languissais de me la faire cette pièce montée !
- Où sont les assiettes ?
- Où est le couteau ?
- On ouvre une autre bouteille de champagne ?
- Belle-Maman ! appela Valentin, au risque de se démonter les poumons. Le couteau ! Il nous faut le couteau !
- J’arrive, mon gendre, j’arrive ! jubila celle-ci, une énorme pelle à gâteau à la main.
- La subtilité des flics m’étonnera toujours…commenta Jessica, dans les bras de Thierry, sur la piste de danse.
Elle s’arrêta subitement de danser, ce qui fit sursauter son partenaire.
- Oh putain ! s’écria-t-elle.
- Quoi ? Quoi ?
- Raoul drague ma p’tite Lucile adorée !
- Non ?!
- Si ! Continuons de danser ! Je vais la surveiller discrètos !
La photographe n’était pas assez concentrée pour danser correctement, ce qui valut les deux pieds écrasés à son partenaire. Son menton sur l’épaule de Thierry, elle scrutait attentivement la jeune infirmière. Du côté de Lucile, justement, l’heure n’était pas à la drague, mais au silence. Voilà dix bonnes minutes que Raoul et elle ne disaient rien. Assis sur la même banquette, elle observait le menu de la soirée, et il la dévisageait en silence.
- Vous êtes brisée ? demanda alors le journaliste.
- Oui, fit-elle pour seule réponse.
- Et ça fait combien de temps ?
- Plus de six mois.
- Aïe…j’ai mal pour vous.
Ils se turent à nouveau.
- Mais qu’est-ce qui s’est passé exactement ? demanda-t-il, curieux.
- En résumé, mon chirurgien de petit-ami s’est tapé une copine du boulot dans la salle à linge.
- Dans la salle à linge ?!
- Oui.
- Mais vous travaillez où ?
- À l’hôpital.
- Quel culot ! Dans la salle à linge d’un lieu public ! Mais ça fait longtemps que ça s’est produit ?
- Environ neuf mois.
- Et vous allez bosser avec une tête de déprimée depuis neuf mois ? Devant lui ?
Exaspérée, Lucile tourna la tête. Se moquait-il d’elle ? Il n’en avait pas l’air pourtant.
- Vous ne vous rendez pas compte, continua Raoul, du plaisir que vous lui procurez à chaque fois qu’il vous voit si malheureuse dans les couloirs de l’hôpital ! Et ça depuis neuf mois ! C’est lui le vainqueur dans l’histoire !
- Je sais bien, mais…
- Vous désirez lui laisser cette satisfaction ?
- Non mais…
- Alors réagissez !
Pendant ce temps, Jessica mitraillait avec son appareil-photo les mariés qui s’apprêtaient à couper la pièce montée.
- Qui veut du gâteau ? Des choux ? claironna Valentin.
- Des choux !
- Du gâteau !
- Les deux !
- Euh, ça va oui ! ironisa le jeune homme. Je vous rappelle que j’ai aussi un fœtus à nourrir, alors ce serait gentil d’en laisser un peu pour le ventre de ma Pitchounette !
- Au fait, tu ne nous as toujours pas dit si c’était une fille ou un garçon ! rappela Jessica.
- Et je ne dirai rien !
- Hey ! Même avec 50 euros en échange ?
- Même avec 50 euros en échange.
- La seule personne au courant, c’est Martine, expliqua Gabrielle, en détachant doucement la petite sculpture en chocolat de la pièce montée.
- C’est pas juste ! s’écrièrent les invités à l’unisson.
Le prêtre de Notre-Dame de Paris avait été outré d’unir un homme et une femme déjà enceinte de quatre mois. Les mariés n’avaient cependant pas tenu compte de son avis. Ils avaient voulu se marier le plus tôt possible, avant l’accouchement de Gabrielle. Un épais ruban bleu pâle sur sa robe de mariée en tissu et en tulle mettait en évidence son ventre enflé. Valentin manifestait tout le temps sa joie d’être père d’une manière ou d’une autre, et c’était pire quand il était saoul. Par exemple, il coupait la pièce montée de travers.
- Hey ! s’écria Anthony, vexé. Je peux savoir pourquoi Berthier a une plus grosse part que moi !
- Parce qu’il a été plus sage !
- Choux, gâteau ou les deux ? demanda Gabrielle en s’approchant de Lucile et Raoul.
- Choux, répondit l’infirmière.
- Gâteau, fit le journaliste.
- Champagne ? s’écria joyeusement Valentin en débarquant à son tour, deux bouteilles aux mains.
- Euh…pourquoi pas ?
- Photo ! hurla Jessica qui arrivait d’on ne sait où.
Elle brandit son appareil-photo et avant que les deux invités ne puissent dire quoi que ce soit, elle avait déjà pris d’eux dix photographies, dont cinq portraits individuels.
- Hey ! brailla Raoul, énervé. Tu m’as rendu aveugle !
- Oh, cool Raoul ! N’oublie pas que je suis la photographe officielle non-rémunérée de Valentin et Gabrielle !
- Mais que t’es chiante quand tu t’y mets !
Mais Jessica avait déjà disparu, comme à son habitude.
- Ne lui en voulez pas, c’est Thierry qui la rend si excitée, expliqua Gabrielle avec un brin de compassion dans la voix.
- Vas-y ! riposta Valentin, vexé. Elle était déjà bien excitée avant de connaître mon meilleur pote ! Ça ne date pas d’hier cette histoire ! En tout cas, c’est con pour elle, il est déjà fiancé !
- Moi, je me sauve, fit la mariée. Anthony a l’air de réclamer des choux en rab, et ma mère est en train de faire vivre un enfer à mon père…
L’officier observa son épouse s’éloigner, avec un sourire goguenard collé aux lèvres.
- Ah…que je suis content ! soupira-t-il. Bon, Lucile, après tes choux, tu danses avec moi ?
- Désolée Val’, mais j’ai déjà promis à Raoul que…
- Je suis vexé. Et moi alors ?
- Mais Valentin !
- C’est moi le marié, t’es censée m’accorder tout ce que je veux !
- C’est nouveau ça ?!
- Vous pouvez danser avec lui, affirma le journaliste. Je peux très bien sauter mon tour.
- Non, non et non, répondit fermement la jeune femme. Valentin, va plutôt faire danser Gabrielle.
- Roh ! Puisque c’est comme ça, je reprends le champagne et je ne te donnerai pas les dragées !
Après avoir tiré la langue à l’infirmière (n’oublions pas qu’il était bourré), il s’était enfui comme un voleur pour rejoindre Gabrielle. Raoul et Lucile purent donc reprendre leur discussion.
- Vous savez, j’aime beaucoup parler avec vous, affirma-t-elle.
- Ah bon ?
- Oui. Vous ne seriez pas un peu philosophe ?
- Non. Un peu journaliste, en fait.
- Ah, tout s’explique alors ! Je trouve que vous êtes quelqu’un d’intéressant.
- Ça fait très plaisir, Lucile. Et je préfère être intéressant plutôt que charmant.
Elle fronça les sourcils, pour lui faire comprendre qu’elle ne voyait pas où il voulait en venir.
- Vous savez, dans le monde, il y a trois types de personnes. Les gens beaux et sans esprit. Les gens laids et avec de l’esprit. Et les gens qui ont un peu les deux. Je fais partie de la seconde catégorie, et j’en suis ravi. Votre chirurgien d’ex-petit-ami était peut-être charmant, mais il a été vraiment très con de se conduire comme ça avec vous.
- C’est comme un manque de maturité ? demanda Lucile.
- Absolument, et c’est aussi un surplus d’hypocrisie, voilà pourquoi il ne mérite pas vos pleurs. Valentin et Gabrielle sont assez à part, parce qu’ils sont tous les deux ravissant à regarder, et qu’ils sont très rusés. Assez intelligents, mais surtout rusés, sauf que c’est leur métier qui réclame ce trait de caractère.
- Oui, c’est sûr. Moi, je suis infirmière, et c’est dans ma personnalité d’aider et de soigner les gens. Mais c’est mon métier qui m’a formée comme ça.
- Absolument, répéta Raoul. Et c’est parce que vous pratiquez ce métier que vous êtes douce. Tous les hommes rêveraient d’avoir une infirmière comme vous pour eux tout seuls.
Décidément, il trouvait des mots tellement justes qu’ils lui allaient directement au cœur et la faisaient rougir. Le journaliste fit mine de ne rien voir et continua son discours.
- Vous êtes l’une des rares personnes qui font partie de la dernière catégorie. Vous n’êtes pas exceptionnellement belle, mais vous êtes franchement mignonne. Vous n’êtes pas Einstein, mais vous avez un minimum de culture générale et vous n’êtes donc pas idiote. Et comme je vous disais, c’est rare, des gens comme vous. C’est pour tout ça que j’aime aussi parler avec vous.
Lucile ne savait plus où se cacher, et Raoul, voyant sa gêne, voulut la détendre.
- Bon, c’est rarissime. Voyez Jessica. Elle est la preuve vivante ! Elle est diablement belle mais…question neurone, c’est désertique !
- Connard, grinça une voix alors que l’infirmière était pliée de rire.
Le rouquin se retourna, tout sourire, et vit la photographe qui le fusillait du regard.
- Oh Jessica…que fais-tu là ?
- Je chaperonne Lucile, mais je crois qu’avant de lui dire deux mots, je vais t’arracher les yeux.
- Et elle ne peut pas se chaperonner toute seule ?
- Non. Le fait qu’elle reste avec toi montre bien qu’elle n’a aucune conscience du danger que tu représentes.
- Jessica, je t’en prie…supplia l’infirmière en posant sa tête sur l’épaule de Raoul.
- Hey Jessie ! appela Thierry. Viens ma bichette, on va danser !
- M’appelle pas Jessie ! Et d’abord, je ne suis pas une bichette !
- Bichette ! T’entends la musique ?! C’est chaud ! Allez, viens, on va se trémousser sur le dancefloor !
- Okay, bel homme, j’arrive ! soupira-t-elle, sachant qu’elle ne pouvait résister au Niçois.
Pendant que certains dansaient, se racontaient des blagues, sabraient une bouteille de champagne ou dormaient aussi profondément que le fils de Berthier, d’autres faisaient plus ample connaissance comme Lucile et Raoul. Valentin, lui, cherchait à récupérer à tout prix son épouse.
- Bon, Thierry, arrête de danser avec ma femme, j’en ai marre.
- Et tes conneries ! s’exclama le meilleur ami en question, sans pour autant lâcher Gabrielle.
- Allez ! Elle est à moi ! brailla le jeune homme, en tirant sur un pan de la robe de mariée.
- Enfin Valentin ! gronda-t-elle.
- Mais c’est vraiment pas possible d’être aussi capricieux ! pesta Marietta. Allez, gros idiot, laisse-les tranquille !
- Il m’a déjà bouffé toutes mes ex !
- Oh le menteur ! se défendit Thierry. C’est toi qui as bouffé toutes les miennes !
- Là, c’est pas pareil ! C’est ma femme !
Après une fausse dispute qui se termina presque en fausse bagarre, les mariés allèrent s’asseoir à leur table, un peu épuisés. Gabrielle s’endormait sur l’épaule de Valentin, et la main de ce dernier ne se décollait plus du ventre de la jeune femme. Assis en face d’eux, Berthier, Anthony et Thierry étaient lancés dans une grande conversation : l’organisation du mariage parfait.
- Nous, on a préféré attendre un an après les fiançailles pour avoir le temps de tout organiser, expliqua le meilleur ami du commissaire.
- Pareil pour nous. Un an et demi, fit Corentin.
- Et toi, Val’, seulement après six mois ! T’es pas allé trop vite ? demanda Anthony.
- Il fallait qu’on se dépêche, parce que je voyais mal gérer un mariage et un bébé à la fois. Puis, au moins, c’est fait !
- Il est sympa ton mariage ! Comment tu t’y es pris ?
- Un peu n’importe comment, en fait…répondit Valentin, gêné, qui était tout sauf organisé. Il a fallu trouver une date qui arrangeait tout le monde, et qui ne soit ni trop tôt, et ni trop tard non plus. La galère, j’vous raconte pas ! On a dû négocier avec les supérieurs aussi…et faire un scandale pour avoir la cathédrale !
- Et pourquoi t’as fait la cérémonie à Notre-Dame ? Enfin, je veux dire que ce n’était pas la seule église à Paris qui…
- Mais Coco, Notre-Dame est à deux pas du Quai des Orfèvres, et à cinq minutes du Quai de Gesvres. Tous les collègues qui bossaient aujourd’hui et qui voulaient venir ont pu s’absenter une heure, pas plus, pour assister au mariage, et ils sont retournés bosser juste après ! C’est pour eux qu’on a choisi Notre-Dame ! Franchement, t’as pas remarqué qu’il y avait trois fois plus d’invités à la cathédrale qu’au restaurant ?!
- Maintenant que tu le dis, c’est vrai que j’ai vu plus d’uniformes que de smokings…
- C’était pas con comme idée.
- Franchement Val’, t’as assuré ! Tu peux être content !
- Ouais…même si j’ai plus un rond maintenant.
- Oh tant que ça ? s’étonna son lieutenant, qui venait d’arriver devant la table.
- Ouais. D’un côté, on a bien calculé notre coup. La photographe, on ne la paie pas (faut dire aussi qu’elle a refusé). L’Amicale de la Criminelle nous a offert les dragées. Du coup, on a pu se permettre de faire des folies avec Gabrielle. Déjà, tu vois, toutes les heures supplémentaires qu’on a faites depuis des lustres, on les a réclamées en pognon plutôt qu’en repos compensateur. Et avec ce fric, on s’est offert la nuit de noces dans un palace cinq étoiles. Et dans une suite royale, attention !
- Ouah ! s’exclama Anthony, émerveillé. Tu dois trop te languir qu’on se barre !
- Ouais, plus vite vous rentrerez chez vous, plus vite je pourrais en profiter !
- Et pour la croisière en Méditerranée, comment vous avez fait ? demanda Thierry.
- Et bien, vu que nous sommes fonctionnaires, on a le voyage moitié prix.
- Putain ! Mais vous êtes des salauds !
- Non, nous sommes avantagés, c’est tout.
- Et ce qui reste sur vos comptes bancaires, c’est pour le bébé ?
- Le mien, c’est pour la bouffe, et celui de Gabrielle, pour le bébé.
- Mazette, quelle organisation ! siffla le Niçois.
- Roh, ne te fout pas de ma gueule ! On verra si tu feras mieux, toi ! railla Valentin.
- Tout à fait ! Je ferai mieux.
- Connard.
Les deux amis commencèrent à s’insulter de façon amicale, jusqu’à ce qu’Anthony se lève en sursaut pour courir à l’extérieur du restaurant.
- Bah qu’est-ce qui lui prend ? s’étonna Berthier.
Le gardien de la paix revint deux minutes après, avec un paquet à la main.
- Désolé, j’avais oublié le cadeau dans la voiture. Hey les gars ! Ramenez vos fraises, ils vont ouvrir notre cadeau ! hurla-t-il à l’attention de tous les flics de la salle.
Valentin réveilla sa femme, à qui Anthony tendit le paquet pour qu’elle l’ouvre.
- D’la part de l’Amicale de la Crim ! s’exclama l’ex-élève, excité.
- Merci. Oh, ça a l’air lourd…répondit Gabrielle en soupesant le paquet et le donnant à Valentin. Tiens, ouvre-le.
- On dirait que c’est en fer. Je sais pas pourquoi mais venant de l’Amicale, je sens que c’est pas un bon truc… Ah, mon pauvre Antho’, quelle connerie nous as-tu encore fait ?
L’intéressé afficha un grand sourire innocent, de même que les autres flics. Le marié déchira le papier cadeau et il découvrit avec horreur une plaque bleu marine où était écrit « Quai des Orfèvres ».
- Je rêve ?! Vous n’avez quand même pas fait ça ?
- Fait quoi ? demanda innocemment le gardien de la paix.
- J’le crois pas ! Vous avez dévissé la plaque de rue du Quai des Orfèvres ! J’hallucine ! Putain, si on trouve ça chez moi, je vais en taule direct !
- C’est original, commenta Gabrielle.
- On voulait vous faire plaisir, c’est tout ! Après tout, c’est là que toute votre histoire s’est passée !
- Et on a failli se faire prendre par les flics ! Tu n’imagines même pas le méga risque qu’on a pris ! On a fait ça la nuit !
- Bon, c’est vrai que maintenant, y’a un énorme blanc à l’angle du bâtiment, mais ils vont en remettre une toute neuve bientôt ! expliqua Berthier.
- Qu’on dévissera à nouveau quand y’aura un départ à la retraite ou un mariage !
Les flics éclatèrent de rire, même Valentin.
- Merci ! Personnellement, ça me fait un souvenir, vu que je ne travaille plus avec vous. Mais je ne sais pas trop ce qu’on va en faire à vrai dire. Ça ne le fera pas trop dans les chambres des enfants ! Ni même dans le salon !
- Peut-être que je pourrais m’en faire une planche pour couper le pain, le saucisson ou la viande, proposa Gabrielle.
- Ah non ! Surtout pas ! tempêta son mari. Cette plaque a connu la pollution, les chewing-gums, les tags, les feutres, le soleil, la pluie, le vent et la neige ! Il est hors de question que je mange mon saucisson corse coupé sur une plaque pourrie ! Tu sais que ça peut être une cause de divorce ça ?!
- Mais Val’, si je la nettoie à la Javel…
- Ça ne changera rien !
- Je peux en faire un petit plateau aussi, tu ne trouves pas ça mieux ? Il faudrait seulement acheter deux petites poignées, que tu visseras et…
- Gabrielle ! s’écria le commissaire, à bout.
- Photo ! hurla au même instant la photographe, brisant ainsi la première dispute officielle du couple.
Jessica n’avait pas chômé ce jour-là. Elle avait littéralement harcelé les mariés et leurs invités. La jeune femme s’était même attirée les foudres du prêtre alors qu’elle prenait des photos durant la cérémonie. Résultat : deux bouteilles d’eau vidées, cinq énormes cartes mémoires utilisées par l’appareil-photo, sachant que la sixième était presque remplie. Soit 405 photos des mariés seuls ou accompagnés, 132 à Notre-Dame, 279 des invités, 210 au restaurant, 99 sur tout le reste, 50 de Thierry (dont elle voulait garder un souvenir) et 6 du fils de Berthier (qu’elle avait trouvé adorable). Sans oublier les 20 photos des flics et des mariés seuls ou réunis avec la plaque de rue « Quai des Orfèvres ».
Peu après toutes ces photos prises, vint le moment où toutes les femmes présentes au mariage voulurent négocier le bouquet de la mariée.
- Et bien…commença Gabrielle, fort embêtée.
- Ma chérie, tu vas bien me le donner à moi ! tenta sa mère.
- Maman, tu as déjà été mariée, je te rappelle.
- Oui, mais j’ai aussi divorcé ! Et si je veux me remarier, hein ?
Le père de la jeune femme ne put s’empêcher d’éclater de rire à cette idée, et la principale concernée oublia vite le bouquet pour aller le frapper.
- Tu n’es pas obligée de me le donner à moi, dit alors la femme de Berthier. Je suis déjà mariée.
- Offre-le à quelqu’un à qui ça peut servir, conseilla Marietta.
- À moi ! beugla Rachel (qui avait insisté auprès de son frère pour s’incruster au mariage).
- Non ! hurla à son tour Anthony (décidément, c’était de famille). Gabrielle, donne-le à Sophie ! On veut se marier ! Allez ! Donne-le-lui !
- Euh…fut la seule réponse de la jeune femme.
Jessica s’approcha alors de sa meilleure amie, avec un petit air suppliant.
- Tu sais, Gaby, moi, je demande juste une rose ou deux. Je ne compte pas du tout me marier avant la fin de l’année (c’est impossible que ça m’arrive), mais je veux juste un peu vivre d’amour et d’eau fraîche pendant un petit moment, si tu vois ce que je veux dire ! Avoir au moins une relation stable !
- Accordé, répondit la mariée, qui approuvait l’idée.
- Yes ! Je pourrai m’en faire un petit pot pourri porte-bonheur comme ça ! Merci !
Gabrielle lui tendit deux roses que la photographe s’empressa de fourrer dans son sac. Elle en donna ensuite trois à Sophie, une à sa mère, une à Marietta et une à la femme de Berthier. Elle offrit une brindille à Rachel et garda le reste pour Lucile.
- Ça, c’est ce que j’appelle de la justice, commenta Valentin. Mais tu peux en garder une pour ma petite maman adorée ?
- Gabrielle, Valentin, je crois que vous avez des invités qui veulent s’en aller, prévint le père de la mariée.
Le couple tourna en même temps la tête pour remarquer Raoul et Lucile se lever de table.
- Hey ! Vous alliez partir sans rien nous dire ! lança commissaire, en venant à leur rencontre.
- On allait vous dire au revoir ! Il est quatre heures du mat’ passé ! Raoul me raccompagne jusqu’à chez moi, tu sais bien que je travaille demain matin. Enfin, tout à l’heure…expliqua Lucile en regardant sa montre.
- Tu n’auras même pas dansé avec moi…
- C’est pas un drame Val’.
- Si.
À la plus grande surprise de l’infirmière, il la prit dans ses bras et la fit tourner durant quelques secondes.
- Voilà, fit Valentin en la reposant sur le sol. C’est bon, on a approximativement dansé là. Tu peux partir, maintenant ! De toute façon, faut que je vire tout le monde maintenant, j’ai une nuit de noce à accomplir !
- Imbécile… Lucile, tu viens avec moi chercher les dragées ? proposa Gabrielle.
Raoul observa les deux femmes s’éloigner, puis se tourna vers le marié.
- Il était sympa ton mariage.
- Merci. On craignait que tu t’ennuies, avec Gabrielle, parce que vu que tu ne connais pas grand monde ici… Mais j’espère que ça n’a pas été le cas.
- T’inquiète. Y’avait Lucile.
- Ah oui…Lucile, répéta Valentin, l’air moqueur. Mais dis-moi, c’est Lucile tout court ou ta Lucile ?
- Ma Lucile.
- C’est bien ce que je me disais.
- Elle est gentille, et…et puis…
- Cherche pas, j’ai bien compris. Petit coquin, va.
- Ne prends pas ton cas pour une généralité.
Ils rirent, puis le journaliste reprit son air sérieux.
- En tout cas, je ne te remercierai jamais de m’avoir permis de la rencontrer.
- Oh c’est rien…mais on dira simplement que c’est en échange de tes services rendus lors de l’affaire Océane. Sans toi, on n’y serait jamais arrivé.
- Tiens, ça vous arrive de baisser les bras dans la Police Judiciaire ? ironisa Raoul.
- Ouais, parfois.
Au fin fond du restaurant, Gabrielle et Lucile cherchaient le panier à dragées. La mariée en avait profité pour discuter avec son amie et pour lui offrir ce qu’il restait du bouquet, ce qui l’avait fait drôlement rougir.
- Alors, Raoul ?
- Spécial, mais il a su me remonter le moral.
- C’est pour ça que je pensais que ça serait une bonne chose que tu discutes avec lui, avoua la jeune femme. Il a un point de vue assez différent des autres.
- Oui… Et puis, je crois qu’il me plait dans sa façon d’être.
- Hum hum ?
Gabrielle lui jeta un regard rempli de sous-entendus, ce à quoi l’infirmière lui rendit des éclairs. Elles repartirent dans le sens inverse, avec le panier en plus.
- Je n’ai rien dit, fit innocemment Gabrielle. Mais tu ne crois pas qu’il serait temps que tu passes à autre chose ?
Lucile ne put répondre, car elles étaient déjà revenues vers Valentin et Raoul. Sa meilleure amie lui tendit le panier pour qu’elle choisisse, avec le journaliste, un petit paquet de dragées. Ils remercièrent les mariés et, après quelques souhaits et embrassades, les deux invités s’en allèrent. Durant le chemin menant jusqu’à chez elle, ils ne parlèrent presque pas, mis à part du bébé des deux flics.
- Je trouve qu’ils ne parlent pas beaucoup de leur bébé.
- Ouais, c’est bizarre, approuva Raoul. J’aurais pensé Valentin inépuisable à ce sujet. Il doit y avoir une bonne raison.
- Vous croyez ?
- Oui, ils doivent cacher un truc… Ça ne sert à rien de s’acharner, nous auront la surprise le jour J !
La voiture du rouquin se planta devant l’appartement de Lucile. Ils sortirent de la voiture, et se regardèrent dans les yeux pendant deux longues minutes, avant de se quitter.
- On se reverra, au moins ?
- Évidemment, répondit-t-elle.
Elle lui planta une bise sur la joue en guise d’au revoir, et il l’observa s’éloigner vers l’entrée de son bâtiment. L’infirmière sortit les clés de son sac pour ouvrir la porte, mais au dernier moment, elle se ravisa, et retourna d’un pas assuré vers Raoul. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle se sentait bien auprès de lui. Elle aimait discuter avec lui. Elle l’aimait beaucoup en fait. Et à cet instant précis, elle sentit que Gabrielle et Jessica l’accompagnaient indirectement. Elle avait la force des deux. L’audace et…la séduction.
- Et vous habitez loin de l’Hôpital Saint-Louis ? demanda-t-elle avec un petit sourire coquin.
- Et bien, fit le jeune homme en faisant mine de réfléchir, environ à un quart d’heure. Pourquoi ?
- Parce que je commence mon service à 8 heures ce matin. Et vu qu’il est déjà 5 heures, et que je suis bien partie pour faire le tour du cadran, j’ai pensé que je pourrais éventuellement passer le reste de la nuit éveillée chez vous…
- Pas de problème, sourit Raoul.
Elle lui rendit son sourire complice et sauta à son cou pour l’embrasser tendrement.
- Non, franchement, vous ne trouvez pas que j’ai retrouvé ma ligne ? demanda Jessica, en soulevant un peu son débardeur. Bon, okay, j’ai encore un petit bide, mais enfin… En même temps, ça ne fait que trois mois que Hugo est né…
Elle tapota sur son ventre, satisfaite.
- Ça va alors ? s’informa Gabrielle. Ton fils t’épargne ou a décidé du contraire ?
- Ça va, il est calme dans l’ensemble. Il mange, il fait mumuse, il dort, il mange, il fait mumuse, il dort, il mange, il fait mumuse, il dort… Tu me diras, c’est pas plus mal ! Vaut mieux ça qu’un petit qui pleure jour et nuit !
Elles éclatèrent de rire. Jessica et Lucile s’étaient retrouvées chez Gabrielle pour discuter entre amies. Elles avaient de moins en moins de temps à se consacrer depuis ces derniers mois. La raison était pourtant claire : elles avaient une vie, chacune de leur côté.
- Ça fait vraiment du bien de se revoir de temps en temps…soupira Gabrielle en caressant inconsciemment son ventre.
Ses deux amies la regardèrent, furieuses.
- Je rêve ! s’énerva Jessica. C’est le tic des femmes enceintes ! Oh mon Dieu ! Tu es enceinte ! Encore !
- Comment ça encore ? répliqua la concernée, vexée. Ce n’est pas ma faute si Val’ est productif à ce point-là !
- Oui, encore ! Et le pire, c’est que tu viens de l’avouer et que tu ne nous l’as même pas dit avant !
- Valentin n’est même pas au courant, alors…
- Oh…et il le saura quand ?
- Je vais attendre son anniversaire. J’espère simplement qu’il ne remarquera pas mes kilos en trop.
- Et ben dis donc, le connaissant, il sera fou de joie, remarqua la photographe.
- C’est peu de le dire.
Les deux jeunes femmes se tournèrent vers Lucile, qui ne disait toujours rien.
- Et toi, c’est quand que tu nous fais un bébé ?
Au lieu de répondre, elle éclata en sanglot et ses deux amis sursautèrent de stupeur.
- Mais pourquoi tu pleures ? paniqua Jessica.
- Qu’est-ce qui se passe Lucile ? Hein ? demanda à son tour l’officier en la prenant dans ses bras.
- Je n’aurai jamais de bébé !
- Tu dis des conneries ! assura la photographe, persuadée du contraire.
- Vous ne comprenez pas…
- Mais quoi donc ? interrogea doucement Gabrielle.
- Raoul est stérile !
Elles en eurent le souffle coupé.
- Mais…mais…est-ce que c’est certain au moins ?
- On a fait des analyses et tout…expliqua Lucile en séchant ses larmes.
- Tu sais qu’il existe d’autres moyens pour avoir un enfant ?
- Mais oui Gabrielle, je le sais, mais je veux mon bébé à moi et à Raoul. Pas un où je ne serais pas la vraie mère ou Raoul le vrai père.
- Oh no panic Luce ! Ce n’est pas dit que tu n’auras jamais d’enfant par la voie naturelle ! rassura Jessica, toujours aussi sûre d’elle. Regarde, moi, je m’y attendais ! Mais avant Hugo, je ne m’y attendais pas ! Et si je n’avais pas fait la conne, Hugo aurait un grand frère ou une grande sœur…
La voix de la jeune femme se brisa. De mauvais souvenirs qu’elle se refusait se rappeler lui revenaient en tête.
- N’y pense plus ! C’est du passé ! conseilla Gabrielle, qui ne désirait pas dériver la conversation sur ce sujet. Mais tu sais, Lucile, elle a raison. Si ça se trouve, un jour tu vas te retrouver enceinte sans savoir comment et sans t’en être rendue compte !
- J’aimerais tant que tu dises vrai.
- Ça arrivera, crois-moi. Je me trompe rarement dans mes diagnostics !
- Si c’est le cas, tu peux peut-être nous dire si c’est une fille ou un garçon qui se cache dans ton ventre ! ironisa Jessica.
- On ne voit pas encore bien sur l’échographie. Je vous le dirai la prochaine fois.
- Faudra que je songe à lancer un pari !
- La dernière fois que tu as parié, tu t’es trompée sur mes deux enfants !
- Ouais, je sais bien, mais tes deux enfants formaient un cas particulier…
- Merci bien !
Au même moment, la porte de l’appartement s’ouvrit sur un Valentin d’excellente humeur.
- Ah ! s’écrièrent les trois jeunes femmes, surprises.
- C’est moi ! jubila-t-il en pénétrant dans le salon avec un air triomphant.
Il se pencha sur sa femme pour l’embrasser, sans même se débarrasser de son manteau.
- Bonjour ma chérie !
- Bonjour mon cœur !
- Comment vas-tu ?
- Très bien et toi ?
- Très bien !
- Oh mon Dieu ! Où sont les enfants ?! s’exclama-t-elle, horrifiée, en le voyant tout seul.
- Berthier joue à la nounou.
Voyant sa femme rassurée, Valentin se releva et se pencha ensuite sur la photographe pour lui faire la bise.
- Salut Jessica !
- Salut !
- Comment tu vas ?
- Bien.
- Et ton fils ?
- Comme un coq en pattes. Il s’est rendu compte qu’il était capable de faire du bruit…alors il fait du bruit pour s’amuser. Et pour nous emmerder, aussi.
- Ah ah, c’est de son âge ! Et ton mec ?
- Bien aussi. Il est juste un peu stressé à cause des élections législatives, mais sinon, ça va !
- C’est vrai que c’est bientôt… Le pauvre, si ça se trouve, c’est la fin de son congé sabbatique !
- Te fout pas de sa gueule !
- Je n’oserai jamais !
Le jeune homme se tourna alors vers l’infirmière, et renouvela l’opération.
- Coucou Lucile !
- Coucou.
- Comment tu vas ?
- Bien…
- Et notre bon Raoul ?
- Bien aussi.
- Bon, si tout le monde va bien, tout va bien alors… Hey, je rêve ou t’as pleuré ?
- Valentin ! reprocha Gabrielle.
- Non mais attendez ! paniqua le commissaire, en s’asseyant aux côtés de Lucile. Si y a un truc qui va mal, il faut me le dire hein ! Qu’est-ce que vous lui avez encore fait pour qu’elle soit dans cet état ?!
- Mais rien du tout ! s’écria Jessica. On parlait d’un truc de fille et puis bon… Ça ne te regarde pas, de toute façon !
- Si, ça me regarde ! C’est quoi le problème ?
Aucune des trois femmes ne répondit. Finalement, Gabrielle se décida.
- On parlait simplement de bébés, et…on a appris que notre petite Lucile ne pensait pas en avoir un jour…
La principale concernée jeta un regard meurtrier à la jeune femme qui haussa les épaules. Valentin, lui, ne semblait toujours pas comprendre.
- Mais pourquoi ? demanda-t-il. C’est idiot de dire ça, Lucile !
- Raoul est stérile…fit celle-ci d’une toute petite voix.
- Raoul est…oh ! Putain ! Désolé, je ne savais pas ! Oh mais ma p’tite Lucile, je suis certain que tu auras ton propre bébé à toi un jour ! Obligé ! Regarde, Gabrielle ne voulait pas en avoir, et tu vois où on en est ! Je ne me trompe jamais dans mes prédictions ! Fais-moi confiance, tu en auras un jour ou l’autre ! Qu’importe ce que disent les examens, la science n’aura jamais raison de la nature.
- Qu’est-ce que je disais ? approuva Jessica, en hochant la tête.
Un peu plus d’un an passa, et Raoul se réveilla un matin assez étonné. Lucile, soucieuse, faisait les cent pas dans leur petit appartement…avant de courir à la salle de bain. Il se leva aussitôt pour aller la soutenir ou du moins, la taquiner.
- Hey ! Ça fait trois jours déjà ! On dirait bien que t’as tous les symptômes !
- Ça ne veut rien dire ! J’en vois tous les jours des fausses alertes à l’hôpital, marmonna l’infirmière en se relevant.
- Et tu as mangé ce matin ?
- Non. Impossible d’avaler quoique ce soit.
- Et si tu me fais un malaise ? s’inquiéta Raoul, sourcils froncés.
- S’il faut en faire, j’en ferai un, ma foi !
Après s’être lavée les dents, elle embrassa son compagnon.
- Je vais y aller. Ce soir, je passerai à la pharmacie, mais il vaut mieux qu’on ne se réjouisse pas trop vite. Tu comprends, c’est peu probable…
- Je sais…murmura-t-il.
Ils s’embrassèrent une dernière fois, après quoi Lucile enfila sa veste et partit à l’hôpital. Raoul passa sa journée devant son ordinateur, à essayer de rédiger un article à rendre pour le lendemain, mais il n’arrêtait pas de penser à la jeune femme. Il en arrivait même à stresser. C’était comme l’attente des résultats d’un examen. On l’avait ou on ne l’avait pas. Une femme était enceinte ou elle ne l’était pas.
Raoul sentit des bras enlacer son cou et des lèvres se poser sur sa peau. C’était Lucile, qu’il n’avait pas entendu rentrer. Il ne s’était même pas rendu compte que le soir était déjà tombé. La jeune femme fit le tour du fauteuil et s’assit sur ses genoux.
- Ta journée, pas trop fatigante ? demanda-t-il.
- Si…
- N’en fais pas trop quand même.
- Je fais ce que je dois faire, c’est tout.
- Et tu es passée à la pharmacie ?
- Oui Raoul, mais pitié, laisse-moi souffler deux minutes…
Lucile attendit dix minutes, toujours assise sur ses genoux. Elle somnolait presque, mais le journaliste l’avait secouée doucement pour la tenir éveillée.
- Il vaudrait mieux que tu fasses le test maintenant, non ? Ça prend dix minutes !
- Dis plutôt que tu es pressé de savoir !
- Un peu, comprends-moi !
- D’accord, je vais le faire, décida-t-elle en se levant.
- Et si c’est positif, tu dois me dire qui est ton amant !
- Idiot !
La jeune femme s’enferma dans la salle de bain, et Raoul fut pris d’une terrible crise d’angoisse. Après cinq minutes à faire les cent pas dans le salon, Lucile sortit de la pièce.
- Il faut attendre.
- Merde, répondit seulement le journaliste.
- Qu’est-ce qu’on a à perdre de toute façon, hein ? Allez, viens me faire un gros câlin au lieu de stresser ! fit-t-elle en passant ses bras autour de son cou.
Il apprécia ce contact rassurant et n’hésita pas à resserrer cette étreinte que Lucile défit au bout de cinq minutes. Elle s’éclipsa une nouvelle fois dans la salle de bain tandis qu’il se laissait tomber sur le canapé, désespéré. Les secondes qui suivirent furent les plus longues et les plus effrayantes de sa vie. Enfin, l’infirmière mit fin au suspense en déboulant de la pièce comme une furie.
- Raoul ! s’écria-t-elle en lui sautant dessus. Raoul ! Ça a marché !
- Hein ? De quoi ?
- Je suis enceinte !
- C’est vrai ? Mais comment c’est possible ?!
- Mais on s’en fiche de ça ! Voyons, tu n’es pas content ?! On va avoir un bébé !
- Si, je suis content mais…j’ai encore du mal à y croire.
Ses yeux étaient grand ouverts ; il était encore sous le choc de la nouvelle. Sur 99,9 % de chances de ne pas avoir d’enfant, le destin lui avait accordé le 0,1 %. Il n’en revenait toujours pas, jusqu’au moment où il tiqua. Un grand sourire fendit son visage. Il réalisa enfin qu’il allait être papa. Et Lucile maman. Alors que tout espoir était perdu.
- Ouah ! rugit-t-il, faisant sursauter la jeune femme qui arrangeait ses cheveux blonds. Lucile ! Tu te rends compte ?! Nous allons être…parents !
- Et oui !
- Mais c’est fantastique !
Le rouquin l’embrassa longuement, jusqu’à ce qu’ils n’aient plus le souffle nécessaire. Elle avait les joues rouges. Il avait les yeux brillants. Ils étaient heureux.
- Au fait, j’ai une question existentielle, fit Raoul, soudainement inquiet.
- Quoi ?
- Blond ou roux ?
*rire diabolique*
Ca sent en effet la rose, et pas qu'un peu, héhé. Ils sont mignons tous. La scène finale du chapitre au 36 est quand même le must, j'ai même éclaté de rire un peu trop fort en me la représentant, les gens des bureaux voisins m'ont regardé bizarrement. Je suis officiellement considérée comme bonne à enfermer apparemment. Ca m'étonnerait pas que pour mon anniversaire ils pensent à une camisole...
Et l'extra... Mondieu ce mariage. Avec tous ceux qu'on a vu tout au long du 36. Gniiiii. Sont mignons. Même le Thierry a débarqué pour l'occasion XD Et Lucile et Raoul. Ah et notre Gabrielle enceinte à répétition. C'est ça de pas vouloir de gamins - une fois qu'on commence, on peut plus arrêter ^^
Bon, bah, euh, je crois que j'ai un dernier chapitre qui m'attend bien sagement.
*se réaprovisionne en mouchoirs*
Et béh euh sinon... MERCI SEJOUNETTE ! T'as vu que je ne sais jamais quoi dire pour te répondre ? xD J'ai tout le temps l'impression de me répéter. Bref. Même si j'arrive à la bourre, je te tends quand le paquet de Kleenex... Emotive comme tu es... :D
Je me garde pour le dernier commentaire. ^^
Je dirai juste que Gabrielle n'est pas totalement responsable de ses petites graines... xD Reconnaissons-là le caractère borné de Valentin (qui avait, en plus) deux chambres d'enfant à combler dans son appartement...) XD