Chapitre 17 - Dernier espoir

Par vefree
Notes de l’auteur : Dans ce chapitre, Jack est en proie a ses doutes et confronté à la seule femme qui lui reste. Le dernier espoir. C'est bien connu, il est toujours plus difficile d'obtenir ce qu'on veut quand c'est vraiment ce qu'il vous faut. Il va falloir batailler ferme pour l'obtenir, ce foutu trésor...
Bonne lecture !
 
 

 

        Lorsque Jack ouvre un œil, le soleil darde un rayon vertical à travers la fenêtre de sa cabine. La tempête s’est enfin calmée et la lumière de l’astre bienfaisant porte à nouveau quelque promesse de répit. En clignant des yeux sous la luminosité de midi, Jack constate qu’il est seul. Christa n’est plus dans son lit. Il déplie son corps endolori par la dureté du fauteuil et s’étire longuement. Il tâte un peu l’oreiller et le drap sur lesquels elle dormait. Froids. Peut-être ronfle-t-il, après tout ? Elle doit être de mauvaise humeur, après ça... Il saisit la bouteille de rhum sur la table, la débouche et boit une longue rasade de liquide ambré. Puis, il enfile ses bottes et sort sur le pont. Quelle belle journée ! Le ciel est dégagé, la mer houleuse, mais pas trop, l’air léger mais suffisant pour pousser un marin et son navire à tirer des bords au plus près du vent et goûter avec bonheur les vraies sensations de liberté en faisant corps avec les éléments. D’ailleurs, ses hommes ne l’ont pas attendu pour filer au pré toutes voiles dehors vers le Sud. Plusieurs hommes, perchés dans les haubans, s’interpellent en riant. C’est à celui qui aura la voile la mieux tendue !... A l’avant, un mousse et un homme jouent aux maîtres du monde sur le mât de beaupré. Et, à l’arrière, Nanthan apprend à pêcher à la traîne à Pintel et Ragetti. Christa est assise sur des cordages, non loin d’eux, et les regarde faire sans vraiment y porter intérêt. Elle semble plutôt ailleurs et préoccupée. Jack s’approche d’elle discrètement.

- Bonjour, mademoiselle, dit-il avec une vague courbette et un demi-sourire.

- Bonjour, capitaine, lui répond-elle en le regardant, le soleil la faisant cligner des yeux.

Jack étant arrivé à contre-jour, lever ses prunelles irisées sur sa silhouette sombre entourée de soleil lui fait l’effet étrange d’un seigneur menaçant.

- Avez-vous bien dormi ? lui demande-t-il en continuant d’avancer pour se placer à son autre côté.

- Vous avez ronflé, lui répond-t-elle, renfrognée.

- Moi ?!  Je ne ronfle pas ! s’insurge-t-il en songeant : «et voilà, ça n’a pas loupé !»

- Vous pourriez tout aussi bien dormir avec votre équipage, vous feriez un concert ! ajoute-t-elle, décidée à ne pas être agréable.- Dites-moi, vous êtes tout le temps comme ça, ou, puis-je espérer de vous quelque sourire enchanteur ?- Comment... Quoi ? interroge-t-elle. Je ne comprends pas.- Votre méchante humeur... contre moi...

- Aurais-je de bonnes raisons, selon vous, de mieux vous considérer ?

- Un peu, oui ! A l’heure qu’il est, si je n’avais pas surgi inopinément sur votre île, vous y seriez encore, seule, parmi vos amis morts, sans autre espoir que de mourir, vous aussi, à petit feu.

- Cela, certes, je vous dois la liberté et la vie, admet-elle. Mais, vous êtes un pirate !

- Et cela fait-il de moi un paria plus vil encore que ceux qui ont massacré vos amis ? réplique-t-il, en se penchant sur elle.

- Non... non, bien sûr que non, bredouille-t-elle, embarrassée.

- Ah ! Alors, vous voyez ! fait-il en faisant quelques pas, satisfaits. Mademoiselle, je vous prierai donc de réviser votre position sur les pirates ; elle ne me sied guère ! ..... Pourquoi, je parle comme Barbossa, moi ?! se dit-il à lui-même.

- Et où va-t-on, là ? demande-t-elle en se mettant debout, faisant fi de son conseil.

- Mais..... où il vous siéra d’aller, ma chère ! ... lui répond-t-il avec une petite courbette. D’ailleurs, pendant le voyage, nous pourrions très bien partager ma couche à deux, je suis sûr que nous nous entendrions très bien, vous et moi...

Pour toute réponse, il n’a que le temps de voir les yeux de Christa s’assombrir avant de recevoir violemment sa main droite sur la joue à lui dévisser la tête.

- Et, goujat, avec ça ! s’écrie-t-elle, furieuse, la main prête à tomber à nouveau si besoin.

- Non ! Sérieux !... Je suis toujours sérieux ! réplique Jack en se tenant la joue avec une grimace.

 

- Et vous n’avez pas de trésor à trouver, aussi ? ... de navire à trousser ? De port à canonner ? s’écrie-t-elle, encore furieuse.

- Et comment le pourrais-je ? Mon trésor le plus cher devait être sur cette île et je n’ai trouvé que des morts ! ..... Sauf vous, grimace-t-il, encore.

- Que cherchiez-vous, au juste ?

- Shaakti. Je vous l’ai dit. Je cherchais Shaakti, dit-il la mine renfrognée.

Soudain, elle éclate de rire. Un rire sincère et amusé.

- Vous étiez venu pour chercher Shaakti ?!

- Oui. ... Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il y a de drôle ?

- Oh, rassurez-vous, vous ne l’auriez trouvée nulle part dans l’île même si ces meurtriers n’étaient pas venus exécuter leur forfait ! rit-elle encore.

Jack la regarde avec un sourcil en accent circonflexe. Il ne comprend pas. Elle se reprend donc.

- D’accord, ce n’est pas drôle. Vous n’avez pas trouvé Shaakti. Mais, moi, je trouve ça drôle. Parce que ce n’est pas un être vivant. Ce n’est même pas une divinité. C’est un état d’être.

Le deuxième sourcil de Jack se tortille d’incompréhension.

- Vous voulez dire..... comme la Fontaine de Jouvence, alors ?

- Vous connaissez la Fontaine de Jouvence, vous ? s’exclame-t-elle, surprise.

- Ça vous étonne, hein ! raille Jack. Un rustre pirate comme moi est incapable d’accéder à une telle connaissance.

- Je n’ai pas dit ça !

- Vous l’avez pensé très fort, alors !

- Vous... vous connaissez la Fontaine, alors ?..... dit-elle en le pointant du doigt, étonnée.

- En effet ! fait Jack, la mine renfrognée.

- Vous me faites marcher, rit-elle encore. Avouez, vous l’avez eue par la force !?

- Là, vous êtes vraiment offensante, ma jolie ! Encore un mot de travers et je vous renvoie crever dans votre île des morts !

Voyant dans l’expression de Jack qu’il est parfaitement capable de tenir parole, elle détourne son regard, tentant de repousser la frayeur qui l’envahi de nouveau. Puis, elle s’éloigne vers le bastingage bâbord en croisant les bras, furieuse contre elle-même et contre lui à la fois.

- Mais pourquoi est-il aussi horripilant ? songe-t-elle. C’est insupportable !

Vexé, Jack ne la voit même pas s’éloigner. Il préfère se tourner vers le large, le regard sur l’horizon, sans le voir. Un silence pesant s’installe, alors, entre Christa et lui, pendant plusieurs jours.

Sur l’océan, le Black Pearl fraye fièrement, cap sur les Caraïbes. En fait, il vaut mieux rentrer. Et tant pis pour le trésor, tant pis pour Shaakti et le reste. La Fontaine de Jouvence, tout ça, ce n’était qu’un miroir aux alouettes, qu’une plaisante légende sans consistance. Jack passe le restant de la navigation avec une humeur taciturne, voire même irritable, bien souvent. Dans un mutisme respectif, de peur d’attiser une autre querelle, Jack s’emploie à sa tâche de capitaine, pendant que Christa, un peu désœuvrée et peu à son aise dans les usages de l’équipage, tente de trouver toute seule une utilité à sa présence à bord. Elle s’essaie à vider les poissons avec Nanthan. Cela lui tire plus de grimaces que d’efficacité. Servir le ragoût de poisson avec le cuistot, ça ?!... Mais les œillades insistantes des matelots tendant leurs gamelles ont tôt fait de la mettre mal à l’aise et elle préfère se faire discrète pour le reste du temps. Personne n’ose plus approcher Jack sans prendre de gants et lui adresser la parole sans y mettre les formes. Il circule sur son navire en constatant que Christa fait tout pour l’éviter. Quand il rentre dans sa cabine après sa période de quart pour se reposer, elle n’est déjà plus là. Son lit est à peine tiède. Pour les repas, elle anticipe sa venue à la cambuse et demande sa part avant que l’équipage et lui n’arrivent. Elle file à l’avant du bateau avec sa gamelle et mange seule.

Parfois, Nanthan la rejoint et ils discutent ensemble. Les souvenirs qu’ils ont en commun, alors que sa mère et lui étaient sur l’île, sont leurs principales discussions. Un jour, alors qu’il la rejoint, un midi, Nanthan la trouve en train de jouer avec sa cuillère dans son brouet d’orge sans manger.

- Tout va bien, Christa ? lui demande-t-il, inquiet.

- Non, pas vraiment, je... je crois que je n’arriverais pas à m’entendre avec ton père... fait-elle sans lever les yeux de sa gamelle.

- Je vois bien qu’il y a quelque chose qui ne va pas entre vous, lui dit-il ... Que lui avez-vous dit ?

- Je ne l’ai pas cru au sujet de la recherche de Shaakti. Il l’a visiblement mal pris.

- J’avoue que je ne le connais que depuis peu, lui dit Nanthan, confident. Mais, ce que j’ai pu voir de lui est exactement ce que me disait ma mère. C’est un pirate. Il est intéressé, curieux, roublard, égoïste, même. Et il n’a qu’une seule ambition ; rester libre, quoiqu’il en coûte.

- Oui, Nanthan, fait-elle, tout en continuant de triturer son brouet sans le manger. Ça, je l’ai bien compris. Je voudrais le voir comme un homme de bien, mais, je ne peux m’empêcher de me dire qu’il est insupportable tant il est personnel...

- Si ma mère ne m’en avait pas parlé avec tout l’amour qu’elle lui portait, sans doute parlerais-je de lui comme vous le faite, lui dit le jeune homme avec un air triste. J’ai du mal à savoir ce qui l’a autant transportée chez lui pour qu’elle l’aimât à ce point.

- C’est ce que j’aimerais savoir aussi, dit-elle, songeuse. Mais, j’ai aussi très peur d’en chercher la réponse.

- Vous ne lui parlez vraiment plus ?

- Non.

- C’est fâcheux.

- Certes.

- Vous voulez que je lui parle pour vous ?

- Surtout pas, malheureux ! Ça ne ferait qu’envenimer la chose. Et je m’en voudrais encore plus de te mettre, toi aussi, en porte-à-faux, vis-à-vis de lui.

- Comme vous voudrez.

Puis, elle se lève et lui tend sa gamelle qu’elle n’a fait que touiller distraitement et lui dit :

- Tiens, mange-le. Je n’ai pas faim.

Et elle s’éloigne en rejoignant le pont principal.

Un matin, alors que l’équipage fait une manœuvre de mouillage près d’une île pour chercher du ravitaillement, Jack s’approche soudain de Christa et lui demande :

- Est-ce que quelques pas sur la terre ferme pourraient vous rendre le sourire, mademoiselle ?

Un peu surprise par sa venue inopinée, elle se retourne face à lui, nerveuse.

- Je... je ne sais pas, hésite-t-elle, en cherchant quoi répondre. C’est vrai que ça fait des semaines que nous naviguons sans autre loisir...

- Je ne vous le fais pas dire, lui fait-il, se retenant de ne pas trop railler la situation. Nous n’avons plus grand chose à nous mettre sous la dent et je me disais qu’un peu de cueillette et de chasse vous amuserait...

- En effet, je crois que la terre ferme me ferait le plus grand bien.

- A la bonne heure ! s’exclame Jack, fanfaron, lui indiquant une chaloupe en partance avec une petite courbette et un bras tendu dans la direction.

Soudain, il se précipite sur un homme portant des outres, lui en extirpe deux attachées ensemble, avant que Christa ne prenne l’échelle de coupée. Il les lui pose sur l’épaule d’autorité en lui disant :

- Il faut rapporter de l’eau, aussi, lui fait-il avec un rapide clin d’œil malicieux. Vous saurez faire, hein ?!

Elle préfère ne pas répondre à ce qu’elle considère comme une effronterie de plus. L’occasion étant trop belle de pouvoir enfin fouler une terre ferme pour se dégourdir les jambes, elle embarque dans la chaloupe non sans lui avoir adressé un de ses regards lourd de sous-entendus. Jack la suit peu après, accusant d’un petit sourire en coin son mutisme si expressif.

C’est une petite île tropicale luxuriante, dont le relief promet quelques belles provisions. Une plage de sable blanc entourée d’une colline escarpée où pousse une forêt de cocotiers et de palmiers, à sa droite une petite rivière qui se déverse dans la mer, un pépiement continu d’oiseaux de toutes sortes, le cadre donne finalement le sourire à tous. Trois chaloupes ont été débarquées et tirées sur la plage. Une bonne dizaine d’hommes s’égaille dans la nature à la recherche qui de fruits et de végétaux comestibles, qui de bestioles bonnes à manger. D’autres encore, avec les outres, vont à la rivière pour de l’eau douce. Christa, disciplinée, prend le chemin de la rivière avec d’autres. Jack la suit, quelques mètres en arrière, les yeux fixés sur sa silhouette souple et fine.

Pourquoi les femmes les plus belles et attirantes sont-elles les plus retorses ? .... une chose qu’il ne s’expliquera jamais. Ce qui est sûr, c’est qu’il les aime ainsi ; imprévisibles, eaux dormantes et soudain tempétueuses. Comme la mer, quoi. Remontant légèrement le long de la rivière sous le couvert touffu des palmiers, la petite troupe des cueilleurs d’eau se disperse avec ses outres. Jack s’approche de Christa accroupie au bord de l’eau.

- Vous n’avez décidément pas envie de m’en dire plus sur ce que vous savez de Shaakti, n’est-ce pas ? lui demande-t-il, tout à trac.

Sans se démonter et continuant de remplir son outre, elle lui répond :

- Je me pose toujours la question de savoir si vous êtes digne d’en connaître les secrets...

- Laissez-moi au moins vous persuader du contraire, lui dit-il en approchant ses bottes tout près d’elle. Vous ne m’avez encore jamais permis de vous prouver ce que je sais.

- Capitaine Sparrow, j’ai franchement du mal à vous faire confiance dans bien des domaines, réplique-t-elle sur un ton légèrement pointu. Votre réputation, concernant les femmes en particulier, me porte à croire que vous ne valez pas mieux que ces gueux qui vous servent de matelots.

- C’est Nanthan qui vous a dit ça ? demande Jack, crispé.

- Nanthan est un gentil garçon, fait-elle en se redressant après avoir rempli ses deux outres. Et il ressemble trop à sa mère pour pouvoir dire ce que vous êtes réellement.

- Je suis tout disposé à vous montrer ce que je vaux, vous savez ! Allons, de quoi avez-vous peur ? lui fait-il d’un air de défi.

Elle le fixe alors dans les yeux, les mains sur les hanches, d’un regard énigmatique. Puis, elle s’approche tout près de lui en silence, en levant le menton pour ne pas le quitter des yeux. Jack, penché sur elle, retient son souffle. Ses yeux sont encore plus beaux qu’il n’avait pu les voir ces derniers jours. Toujours distante, il n’avait encore pu les apprécier d’aussi près. Sous les rayons du soleil qui traversent les feuillages, ils apparaissent bleu-vert-gris, pailletés d’or. Ils sont vraiment incroyables. Il plonge dedans aussi délicieusement qu’un bain chaud dans un lagon des Caraïbes. Ses contrariétés sont comme envolées, soudain. Ce visage à l’ovale si parfait, cette peau mate si lisse, si douce, ces lèvres si gourmandes...  Pris d’un émoi incontrôlable, il lève une main pour lui caresser la joue, mais il retient soudain son geste. S’avisant qu’il serait bien inopportun de s’avancer sur un terrain aussi sauvage, il renonce. Soudain, c’est elle qui avance une main encore humide et fraîche de la rivière et la pose sur la poitrine du pirate, doucement. Puis, de l’autre main, elle lui saisit le bras. Tout en affirmant sa saisie, elle l’entraîne à bouger légèrement. Et brusquement, elle le pousse fermement en arrière pour le déséquilibrer. Jack, surpris, et sans possibilité de se rattraper, tombe à la renverse dans la rivière. Heureuse de son forfait, elle sourit en ramassant ses deux outres.

- L’eau fraîche a de merveilleuses vertus pour les relents d’orgueil dont vous êtes imprégné, cher capitaine, s’exclame-t-elle. Continuez de barboter un peu, cela vous fera le plus grand bien.

Elle reprend ensuite le chemin de la plage sans se retourner, ses outres attachées l’une à l’autre sur son épaule. Jack, trempé, sort de l’eau en se secouant comme un chien mouillé, furieux de s’être encore fait berner par une donzelle à la main leste. Sur ces entrefaites, Pintel et Ragetti redescendent de l’amont de la rivière avec leurs outres.

- Alors, on fait trempette, capitaine ? s’exclame Ragetti, hilare, en lui souriant de ses dents jaunes.

- C’est vrai qu’il fait chaud ! renchérit Pintel, tout en continuant à marcher. Vous avez raison, capitaine, il n’y a rien de tel pour vous remettre les idées en place ! Hi-hi !

- Occupez-vous de vos fesses, vous deux ! leur répond Jack, ruisselant et humilié.

Le navire pirate aux voiles noires, la cambuse de nouveau approvisionnée, reprend donc la route toujours vers le Sud. Pendant ces moments de navigation et de solitude mortifiante, Christa, malgré sa répulsion à vouloir se rapprocher de lui, comprend tout de même sa maladresse. Laisser ainsi ses sentiments la ronger, c’est indigne de son enseignement, de ce qu’elle connaît de la chose. Cet homme, ce pirate, ce capitaine, ce marin n’a visiblement qu’une seule quête et elle l’envoie bouler sur un à priori absurde. Elle l’observe, de loin, sa silhouette lui tournant le dos, les mains fermement serrées sur la rambarde de la dunette. Ses épaules fièrement dressées, mais dure, d’un homme dont les épreuves lui ont forgé une carrure de combattant. Certes, pas un guerrier, non. Un fieffé filou qui louvoie, serpente, biaise, son corps souple et expressif en est l’expression même. Pourquoi a-t-elle persisté jusque-là à ne vouloir le voir que comme un vil mâle sans éducation ? S’il l’avait vraiment été, elle serait à cette heure-ci, transpercée, violée, meurtrie, rouée de coups. Il l’aurait prise dans la nuit, et même toutes les nuits, sans lui demander son consentement, dans son propre lit. Il aurait pu s’en donner le droit. Et comme elle aurait crié son refus, il l’aurait jetée en pâture à son équipage. Il n’a rien fait de tout ça. Pourtant, à son mental défendant, elle ne parvient à se résoudre d’abaisser sa garde.

Et les jours passent ...

Au passage du cap de Bonne Espérance, le froid, l’océan démonté et une cargaison mal arrimée accaparent Jack entièrement. Il ne remarque pas que Christa n’est pas sortie de la cabine depuis trois jours. Une méchante fièvre la cloue au lit, ajoutée à un mal de mer épouvantable. Elle réussit, seule, à attraper un seau d’aisance pour y vomir dedans et à trouver quelque couverture pour se tenir au chaud. Trop fière pour demander de l’aide, elle reste seule alitée, grelottante de fièvre. Lorsqu’enfin, Jack fait une apparition en cabine en s’ébrouant des embruns glacés, il aperçoit enfin la jeune femme recroquevillée sous sa couverture. Il se précipite à son chevet et s’accroupit près d’elle pour s’inquiéter soudain. Soulevant une grosse mèche de cheveux noirs tombée sur son visage, il découvre ses yeux mi-clos cernés d’une peau sombre, un visage livide et en sueur. Ses lèvres devenues pâles et tremblantes, laissent passer une mince respiration sifflante.

- Oh, Christa, que vous arrive-t-il ? fait Jack, très inquiet, en lui caressant les cheveux. Pourquoi n’avez-vous pas appelé à l’aide ?

Incapable de répondre, la jeune femme est trop faible. Tout juste lui donne-t-elle le signe qu’elle a remarqué sa présence. Rapidement, Jack se redresse, empressé et un doigt en l’air, une solution en tête.

- Surtout ne mourez pas ! Je crois que j’ai ce qu’il vous faut, dit-il en reprenant son tricorne trempé et empoignant la porte pour sortir chercher ce dont il a besoin.

Lorsqu’il revient, il re-claque la porte derrière lui avec les pieds, les mains chargées d’un grand pichet d’un breuvage fumant. Il s’accroupit à nouveau devant le lit et le lui met sous le nez.

- Tenez, Christa, je vous en prie, il faut que vous arriviez à boire ceci. Ça va vous faire du bien.

Toujours tremblante et sans force, elle ne réagit pas. Jack prend alors l’initiative... sans perdre de temps, il se redresse, dépose le pichet sur la table, le temps de soulever la jeune femme pour l’aider à s’asseoir, et, prenant de grandes précautions pour ne pas qu’elle tombe, il lui remet la couverture sur les épaules en l’enveloppant dedans. Ensuite, il s’installe sur le lit pour la caler contre lui, tend le bras pour attraper le pichet et le lui met sous le nez.

- Tenez, Christa, il faut que vous buviez, lui dit-il doucement, sa tête contre la sienne, en respirant avec elle les effluves d’un rhum chaud aux parfums d’épices et de citron.

Doucement, tout doucement, il parvient à ce qu’elle boive le liquide. Il tient le pichet tout contre ses lèvres et elle arrive à déglutir la boisson entre deux respirations sifflantes. De son autre main, il lui tient le front si chaud et si humide. Ainsi, livrée, sans défense dans les bras du pirate, elle s’en remet à son sort et tous deux prient en secret pour que les vertus de cette boisson improvisée soient salvatrices. Une fois le rhum « arrangé » absorbé, il l’allonge à nouveau sur le lit en se retirant.

- Reposez-vous, maintenant, lui dit-il doucement. Je reviendrai dans quelques heures vous apporter à manger. C’est très bon pour le mal de mer.

Deux jours plus tard, les fureurs marines du sud de l’Afrique se calment. Il fait toujours froid, la mer fait à nouveau le dos rond et se laisse maîtriser. Christa, elle aussi, toujours au lit, mais le visage reposé, recouvre ses couleurs. Jack peut enfin souffler un peu. C’est encore dans le fauteuil qu’il sombre enfin dans un profond sommeil.

Les jours suivants passent et se ressemblent. Un soir venu, et l’étude des cartes oblige, Jack entre dans sa cabine. Il y trouve une Christa absorbée dans une méditation, confortablement installée sur le lit en position de lotus, face à la fenêtre. Décidé à éviter de lui adresser la parole, il s’installe à sa table et se plonge dans l’étude de ses cartes.

Cas de conscience. Où aller ? Le monde est si grand et sa frustration de ne pas avoir abouti l’est tout autant. Rentrer aux Caraïbes et à Tortuga semble la seule solution, mais elle est d’une médiocrité affligeante. D’évidence, Christa reste sa seule chance de rédemption et de trouver son trésor. Il jette un œil sur elle par-dessus ses cartes. Mais, si ce n’était pas elle ? Et si elle ne savait rien du trésor qu’il cherche ? Pour le coup, tout ce voyage n’aura été qu’une suite de péripéties... en pure perte. Pas de trésor à la clé. Fût-il un trésor éthéré, il n’en a obtenu qu’un bien maigre bienfait, voire même, que des ennuis. Précéder chaque fois la Compagnie des Indes et ne trouver que des morts... de la destruction... Quelle foutue gloire pour une légende ! Ce n’est pas comme ça qu’il voyait la chose, au départ. Bon, d’accord, il a réduit l’armada d’Aubrey en miettes. Et alors ? Sans conviction, il tend son compas, mesure, estime sur une carte, des distances, des projections... Il tapote son compas magique ouvert sur la carte pour faire bouger la flèche. Elle indique avec fermeté la fenêtre. Non, l’Est. On ne va pas retourner en arrière, quand même ! Pas envie de retourner à Singapour. Il re-tapote dessus. La flèche frémit, insistante, comme si elle lui disait : «Siii, c’est là, sous ton nez !»

Christa, imperturbable, poursuit sa méditation en lui tournant le dos. Ses longs cheveux noirs et lisses couvrent presque entièrement son dos. Jack pousse un soupir de lassitude et s’adosse à son fauteuil.

- Depuis quand ce compas me mentirait-t-il ? songe-t-il, tentant d’éloigner ses doutes tout seul et tant bien que mal. Il ne l’a jamais fait. Ce n’est pas maintenant, qu’il va commencer.

Soudain, les épaules de Christa bougent et ses mains glissent de ses genoux pour se poser sur le lit de chaque côté d’elle. Elle prononce quelques paroles inaudibles, puis, ensuite, plus distinctement.

- Vous aimeriez vous en convaincre, hein ?! fait-elle, tout en dépliant son corps tout doucement.

- Hein ? Quoi ? fait Jack, sortant de ses pensées pour la regarder vraiment.

Elle se retourne face à lui et s’assoit au bord du lit.

- Je disais que vous aimeriez vous convaincre que je ne suis pas ici pour rien, répète-t-elle.

- Et vous l’êtes, d’après vous ?

- Qu’en pensez-vous ? dit-elle en lui retournant la question.

- J’hésite.

- Votre compas en est sûr, lui...

Etonné, Jack la fixe bizarrement.

- Comment pouvez-vous savoir ça, vous ?

- Je connais bien d’autres choses encore que vous ne soupçonnez même pas, laisse-t-elle tomber en suspension.

Puis, elle se lève et fait quelques pas le long du lit, en lissant son sari mécaniquement, comme pour se rassurer.

- Capitaine Sparrow... fait-elle tout en penchant le regard vers ailleurs, je sais que nous sommes partis d’un mauvais pied, vous et moi. Je voudrais vous faire comprendre que je ne suis pas là pour rien... que suis toute disposée à ....

Hésitante, cherchant ses mots, elle s’arrête d’avancer, absorbée.

- ... à vous accompagner... Non, à... pour être sincère, je ... je ne sais pas comment m’y prendre, avec vous. Vous n’êtes nullement celui que j’espérais et pourtant...

- Qu’espériez-vous, au juste ? lui demande Jack, se mettant debout, les mains en appui sur la table en la regardant, campée de l’autre côté.

- Je ne sais pas. Tout d’abord, je ne m’attendais nullement à devoir m’enfuir du temple sur un navire, sans espoir de retour... Comprenez moi. Je me retrouve en face de vous. Je ne vous connais pas. J’apprends que vous êtes un pirate, de surcroît, le père d’un de nos chers hôtes. Ce qui est un comble. Vous débarquez au milieu de tout ces morts qui m’étaient chers, et, rapidement, je me retrouve dans votre cabine avec votre demande implicite : «aidez moi, j’ai envie d’aimer !» ...

Jack lève un sourcil de surprise, la mine sérieuse, se disant que, décidément, ces femmes à l’enseignement élevé ont cette fâcheuse tendance à tout deviner de ce qu’il a dans la cervelle. Ça en devient impudique !

- Comment pouvez-vous savoir une chose pareille ? lui demande-t-il, sur un ton un tantinet agacé.

- Depuis que vous m’avez parlé de Shaakti, répond-t-elle en refaisant quelques pas le long du lit. J’ai beaucoup réfléchi. J’ai demandé de l’aide, aussi ... Et je ne crois pas au hasard... Donc, si je me retrouve ici avec une telle demande de votre part, c’est que je dois y répondre. En fait, ma tâche, désormais, c’est ça....

- Ça, quoi ? ose-t-il demander, tout en craignant la réponse.

Pour toute réponse, elle le regarde intensément de ses yeux bleus-verts-ors et un petit sourire étrange qui mêle à la fois la crainte, la sensualité et le don de soi. Jack n’a jamais vu une telle expression sur le visage d’une femme. Difficile de savoir comment le prendre. Démuni, il lui renvoie une expression de désarroi et d’incompréhension.

- Laissons nous le temps de nous apprivoiser, cher capitaine, fait-elle en se collant contre la table qui les sépare, juste en face de lui. Bientôt, vous pourrez porter votre bague de la Fontaine à votre annulaire droit...

Juste un rapide coup d’œil sur la bague en question et il s’aperçoit que le cristal incrusté vient de changer de couleur. Dans un réflexe idiot, il tente de la dissimuler de son autre main.

- Qu’avez-vous fait ? demande-t-il, inquiet.

- La question serait plutôt : qu’allons-nous faire ? réplique-t-elle en prenant appui sur la table à son tour, en le regardant dans les yeux.

- Que veut dire ce changement de couleur ? persiste à demander Jack.

- Il veut dire que nous sommes faits pour de grandes choses, vous et moi...

Incertain, surpris et intéressé à la fois, Jack  la regarde avec une expression étrange, les prunelles brillantes de convoitise mêlée de crainte.

- Je n’osais plus l’espérer, fait-il tout en retenue, un petit rictus de satisfaction et de méfiance sur le coin des lèvres.  Le souvenir de la gifle et de la mise à la rivière est encore bien frais.

Soudain, comme pour couper court à l’embarras ambiant, la cloche de quart sonne. La nuit est tombée sur l’océan atlantique. Et le Black Pearl poursuit sa navigation vers le Nord.

- Je dois vous laisser, dit Jack, en reprenant son tricorne. Dormez. Et ne vous en faites pas, je ne viendrais pas vous déranger.

- Je l’ai bien compris, fait-elle toujours de l’autre côté de la table, en se redressant.

- Bonne nuit, lui fait-il en vissant son tricorne sur la tête.

Puis, il sort de la cabine en refermant la porte doucement derrière lui.

Les jours suivants sont manifestement plus détendus entre eux. Détendus et pourtant... Ils gardent mutuellement un œil sur l’autre, troublés. Occupés entre la navigation et la gestion de l’intendance, chacun finit par s’accorder. Christa trouve enfin ses repères au sein de l’équipage ainsi qu’avec Jack. Pour autant, elle ne parvient toujours pas à se rapprocher et l’appeler par son prénom. Elle ne cesse de lui donner du capitaine chaque fois qu’elle a besoin de le nommer. Ce n’est pas pour déplaire à l’intéressé mais, à la longue, il reste cette distance difficile à raccourcir. Respectueusement, il s’est instauré, depuis le début, un relais entre eux pour les temps de repos, partageant le lit à tour de rôle. Mais, la nature de Jack ne laisse jamais très longtemps une femme aussi belle et désirable ainsi le côtoyer et dormir dans son propre lit sans éprouver le désir sincère d’aller toucher ce cœur offert, fût-il troublé et à la fois fragile et fertile. Là, des records de patience ont été largement dépassés.

Alors, un matin, Jack décide d’entamer un rapprochement stratégique. Assez louvoyé ! Précédant la cloche du changement de quart, retournant dans la cabine après une nuit passée à la barre, il entre alors que Christa ouvre à peine un œil. Il pose son tricorne sur la table et s’assoit au bord du lit. Il la regarde se réveiller doucement.

- Bonjour, lui dit-il de sa voix grave et chaude. Le temps est magnifique, dehors, vous devriez en profiter.

- Bonjour, capitaine, fait-elle d’une voix ensommeillée. Que faites-vous ici ?

- Ici, où ?

- Là ! ... Sur le lit !... dit-elle en se frottant les yeux.

- Ah ! .... là ! .... Je vous regarde vous réveiller, fait-il feignant l’innocence.

- Vous ne devriez pas, capitaine, dit-elle, en se redressant langoureusement et plaquant le drap contre sa poitrine.

- Et pourquoi donc ? demande-t-il sans attendre une quelconque réponse. Voyez, Christa, je crois qu’il est temps que vous appreniez mon prénom ... depuis le temps que nous partageons la même couche...

Puis, il tente d’accrocher son regard en tortillant du buste et de la tête, tout en baladant une main sur le drap et sur sa cuisse sous le tissu. Il agite son autre main pleine de bijoux devant elle en poursuivant, facétieux :

- Vous voyez, la bague ? Elle est prête à changer de doigt. Et je sais que vous savez ce que ça veux dire !!...

Elle cligne encore d’un œil et le regarde vraiment, la mine tout juste éveillée et reposée.

- Vous... commence-t-elle.

- Je m’appelle Jack, l’interrompt-il, et, oui, je le veux ! dit-il, en approchant son visage du sien. Il est grand temps que nous nous connaissions un peu plus intimement, Christa...

Et, il change sa bague de place, la glisse à son majeur droit, ostensiblement braqué sur son regard. Elle le dévisage aussi avec dans ses yeux une petite lumière dorée de plaisir qui s’allume soudain.

- Jack... répète-t-elle en lui souriant doucement. Votre geste a le mérite d’être clair, lui dit-elle en fixant les mains du capitaine, mais, je ne saurais dire par quoi commencer avec vous.

- On pourrait, tout simplement, commencer par le commencement, lui dit-il en rapprochant encore un peu son visage du sien et en caressant d’une main chaude et vibrante sa hanche par-dessus le drap.

La respiration bloquée par la surprise, irradiée par sa main sur elle et le frisson qui l’envahit soudain, elle suspend tout mouvement. La bouche tendue de désir et le regard braqué sur la sienne telle une gourmandise en vitrine, elle n’ose faire le moindre mouvement, éprouvant à cet instant une irrésistible attirance pour cet homme au magnétisme indéniable. A trop s’approcher, et, voulant autant retarder cet instant béni que d’en profiter, d’un irrépressible besoin retenu, elle retarde et retarde encore à se retrouver allongée de nouveau sur l’oreiller, alors que Jack n’a cessé d’avancer ses lèvres pour prendre les siennes. Il n’en fait rien. Ses yeux courent sans cesse, se délectant de son visage, tel un joyaux précieux qu’on ne se lasse pas d’admirer. Ses deux mains qui ne cessaient jusqu’alors de découvrir ses courbes, finissent, finalement, par caresser sa gorge, puis son ventre. Mais, une rapide évaluation de la situation le fait se redresser soudain.

- Je vous ais dit qu’il faisait beau, dehors, n’est-ce pas ? fait-il, l’air interrogateur.

- Heu... dit-elle sans vraiment comprendre où il veut en venir.

- ... et vous devez avoir faim et envie de vous rafraîchir, poursuit-il en se mettant debout pour l’inviter à faire de même.

Confuse et troublée à plus d’un titre, elle se glisse hors du lit encore tremblante d’émotion, tout en s’enroulant dans le drap. Elle file jusqu’au paravent sur la pointe des pieds.

- Il se trouve que je manque de soleil, en effet, et que Nanthan m’a promis une partie de pêche, dit-elle en se composant un air distant. Vous avez raison. Vous avez besoin de dormir et moi de prendre l’air.

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
dominosama
Posté le 30/12/2012
"- Je me pose toujours la question de savoir si vous êtes digne d’en connaître les secrets...<br />- Laissez-moi au moins vous persuader du contraire, "
<br />--> heu… elle veux savoir s'il est digne de connaitre le secret et lui il veut lui prouver le "contraire " ? Vraiment ?<br />Moi j'aurais plutôt mis : " Je me pose toujours la question, je crois que vous êtes indigne d’en connaître les secrets.<br />Là effectivement il faudra que Jack lui prouve le contraire ^^"<br /><br />Haha encore une fois le rhum magique comme médoc et le pire c'est que lorsque je suis malade je bois un bon rhum chaud avec du jus de citron du miel et de la cannelle et ça marche asez bien, ça provoque une bonne suée, on dort pendant des heures et quand on se réveille une bonne douche et le rhume est parti ^^
<br />" Précéder chaque fois la Compagnie des Indes et ne trouver que des morts... de la destruction..."<br />--> Il ne la précède pas, il arrive au contraire après à chaque fois. <br />précéder : être placé devant dans l'espace ou dans le temps.<br />Là on dirait plutôt qu'il leur succède. <br />Il suffirait d'ajouter un mot : par<br />Ce qui donnerait : Précéder chaque fois par la Compagnie des Indes.
Quel charmeur ce Jack quand même...
vefree
Posté le 30/12/2012
C'est une filoute, cette Domino ! Elle met toujours le doigt sur des trucs qu'on laisse bien souvent couler sans faire gaffe. Je vais garder précieusement tes commentaires, car j'ai dans l'idée de reprendre la réécriture de toute l'histoire en tenant compte bien sûr de tes juditieuses remarques.
Bah tiens, bien sûr que le rhum est un médicament. Tu l'as éprouvé en plus. Moi itou et Jack aussi bien sûr, en bon pirate navigateur qu'il est.
Un charmeur... je ne te le fais pas dire. Surtout dans cette histoire, c'est pire que tout !! loool ! 
Vous lisez