Mon cerveau refuse de fonctionner.
C’est quoi cette putain d’histoire d’extra-terrestre ? Surtout… les humains seraient les extra-terrestres ? Je ne comprends plus rien. J’essaie de formuler une question mais le Yokai en face de moi finit de disparaître. Le blanc est remplacé par le souterrain où se trouvaient les restes de la stèle, réduits à l’état de simple poussière.
Les Nodachis m’entourent, paniqués de mon moment d’absence. Je ne sais pas ce qu’ils attendaient comme miracle, mais pas ça. Plusieurs parlent en même temps, me pressent. Le Yokai est en train de devenir physique et il faut que j’intervienne, tant qu’il est affaibli et pas habitué à son corps.
Je fronce les sourcils. Pas habitué à son corps ? Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Il s’est libéré de lui-même seize ans plus tôt et était parfaitement apte, pour lui, je sais que cette durée de temps n’est pas si grande que ça pour lui, alors pourquoi… Une seconde. Il y a seize ans, il était immatériel, raison pour laquelle il a tant provoqué de panique, cette nouveauté effrayant. D’où il a gagné un corps entre-deux ? Et de toute façon… Les brumes sont libres, volatiles. Elles fuient les attaches. Où est-ce qu’il a trouvé un corps ?
J’ai… J’ai peur de comprendre. Je suis glacé d’un coup.
Je… J’étais persuadé d’en savoir plus que tout le monde, de connaître ce qu’il me fallait. Je suis terrifié à l'idée de m’être trompé, d’avoir péché par l’orgueil.
Les Lames de Sang me pressent de me rendre là où j’ai laissé Lumi. Ils ne m’expliquent rien, convaincus que j’en sais bien plus qu’eux. J’ai trop peur pour poser des questions. J’arrête de réfléchir et je me précipite hors des souterrains. Lumi est en danger. Le Yokai l’a affirmé, les Lames de Sang l’ont confirmé. J’essaie de communiquer avec lui via la montre, mais seul le silence me répond. Et des gémissements de douleur.
Je m’élève dans la ville à toute vitesse, gravissant les niveaux qui défilent devant ma vue écarlate, flous. Autour de moi, les hukas ont une consistance étrange. Elles se densifient, mais presque malgré elles. Elles sont apeurées, souffrent. Quelque chose les effraie. Elles ne souhaitent rien de ce qui arrive. Personne ne le veut.
Les gémissements se transforment en cris de douleurs. Lumi est en train de vivre un enfer et il ne peut pas m’expliquer pourquoi. Les brumes peinent aussi. Qu’est-ce qui se passe putain ?
Je parviens enfin jusqu’à Lumi. Les lieux ont été vidés par les Tachis, censés limiter les dégâts causés par les Yokais lors d’une libération. Les alarmes sonnent déjà dans toute la ville, ordonnant à la population d’aller se cacher dans les abris. Pourtant, il n’y a pas de Yokai. Juste Lumi, qui se tord de douleur sur le sol, entouré d’une quantité anormale de brumes. Elles tourbillonnent autour de lui, lui collent à la peau et semblent, petit à petit, s’insinuer en lui.
Paniqué, je me précipite vers lui et le prends dans mes bras, pas inquiété par les volutes blanchâtres. Elles aussi sont terrorisées par le phénomène. Lumi s’accroche à moi, rendu à moitié fou par la souffrance. J’essaie de capter son attention. Ses yeux sont devenus écarlates. Les brumes qui l’entourent se dissipent et Lumi s’apaise. La peur s'est évanouie de son regard, remplacée par une certitude, une sérénité qui efface tout le reste. Sa main tremblante se pose sur ma joue et il murmure, un sourire aux lèvres :
— Je t’aime.
La seconde suivante, Lumi disparait.
À sa place… Le Yokai avec qui j’ai parlé un peu plus tôt, mon parent, apparaît. Lui aussi semble subir le martyre. Je bondis en arrière. Il est tellement affolé par la douleur qu’il commence à se débattre et à abîmer les immeubles autour de lui, sans même s’en rendre compte. Il… Il contrôle juste mal sa puissance. Les Yokais n’ont jamais souhaité détruire Néo-Knossos. Ils… Ils ne parviennent pas à maîtriser… ce corps dont ils ne veulent pas. Le corps volé aux Palladiums.
« Ils ont dévoyé notre cadeau. Aux premiers hommes arrivés jusqu’à notre planète, nous leur avons donné la capacité de se guérir de ce qu’il appelait la « Corruption » et qui les annihilait petit à petit. Nous ne souhaitions pas les tuer. La requête d’Yseult, décrivant comment son monde s’étiolait, nous avait touchés. Ils avaient besoin d’une nouvelle patrie. Simplement, ils ne pouvaient pas vivre ici en l’état actuel des choses. »
Pendant la formation, j’ai appris la localisation de tous les abris de protection. Lorsque le Yokai risque d’en détruire un par hasard, j’agis par réflexe. Je sors mon sabre et, grâce à la mistergie, je me projette en avant pour dévier l’attaque. Ma lame parvient à couper dans la brume et une vapeur violette s’élève. La douleur se fait encore plus omniprésente et je me plie en deux. Je dois me retenir pour ne pas vomir.
« Les compagnons d’Yseult voulaient « terraformer » notre planète. Nous ne pouvions pas accepter, cela aurait été nous condamner. Yseult a proposé une autre solution. Celle de réussir à modifier les hommes pour qu’ils puissent survivre à la Corruption. Forcer l’évolution. C’était sa promesse. Nous respecter, notre planète et nous et s’engager à ce que ça soit eux qui s’adaptent. »
J’ai mon sabre à la main, mais je n’ose pas attaquer. Je ne peux pas attaquer. C’est mon parent qui est là, qui est juste incapable de se contrôler à cause de quelque chose que les Lames de Sang lui ont fait. Et Lumi… Lumi est quelque part non ? Il… Il a été absorbé par les brumes ? Je ne peux pas combattre, sinon, je risque de blesser Lumi aussi.
« Yseult a commencé à travailler, avec notre aide. C’est ainsi qu’il a réussi à modifier Yvanna, qui parvenait à nous comprendre, à rentrer à en résonance avec nous. Elle ne parvenait pas encore à survivre à la Corruption, mais il ne s’agissait que d’une question de temps avant que les recherches aboutissent. Nous étions ravis. Il suffirait d’étendre le processus. Mais les hommes ont trahi Yseult et Yvanna, ont travesti leurs travaux. »
J’essaie de me servir des hukas pour parvenir à contenir le Yokai aveuglé par la douleur, mais c’est impossible. Les volutes sont tiraillées entre nous deux et ne savent pas qui aider. Ces contradictions sont trop complexes pour elles et elles s’agitent juste de manière inefficace. Une nouvelle fois, je dois trancher pour éviter qu’un bâtiment soit détruit. La souffrance s’amplifie.
« Les hommes ont refusé de changer. Ils exigeaient la planète sans effort de leur part. Ils ont donc perverti le cadeau des brumes, de purification, pour que cela ne soit plus un moyen de les libérer eux de ce qui les tuait, mais de nous emprisonner. Ces humains… Ils ont osé nous enfermer dans des corps physiques, dans le simple but de faciliter notre génocide. »
Tandis que, petit à petit, les brumes me transmettent les messages du Yokai, les larmes coulent sur mes joues. Il souffre, mais il prend quand même la peine de m’expliquer, conscient que d’avancer dans l’incertitude a handicapé toute ma vie. Comme seize ans plus tôt, il cherche juste à m’aider, quitte à se mettre lui-même en danger.
« Yseult a purifié Yvanna, persuadé qu’il l’aidait juste à mieux vivre les modifications sur son corps. Sans le savoir, Yvanna a juste aidé Yseult à absorber l’essence de l’un des nôtres, jusqu’à ce que la pauvre victime soit obligée de le posséder. Il a ensuite été tué sans préavis, grâce à cette horrible arme teintée du sang d’Yseult et qui a grandement facilité son propre meurtre. »
Le parallèle entre l’histoire d’Yseult et d’Yvanna et celle de Lumi et moi me sert la gorge. Les Lames de Sang ignoraient beaucoup, mais le destin de Lumi, qui finirait possédé pour permettre la destruction d’un Yokai, ils ne pouvaient pas l’ignorer… Ils ont orchestré le fait que je le tue. Le Lien, la préparation de l’arme, les différents entraînements de purification… Tout était prévu, nous étions piégés depuis le début.
« Yseult était notre ami, autant que nous ayons compris ce concept. Depuis, à cause de la trahison, il renaît et meurt sans fin. Il faut que les hommes acceptent la promesse ou quittent la planète. Nous nous sommes plongés dans le sommeil en espérant que le problème serait réglé à notre réveil. Les hommes ont décidé de nous traquer et de nous tuer, même dans notre stase. Ils espèrent détruire toutes les brumes. Ils risquent surtout d’annihiler la planète. »
En repoussant le Yokai par des attaques superficielles et en forçant sur le pouvoir des brumes, j’essaie de le diriger vers l’extérieur de la ville sans qu’il détruise tout sur mon passage. Via la montre, j’entends des questions effrayées de la part des Lames de Sang, des ordres pour que je l'élimine au plus vite. Ils n’y comprennent tellement rien putain. Je me sens perdu et apeuré. Si quelqu’un pouvait m’aider, me dire quoi faire. J’ai beau me démener, les dégâts s’accumulent de plus en plus, les morts aussi.
Aucune solution ne sera satisfaisante.
Tandis que cette réalisation m’écrase, j’ai juste envie de m’écrouler dans un coin, de fuir. Les volutes viennent me caresser les joues et recueillir mes larmes.
« Tu ne peux plus rien faire ni pour moi, ni pour ton ami. Nous sommes condamnés à une très longue agonie, quoiqu’il arrive. À partir du moment où nous étions trop liés… Tu ne pouvais plus rien faire. Tu n’as pas de regret à avoir. Il faut… Il faut juste éviter que cette tragédie se reproduise. Délivre-nous. Libère les autres et tente de raisonner les hommes. Ils doivent respecter la Promesse d’Yseult ou partir. »
Je… Je ne peux vraiment pas sauver Lumi ? Je reste bêtement immobile sur une route suspendue alors que le Yokai, toujours à sa panique, détruit ce qui l’entoure. Des décombres qui font plusieurs fois ma taille tombent autour de moi sans que j’envisage une seule seconde de les esquiver. Devant mon apathie, les brumes se démènent pour tenter de me protéger, mais les débris les plus petits déferlent tout de même sur moi, comme une pluie étrange.
« Par respect pour toi, j’essaie de lui épargner le plus gros de la torture, mais il vit aussi… un « putain d’enfer » selon ses termes. Il préfère lui aussi la mort. Il me demande de te transmettre qu’il ne t’en voudra pas. Tu feras juste ce que tu dois faire. »
Je peux pas putain. Je peux juste pas. Lumi… est en train de me demander de le tuer ? Pareil pour l’un de mes géniteurs malgré lui ? Pourquoi est-ce qu’on doit en passer par là bon sang ?!
« Je… J’aurais aimé t’épargner cela. Mais à partir du moment où les assassins avaient mis la main sur toi… Cela devenait impossible. Tu étais jeune, tu n’as pas à t’en vouloir. C’est… C’est la suite qu’il te faudra assumer. »
J’ai toujours mon sabre, mais mes mains tremblent tellement que c’est un miracle qu’il ne soit pas encore tombé. J’étais pas préparé à ça. Y a vraiment des Lames de Sang qui ont été prêtes pour ça ? Tuer leur Tandem ? C’est juste inhumain. Je préférerais me suicider. Cela serait simple, de fuir les conséquences, de pas prendre de décisions. Je m’effondre à genoux, tandis qu’en face de moi, le sommet d’un immeuble s’écroule, entraînant avec lui certaines routes et passages. Les Lames de Sang essaient de limiter les dégâts mais ils ne comprennent pas mon inaction. C’est vraiment normal pour ces monstres de tuer leur Tandem ?
« Ils protègent la ville. »
Je redresse la tête, sans comprendre. Les intonations ont changé. J’aurai juré qu’il s’agissait de la voix de Lumi, mais je ne le distingue nulle part.
« Tous autant qu’ils sont, ils sont persuadés de protéger la ville. On en était persuadé aussi, non ? Avant d’apprendre la vérité. Si… Si tu ne fais rien, tout sera détruit. Mais je… déteste moi autant que tu veux mais… »
Je peux parfaitement imaginer Lumi devant moi, le regard fuyant comme à chaque fois qu’il hésite, ses doigts perdus dans ses cheveux qu’il entortille. Je le connais tellement que j’ai l’impression qu’il fait partie de moi. Une partie bien plus essentielle qu’un bras ou un rein.
« Je ne veux pas que Lily meure. Je sais que c’est égoïste, mais je suis prêt à tout pour cela. »
Le regard de Lumi se fait plus franc, plus sûr de lui. Il me fixe, droit dans les yeux, comme pour me transmettre sa détermination. Il se permet même un sourire.
« Je n’aurais pas dû exister. Avec mes conneries, j’aurais dû mourir ado. Je te dois tant, je m’en veux de te demander encore plus. Mais dis-toi que tu m’as déjà fait le plus beau des cadeaux et c’est normal que ça s’arrête un jour. »
Il sourit encore plus et tout son visage s’illumine.
« Juste… Tu me promets de ne pas être trop triste après ? Je n’en vaux pas la peine. »
Mes doigts se crispent sur le pommeau de mon sabre. Je le lâche un instant, le temps d’essuyer rageusement les larmes sur mes joues, et je me force à me redresser. Je me sens tellement en colère, contre tout et tout le monde. Je lance un regard noir à Lumi.
— Tu peux me demander la pire des saloperies, je le ferai, grondé-je. Mais je t’interdis de dire que tu n’en vaux pas la peine ! C’est compris ?!
Je hurle à la brume, furieux. Le spectre de Lumi semble surpris, puis un sourire d’une incroyable douceur fleurit sur ses lèvres. Il hoche la tête. L’instant suivant, il a disparu.
Le sabre à la main, je prends le temps d’aspirer profondément, les yeux fermés. Lorsque je rouvre les paupières, ma vision est particulièrement écarlate. Je m’élance vers le Yokai. Néo-Knossos peut bien finir en ruine, je m’en cogne. Mais Lily, la fille de Lumi… Elle vivra, quel qu’en soit le prix.
Je dois accomplir la dernière volonté de Lumi.
Ici, le rythme marche bien, avec les alternances entre les révélations et où en est Ombre de ses réflexions et tentatives. Structure un peu circulaire avec le prologue, où on revient au tout début, aux premières images.
J'en déduis qu'Érika a tué son Palladium et qu'elle ne peut pas le dire parce que sinon Ombre refuserait de tenter sa chance contre le Yokai. C'est pour ça que les Tandems n'ont qu'une tentative possible. Mais du coup les Yokais mineurs n'ont pas besoin de saisir des corps ? Seulement les très grands ?
Coquillettes :
→ "J’aurai juré qu’il s’agissait" J'aurais
→ "déteste moi autant" déteste-moi
Et bien, c'est chargé en émotions... je t'avoue avoir eu des frissons à la lecture des derniers paragraphes... joli "twist" quant au sacrifice ultime des palladiums pour sauver la ville, je ne m'y étais pas attendu ! J'étais tellement focalisé sur Ombre et ses rapports avec les Yokais que j'en avais oublié Lumi...pourtant c'est pas faute d'avoir laissé traîner quelques indices par ci par là...
Me suis posé une question : ne poussent ils pas les Palladiums à avoir des enfants justement pour s'assurer qu'une fois fusionné avec le Yokai ils ne détruisent pas définitivement lz ville? Une espèce d'assurance-vie qui pousse la lame de sang à tuer son tandem qui lui demanderait systématiquement ce "service" pour protéger sa famille. Sinon ça serait prendre le risque qu'un jour, apprenant la vérité, un des tandem envoie le monde se faire f*** et détruise tout?
En tout cas, la révélation finale est sympa et tient assez bien la route même si en première lecture je n'ai pas compris toutes les subtilités (certainement pas assez réveillé encore lol) notamment le passage sur les conséquences du deal refusé par les humains et le pourquoi les Yokai "hiberne"
Hâte de lire la fin !!!
" Il s’est libéré de lui-même seize ans plus tôt et était parfaitement apte, pour lui, je sais que cette durée de temps n’est pas si grande que ça pour lui, alors pourquoi… " > répétition de "pour lui"
"à rentrer à en résonance avec nous." > à en trop
"Yseult était notre ami, autant que nous ayons compris ce concept" > pas compris la phrase, sans doute le mot "autant"...
"déteste moi autant que tu veux mais… » > déteste-moi
Je t'avoue que j'étais pas méga bien en écrivant ce chapitre ^^' Pourtant, c'est un truc que je savais dès le début de l'écriture de l'histoire ^^'
Mais oui, ya un coût pour les Palladiums, et il est pas des moindres. Et pour le coup de forcer à faire des enfants, c'est déjà le cas ^^ Lors de la cérémonie où on explique le Choix à Ombre et Lumi, il est bien dit qu'ils ont pas le droit de tester tant que Lumi n'a pas enfanté son premier né. Après, c'est plus pour des raisons de faut garder des Palla en vie, parce que là, Lumi, il peut rien faire pour empêcher la destruction de la ville, il a été absorbé par le Yokai et il peut juste subir. La décision revient surtout à la Lame de Sang, qui a souvent malheureusement été trèèèèès formée à être convaincue qu'il faut buter le Yokai, quelque soit le prix.
"Yseult était notre ami, autant que nous ayons compris ce concept" > pas compris la phrase, sans doute le mot "autant"...
>> Je voulais faire passer l'idée que le Yokai était pas forcément convaincu d'avoir compris le concept d'ami, même s'il avait essayé et pensait que c'était ça, mais faudrait que je reformule je pense.
Merci pour ta lecture et les fautes =D La fin arrive demain, mais en vrai, si tu veux enchaîner, fais moi signe et je la poste aujourd'hui, je suis pas à une journée près ;)