Chapitre 16 : Musique

Lyra le retrouva à l’endroit exact où elle l’avait laissé : le livre offert par Omicron Elara. Tout juste s’il était un peu couvert de poussière. Elle s’en empara, victorieuse puis le tendit à Fynn.

- Montre-moi tes runes, lança-t-elle.

- Comme si tu ne les avais pas vues les trois mille fois où nous nous sommes arrêtés pour baiser, répliqua-t-il.

Lyra devait admettre que leur vitesse de marche laissait à désirer. En même temps, Fynn chantait en avançant. Comment ne pas avoir envie de le dévorer ! Lyra lui refusait toutefois de se finir en elle. Par derrière ou dans sa bouche, d’accord, mais dans son ventre, non. Fynn s’était montré très compréhensif. « Pas de deuxième enfant, tout de suite. Je comprends ». Lyra ne l’avait pas détrompé et pourtant, la raison était toute autre. Une part d’elle-même ne voulait pas tromper son mari. Ash attendait cet enfant avec espérance. Retomber enceinte de Fynn serait une trahison ultime qu’elle ne saurait pas gérer.

Lyra lui lança un regard entendu et Fynn retira son pantalon pour dévoiler la rune sur sa cuisse gauche. Elle était celle permettant les illusions. Lyra voulait juste vérifier que le livre disait la vérité. Son expérience lui avait appris la prudence. Ils retrouvèrent la rune en page douze : illusion.

- Bingo ! s’exclama Fynn. Il est trop bien, ce bouquin ! Comment tu savais qu’on le trouverait là, au milieu de nulle part ?

- Omicron Elara me l’a offert, murmura Lyra. Je ne voyais en elle qu’une ennemie.

- Je suis navré, répondit Fynn avant de retirer sa chemise de lin.

Lyra observa la rune sur l’épaule droite de son compagnon et compara.

- Ça ! dit-elle en reconnaissant le dessin. C’est quoi ?

- Empathie, lut Fynn. J’avoue ne pas bien saisir.

- Empathie, répéta Lyra. Tu partages les émotions des gens.

- Ça a l’air pourri.

- Active-la, pas trop fort.

- C’est fait. Et maintenant ?

- Je suis une femme, dit Lyra.

Fynn ferma les yeux et grogna. Le son ressemblait à s’y méprendre à ce qu’il pouvait exprimer lors d’un orgasme.

- Je suis un homme, dit Lyra.

Fynn hoqueta avant de vomir sur le sol.

- Tu devrais couper ton sort.

- Carrément, grogna-t-il en s’essuyant le bord des lèvres. Je peux ressentir si tu mens ou si tu dis la vérité ?

- Je n’avais pas compris pourquoi Omicron Elara me croyait sur parole ni pourquoi elle sautillait de joie. Maintenant, je sais.

- Entendre la vérité est très plaisant, admit Fynn. Je veux bien que tu me dises la vérité à longueur de journée.

Lyra sourit.

- Il va falloir t’entraîner histoire de ne pas vomir tes tripes à chaque mensonge car tu sais, le monde est rempli de petits arrangements avec la vérité.

- Pas faux, répondit Fynn en grimaçant.

- La troisième !

Lyra observa le bas du dos, que Fynn ne pouvait voir à moins d’utiliser deux miroirs.

- Celle-là, désigna Lyra en page quatre.

- Soin, lut Fynn. C’est chouette ! Je peux soigner les maladies ? Guérir des blessures ?

- Apparemment, répondit Lyra. Pas étonnant que l’empereur préfère utiliser les magiciens sur les frontières. Nos soldats auraient bien besoin de ce genre de soutien.

Fynn fronça les sourcils. Lyra ressentait parfois une immense honte en pensant à ce qu’elle faisait. Elle avait laissé derrière elle le trône de Valdoria, abandonnant les habitants pauvres à leur sort. Elle ne voulait pas voler l’héritage d’Ash et comptait bien le lui rendre le moment venu. Lyra sentait le poids de sa décision peser sur ses épaules.

Chaque pas qui l'éloignait de Valdoria était à la fois une libération et un fardeau. Elle se demandait si elle avait fait le bon choix, si le bonheur qu'elle ressentait avec Fynn et Kaïna valait le sacrifice du bien-être de tout un royaume.

- Rejoignons la civilisation, proposa Fynn en mettant l’ouvrage dans son aumônière. Il fait un peu trop chaud ici pour Kaïna.

Lyra le suivit avec plaisir. La petite tétait bien, dormait et ouvrait de grands yeux hébétés sur le monde. Fynn donnait quelques spectacles de mauvaise qualité afin de ne pas attirer l’attention. Les quelques pièces suffisaient à nourrir les trois membres de cette petite famille se satisfaisant de peu. Lyra adorait se contenter d’eau fraîche et d’un peu de pain. Elle ne demandait rien de plus.

Sa robe lui avait rapporté assez d’argent pour s’acheter trois tuniques et des langes pour Kaïna. Ils ne dormaient pas deux fois au même endroit, souvent sous les étoiles, profitant les uns des autres. Fynn adorait sa fille dont il s’occupait énormément. Lyra se sentait bien.

Observant Fynn bercer tendrement Kaïna, Lyra sentit son cœur se gonfler d'amour et de gratitude. Cette petite famille improvisée, née dans le chaos et la fuite, était devenue son ancre dans un monde incertain. Pourtant, une part d'elle-même ne pouvait s'empêcher de se demander combien de temps ce bonheur fragile pourrait durer. Elle craignait de voir surgir Ash lui demandant des comptes, les gardes impériaux l’obligeant à se tenir près de Ash ou pire, Kaelan tentant de lui ravir ses pouvoirs.

Malgré la joie de leur vie nomade, Lyra ne pouvait s'empêcher de jeter des regards nerveux par-dessus son épaule. La menace d'être découverts planait constamment, un rappel silencieux que leur liberté était aussi fragile que précieuse.

- Que fais-tu encore avec ce bouquin ! gronda Fynn un soir près du feu. Tu passes plus de temps avec lui qu’avec moi. Je vais finir par être jaloux.

Son ton indiquait qu’il se moquait gentiment.

- J’essaye de comprendre le lien entre les runes et les glyphes, indiqua Lyra. Ça, c’est la rune du feu et celle-là, la glyphe correspondante.

Ce faisant, elle plaça la rune dessinée sur le livre près de sa glyphe, sur sa jambe gauche.

- Tu vois ? Rien à voir !

- C’est un simple passage de binaire en ternaire, répliqua Fynn.

- Un quoi ? souffla Lyra.

- Tu ne vois pas ? s’étonna Fynn. La rune fait ta hun ta ta alors que la glyphe fait ta ta ta. C’est plus rythmé, plus sensuel. C’est le but du ternaire, tu me diras.

- Je ne comprends rien à ce que tu racontes, admit Lyra, abasourdie.

- Le binaire fonctionne bien pour les marches militaires et les danses en ligne. Écoute.

Il frappa des mains et fredonna un air.

- Le ternaire permet des danses plus sensuelles, plus chaudes. Écoute.

Nouvelle démonstration. Lyra perçut la différence sans pouvoir l’expliquer.

- La rune est en binaire et la glyphe en ternaire, résuma Lyra.

- C’est ça. Tu sais, quand j’utilise mes runes, je joue avec comme s’il s’agissait d’instruments.

- Ah bon ? s’étonna Lyra.

Alors que Fynn expliquait le lien entre musique et magie, Lyra sentit une vague d'excitation mêlée d'appréhension la submerger. Cette nouvelle perspective ouvrait un monde de possibilités, mais aussi de responsabilités qu'elle n'était pas sûre d'être prête à assumer.

- Tu veux que je te montre ? proposa Fynn.

- Oui mais… attends ! Tu vois le lien entre cette rune et cette glyphe ? demanda-t-elle en désignant le livre et sa cuisse.

- C’est évident ! répliqua-t-il. Binaire. Ternaire. C’est la même à cette transcription près.

Le feu crépitait, projetant des ombres dansantes sur leurs visages concentrés. Cette scène paisible contrastait fortement avec le tumulte intérieur de Lyra, partagée entre son bonheur présent et ses devoirs abandonnés.

- Tu saurais m’indiquer les autres ?

Elle tourna les pages pour obtenir la rune d’illusion, possédée par Fynn.

- Laquelle de mes glyphes correspond à ça ? Laquelle en est la transcription en ternaire ?

Fynn attrapa le livre tandis que Lyra se déshabillait. Fynn passa un moment à fredonner en lui tournant autour d’elle, sa bouche produisant des petits rythmes mignons qu’il rejetait. Finalement, il annonça :

- Celle-là.

Lyra l’activa en imaginant un chat et le félin apparut.

- Il est muet, fit remarquer Fynn.

Lyra ne le contra pas. Elle resta un instant figée puis se tourna vers son amant.

- Les autres ! dit-elle en désignant le livre. Dis-moi les autres !

Cela leur prit toute la nuit mais finalement, Fynn lui désigna les dix-neuf glyphes. Lyra en avait le tournis. Kaïna les rappela à la réalité et, toujours nue, Lyra la nourrit au sein.

- Tu en possèdes beaucoup plus que ce bouquin n’en expose, fit remarquer Fynn.

Alors qu'elle contemplait les glyphes sur son corps, Lyra se demandait comment elle pourrait utiliser ce pouvoir pour le bien. La responsabilité qui accompagnait ces capacités semblait écrasante, surtout face à la situation précaire de Valdoria.

- La téléportation n’y apparaît pas, maugréa Lyra. Kaelan aura toujours une longueur d’avance. Ash sait laquelle permet ça. Il faut qu’il me le dise.

- Tu comptes lui arracher le savoir comment ? répliqua Fynn.

Lyra ne répondit rien. Elle baissa les yeux. L'absence de la glyphe de téléportation dans le livre pesait lourdement sur l'esprit de Lyra. Elle réalisait que cette lacune dans son savoir pourrait un jour faire la différence entre la liberté et la captivité, voire entre la vie et la mort.

- Apprends déjà à te servir de celles que tu connais l’utilité, proposa Fynn. Je vais t’apprendre la musique. Tu verras. Quand tu joueras avec les glyphes au lieu de les caresser, tout changera.

Lyra voulait bien le croire. Fynn maniait ses trois runes à la perfection. Lyra ne pouvait s’empêcher de se sentir mal. La culpabilité pesait sur sa conscience. Son pouvoir l’obligeait à certaines responsabilités. Certes, les illusions créées par Fynn les protégeaient de Kaelan mais les Valdoriens, eux, restaient sans rien. Lyra se rhabilla le cœur lourd.

Malgré la joie de ces découvertes, Lyra ne pouvait s'empêcher de jeter des regards nerveux dans l'obscurité environnante. La menace de Kaelan et la possibilité d'être découverts planaient constamment, un rappel silencieux que leur liberté était aussi fragile que précieuse.

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