Chapitre 17

D'habitude, me plonger directement dans le travail le lundi matin ne me gênait pas. Après tout, je passais une grande partie de mon week-end le nez encore plongé dedans d'une manière ou d'une autre. En soi, je ne gardais pas de différence entre le week-end et la semaine.

Mais cette fois-ci, tout avait été chamboulé et étonnamment, j'avais passé une grande partie de mon week-end avec Rey, oubliant presque que mon travail existait — ce qui fut tout aussi bénéfique que terrible.

Armie semblait avoir remarqué ma passagère fatigue et m'avait accompagné sur le chemin jusqu'à mon bureau, son café à la main.

— C'est pas la première fois que tu te ramènes avec cette tête-là. La dernière fois, t'étais même arrivé en retard.

— Ne t'en fais pas, rien de grave.

Dans le fond, c'était vrai. Que je chamboule quelques habitudes comme je le faisais actuellement n'allait pas foutre ma vie en l'air, mais je ne pouvais pas faire comme s'il ne se passait rien non plus.

Il me suivit jusqu'à mon bureau. Comme d'habitude, il allait finir son café ici entre quelques conversations.

— T'en as enfin tiré quelque chose de ton influenceuse ? lança-t-il, toujours avec le même ton moqueur.

— Peut-être bien...

Il arqua un sourcil, curieux, et il était encore moins prêt à quitter rapidement mon bureau. Je venais de prononcer que trois mots, ce qui était suffisant pour le réveiller.

— Mais tant que rien n'est sûr, je ne pourrais rien te dire, rajoutai-je aussitôt en constatant son silence.

— Sérieusement ? Tu vas garder ça pour toi jusqu'à la fin ?

— Pour le moment, oui.

Il pencha sa tête, un brin excédé. Il s'attendait vraiment à ce que je lui dise tout, ce que j'aurais pu faire en partie, mais vu la relation que j'entretenais avec Rey, tout n'était plus aussi simple désormais.

Il insista quelques secondes, s'attendant à ce que je cède, mais en voyant que je restais de marbre, il finit par quitter mon bureau. Pour une fois, il ne jeta pas son gobelet dans ma poubelle.

J'aurais pu lui dire ce que j'avais appris ce week-end au sujet de Rey, sauf qu'il y avait encore une part de moi qui me retenait, juste le temps de tout mettre au clair.

Je mis fin à ses brèves réflexions pour me tourner vers un autre sujet professionnel. Une autre affaire que j'avais laissée en suspens pendant quelques jours, par manque d'informations.

Dernièrement, je m'étais intéressé au profil de Viktor Shaffer, un politique qui montait en popularité à une vitesse exponentielle des derniers temps. Il avait souvent des points de vue assez clivants, des points de vue qui étaient toujours là pour servir ses intérêts d'une manière ou d'une autre.

Les jours précédents, j'avais essayé de récolter des informations, de trouver quelques éléments qui le trahiraient. Mais rien d'assez intéressant pour le moment. Il était principalement entouré par sa famille, ses proches. Vraiment, rien qui ne pouvait m'intéresser. Jusqu'à ce que je tombe sur quelques photos prises par des paparazzis. Il était en compagnie d'une blonde, toujours au même endroit.

Je mettrai ma main à couper qu'il s'agissait d'une prostituée et cette femme devait avoir de nombreuses informations à exploiter, quand bien même elle ignorait. Il fallait juste que je trouve son identité.

À la pause, Armitage vint me sonner à mon bureau pour manger avec lui et Phasma, mais bien trop pris par mon affaire du moment, je refusai poliment l'invitation.

Malheureusement, je n'avais qu'un moyen d'avoir plus d'informations : en me rendant sur le terrain. Était-ce une manière de me salir ? Pour certains, oui. Mais j'en avais pris l'habitude.

Alors après avoir pris un rapide repas dans mon bureau tout en préparant mon plan, je quittai mon bureau. Sur les photos de Viktor, j'avais pu facilement identifier cette rue. Ce n'était pas une rue connue pour la prostitution, mais vu le nombre de fois où il s'y rendait, ce n'était clairement pas un choix anodin.

Au bord de ma voiture, je m'étais rendu sur cettedite route et je l'avais passé des dizaines et des dizaines de fois en espérant tomber sur cette femme. Ces ruelles étaient assez peu fréquentées et vu le personnage, il avait probablement quelque chose à cacher.

Au bout de quelques tournées dans les mêmes rues, Armie m'envoya un message, assez inquiet de ne pas me croiser au travail. Je m'arrêtai un instant dans ma conduite pour lui répondre. Je lui informai rapidement que je devais me rendre sur le terrain, rien qui ne l'étonnerait, j'étais du genre à prendre des risques. Il se contenta d'un simple "ok". Tant mieux, je n'avais pas envie de m'étendre bien plus sur cette discussion, j'avais autre chose à faire.

Profitant de m'être garé, j'inspectai les alentours. J'étais bel et bien sur la bonne rue. Est-ce que d'autres personnes avaient suivi cette piste ? Probablement pas. Il ne s'agissait que d'évènements oubliables pour quelques personnes. Juste deux trois photos qui n'avaient pas été suffisantes pour le dénigrer. Malheureusement, pour beaucoup, ils oubliaient souvent que la piste des prostituées était toujours une des plus intéressantes à suivre — bien que coûteuse quelques fois.

Peut-être que je passerais toute la journée à traîner dans le coin et que je rentrerais sans la moindre information. Sans compter que je paraîtrais étrangement suspect.

De nouveau, je me penchai vers les photos en espérant y trouver une information intéressante. Mais il était dur d'identifier quoi que ce soit d'une inconnue aussi facilement. Du moins, je n'avais pas les outils nécessaires pour. Je pouvais toujours essayer de me reposer sur les caméras des différentes enseignes, sauf qu'aucune ne me ferait confiance aussi facilement.

En me rendant compte que je devrais vraiment faire un tour de moi-même, je sortis de ma voiture et en profitai pour prendre un café dans une boutique à proximité. Dès que je franchis le seuil de cette boutique, je compris que j'étais dans un coin bien différent de ce que j'avais l'habitude de fréquenter. Probablement un coin plus étudiant. Alors, forcément, le costard n'était pas très habituel par ici...

Je ne pouvais pas non plus forcer la discussion avec des commerçants pour une quelconque information. J'étais — d'une certaine manière — pris au piège. Tant pis, je pouvais très bien m'occuper d'un point de vue professionnel quelques instants dans ce café en attendant que cette femme pointe le bout de son nez.

Je jetai un énième coup d'œil à mes messages avant de replonger le nez dans le travail. Rien provenant de Rey. C'était assez déstabilisant qu'elle n'ait pas cherché à me contacter après ce long week-end ensemble. En même temps, Rey pouvait parfois être assez distante. Peut-être même qu'elle était tout aussi perdue que moi...

Surtout que, de mon côté, je réfléchissais encore à cet article à son sujet. Certes, ça sortait de mes habitudes et c'était une raison suffisamment importante pour que j'abandonne cette idée. Mais, maintenant que j'en avais appris davantage à son sujet, la question continuait de se poser.

Continuerais-je de creuser pour trouver le fin mot de cette histoire ? Ou est-ce que je ferais mieux d'abandonner ?

Et si j'abandonnais tout maintenant, pourrais-je lui mentir longtemps sur mes intentions premières en m'approchant d'elle ?

Et dire qu'elle n'en savait rien... À moins qu'elle le sache déjà et en joue, mais j'avais vraiment du mal à y croire étant donné les récents évènements.

Néanmoins, je balayai rapidement ces questions parasitantes et me lançai dans ce que je connaissais de mieux pour évacuer : le travail. J'aurais pu continuer sur mon affaire actuelle, mais mon attention se porta de nouveau sur l'affaire de Rey.

Désormais, j'avais de nouvelles informations à son sujet et je pouvais creuser du côté des adoptions. Dans un premier temps, je me penchais sur la possibilité de trouver une liste des adoptions, mais ça n'avait pas l'air d'être rendu public. Je n'avais que les enfants en attente d'adoption.

Peut-être qu'en prenant sa date de naissance, je pouvais croiser ces deux informations... Date de naissance que je ne connaissais pas. Heureusement qu'elle était assez connue pour que cette information soit facilement trouvable en ligne.

Et là, ce fut un poil déstabilisant.

Rey avait dix-neuf ans. Je n'avais jamais songé à son âge, je savais qu'elle était majeure, mais pas d'aussi peu. Naïvement, je la pensais bien plus âgée. Il me fallut de longues secondes avant de passer à autre chose.

D'un certain côté, je pouvais utiliser ça à mon avantage. Elle était plus jeune et avait été exposée à internet bien plus tôt. Il y avait donc moyen de trouver des traces dès son plus jeune âge. Malheureusement, rien ne s'effaçait totalement d'internet... surtout on avait les bonnes méthodes pour les dénicher.

J'avais une fourchette assez large pour déterminer le moment de ses adoptions. Même si je pouvais probablement réduire lors de sa première année vu que ses parents biologiques avaient perdu sa garde et ça se prouvait d'une manière d'une autre. De l'autre côté, je pouvais fouiller en fonction de ses vidéos et de sa présence sur les réseaux sociaux. Il était fort peu probable qu'elle se soit lancé dedans alors qu'elle n'avait pas une certaine forme de stabilité dans sa vie.

Je remontais à ses plus anciennes vidéos, des vidéos où elle était encore adolescente. D'ailleurs, les décors de ses vidéos étaient assez semblables, du moins, jusqu'à ce qu'elle annonce son déménagement un an auparavant, probablement tout juste après sa majorité.

En tout cas, je pouvais facilement resserrer mes recherches entre 2002 et 2016, ce qui restait une fourchette extrêmement large. Il fallait vraiment que je trouve autre chose pour étoffer mes recherches...

Avait-elle déjà eu l'idée de tenter un test ADN ? Avec un peu de moyens, ce genre d'informations pouvait se retrouver facilement et pourrait étoffer mes recherches. Mais j'allais devoir retrouver mes contacts et voir comment y accéder sans paraître trop suspect. Le genre d'informations où il fallait que je sois assez large pour ne pas éveiller des soupçons, mais pas trop si je ne voulais pas passer à côté.

De toute manière, ce n'était pas maintenant que je trouverais ces informations, parce qu'il fallait que je passe à autre chose. J'aperçus la blonde, posée contre un mur tout en traînant sur son téléphone. Je finis d'une traite mon café et quittai cet endroit pour la rejoindre.

Elle releva les yeux pour croiser mon regard. Elle me dévisagea de haut en bas et un sourire enjôleur se dessina sur son visage. Elle avait probablement une clientèle type à en voir sa réaction.

— Qu'est-ce que je peux faire pour toi ? me demanda-t-elle, l'air enjôleur.

— Je viens pour une demande assez particulière. Pas du niveau sexuel, j'ai juste quelques questions à te poser.

— J'en suis à peine étonnée... Mais pas le même tarif.

— L'argent n'est pas un problème.

Pour lui montrer mes bonnes intentions, je lui tendis un premier billet de cent dollars. Probablement bien au-dessus du nécessaire, mais je n'aurais clairement pas d'autre chance, alors autant mettre le paquet directement.

Elle accepta le billet, même si un brin de doute se dessina sur son visage. En même temps, je ne pouvais biaiser sa confiance aussi facilement. J'aurais pu lui proposer de me rejoindre dans ma voiture, mais vu comment elle se tendait, je n'allais pas prendre ce risque.

Je pris une brève inspiration avant de sortir mon téléphone et lui montrer une photo d'elle en compagnie de Viktor Shaffer. Sa respiration se coupa un instant, dans un bref élan de panique. Elle posa sa main à la poitrine et ravala sa salive.

— Qu'est-ce que tu veux savoir ?

— C'est un de vos clients ? demandai-je un peu brusquement.

Elle secoua la tête sans oser me répondre. Peu importe ce qu'elle me dirait, je savais qu'il y avait bien plus.

— Si on veut...

Elle évitait la question. J'allais user de l'argent, même si éthiquement, c'était questionnable.

— Pour combien tu acceptes de m'en dire plus ? m'enquis-je tout en laissant la photo sous ses yeux.

Son regard se posa de nouveau sur mon téléphone et elle mordit ses lèvres pour s'interdire de parler. Elle prit quelques secondes de réflexion avant de reprendre :

— J'ai pas envie que ça se sache... Il ne faut surtout pas que ça se sache, peu importe la somme. Et je sais même pas qui tu es !

— Kylo Ren, journaliste pour le Premier Ordre, me présentai-je en rangeant mon téléphone. Si tu veux, je peux te proposer autre chose. Cet homme ne doit pas être très agréable avec toi et je pourrais te trouver une plus grande stabilité financière.

Elle croisa les bras. Visiblement, mon offre ne semblait pas tant que ça l'intriguer. Puis sa mine se chiffonna et une violente tristesse prit le dessus. 

— Comment tu peux m'assurer une meilleure vie que ça ?

— Tu as forcément des compétences ou tu peux être formée pour. Je suis sûr que je peux t'aider à trouver une place quelque part. Mais si tu ne veux pas quitter la prostitution, il y a probablement une collaboration rémunérée qu'on peut entretenir.

Elle fronça ses sourcils et baissa son regard. Toujours les bras croisés, elle était perdue dans ses réflexions. Bien évidemment je n'étais qu'un inconnu à ses yeux et elle pouvait m'envoyer chier très rapidement. Mais j'avais tapé dans quelques-unes de ses insécurités et elle cherchait un moyen de fuir, ça se voyait à son regard.

— Viktor est mon père, finit-elle par avouer en reposant son regard sur moi. Je l'ai appris tardivement, lui aussi... Aucun d'entre nous n'a envie que ça se sache. Lui, parce que ça lui mettrait une mauvaise réputation au vu de ses convictions. Et moi, je vais tout me prendre dans la gueule et je n'aurais pas gagné un père dans l'affaire. Il a tenu à me rencontrer deux fois... Mais je crois que ça n'ira pas plus loin.

Elle venait de tout me révéler, d'une traite, et je sentais les larmes monter. Elle se retenait de pleurer — probablement pour ne pas détruire son maquillage.

— Je t'en prie... Je ne veux pas que ça se sache. Je préfère rester cette inconnue... Même lui, je préférerais qu'il m'oublie. Je me fiche qu'il base sa réputation sur des mensonges.

Elle retint un sanglot et détourna son regard.

J'avais vraiment une information croustillante sous les yeux, exactement le genre de choses que je cherchais. Je savais que même avec quelques recherches annexes, ce serait suffisant. Mais sous mes yeux, pour la première fois, j'avais une femme apeurée que ça s'apprenne. Une femme qui cachait cette terrible vérité.

— Tu n'as pas envie qu'il paie pour t'avoir abandonné ? osai-je lui demander en rangeant mon téléphone.

— Non, je m'en fiche. Je veux juste vivre ma vie... Du moins, essayer. Et ça ne sera pas avec lui.

J'étais assez étonné par ses propos. À sa place, je me serais probablement lancé dans un long plan de vengeance ou j'aurais eu de la rancœur pendant des années, mais pas elle.

— Très bien, je ne dirais rien qui te lie à lui, cédai-je dans un soupir. Tu resteras une inconnue. Je ne peux pas te promettre combien de temps ça durera, mais que ça sera assez, le temps que tu te fasses à l'idée.

— Merci...

— Et mon offre tient toujours, repris-je de plus belle en ressortant mon téléphone. Je te file mon numéro au cas où tu veuilles me recontacter, juste le temps d'y réfléchir.

Je lui laissai entrer son numéro dans mon répertoire au nom de Nancy. Pendant un moment, cette situation me rappelait Rey — peut-être un peu trop.

— Envoie-moi un message quand tu veux...

Elle m'adressa un simple sourire et je retournai dans ma voiture.

Avant de démarrer, je posai longuement mes mains sur le volant, laissant échapper un long soupir. Je passais à côté d'une grosse opportunité, c'était évident. Tout ça parce que j'avais pris pitié de cette pauvre femme. Ou peut-être parce que ça n'en valait pas le coup finalement.

Dire que ce n'était que le début...

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