Extrait du journal de Simonetta Sauveur : des lignes qui se suivent sans logique et sans aucune date.
Arrivée sur l’île des Gondebaud.
Je n’ai jamais connu Octavia la mère de Vincent, elle repose dans le petit cimetière de l’île voisine. Je lui rendrai visite.
Cet endroit est exactement ce qu’il me faut, solitaire, sauvage.
Une île perdue au milieu de l’océan.
Il fait froid, mais l’air est vivifiant.
Le château est immense, j’ai toujours peur de me perdre dans le dédale des pièces et des escaliers.
Je dors beaucoup, je suis très fatiguée.
Je n’ai plus de force, plus d’envies, mais je dois m’accrocher à la vie, mes filles ont besoin de moi.
Leur père les a abandonnées.
Quand j’y pense, je ne peux pas y croire.
Qu’il m’ait laissée moi, c’est la meilleure des choses qui me soit arrivée.
Sans lui, je peux à nouveau respirer sans me sentir prisonnière.
Mais elles ?
Ce matin, j’ai fait le tour de l’île. Je dois faire attention, certains chemins sont très glissants, et en bas ce sont des rochers pointus fouettés par les vagues.
Mais je ne veux pas mourir.
Je ne suis pas très vaillante, je vois bien que Vincent et Alma me surveillent.
J’ai besoin d’être seule.
Vincent est très attentionné.
Alma a envie d’être autonome.
Je me sens libre ici, plus libre que je n’ai jamais été.
Astrid et Hazel appellent tous les jours.
Elles visitent un grand parc, une belle région montagneuse avec des châteaux.
Cela fait beaucoup de bien à Astrid, je la sens épanouie.
J’explore le château. Je découvre des pièces que je ne n’avais jamais vues.
Il y a des caves profondes, creusées dans les rochers, un véritable labyrinthe.
Ca m’impressionne de repenser aux pirates qui habitaient ici.
Que faisaient-ils dans ce château ?
J’ai emmené Oponce sur l’île voisine.
Il va mieux. Il était si triste après la disparition de son maître.
Je n’entends plus jamais crier PJ, c’est tellement paisible ici.
Le matin je suis réveillée par les mouettes et par le bruit du ressac.
Vincent me donne des nouvelles étonnantes.
Astrid et Hazel ont sauvé Ferdinand des griffes de PJ.
Il a été agressé et il est blessé.
Elles l’ont sorti de l’hôpital où il se faisait soigner.
Et maintenant ils se cachent.
Je crois que Vincent se pose beaucoup de questions au sujet de Ferdinand.
Est-ce Hazel qui lui fait part de ses doutes ?
Je ne sais pas ce qu’en pense Astrid.
Je n’ai jamais aimé Ferdinand, il m’a toujours méprisée et traitée comme une idiote.
Je n’ai aucune envie de le revoir.
Je suis entrée dans l’épicerie du village.
La propriétaire est charmante, c’est bon de rencontrer des gens simples et aimables.
Elle m’a proposé de faire porter mes achats au château, je crois qu’elle est un peu curieuse de voir ce que nous y faisons.
Tout le monde sait ici qu’on peut aller à pied sur l’île des Gondebaud en passant par le souterrain, ce n’est plus un secret depuis longtemps..
Oponce est resté dehors, il a fait peur à quelques personnes, c’est un gros chien.
Nopal, le chat d’Alma, ne l’aime pas, ils s’ignorent.
Nopal est toujours avec Alma. Il s’est parfaitement adapté à la vie sur l’île.
Quand Alma est à l’école, il se perche sur une fenêtre et regarde la mer comme s’il la contemplait, ou alors il se couche près du feu pour avoir chaud et dormir.
Ce chat est très intelligent, il dirige sa vie comme il l’entend.
Je suis allée au cimetière voir Octavia.
Pauvre femme, elle est morte si jeune.
Le petit Victor est enterré avec elle.
Personne ne parle jamais de cet enfant.
J’ai fait deux fausses couches, personne n’en parle non plus.
Enfin Astrid et Alma sont deux filles parfaites, j’ai eu beaucoup de chance.
Vincent est amoureux.
Je ne sais pas comment peut évoluer une histoire entre lui et Hazel.
Elle vient d’un autre monde.
Je me suis promenée sur l’île voisine avec Oponce.
Il y a des moutons qui paissent l’herbe des champs au delà du village.
Les gens ici tissent la laine comme autrefois.
Dans une petite boutique je me suis achetée un pull over, un bonnet et une écharpe.
Je ressemble plus à une autochtone maintenant.
Alma a fait des plantations. Elle s’est mise en tête de me soigner avec des plantes qu’elle fait pousser dans les rochers.
Depuis quelques temps, elle va à l’école de l’île. Elle ne s’y plait pas, nous devrions bouger, retourner à la civilisation et je devrais l’envoyer dans une école où elle serait bien.
Mais je suis si fatiguée que je n’ai pas le courage de partir de l’île.
Je m’y sens protégée.
Je ne me suis pas sentie protégée depuis tant d’années.
Le traitement d’Alma me fait du bien.
Elle l’essaie sur son frère, j’en suis sûre, je la connais bien.
Vincent m’a montré les archives des pirates.
Je suis toujours surprise d’imaginer qu’il a eu des ancêtres pirates.
Comment ont-il réussi à conserver l’île ?
J’ai commencé à lire quelques vieux parchemins, ce sont des inventaires, de la comptabilité. Rien de bien excitant pour l’instant.
Nous parlons beaucoup avec Vincent.
Il m’a expliqué ce que faisait PJ et ce qu’il faisait faire à Astrid.
Les laboratoires ABMonde ne sont plus vraiment dirigés depuis son départ.
Que vont devenir tous ces gens, ceux qui prennent les médicaments, et les employés ?
Cà m’a bouleversée.
Je ne peux plus rester inactive.
Je bois toujours les tisanes d’Alma.
Les promenades au grand air me font du bien.
Je vais mieux.
J’ai envie de faire des choses, je n’avais plus envie de faire quoi que ce soit depuis longtemps.
Je m’occupe des devoirs d’Alma;
Mais à quoi ça sert ? Elle est si intelligente, elle me fait même peur tant ses remarques sont pertinentes.
Alors nous lisons, il y a une bibliothèque dans le château.
Je n’ai jamais vu tant de livres anciens. Certains sont illisibles.
J’ai bien réfléchi.
Je crois que je vais assurer l’intérim de PJ à ABMonde. Peut-être reviendra-t-il un jour ?
Je ne retournerai pas avec lui.
Mais je ne peux pas laisser ses affaires sans qu’elles soient pilotées.
Il y a beaucoup d’argent en jeu et les employés ont besoin que l’entreprise soit prospère.
Il faut maintenir le bateau hors de l’eau.
Je vais regarder les comptes avec Vincent, il connaît tout cela, il va m’aider.
Je sais que ce sera difficile, mais je dois essayer.
Nous avons nommé un manager qui s’occupe de reprendre ABMonde.
Vincent veut que ce soit moi qui prenne les décisions et les nouvelles directives, mais j’ai besoin d’avoir un relais sur place..
Il faut empêcher que de mauvaises orientations soient prises et redresser la barre.
C’est drôle, depuis que je suis sur l’île je parle comme si j’étais un marin aux commandes d’un navire.
Les filles ont quitté leur cachette et elles louent une petite maison de vacances.
Ferdinand est convalescent.
Elles commencent à avoir la bougeotte.
Vincent a beaucoup de patience, tous les jours il passe beaucoup de temps à m’initier aux complexités de la direction d’ABMonde.
Je ne sais pas comment il peut connaître tout ça.
Personne ne lui a jamais montré, mais il sait comment cela fonctionne.
Il se connecte partout et il a des informations étonnantes.
Il m’explique comment récupérer les données, comprendre les résultats, et en tirer des synthèses et des conclusions.
J’ai l’impression qu’il a fait ça toute sa vie.
Je me sens bien à l’aise avec les chiffres maintenant, j’ai une bonne idée de la direction dans laquelle je veux aller, et j’ai les moyens de réaliser mon objectif.
J’étais peut-être douée pour ça, qui sait ?
On ne m’avait jamais rien enseigné ni demandé avant.
Astrid et Hazel ont pris le bateau avec Ferdinand.
Elles ont fait connaissance de jeunes gens.
Je suis contente qu’Astrid ait des amis.
Je n’aimais pas tous ces hommes qu’elle voyait sous le contrôle de PJ.
Elle n’a pas eu de jeunesse.
Cela n’arrivera pas avec Alma.
PJ n’aimait pas Alma. A juste titre, Alma ne s’est jamais laissée faire par lui.
Astrid et Hazel partiront en randonnée avec leurs amis dès qu’elles seront arrivées sur Odysseus.
L’état de Vincent s’est beaucoup amélioré.
Alma lui prodigue sans cesse des soins.
Je l’ai vu marcher.
Les premiers pas étaient déséquilibrés, mais depuis quelques jours il se tient debout et sa démarche est assurée.
Je n’imaginais pas qu’il puisse se mouvoir tout seul un jour.
Vincent m’a avoué que les filles détestent Ferdinand et qu’elles se sont sauvées.
Je les comprends.
Je les approuve, je n’ai jamais eu confiance en Ferdinand, il a toujours servi PJ et seulement PJ.
A sa décharge, il a protégé Vincent que PJ maltraitait.
Vincent et Alma sont venus me voir.
Maintenant que Vincent peut se déplacer et qu’il est guéri, il veut partir rejoindre Astrid et Hazel.
Je crois qu’il veut trouver PJ.
Je ne suis pas très heureuse, mais je dois l’accepter.
Un jour PJ reviendra.
Je vais rester sur l’île.
Alma veut partir avec son frère.
Je ne suis pas du tout d’accord, elle est trop jeune, mais je n’ai pas le choix.
Elle veut continuer à soigner son frère.
Ils ont besoin d’elle pour accomplir leur mission.
Vincent m’a fait comprendre qu’ils doivent mettre fin aux agissements de PJ.
Ce peut être très dangereux, et Alma veut partir avec eux.
Je suis désespérée, je vais travailler comme une folle pour ne pas m’inquiéter.
Ils sont partis.
Ils ont promis de me donner des nouvelles.
Je me consacre aux affaires d’ ABMonde, il y a tant de retard à combler.
J’ai trouvé des choses si horribles que je ne peux pas renoncer à les résoudre, des malversations inimaginables, tout un monde que je ne connaissais pas, une ampleur que je ne soupçonnais pas.
Je commence seulement à réaliser que la tâche que je me suis fixée est énorme, vais-je y arriver ?
Mais je dois régler tous les problèmes avant de vendre.
C’est ce que j’ai envie de faire, je ne vais pas diriger ces laboratoires toute ma vie.
Mes journées sont longues.
Quand j’ai besoin de me changer les idées, je fais des recherches dans les archives des pirates.
J’ai beaucoup à apprendre de ces gens, ils savaient gérer leurs affaires, même s’ils ne les acquéraient pas honnêtement.
Il y a là un parallèle avec ce que je suis en train de faire.
Tout ceci est très très vieux, tout le monde l’a oublié.
J’ai enfin découvert leurs carnets de voyages, cachés au fond de coffres ou d’étagères.
Ils me font rêver, j’aime lire leurs récits maritimes, leurs découvertes d’îles sauvages et leur ingéniosité.
Ce sont leurs pérégrinations qui m’attirent, pas leurs crimes.
Parfois je me surprends à minuit, plongée dans une histoire passionnante qui se passe de l’autre côté des mers, oublieuse du temps.
Quand je ferme les yeux, je me vois marcher sur les sentiers d’une île tropicale dominée par un puissant volcan, je longe une falaise qui surplombe la mer, m’approchant du sommet de la montagne dont une légère fumée s’échappe ...