Chapitre 17

Notes de l’auteur : MAJ : 19 juin

En attendant le messager, Lirion et Elara se reposaient dans un espace réservé aux gardiens de passage. Elara se laissait enlacer par Lirion, qui semblait avoir un besoin viscéral de rester près d'elle, tandis qu'elle le questionnait sans relâche.

— Donc, tu dis que les Terionnour regroupent trois grandes familles ? répéta Elara.

— Oui. L'espèce primordiale a évolué en trois familles distinctes. Par exemple, les Llewylth que tu as vus plus tôt ont toujours les cheveux bruns et les yeux bleus et protègent le peuple. À la capitale, on voit surtout des Aevarn, avec leurs cheveux blonds et leurs yeux d'or, chargés de protéger la cité et la reine Dahut.

— Et la troisième famille ? Ce sont des prêtres ? plaisanta Elara.

— Non, les Eldorann sont des sages, des chercheurs ou des conseillers. Ils sont petits, avec des cheveux d'argent, et représentent la famille la plus ancienne. Certains ont connu le royaume avant sa fermeture.

— Comme des vieux croûtons du sénat, dit-elle en souriant narquoisement.

— Je ne sais pas ce qu'est le sénat, mais pour répondre à tes questions, les Pennel et les Drindod sont des Hoper. Nous avons des cheveux tricolores, tandis que les Pennel ont des cheveux blonds pâles et se chargent de la communication dans le royaume.

— C'est amusant que les familles soient reconnaissables à la couleur des cheveux, dit Elara en caressant distraitement le bras de Lirion.

— Toutes les créatures de Brocéliande n'ont pas cette particularité, mais les Terionnour et les Hoper, oui.

— Les familles s'entendent bien entre elles ?

— Il y en a des plus sympathiques que d'autres, comme chez les humains.

— Connais-tu la vraie raison de la fermeture des frontières ?

Lirion soupira avant de répondre d'un ton grave.

— Selon mon oncle, il y a eu une période sombre où les humains étaient en guerre contre les Brocéliandins, avec de nombreux massacres. La reine aurait décidé de fermer les frontières pour permettre au royaume de se reconstruire.

— Et les nouvelles générations qui n'ont pas connu tout ça ?

— Quand j'étais jeune, certains anciens nous répétaient que les humains étaient sanguinaires et voulaient nous exterminer.

— Pour inciter les jeunes à les haïr, mais dans quel but est-ce qu'ils ont fait cette propagande ?

— Je ne sais pas, mais après ça, certains Brocéliandins ont cherché à se venger, pour réclamer justice.

— Certaines légendes bretonnes parlent de Korrigans ou d'autres créatures malfaisantes, ça vient peut-être de là, ajouta Elara avant qu'on frappe à la porte.

— Le messager est arrivé ! cria une voix de l'autre côté.

Ils se levèrent pour rejoindre le garde Terionnour, qui les guida jusqu'à une pièce à l'écart. Un jeune homme aux cheveux blonds ondulés et au teint hâlé les salua à leur entrée.

— Hé, Lirion ! Je ne m'attendais pas à te voir ici. Qui est-ce ? demanda le Hoper en souriant en direction d'Elara.

— Elara, voici Maelgwn Pennel, un Hoper de ma génération.

Maelgwn s'avança et frotta sa joue contre celle d'Elara, que Lirion écarta rapidement sous le regard incrédule de Maelgwn.

— Qu'est-ce qui te prend, Lirion ? s'étonna Maelgwn. Cette humaine est ta compagne ?

— Concentrons-nous sur le message de la reine, répondit Lirion, hésitant.

— Bonjour... euh, Mael... commença Elara qui n'arrivait pas à prononcer son nom.

— Maelgwn, mais appelle-moi Mael. Enchanté, Elara.

— Elle n'a pas besoin de te parler, intervint Lirion, renfrogné.

— Mael, tu es un ami de Lirion ? demanda Elara en se tenant au bras de Lirion pour le rassurer.

— Je le pensais, mais sa réaction me fait douter, dit Mael en souriant.

Lirion soupira.

— Oui, Mael est un de mes amis, un Pennel avec qui je m'entends bien. Dis-moi, Mael, que se passe-t-il là-bas ?

Mael jeta un regard vers Elara, et Lirion hocha la tête pour lui indiquer qu'il pouvait parler devant elle.

— Il se passe beaucoup de choses étranges dans le royaume, comme lors de la crise d'il y a quarante ans, mais en pire. Le Chapalu que tu as trouvé était en mutation, et nous avons rencontré des Brocéliandins déjà corrompus.

— La dernière fois, nous avons été convoqués au palais, répondit Lirion, inquiet.

— Je pense que ça ne va pas tarder. Si tu as des affaires en cours, termine-les vite, Lirion.

— Merci.

— Pas de problème. Tu me rendras service à l'occasion, répondit Mael en souriant. Je dois repartir, le Chapalu a besoin de soins.

Mael quitta le poste de garde, et Lirion, seul avec Elara, se tourna vers elle.

— Tu m'emmènes à la capitale avec toi ! déclara Elara.

— Oui, nous partirons demain.

— Très bien, ça veut dire que nous avons le temps de passer à la grande bibliothèque, puis nous irons dîner. Tu as bien fait de prendre des vêtements supplémentaires ; je ne pensais pas que nous voyagerions plusieurs jours de suite.

Lirion sourit en enlaçant tendrement Elara.

— Tu es vraiment une souris de bibliothèque ! répliqua-t-il fièrement.

— On dit un rat de bibliothèque, et c’est vrai ! répondit-elle en riant, plissant ses yeux verts.

***

Lirion avait réussi à extirper Elara de la bibliothèque alors que deux fées et un Sylvestre tentaient de fermer le bâtiment pour la nuit. Il l'emmena ensuite dans une auberge très animée qu'il fréquentait parfois, où ils purent manger et boire à satiété.

Emportée par l'ambiance chaleureuse, Elara réalisa qu'elle avait trop bu lorsque ses jambes flageolantes ne parvinrent plus à la porter. Lirion la rattrapa alors qu'elle manquait de tomber en revenant dans leur logement provisoire.

— Ça faisait longtemps que je n'avais pas bu, j'ai perdu l'habitude, dit Elara en retrouvant son équilibre.

— J'ai une petite bouteille mise de côté pour fêter notre voyage. Mais si tu as trop bu, on peut la garder pour une autre fois.

— Non, je suis d'humeur à boire encore. La dernière fois que j'étais ivre, c'était après les funérailles de mes parents. Cette fois-ci, j'ai envie que ce soit pour de bonnes raisons.

Elara prit le bras de Lirion pour se soutenir et profiter de sa chaleur. Il sentait les barrières de celle qu'il aimait s'effriter, la rendant plus vulnérable mais aussi plus en confiance avec lui. Ils partagèrent quelques gorgées de l'alcool fruité à même la flasque, qui lui réchauffa la gorge.

— Lirion, j'ai vraiment aimé l'ambiance de ce soir. Moi qui viens d'une toute petite famille, j'avais l'impression tout à coup d'être entourée de toute une tribu, j'ai eu cette même impression à ton domaine, ils sont tous super adorables.

— Avoir une famille comme celle-ci m'irait très bien. Mais avoir une famille nombreuse n'a pas que des avantages, j'en sais quelque chose. 

— Tu as des frères et sœurs ? 

— Nous sommes neuf. J'ai six frères et deux sœurs.

 — C'est énorme ! Et tu es situé où dans la fratrie ? 

— Je suis le troisième, j'ai une sœur et un frère d'abord, puis que des garçons jusqu'à la petite dernière. Ils sont très compétitifs, tous, nous sommes d'une ancienne famille de hoper réputée. 

Lirion sourit, ses yeux d'ambre se perdant dans le lointain alors qu'il se remémorait sa famille. La bouteille de liqueur trônait sur le guéridon, éclairant d'une lueur douce l'obscurité du salon. Elara savait qu'elle touchait à une part de lui qu'il ne partageait pas souvent. Lirion continua de parler de sa famille.

— Ma sœur aînée, Elowen, est devenue une excellente meneuse hoper. Elle est au nord dans un territoire de dryades. Le cadet Rhydian est le plus têtu de nous tous et aussi le plus compétitif, mais il a un don pour soigner les plantes avec son chant, ce qui est très rare. Il est devenu jardinier au service de la Reine Dahut. J'ai des frères et des sœurs qui ont des talents variés, mais nous avons tous des responsabilités envers notre peuple. La pression est grande parfois.

Elara se blottit contre lui, posant sa tête contre son bras. 

— Et toi, qu'est-ce que tu voudrais faire ? Sans vouloir me montrer présomptueuse, je ne te vois pas dans un rôle guindé. Plutôt comme un rebelle un peu bohème. 

Il embrassa le dessus de la tête d'Elara. 

— Tu as raison, et c'est pour ça que je n'aime pas trop les réunions de famille. Chacun a une opinion sur ce que je devrais faire, sur le rôle que je devrais jouer. Je suis celui à qui on a confié un territoire important : la vallée Gwynnfaen. Deux de mes frères voulaient gérer cet endroit car il est proche d'Alenvel et c’est un des meilleurs statuts que l’on peut obtenir, mais c'est à moi, le moins ambitieux, qu'on l'a confié. J'apprécie les habitants et cette maison me plaît, mais... comment dire, il y a des fois où je ne me sens pas légitime. 

— Et ta musique dans tout ça ? 

Il fit un petit rire étouffé. 

— J'aimerais davantage m'y consacrer, parcourir le pays. Il y a des jours où j'ai eu envie de tout lâcher, mon domaine, l'honneur familial et partir comme un nomade, mais j'ai préféré faire des escapades sur Terre parce que c'est devenu mon échappatoire... pas très mature, hein ?

Elara ressentit un mélange d'émotions l'envahir. L'alcool avait amplifié sa vulnérabilité et elle se laissa aller à un geste impulsif. Elle se glissa entre ses jambes et l'embrassa tendrement en l'enlaçant de ses bras possessifs. Quand ils rompirent leur baiser, il affichait un visage tout à fait sérieux et la tristesse avait quitté ses yeux. 

— Tu as fait ce qu'il fallait pour tenir, dit-elle. Et puis sans ça, jamais tu n'aurais fait ma connaissance. 

— Est-ce que tu me considères moins maintenant que tu sais que je ne suis pas vraiment passionné par ma mission de hoper, ambitieux comme tous les membres de ma famille ? Pour moi, ce qui compte, c'est ma musique et maintenant toi... 

— Je ne m'intéresse pas spécialement aux statuts des gens, tu devrais l'avoir compris. 

— Tu as un travail respectable, tu es intelligente, belle, tu aurais de meilleures options que d'être avec un Hoper qui veut vivre « petit» . 

— Lirion, c'est la première fois en bien longtemps que je me sens vraiment heureuse. Ce n'est pas à la portée de n'importe qui. Je pensais connaître les comportements humains, mais cela ne m'a pas épargnée au cours de cette dernière année. 

Elara eut un instant de tristesse, les souvenirs des mois passés la submergeant. Lirion prit sa main, caressant doucement sa joue avec son pouce. 

— Je veux te rendre heureuse, mais je crains que tu ne perdes l'intérêt que tu me portes une fois ta curiosité assouvie…

Un moment de silence s’installa entre eux.

— Je ne pense pas que je puisse me lasser de toi. Mais mes recherches, c’est ma passion. Si ton but est vraiment de me faire rester ici, je dois trouver mon propre objectif. Ne pas savoir quoi faire, être dans un monde qui rejette les humains, et malgré ce que tu dis, ne pas savoir si nous avons un avenir véritable… ça m’angoisse profondément.

Lirion la rapprocha doucement, la serrant dans ses bras.

— Qu’est-ce que je peux faire pour calmer tes angoisses ?

— Je n’ai pas de vraie réponse. Du temps, je dirais. Et que tu supportes mes états d’âme tant que je n’aurai pas trouvé ma voie. Mais là, tout de suite, est-ce que tu veux bien me jouer un morceau ? demanda Elara, la tête dodelinante.

— Bien sûr, ma chérie.

Elle eut un petit rire triste.

— C'est ce que je suis pour toi ? On se connaît depuis peu. Comment peux-tu être certain de vouloir t'engager avec moi ?

— Je suis un Hoper. La logique humaine ou le temps ne s'applique pas à moi. Je n'ai pas honte de ça.

Elle sourit en entendant la phrase clichée, mais son regard s'adoucit en observant Lirion. Elle fit glisser entre ses doigts une mèche de ses cheveux tricolores, signe de sa nature d'oiseau métamorphe.

— C'est vrai, tu es un Hoper.

— Dormons. Demain, nous partons pour la capitale.

Elara acquiesça, la tête pleine des événements de la journée, son esprit vagabondant tandis que Lirion jouait de sa flûte.

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