Passées les quelques secondes d'évanouissement fort embarrassantes ayant suivi la découverte de la forme véritable de Seth, Elizabeth avait tenu à faire attendre les autres (toujours perchés sur leur nuage qui commençait pleuvoir de contrariété) pour pouvoir en faire quatre fois le tour, les yeux tellement écarquillés qu'ils étaient à deux doigts de dépasser de ses lunettes.
- Je n'arrive pas à me décider.
- 'eu 'oi ?
- Si tu es la chose la plus moche que j'ai jamais vu, ou la plus fascinante.
Mi-vexé, mi-content qu'elle l'ai compris malgré son absence de mâchoire inférieure, Seth croisa ses ailes-bras sur sa poitrine décharnée pour pouvoir hausser les épaules. Ou plutôt les infléchir un peu vers l'avant.
- 'e 'rérfère 'a'i'an.
- Je n'en doute pas.
Une main sur le menton, la jeune femme tourna encore une fois autour de son ami, le cou incliné en arrière pour pouvoir l'observer dans son ensemble. Transformé, le dieu de la fatalité mesurait dans les trois mètres de haut, avec un cou de vautour tout en longueur au bout duquel oscillait une tête humaine privée de mandibule dont la longue langue rouge se déroulait jusqu'à son torse à moitié couvert de plumes miteuses. Les bras ailes se terminaient par de longs doigts pourvus de griffes, et les jambes de Seth, devenues oiseaux, pliaient dans des angles douloureux pour les yeux humains.
Mais le pire, c'était probablement l'odeur. Un fumet de viande faisandé sourdait doucement du corps du dieu infernal, qui dansait d'une serre sur l'autre avec un air terriblement mal à l'aise. Et c'est un exploit d'avoir l'air mal à l'aise quand il vous manque la moitié de la face.
- Bon, commença à s'impatienter Loki, as-tu finis ton inspection arrière-petite-fille ?
- Nh nh. Pas encore. Je cherche à comprendre.
- 'oa ?
- Comment tu vas m'emmener.
- Ah.
Seth baissa son cou sinueux vers Eli, la dévisagea un instant, puis leva l'une de ses jambes. La jeune femme blêmit.
- Alors. Non.
- 'a 'eu 'oix.
- Je peux monter sur ton dos.
- 'on. 'u 'a 'on'er.
- Je me tiendrais bien ?
- 'on.
- Mais.... mais Seth !
- 'e 'ien'ai 'ien. 'o'i.
- Comment on va faire pour se poser ? Et pour décoller ?
- 'au'er.
- Pas question.
- 'i.
- Non. Je ne saut'.... HEY !!!
Les pieds d'Eli venaient de quitter le sol. Lassé d'attendre (et probablement incommodé par l'odeur, puisqu'il était sous le vent), Xuantian Shangdi avait littéralement pris les choses – ou plutôt Elizabeth – en mains. Et avec un mouvement fluide détonnant d'une inquiétante habitude, il la balança par dessus le rebord du toit.
Chose amusante, le Bureau continua de censurer la jeune femme alors même qu'elle tombait tout en déversant l'intégralité de son répertoire d'injures (en plusieurs langues), ajoutant ainsi de la frustration à sa colère et à sa peur.
Alors qu'elle s'approchait un peu trop près de la Mer des Réalités, une ombre vint brièvement la couper de la lumière diffuse éclairant les lieux, lui faisant plisser les paupières. Seth se découpait à contre-jour sur le ciel voilé, ses ailes déployées rivalisant d'envergure avec ClouClou qui le suivait de près. Étonnamment élégant malgré son apparence, le dieu vira sur le côté avant de plonger en piqué en direction de la jeune femme, ses serres se verrouillant autour de ses épaules tandis que les ailes se déployaient de nouveau, arrêtant la chute au raz de l'écume des réels. D'un battement souple et précis, il les souleva d'un mètre, puis d'un mètre encore, avant de se mettre à planer en rase-mottes pour chercher un courant ascendant. Terrifiée, énervée et émerveillée à la fois, Eli vit passer sous elle des centaines de mondes alternatifs avant que Seth ne parvienne à les éloigner. Battant énergiquement des ailes, il gagna rapidement assez d'altitude pour survoler ClouClou et ses passagers qui applaudirent poliment la performance avant de passer à autre chose, notamment à une partie de kems enragée proposé par un Loki ayant prévu un jeu de carte.
Pendouillant dans les airs entre les serres de son meilleur ami, Elizabeth, elle, ne pu que subir le voyage tout en s'indignant à haute voix des techniques de triche du dieu et de Yan qui battirent pourtant Armélia et Xuantian Shangdi à plates coutures.
Il ne fallut que huit parties de cartes et une dispute entre dieux pour que le petit groupe arrive finalement à l'aplomb du tourbillon permettant la sortie de l'espace du Bureau. Peu impressionnant mais joliment décoré d'une grande arche toute en arabesques, le passage entre les mondes se parait aussi d'une petite esplanade sur laquelle les humains purent débarquer – et Eli tomber sans trop de dommages. Seth y repris sa forme de jeune homme, pour le plus grand soulagement olfactif de toute l'assemblée, et profita du discours d'adieu un peu (très) pompeux du Maître du Bureau pour se réhabituer à cette version de lui-même en faisant les cent pas.
Ce qui fit qu'il rata complètement l'intronisation de Yan, Eli et Armélia en tant que membres honoraires du Bureau et enquêteurs à temps déterminés. En même temps, les trois humains faillirent rater cette partie là eux aussi tant elle fut noyée dans le reste des digressions de Xuantian Shangdi. A vrai dire, si le groupe ne s'était pas soudain retrouvé avec une jolie breloque brillante épinglée au revers de leur vêtement, personne ne se serait rendu compte de rien.
- Voilà, déclara le dieu, maintenant vous avez toute latitude et tout pouvoir pour achever de mener à bien votre enquête.
- Yan l'avait déjà vous savez ? Genre, c'est un peu son métier.
- Ne soyez pas si cynique Mademoiselle Lin. Avec ces accréditations (il désigna les breloques du doigt) vous pourrez aussi enquêter sur le plan surnaturel des choses. Et donc voir comme interroger les créatures d'ordinaire invisibles qui hantent vos contrées. Peut-être qu'avec cette aide, vous pourrez enfin découvrir pourquoi notre chère Anna-Maria est décédée, qui a osé manipuler un dieu comme Loki, et qui se cache derrière l'énorme série de meurtres que vous avez révélé au grand jour. Et puis, accessoirement, cette petite beauté vous permet de priver temporairement un surnaturel de ses pouvoirs. Très pratique.
Effectivement, vu comme ça, les breloques kitch allaient se montrer utiles.
- Il faudra aussi déterminer pourquoi Morana vous a balancé une Chasse-Sauvage aux trousses. Si Céleste et ses chevaliers en sont venus à bout, ça ne veut pas dire qu'elle ne peut pas en reformer une et vous attaquer de nouveau.
En entendant cela, Armélia piqua un phare phénoménal et détourna légèrement les yeux, au comble de l'embarras. Nerveuse, elle se tritura un instant les doigts avant d'oser :
- Il est possible qu'il n'y ai aucun rapport.
- Oh ?
- Mh. Eh bien... je ne sais pas si le nom de Yiel vous dit quelque chose ?
- Ah ! De la Librairie. Si, bien sûr. Une épine de plus dans mon divin postérieur si vous voulez mon avis. Les divinités anciennes qui se mettent en freelance sont un véritable fléau. D'autant plus avec des pouvoirs comme les siens.
- Oui bon. Ce n'est peut-être pas la personne la plus fréquentable du monde, c'est vrai. Mais sans son intervention dans notre réel, nous nous serions faits bouffer avant même de traverser les réalités. Et moi je serai morte possédée par Morana il y a plusieurs années déjà1.
- AH ! C'est donc vous. Ça a été un sacré bazar de passer derrière vous deux ! Céleste s'en plains encore ! Nous avons dû enfermer cet aspect des réalités sous forme de roman à succès dans au moins trois univers alternatifs !
La jeune femme eu un sourire penaud.
- Désolée...
- Oui bon, on s'en est sortis, c'est l’essentiel.
- KEMS !
Xuantian Shangdi lança un regard désabusé au petit groupe derrière Armélia. Loin de s'intéresser à la conversation, ils avaient attaqué une partie de carte où Eli s'ingéniait à leur montrer comment tricher correctement.
- Vous savez Mademoiselle Gertfall, je ne suis pas certain que rester amie avec ces personnes vous apporte beaucoup à l'avenir.
Elle poussa un petit soupir.
- Malheureusement si. Du moins de ce que j'en sais.
Le dieu lui tapota l'épaule, sincèrement navré pour elle, avant d'aller déranger les joueurs à coup de petits éclairs pour les inciter à gagner le seuil du tourbillon. Restée à l'arrière, la jeune femme s'accorda quelques secondes pour contempler une dernière fois la Mer des Réalités, soupira de nouveau, puis gagna le seuil où elle plongea sans hésitation dans le tourbillon, laissant les autres aussi sidérés que jaloux : avant son passage, la discussion faisait rage pour savoir qui passerai en premier.
Contrairement au voyage aller, le trajet du retour fut d'une rapidité et d'un calme presque ennuyeux. Le Portail fonctionnant merveilleusement bien (pour une fois, diraient les membres habitués du Bureau), nos protagonistes eurent tôt fait d'arriver saint et saufs en bas de l'immeuble d'Elizabeth, à ce détail près qu'ils y atterrirent tous cul par dessus tête. Hormis Sugar-Rose, évidement. Ce dernier fit en effet démonstration de son élégance en se réceptionnant d'un petit rebond délicat avant de s'asseoir silencieusement sur les marches de l'immeuble, et d'attaquer la toilette de ses pattes tandis que les humains se remettaient péniblement dans le bon sens.
L'exercice fut particulièrement désagréable pour Seth, qui se retrouvait pieds nus dans la neige profonde recouvrant encore le sol de la ville. Agité de violents frissons, il s'engouffra dans l'immeuble sans attendre les autres, accapara éhontément l’ascenseur – dont il bloqua vicieusement la porte pour qu'il ne redescende pas –, et disparut dans la salle de bain d'Eli avant même que la mère de cette dernière ne puisse acheter un retentissant « Seth NOCTRIS » indigné. Ce qui eu pour conséquence de faire rejaillir sa colère de douairière, parfaitement légitime, sur les autres lorsqu'ils atteignirent enfin la porte après avoir grimpé les escaliers : après tout, on avait osé la laisser seule avec DEUX enfants ! Et sans la prévenir en plus ! S'il lui était facile de jouer les grand-mères parfaite une fois par an lors de la Noël, il n'en allait pas de même lorsqu'elle devait se coltiner des moutards plus de deux heures de suite sans pouvoir les abandonner quelque part. D'autant que Camille et Brän, contrairement à beaucoup de jeunes de leur âge, n'étaient pas très fans des écrans et préféraient largement aller se rouler dans la neige.
Pendant que Lauriane Reine Joane Lin passait avec délice ses nerfs sur une Armélia innocente et une Elizabeth profondément blasée, Yan s'esquiva dans l'appartement à la recherche de ses enfants, qu'il trouva sagement occupés à construire un circuit de course pour limace dans la chambre de leur tante. Un peu surpris de les voir si calme, sans l'ombre d'une bêtise monumentale à l'horizon, il les regarda faire un long moment, les bras croisés sur le torse, et un sourire doux sur les lèvres... jusqu'à ce que Camille relève la tête.
- Papa. Tu vas faire vomir les licornes !
Le policier s'autorisa un petit rire avant d'aller enlacer sa fille.
- Arrête de copier les expressions de ta tante.
- Mais c'est vraaaaai !
- Mh mh. Qu'est ce que vous êtes en train de faire ?
- Un circuit de parkour pour les limaces d'Eli. Elles s'ennuient.
- Ah ? Comment vous savez ça ?
- Bah. Elles nous l'ont dit.
Le cœur de Yan manqua un battement. Écartant brusquement Camille, il la dévisagea avec panique jusqu'à ce que Brän et elle explosent de rire.
- T'es bête papa ! Les limaces ça parle pas.
- Ça bave juste !
L'adulte eu un petit rire nerveux pour accompagner l'hilarité des enfants, avant de les encourager à laisser en plan leur bazar (ça ferait les pieds à Eli) histoire qu'ils récupèrent leurs manteaux et se préparent à partir. Tout en nouant l'écharpe de Brän, il apprit avec surprise que, contrairement à ce que les hauts-cris de sa belle-mère laissait supposer, leur absence n'avait pas duré plus de vingt-quatre heures, ce qui expliquait l'étonnante complaisance de ses petits alors même qu'il les avait laissé seuls avec leur grand-mère sans les prévenir de son absence. Partagé entre le soulagement de ne pas avoir trop faillit à son rôle de parent, et la perplexité quant à la distorsion temporelle dont ils avaient fait l'objet lors de leur voyage entre les mondes, il acheva de préparer les enfants tandis qu'Eli et Armélia parvenaient enfin à échapper à l'ire de la Reine Mère.
Alors que sa belle-sœur partait crocheter la serrure de sa salle de bain pour en faire sortir Seth, le policier incita les petits à dire au-revoir-merci-beaucoup-à-bientôt à leur grand-mère, puis s'ingénia à les occuper pendant qu'ils attendaient tous trois sur le palier que les autres adultes daignent les rejoindre. Ce qui à son grand damne pris un temps ridiculement long. Heureusement que ses enfants n'étaient pas pénibles...
Enfin, pas pénibles pour des enfants de 8 et 6 ans abandonnés sur un palier par leur tante, leur grand-mère, et toute une flopée d'amis bizarres.
Amis bizarres qui finirent par s'extraire de l'appartement un à un, l'air aussi fatigué que Yan mais bien contents d'accompagner Lauriane jusqu'à la rue : craignant de se voir refiler de nouveau ses petits enfants en douce, cette dernière avait décidé de plier bagage. Et puis, ayant sa petite dignité, elle ne pouvait décemment pas dormir dans une chambre pleine de limaces en train de faire du parkour ! Non mais vraiment...
Accompagnés d'un Seth lavé de frais, d'une Armélia épuisée et d'une Elizabeth grognonne (le retour à la maison ayant coïncidé avec celui des renvois de limaces, son humeur s'était fortement dégradée) Yan et sa petite famille dévalèrent les escaliers pour laisser à l'ascenseur à Lauriane et ses valises. Royalement juchée sur ces dernières, la vieille dame avait d'ailleurs été claire : il n'y avait pas de place à l'intérieur pour qui que ce soit d'autre. S'en suivit alors une grande chasse aux trésors pour essayer de retrouver le véhicule du policier, enseveli sous la neige comme bien d'autres autos dans la rue, puis une absurde bataille de boules de neiges pour la libérer de sa gangue de glace.
Bataille de boule neige qui eut d'ailleurs raison des pauvres nerfs de Yan qui, profitant que ses enfants s'étaient rapprochés de la voiture pour recharger leurs munitions, les embarqua furtivement et planta là ses trois autres compagnons, les laissant se débrouiller avec le métro, à la plus grande joie de Seth qui ne se lassait jamais de voyager dans cette invention, et au désespoir profond des deux femmes qui, comme beaucoup de leur semblables, avaient pour ce moyen de transport une profonde aversion. Quant à Sugar-Rose, il se contenta de suivre furtivement le seul humain humain censé de la bande, et se retrouva bientôt à essuyer ses précieux coussinets sur le tapis de l'entrée des Tersën.
S'il est une chose importante à retenir sur Sugar-Rose, outre le fait qu'il est certainement le jeune main coon le plus malmené de la création, c'est que c'est un Chat2, et que par conséquent, il dispose de certaines capacités surnaturelles bien utiles, comme laisser des poils de n'importe quelle couleur sur la moindre vêtement, prendre une consistance liquide, se faufiler dans des espaces trop petits pour lui, ou encore se téléporter d'un endroit à l'autre sans que les humains ne s'en rendent compte. Mais comme beaucoup de Chat, il n'utilisait cette dernière que rarement, par flemmardise et opportunisme : comment se faire admirer, adoré et papouiller lorsqu'on ne passe pas devant des humains ?
Mais comme cette fois, se faire voir n'était pas dans ses plans, après avoir voyagé dans le coffre de la voiture puis s'être nettoyé les pattes après les humains, il s'invita directement de l'entrée au grenier, sans passer par la case papouille ou exploration de la maison. Chose qu'il regretterai plus tard (la case exploration, pas celle papouille). Là haut, la poussière manquant de le faire repérer en déclenchant une formidable crise d'éternuements qui, à sa grande désolation, agita tant et si bien la duveteuse couche grise, qu'elle en rendit les traces totalement illisible. Perché sur une vieille malle jadis brune, il se consola en réalisant qu'il n'y avait guère de traces à lire : en dehors de l'entrée et de l'endroit où il avait éternué à répétition, la poussière semblait répartie de façon plutôt uniforme.
Enroulant soigneusement sa queue autour de ses pattes, il prit le temps de sonder l'endroit du regard, cherchant à repérer la vieille caisse en bois dans laquelle Anna-Maria rangeait toutes ses archives du temps de leur coopération. Au bout d'une demi heure à scruter l'endroit, il se rendit à l'évidence avec agacement : la caisse se semblait pas être là. Seul un carré de poussière un peu moins épais que les autres marquait son probablement emplacement.
Par acquis de conscience, il descendit de son perchoir pour marauder dans le grenier, laissant traces de pattes et d'éternuements un peu partout sur son passage. Et alors qu'il s'approchait de la trace, l'odeur ténue de son ancienne quo-équipière attira son attention sur une énorme théière particulièrement laide, pile au moment où ses moustaches qui se mirent à vibrer comme des petits diapasons secoués par un enfant. Ne pouvant ignorer cet avertissement, le chaton profita de sa capacité à devenir liquide pour se dissimuler dans la théière, où un carnet aux coins particulièrement pointus lui fit mauvais accueil. Mais avant qu'il n'ai le temps de lui faire part de cette impolitesse, la porte du grenier s'ouvrir, laissant place à une Eli et à un Yan aux visages troublés par le soucis et les souvenirs, Armélia et Seth sur leurs talons.
Alors qu'elle s'apprêtait à entrer, Eli s'arrêta net, fit volte-face, et ouvrit la bouche pour parler, laissant malencontreusement échapper une limace qui finit sa vie immédiatement étouffée par la poussière, pauvrette. Immensément frustrée, elle grogna un « Yan » guttural, puis signa rapidement à l'attention de l'homme et du dieu :
~ Seth. Tu veux bien redescendre avec Armélia pour surveiller les petits ? ~
L'intéressé haussa un sourcil, regarda Elizabeth, puis Yan, entendit un grand vacarme en bas, puis poussa un soupir.
Je suppose que c'est une idée sage. Je vais les occuper avec un atelier pizza, vous devriez avoir la paix. Mais tu es sûre que tu ne veux pas qu'Armélia vous aide à chercher avec son pendule ?
~ Non ~
- Non
Les deux réponses avaient fusé en même temps, et Yan et Eli échangèrent un regard lourd de sens qui n'échappa pas à la jeune médium. Avec un sourire doux, elle s'empara du bras de Seth.
- Viens. Laissons-les chercher. D'accord ?
Perplexe, le dieu observa ses trois compagnons tour à tour avant de hausser les épaules.
- D'accord. Comme vous voulez. Criez si vous avez besoin d'aide. Enfin, Yan. Toi Eli tu vas nous noyer les documents de limaces si tu crie !
Prévoyant, il recula d'un pas en parlant, esquivant de justesse la tape balancée par son amie. Il dévala alors les escaliers avec un grand sourire, tandis qu'un nouveau grand vacarme retentissait en bas. Restés seuls, Elizabeth et Yan se regardèrent un moment en silence avant que le policier n'esquisse un sourire gêné.
- C'est... étrangement attentionné de ta part.
Elle haussa les épaules.
~ Ça m'arrive des fois. Ne prend pas trop l'habitude ~
Il eu un sourire triste et passa la main sur son visage soudain fatigué.
- Je ne risque pas... mais... merci.
~ De rien. C'était aussi ma sœur. On a besoin de faire ça ensemble, je crois. Juste tous les deux ~
L'homme se contenta de hocher la tête sans la regarder, ses yeux bleus vagabondant sur les souvenirs entassés sous son toit avec une profonde mélancolie. Pour qui avait connu Anna-Maria, il était facile reconnaître ce qui avait été monté au grenier de son vivant et ce qui l'avait été après : boîte et caisses fermées, soigneusement étiquetées et rangées au plus efficace côtoyaient à présent sacs cabas remplis à la vas-vite, piles de trucs posés temporairement à un endroit et jamais rangées... quant à la poussière, elle s'était accumulée en couche épaisse partout ou presque. Alors qu'Eli avançait avec prudence dans l'espace mansardé, son compagnon resta un moment sur le seuil, les bras croisés sous sa veste et l'esprit battant la campagne. Esquivant les entassements posés de ci de là, la jeune femme gagna rapidement la partie ordonnée du grenier à la recherche d'un indice indiquant l'emplacement des archives de sa sœur.
Heureusement pour elle, un éternuement sonore (suivit d'un ronchonnage obscur sur l'impolitesse des carnets et l'inconfort des vieilles théières) lui épargna d'avoir à chercher trop longtemps : un Sugar fort mécontent émergeait de sa cachette, couvercle en porcelaine sur la tête, poil ébouriffé, et gueule encombrée par un carnet de cuir sur lequel il avait visiblement fait ses griffes3. S'il faut mettre quelque chose au crédit de Sugar-Rose, c'est que malgré le ridicule de sa situation et son humeur passablement méchante, il su avec élégance faire don de sa trouvaille sans trop tergiverser : seul un massage des coussinets et deux boîtes de thon furent négociées en échange du précieux objet sur lequel Eli et Yan se jetèrent avidement, ayant tous deux reconnu l'écriture d'Anna-Maria sur la couverture. Après une brève bataille de doigts pour savoir qui des deux ouvrirait le carnet en premier, les deux adultes se retrouvèrent assit dans la poussière, cuisse contre cuisse et épaule contre épaule, à s'écorner les yeux sur les pages noircies par la petite écriture serrée et pénible de leur chère disparue. Car s'il y avait une chose pour laquelle la parfaite Anna-Maria était nulle, c'était bien le fait d'écrire lisiblement. Au grand bonheur de sa sœur d'ailleurs, dont l'écriture cursive était de toute beauté.
Mais bref.
La clef du mystère était là, dans ces pages et derrière cette couverture en carton lacéré.
Juste à portée de main...
Il suffisait de plisser les yeux à se les arracher, et à serrer les dents pour qu'enfin, ils sachent.
Et vous savez quoi ?
Comme souvent dans la vraie vie, ce ne fut pas un si bon retournement de situation que ça.
Pour commencé, ils découvrirent assez vite que toutes leurs péripéties rencontres bizarres et autres situations inconfortable auraient pu leur être épargnées s'ils avaient fait l'effort de chercher dans le grenier. Le petit ouvrage à la lecture inconfortable réunissait tous les éléments dont ils avaient besoin : les crimes, les résumés d'enquête, les pistes, indices et autres éléments récoltés par Anna-Maria lors de son enquête. On y trouvait même des photos, des rapports de police top-secret, une correspondance avec le Bureau, et, plus navrant encore, le secret de Seth, rédigé en toutes lettres et souligné trois fois suivis de la mention « pris RDV au Hell's le 10 pr parler », soit le jour même de sa mort.
Ils échangèrent un regard sidéré.
- Seth ?
- Sérieusement ?
~ Impossible ~
- On en sait rien Eli (Yan se leva, le visage sombre) Après tout, il t'as déjà menti non ?
~ C'est un autre sujet ~
- Eli...
~ Assit. Y'a d'autres pages écrites après ~
Le policier secoua la tête, navré, avant d'accepter de s'asseoir de nouveau, les mains sur les genoux, le corps tendu et penché en avant.
- Tu sais que si le reste l'incrimine, il faudra l'arrêter. Et bordel, on parle d'un dieu !
~ On peut pas être sûrs. C'est une date de RDV, pas un « Seth m'a tuer4 » ~
- Tu es dans le déni. Si Xuantian Shangdi nous a donné ces horreurs (il désigna la breloque toujours épinglée sur son revers) c'est peut-être parce qu'il se doutait de quelque chose...
~ S'il te plaît. On finit les trois pages, et on avise ? ~
Yan poussa un soupir mais n'insista pas, se contentant de se redresser, le regard dans le vague, un air de profond regret sur le visage.
- D'accord. Mais si c'est lui, tu ne t'opposera pas.
~... juré. Je serai même la première à lui arracher ses pattes ~
Ils échangèrent un sourire malheureux, avant qu'Elizabeth ne reprenne la lecture, pâlissant au fur et à mesure qu'elle tournait les pages.
Parce que passé celle datée du jour mortel, l'écriture changeait.
Elle changeait pour une écriture nerveuse et hachée qu'elle connaissait bien.
Puisqu'elle apparaissait sur tous ses ordres de mission.
Lentement, elle releva la tête pour dévisager Yan qui la regardait tristement, le canon de son arme négligemment orienté vers elle.
- Je suis désolé Eli.
Et il appuya sur la détente.
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1Voir « De la malédiction de porter le nom Gertfall », actuellement uniquement disponible dans la Bibliothèque du Bureau et Best Seller dans trois Réalités connues. L'édition dans notre monde est actuellement suspendue pour cause de contenu secret défense. Mais aussi pour contrarier Yiel. Il n'y a pas de petites vengeances.
2 A vrai dire, nous devrions mettre la majuscule à chaque fois que nous parlons d'un de ces animaux, car en dehors de quelques cas particulièrement stupides, les membres de cette race féline méritent tous cette distinction, même si cela les rend particulièrement imbus d'eux-même. Et puis, tous aspirent à être un Chat, comme le dit très justement la chanson.
3C'est l'un des problèmes des Chats. Ils sont incapable de gérer correctement leur frustration.
4Il est a noter que c'est un pur effet de frime : il n'est bien évidement pas possible de signer une faute de grammaire, quand bien même on souhaiterait faire une référence filmique ou livresque.
Bouhouhou... Mais je l'aimais bien moi, Yan. Un si gentil papa...
Blague à part, fort bien amené! Je n'ai quasiment rien vu venir. J'ai juste commencé à me sentir fort mal à l'aise au chapitre précédent, avec l'envie horrible de foncer à la fin pour voir ce qui se passait.
Par ailleurs, j'adore ce type de phrase : "Chose qu'il regretterai plus tard (la case exploration, pas celle papouille)" qui te fait sentir qu'un truc affreux va se passer :D
Maintenant, j'ai hâte de savoir POURQUOI? (parce qu'Eli n'est pas morte. Non. Non. T'as pas intérêt à essayer de casser les codes et de buter ton héroïne, hein :o)
Bon ben à TRÈS bientôt (j'espère T_T)
Alice <3
J'espère que tu as pris le temps de respirer quand même ! La suite est arrivée ;) j'espère qu'elle conviendra é.è
Tes commentaires me remplissent toujours de joie, parce que j'ai l'impression que mes tentatives fonctionnent (donner le doute sur le précédent chapitre mais peu ou pas avant, faire monter la tension) merci d'être une aussi fidèle lectrice !!!!!
Des bisous ^w^