Chapitre 16 - Portes (Partie 2)

Notes de l’auteur : Bonjour,

Suite et fin de ce chapitre :) J'espère que ça vous plaira, et - encore mieux - que tout ne se passera pas comme vous l'aviez envisagé hihihi.

Avec le prochain chapitre on retrouve Diane et je me ferai moins de soucis, parce que elle, elle doute pas vraiment XD

    Dans le silence dans l’auditorium, il aurait pu entendre planer un rapace.

    Moebius descendit de l’estrade en se forçant à ne regarder personne, et attendit d’être assis sur son siège pour ôter ses gants de ses mains moites et tremblantes. Il coinça ses doigts entre ses genoux et inspira le plus lentement possible.

    Il avait fait tout ce qu’il pouvait. Le reste ne dépendait plus de lui. Si sa prochaine « mission » consistait à se sacrifier pour préserver la confrérie, alors c’est ce qu’il ferait.

    Léandre lui tapa l’épaule.

    – Bouge, tu nous empêches de sortir.

    Moebius leva la tête vers l’estrade, perdu. Il n’avait pas suivi le vote. Yvan lui fit signe de s’approcher. Il remit ses gants et se rendit à la tribune. Yonos s’éloignait déjà à grands pas.

    – Tu es libre d’aller et venir. On va te renvoyer en mission. On a besoin de tout le monde pour les recherches. Tu partiras avec Léandre dès qu’on aura trouvé quelqu’un pour le remplacer aux tunnels.

    Moebius salua formellement et fit demi-tour, vidé et perturbé. Ils s’en sortaient bien. Diane devait être loin, maintenant. Quand elle aurait appris la magie, elle pourrait vivre sa vie. Il l’aiderait à récupérer Augustin. Peut-être qu’elle voudrait aller à l’étranger. Il y avait peut-être des pays où les femmes n’avaient pas à se cacher pour faire de la magie. Et lui n’allait pas se faire tuer.

    On l’avait appairé avec Léandre parce que celui-ci le connaissait bien, et penserait à le tenir à l’œil. Mais au moins il était libre et allait repartir en mission. Il n’avait pas vraiment hâte, mais il avait passé trois jours enfermé et se sentait étouffer. Et il saurait faire semblant de chercher. Il s’étira et leva la tête vers la fenêtre. Le soleil n’était pas encore couché. Le conseil avait seulement paru durer une éternité.

    Sauf que ces pensées ne l’apaisaient pas comme il l’escomptait.

    Son estomac gargouilla, et Moebius fut pris d’une envie de poisson. Celui qu’ils allaient manger avec Martial, sur la place du marché, avant de partir en mission. Il enfila une tunique propre et sans glyphes distinctifs et laissa son manteau noir dans son placard. Puis il passa voir Léandre dans la salle des tunnels pour le prévenir qu’il sortait et dévala les marches vers la ville en espérant que le stand n’ait pas fermé pendant leur long séjour à l’étranger.

    Il retrouva l’étal à l’odeur, s’installa en tailleur sur une natte et promena sa main sur l’estrade au bois brillant d’usure avec un petit sourire. Rien n’avait changé. Ni les effluves de grillé, ni le grattement minéral des meules à maïs.

    Une jeune fille lui prépara sa commande.

    Moebius patienta en attendant son pain de maïs au poisson et son verre de cacao. Diane avait causé de nombreux épisodes chaotiques de sa vie, récemment. Ici il reprenait leur routine.

    – Excusez-moi, puis-je avoir le coussin ?

    Il leva les yeux vers une femme qui pointait l’assise qu’aurait occupée Martial.

    – O-Oui, bien sûr.

    La marchande s’écarta pour poser le coussin un peu plus loin, à l’ombre. Moebius se frotta la main sur la tête. En fait non, ici non plus il ne se retrouvait pas.

    Il saisit avec un geste sec le pain fourré que lui tendait la jeune serveuse, puis lui donna quelques fèves de cacao pour régler et quitta le stand. Tant pis, il irait manger ailleurs.

    La confrérie semblait enfin passer à autre chose, Diane était sur les routes avec l’aide de Tobias. Il pouvait reprendre sa vie. Alors pourquoi y avait-il toujours un brouillard épais dans sa tête ?

    Adossé à un mur à l’ombre, il croqua son poisson en repensant au conseil et en tapotant du pied. Il s’était délibérément parjuré pour la cacher. Il s’était parjuré, sciemment, et ne ressentait que peu de honte.

    Il s’était convaincu que c’était dans l’intérêt de la confrérie de la protéger alors qu’il n’en avait aucune certitude. Qu’avait dit Madeleine à propos des décisions et des remords ? Il ne fallait pas regretter d’avoir permis à Diane de fuir ?

    Moebius termina son pain de maïs fourré et erra dans le marché en jouant avec la feuille qui avait servi d’emballage. Les commerçants rangeaient leurs produits, se préparant à rentrer chez eux pour la nuit. Les cris pour séduire le chaland se faisaient rares. Seule l’échoppe qui fabriquait le pulche continuait de se remplir. Il s’y sentit attiré comme un papillon par la lumière des torches et s’acheta à boire.

    Le contenu de son bol lui tira une grimace. On disait qu’il fallait en avaler trois pour que la déesse de l’agave accepte de porter chance, mais il n’avait jamais compris comment Martial faisait.

    Était-ce vraiment ça qui le perturbait ? Le parjure ? Il ne trouva pas de réponse et termina son pulche, surtout pour ne pas gaspiller.

    S’il pouvait rompre son serment si facilement, pourquoi est-ce qu’il n’était pas parti, lui aussi ? Il détestait son rôle, il détestait voir la vie quitter les yeux des gens. Des souvenirs de mission remontèrent.

    Il hésita et se paya un second bol qu’il vida d’un coup de peur de changer d’avis et appuya sur ses joues comme si cela pouvait les aider à redescendre en température.

    – Moebius ! fit la voix de Léandre. Tu as passé un sale moment, certes, mais je croyais que tu ne buvais pas ?

    Il se concentra pour tenter de masquer son état, mais sans grand espoir. Il n’avait jamais tenu l’alcool et l’arrivée de Léandre l’arrangeait. Avec un peu de chance, celui-ci mènerait la conversation et il n’aurait plus à penser.

    Léandre s’accroupit sur la natte en grommelant qu’il l’avait cherché partout.

    – Tu en es à combien ?

    – Deux, répondit Moebius qui en avait assez de mentir.

    – Tant pis pour toi alors, fit-il en se relevant et en lui tendant la main.

    Moebius profita de l’aide de Léandre pour se lever maladroitement.

    – Tu t’es mis dans un état…

    – Je sais. Je sais pas pourquoi, j’ai cru que j’allais tenir.

    Léandre roula des yeux, puis le raccompagna jusqu’à sa petite chambre en silence. Il reprit la parole devant la porte.

    – Passe à l’infirmerie demain matin, j’ai besoin de toi frais. Ya rien de pire que la gueule de bois pour s’entraîner.

    Moebius s’affala sur son lit avec un frisson. Le plafond au-dessus de lui tournait lentement. Il n’avait pas envie d’un nouveau miroir.

 

-°-


    – J’espère que vous êtes meilleur assassin qu’ami, Moebius.

    Moebius se réveilla dans sa chambre, transpirant. Il se frotta le visage. Décidément, le pulche restait une mauvaise idée. Il but un peu d’eau et se rallongea. Ce n’était qu’un cauchemar. Il se tourna sur le côté et médita un moment dans l’espoir de ne pas retomber dedans, mais ne put se rendormir.

    – Si vous saviez… dit-il à voix haute en posant les pieds par terre.

    Le sol froid lui fit grincer des dents. Des deux mains, il se massa les tempes, puis se leva, la bouche pâteuse et la tête lourde.

    Une fois debout, Moebius constata que le soleil se montrait derrière l’autre aile du palais et les temples. Il prit des vêtements propres, se traîna dans le couloir jusqu’à la salle d’eau et se laissa glisser dans une bassine tiède dont il monta la température en piquant l’énergie des baquets voisins.

    Il se lava le visage et la tête. Il se sentait aussi passif que dans son rêve. Diane survirait. Parce qu’elle avait la force de caractère, et la magie, pour. Il acheva de se rincer. Lui en revanche étouffait plus que jamais. À force d’efforts et d’abnégation, il avait fini par réussir à trouver une place dans la confrérie. Il avait même eu ses — modestes — moments de gloire. Pourquoi avait-il l’impression d’être de nouveau le novice qu’on envoyait à la cuisine tuer les canards et les petits quwi jusqu’à ce qu’il arrête de vomir après ?

    Il s’habilla et repéra Léandre au réfectoire, qui entamait son repas.

    – Sers-toi correctement, le sermonna-t-il en constatant qu’il n’avait pas mis grand chose sur son plateau. Je ne vais pas faire attention à mes coups parce que tu flottes dans tes vêtements comme un esprit dans le brouillard.

    Moebius ne put s’empêcher de se dire que l’expression semblait parfaitement appropriée.

    Après leur repas, ils montèrent s’entraîner dans une salle vide. Assis face à face, en tailleur, ils se synchronisèrent sans difficulté. Moebius fit un effort de concentration supplémentaire pour taire sa migraine et son mal-être, pour éviter de perturber le miroir.

    Léandre prit la direction des choses et donna des consignes, ce qui lui convenait très bien. Ils passèrent un moment à sécuriser leur connexion en pratiquant des exercices de base, se transférant l’un l’autre de l’énergie de leurs accumulateurs. Ensuite Léandre décida qu’il était temps de poser les artefacts et de répéter des passes d’armes.

    Quand son nouveau miroir annonça la fin de la séance, Moebius était en nage et essoufflé. Léandre avait tenu sa parole et l’avait obligé à s’impliquer sérieusement, ce qu’il n’avait pas fait depuis longtemps maintenant. L’avantage c’est qu’il avait fini par vider sa tête autant que ses accumulateurs. Léandre s’en sortait avec autant de bleus que lui.

    – Viens on va recharger, dit Léandre en prenant la direction des escaliers du toit.

    Sur la terrasse, d’autres maîtres discutaient en attendant que leurs accumulateurs n’emmagasinent de l’énergie. Ils se joignirent aux échanges polis, dont le sujet dériva du manque de pluie au roi, et le ramena à ses préoccupations.

    – Ils n’ont rien découvert aux Cénotes, disait Maxence. Les soldats en parlaient hier soir. Ils ont tout retourné, même les écuries. Le sergent était tellement frustré de ne rien trouver qu’il a tout brûlé.

    Moebius se concentra sur la stabilité de ses mains, perdit le fil de la discussion et replongea dans le brouillard de son esprit. Il n’arrivait pas à faire la paix avec lui-même.

 

-°-

  
     Il entamait son repas du soir quand Émile vint lui transmettre un message de Léandre, pour dire qu’ils partaient le lendemain matin. La plupart des maîtres avaient déjà quitté le palais, envoyés aux quatre coins du royaume pour retrouver Diane et Augustin. Les tablées étaient presque uniquement composées de novices et d’apprentis.

    – Bonne chance pour votre mission, maître. J’espère que ce sera vous qui allez la trouver, dit Émile en retournant chercher un plateau pour s’asseoir avec ses camarades.

    Moebius eut un demi-sourire. Émile aussi avait le don de mettre les pieds dans le plat. Il se sentait triste de mentir au novice. Il lui rappelait lui-même quand il était jeune. En moins chétif.

    Il joua distraitement avec un morceau de dinde grillée, et étouffa un bâillement. Il ne voyait pas d’issue. Combien de temps devrait-il encore subir sa propre mascarade ? Que ferait-il si Léandre tombait sur Tobias et Diane ? Il grimaça, incertain.

    Moebius se leva de table et descendit en ville à nouveau. Il erra un moment sur la grande place, entre les échoppes closes, puis ses pieds le dirigèrent vers le fleuve. Quand Martial et lui revenaient de mission, ils aimaient aller regarder les pirogues et barges. Il déambula entre les canoës, puis passa d’un côté à l’autre du Hakaban par l’un des trois minces ponts suspendus qui le survolaient et reliaient les entrepôts aux quartiers des artisans.

    Après avoir escaladé un silo à grains, Moebius s’assit pour contempler le va-et-vient pressé d’une équipe de bateliers qui déchargeaient deux barques arrivées juste avant la fermeture du port. Sur le fleuve, le reflet des étoiles dansait sur l’eau noire. Il se mit à dessiner des petits ronds dans la poussière du toit, du bout du doigt.

    La dernière fois qu’ils étaient venus, avec Martial, c’était avant leur premier départ de la capitale pour la frontière. Moebius se frotta la tête pour chasser la démangeaison des cheveux qui repoussaient. Longtemps avant leur ultime mission ensemble.

    « Je te parie quinze fèves que je saute d’ici à ce canoë » avait annoncé Martial « j’ai fini mes trois bols, ce soir, j’y arrive. »

    Évidemment, Martial était tombé à l’eau avant d’atteindre son but. Il avait ri et il était descendu au bord du fleuve pour l’aider à en sortir. Assis sur le quai pour se laisser sécher, Martial avait trouvé le morceau de jade et avait dit qu’elle ressemblait à Sophia, de la maison close.

    Moebius chercha des yeux vers la devanture ornée de bouquets, plus loin sur le port. Les lumières étaient allumées. Il sauta du toit, retraversa le Hakaban et alla frapper à la porte. Une fille vêtue de rouge lui ouvrit et lui fit signe d’entrer, non sans un regard inquiet à son manteau sombre.

    – Bienvenue au Temple des fleurs, monsieur. Que…

    – Moebius ! héla Sophia de l’intérieur. Incroyable !

    Sophia s’approcha, son habituelle paire de petites conques nacrées oscillant à ses oreilles, et indiqua à la jeune qui avait ouvert d’aller s’occuper des autres clients. Elle n’avait pas beaucoup changé, si ce n’est qu’elle avait plus de fines rides au coin des yeux. Et plus de plumes chatoyantes. Et peut-être à peine plus de vêtements.

    – On ne t’avait pas vu depuis longtemps ! Où est Martial ?

    – Il n’est pas là, dit Moebius qui n’avait pas envie de parler de Martial.

    Le visage de Sophia s’assombrit, mais son sourire demeura.

    – Viens, lui dit-elle.

    Elle saisit un plateau déjà chargé d’une lampe, d’une tasse et d’un pichet et l’entraîna dans une des chambres dans un cliquetis de bracelets.

    – Ça fait combien de temps depuis la dernière fois ? dit-elle en lui faisant signe se s’installer sur une paillasse. Martial n’est pas rentré ?

    Moebius hocha les épaules. Sophia lui servit une tasse et entreprit de lui enlever son manteau.

    – Tiens. Je sais que tu n’aimes pas le pulche, je t’ai choisi de l’eau de fleurs.

    Elle posa le vêtement sur un banc et s’assit contre lui. Moebius sirota sa boisson en silence. C’était épicé, pour une infusion. Sophia se glissa derrière lui pour lui masser la nuque.

    – Tu restes combien de temps au palais ? souffla-t-elle. Tu attends Martial ?

    – Hum…

    – Allez, raconte ! demanda Sophia en ôtant sa tunique. Tu ne viens ici que quand tu te sens mal après une mission. Oh ! Tu t’es fait une belle balafre à ce que je vois.

    Sophia tira sur ses bottes et les jeta un peu plus loin dans la pièce.

    – C’est vieux déjà…

    – Alors qu’est-ce qui te met dans cet état ? gloussa-t-elle en se coulant sur ses genoux. Et où est Martial ? Tiens, c’est nouveau ça aussi ?

    Sophia passa un doigt sur les trois petites cicatrices sur son épaule. Dans sa tête, la voix de Yonos lui annonçait de nouveau que la confrérie prenait la mission confiée par le roi.

    Moebius repoussa la main. Il se demanda pourquoi il était venu. Il n’avait pas envie de parler. Pas envie de Sophia. Il s’assit et se frotta brutalement le visage.

    – Moebius ! Sophia se redressa, le sang lui montant aux joues. Tu débarques l’air de rien et tu imagines que je vais accepter que tu me traites comme ça ? Qu’est-ce que tu fais ici seul ? Il est où Martial ?

    – Mort, murmura-t-il.

    Sofia se leva et se dirigea vers le plateau et sa tenue.

    – Rhabille-toi. Lâcha-t-elle d’une voix blanche. Va-t’en.

    – Sophia. Tu crois que je devrais quitter la confrérie ?

    Sophia se retourna, ses vêtements en main, et le regarda, l’air perdu.

    – C’est ça ton problème ? Tu fais chier. Ce n’est pas à moi de te dire ce que tu dois faire de ta vie. Va-t’en.

    Sophia lui jeta son manteau à la figure et sortit en claquant la porte en emportant le plateau et la lumière, le laissant assis sur le lit dans le noir.

 

-°-

 

    Moebius revint par l’escalier abrupt de la poterne nord, en haut de la ruelle obscure. Dans sa petite chambre, il remplit son sac de tout ce qui pouvait y rentrer. Les uniformes, trop identifiables, furent poussés sous sa couche, mais il garda son manteau sombre pour la protection magique qu’il apportait. Puis il quitta la confrérie par une autre porte, vers les dépendances du palais. Il lui fallait un bon cheval.

    Après les chenils, Moebius sauta le mur et atterrit silencieusement dans les écuries. Il se glissa sous la barrière et passa entre les animaux, qui levèrent la tête, curieux. Une des bêtes se signala en lui mettant un coup de nez dans le dos. Il trouva une selle, une bride et sortit la monture harnachée dans la cour.

    Il talonna le grand hongre noir et blanc qui s’élança vers la rampe cavalière, le laissa descendre la pente bien trop vite et galoper dans les rues vides et sombres, les sabots claquant sur les pavés. À l’extérieur de la ville, il passa le cheval au trot et regarda plusieurs fois derrière lui sans voir de mouvement.

    L’aube approchait.

 

-°-

 

    Moebius mit pied à terre quelques minutes, là où la route faisait une boucle sur un petit plateau avant de redescendre dans la vallée voisine. Le cheval baissa la tête et trouva de l’herbe. Il posa la main au sol pour sonder et brouiller les pistes. Personne ne le suivait. Pour l’instant.

    De peur de ne plus pouvoir avancer, il tourna le dos à la ville et au palais qui se parait des teintes vives de l’aube et rangea proprement ses poches dans les sacoches de selle. Puis il ôta sa grande besace, l’attacha sur la croupe. Enfin, il retourna son manteau pour masquer sa couleur et les glyphes de la confrérie et le renfila à l’envers.

    Diane et Tobias devaient avoir cinq jours d’avance, mais ils étaient plus lents en chariot que lui à cheval. Il remonta en selle et fit reprendre le pas à sa monture. Avec un peu de chance, il trouverait leur trace dès le lendemain.

    Moebius marcha et trottina jusqu’au fond de la vallée sans s’arrêter. Quelques messagers à pieds le croisèrent, en sens inverse, mais il se contenta de relever sa capuche. Il avait encore une paire d’heures pour couvrir de la distance rapidement. Après, il lui faudrait redoubler de prudence.

 

-°-

 

    Le cheval remua son nez dans l’eau avidement.

    Moebius le laissa en profiter quelques minutes. Il devrait sans doute pousser l’animal au-delà du raisonnable, mais il espérait néanmoins pouvoir l’abandonner à proximité d’un relai de l’armée, où il serait recueilli et mis au repos.

    Puis remonta en selle et attaqua la colline suivante. Au loin, les montagnes se découpaient sur le ciel, petites épines noires à l’horizon.

    Moebius traversa un village fermé au petit trot, puis un second. À chaque fois, les fermiers se détournaient à son passage, les enfants rentraient dans les maisons. Les habitants se méfiaient, et perché sur cet animal peu courant, il attirait beaucoup trop l’attention. D’un autre côté, sans monture, il ruinait ses chances d’échapper aux recherches, ou de rattraper la caravane de Tobias.

    Dès que possible, il devrait changer de cheval. En trouver un manifestement moins cher et moins bien nourri.

    Il prit un petit galop vers le fond de la vallée, où il voyait le chemin sinuer doucement à flanc de colline. Le coursier ralentit de lui-même et repassa au pas quand la piste se mit à monter. Moebius ôta son manteau et le posa en travers du pommeau de sa selle. Sur ce versant, le soleil lui tapait dans le dos.

    Son regard s’attarda sur sa tunique noire. Laissant le cheval suivre la route d’un pas tranquille, il tira le vêtement par-dessus sa tête, la rangea dans une de ses fontes puis se retourna pour chercher une chemise claire dans son sac.    En fin de journée, il s’approcha d’un hameau et avisa une grande paire de chausses grises posée à sécher sur le chaume d’une petite maison. À nouveau, à son passage, les enfants s’enfuirent et les portes claquèrent. Il ne pourrait rien acheter à manger ici. Il sortit du village, cacha son coursier et revint par l’arrière pour emprunter les chausses, qu’il enfila directement par-dessus les siennes.

    De retour près de sa monture, Moebius se figea. Au bruit, une large compagnie de guerriers approchait, sur la route. Ils passeraient à quelques mètres de lui. Il se baissa doucement, pour sonder et confirmer son impression. Il n’y avait aucun magicien, mais la troupe comptait plusieurs officiers sur des chevaux et un nombre surprenant de soldats à pieds. Il tira lentement son hongre le plus loin possible de la chaussée, et ne s’autorisa à s’arrêter que lorsque l’animal cessa d’essayer de regarder et de humer ses congénères.

    D’ici il ne voyait pas les uniformes, difficile de dire si c’étaient des alliés de Diane ou ses ennemis. Ce qui était certain en revanche, c’est que la situation politique ne s’était pas apaisée avec le décès du prince Gabriel.

    Moebius rongea son frein. Il était étonné de ne sentir aucune poursuite de la part de la confrérie. À cette heure, ils avaient forcément découvert qu’il était parti. Il se frotta le cou. Il avait rejoint Xavier sur la liste des renégats. Il ne pourrait plus relâcher sa vigilance.

    À un moment, il dut se déplacer un peu, pour les sauver d’une invasion de fourmis, lui et son cheval.

    Lorsqu’enfin la colonne de soldats se fut éloignée, le soleil descendait. Moebius ramena sa monture près de la route, sauta en selle et trotta à allure régulière jusqu’à ce qu’il lui reste une heure de jour. Il avait besoin de temps pour se cacher efficacement avant la nuit.

    Il mit pied à terre et posa la main au sol pour chercher le meilleur abri et sourit. Un petit ceiba poussait un peu plus loin, dans les fourrés, créant une zone de perturbation dans sa perception des flux d’énergie.

    Le cheval attaché à une racine et légèrement dessanglé, Moebius disposa des balises en un large cercle autour de lui et noua la corde du récepteur à son cou. Puis il enfila son manteau, dans le bon sens, et refit plusieurs fois le tour du tronc en prenant soin de brouiller tout signe physique ou magique de son passage.

    Lorsqu’il se hissa enfin aux branches du ceiba et s’y cala le plus confortablement possible pour fermer les yeux, l’obscurité était telle qu’il ne voyait même pas sa monture au pied de l’arbre.

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Plume de Poney
Posté le 11/06/2025
Hello!

On sent bien l'indécision chronique du bonhomme. Ceci étant, on lui a toujours tracé sa voie depuis tout petit, à coup de serment et de secrets en prime.
Si on ajoute qu'il a perdu son Martial récemment...

Sa tentative de revenir vers son passé est touchante, même si c'était voué à l'échec, au moins il aura tenté. Pas de regret à avoir!
Plume de Poney
Posté le 11/06/2025
Jai cliqué sur 'Publier' trop tôt...

En définitive il prend le taureau par les cornes quand même (ou l'hongre par les rênes).

Je trouve que le personnage est touchant et peu vraiment faire écho chez tout un chacun. On a beau tenter de naviguer comme on peut dans la vie, on a toujours des doutes et des défis à affronter à un moment où un autre (ou en permanence quand tu es du genre à douter de manière chronique ou que ta vie est chaotique au possible).
Et il est bien écrit le type!

Diane aussi dans son genre a cette problématique d'une vie tracée qui vole en éclat. Espérons qu'ils pourront se soutenir dans toutes ces épreuves (avec Tobias le marrant et Xavier l'expert en abandon de poste).

Enfin il a son ceiba pour se poser un moment déjà. Chaque chose en son temps!
Camille Octavie
Posté le 11/06/2025
Rebonjour :D

Merci pour ces compliments <3

Oui Moebius c'est le genre noeuds au cerveau en permanence ^^ D'ailleurs ça fait clairement partie de "son" intrigue à lui.
Je suis contente que ça rende bien et que ça ne soit pas trop soporifique pour le lecteur.

Ce chapitre était rude à écrire. Je ne voulais surtout pas qu'il claque la porte "trop vite", ou pire, qu'on ait l'impression qu'il suive Diane parce que c'est elle l'héroine... (pour moi c'est vraiment un roman bicéphale. Il n'y a pas un personnage principal et un sidekick)

J'aime beaucoup le contraste entre les deux personnages (je n'avais pas tout prévu, ils font un peu leur histoire haha), chacun réagit aux aléas de la vie de façon bien différente, c'est ça qui fait que la mayonnaise ne tranche pas ^^

Avais-tu deviné qu'il allait partir dans ce chapitre ?

Pour la suite je prévois une pause sur l'introspection (on peut pas trop cogiter quand on surveille ses arrières), un peu de tourisme précipité et de nuits trop courtes et des "retrouvailles" pas piquées des vers...

Pour la blague, j'ai failli mettre TW : Moebius va au bordel dans le mot de l'auteur parce que tu m'as fait trop rire avec Marco aux thermes
Plume de Poney
Posté le 11/06/2025
Quand on s'appelle Moebius, se faire des noeuds au cerveau, n'est ce pas un comble?

Le côté bicéphale marche bien, il n'y en a pas un qui écrase l'autre jusque là.
La mayonnaise étant une émulsion dont le principe est de faire cohabiter deux éléments bien différents ensemble pour obtenir quelque chose de plus consistant, la comparaison est bien vu!

Tu pourrais mettre TW : Moebius enchaîne les pulches et ça n'est pas beau à voir!
L'alcool est à consommer avec modération, ceci est un message du ministère de la santé...

Camille Octavie
Posté le 11/06/2025
Tu as remarqué que son collègue le pousse pas à prendre le fameux 3e verre qui porte chance ;)

(ça y était dans une version antérieure mais je trouvais justement que ça glamorisait la picole donc je l'ai modifié)

Plume de Poney
Posté le 11/06/2025
Ah j'ai oublié de répondre pour l'histoire de qui va partir tout ça.

Alors je n'avais pas forcément prévu que Moebius parte à ce moment là. Il avait commencé à être en miroir de Léandre, il eut été possible qu'il passe un moment avec lui, crée du lien pour trahir ses attentes etc.
Mais c'est très bien comme ça.
Le fait qu'il prenne cette décision un peu en coup de tête après la visite chez Sophia est conforme au personnage.

Sympa ce Léandre. En tout cas en l'état, vu les conséquences pour Moebius, je ne dirais pas que ça glamorise le truc. Si tu veux vraiment insister, tu peux faire dire à Moebius dire que c'est vraiment une tradition debilos.
Camille Octavie
Posté le 11/06/2025
Pas con, surtout qu'il est absolument convaincu que de la chance, il n'en a pas XD
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