Chapitre 17 - Anna : Deuxième chance

La soirée n’était pas censée se dérouler ainsi, j’avais à l’esprit de le saluer et de ne plus le calculer. Je n’avais pas prévu d’avoir un orgasme ni de succomber à toutes ses belles paroles. Quoi qu’il en soit, je ne me fais aucune illusion, je ne connais absolument pas Kyle. Pour le moment, je me contente de ses touchantes explications, et bien qu’elles me semblent sincères, cela ne m’empêchera pas de creuser, je veux comprendre pourquoi j’ai ressenti autant de méfiance chez lui. J’ai aussi la curieuse impression d’avoir découvert une facette de sa personnalité qu’il ne souhaite pas montrer aux autres.

Quand on revient dans la salle, Lexi me fait signe.

— On ne savait pas où vous étiez, alors on a décidé des titres à interpréter.

Kyle obtempère.

— Pas de problème, de toute manière je ne chante pas.

— Tu chantes si faux que ça ? demandai-je surprise.

— Je laisse ce talent à d’autres.

— Et en parlant des autres, je crois bien que c’est à mon tour… Alors, qui m’accompagne ?  Sans vous vexer les gars, je préférerais une partenaire. OK, je choisis Elijah. Il a plus de voix que de seins, mais ça fera l’affaire, se moque Derek.

Kyle lui tape sur l’arrière du crâne. Elijah secoue la tête en allongeant son bras sur la banquette pour entourer les épaules de Lexi.

— Pas moyen que je bouge de là.

Je me retiens de rire. S’ils sont toujours comme ça, ça promet ! Je me tourne vers Derek.

— Je suis partante. Qu’est-ce que tu proposes ?

Je m’incline pour regarder la liste des chansons.

— You Give Me Something de James Morrison*.

Il a l’air super content de lui, Kyle beaucoup moins.

— Ne la cherche pas, elle n’est pas sur ce fichu papier, je t’assure, je sais de quoi je parle ! soupire ce dernier.

— T’as un problème avec ce morceau ? Rétorque Derek d’un air faussement surpris.

Kyle lève les yeux au ciel.

— OK, Derek. Qu’est-ce que tu veux ? Je suis prêt à te filer un billet de cent si tu t’abstiens.

Derek se penche vers moi.

— Ne l’écoute pas, il est jaloux.

— N’importe quoi ! La vraie raison, c’est qu’il ne passe pas un seul jour sans la fredonner. Il a toute une foutue playlist à son actif, si on le laisse monter sur scène, personne ne pourra le déloger, tu peux me croire, développe Kyle.

— Eh ouais, mon vieux, il faut bien que l’un de nous se sacrifie. Viens Anna, allons leur montrer l’étendue de notre talent.

La musique commence, je me saisis d’un micro, Derek démarre le premier couplet. Mon Dieu sa voix est magnifique, puissante. Il déchire tout. Puis c’est mon tour. Sans m’en rendre compte, je me suis mise à bouger en rythme. Cette chanson, c’est tout ce que je ressens. J’ai peur de cette passion qui me consume quand il me touche, ce qu’il provoque en moi. Il chamboule ma vie, mon cœur, mes certitudes. Je prends soudain conscience que la mélodie vient de se terminer, la salle toute entière applaudit. Derek me fait un baisemain. Kyle me rejoint, pose une main sur ma nuque et m’embrasse.

La soirée suit son cours dans une ambiance détendue. Derek s’en donne à cœur joie, il enchaîne les tubes avec des filles, des gars, des groupes. Et comme l’avait prédit Kyle, personne n’arrive à le déloger et aucun d’entre nous ne le veut. Sa voix ensorcelle tout le monde. Lexi et Elijah sont bien trop occupés de toute façon, ils chuchotent, leurs doigts se frôlent et leurs regards sont lourds de sens. À cet instant précis, j’aimerais que le temps s’arrête.

**

Après une nuit à fantasmer, j’ai bien du mal à redescendre sur terre, je me repasse en boucle la soirée. Ce besoin constant de le voir me ronge. Quand Lexi vient me chercher pour aller au parc, je ne tiens plus en place ! Il faut dire que nous avons prévu d’y retrouver les garçons. Elle me bombarde de questions sur Kyle et moi, puis me fait un historique complet d’Elijah. De ses mains, son regard vert si intense, de sa voix rauque qui lui donne tant de frissons, de son physique musclé… musclé… si musclé…

— Eh ! Tu m’écoutes ? Je te parle du mec le plus fabuleux que j’ai rencontré et toi tu t’endors !

Je me redresse.

— Mais non, c’est juste les sièges de ta voiture, ils sont incroyablement confortables.

Je me mets à baîller, le manque de sommeil me rattrape. Énervée comme je l’étais, je n’ai pratiquement pas fermé l’œil de la nuit.

Un peu moins d’un quart d’heure plus tard, nous nous garons sur le parking donnant sur le parc pris d’assaut par les promeneurs. Rien à voir avec l’ambiance crépusculaire, nous ne sommes qu’une poignée à venir jogger ici, mais courir au petit matin dans un cadre aussi paisible qu’idyllique est un moment incomparable. Lexi et moi marchons jusqu’au point de rendez-vous convenu. Arrivées à destination, un attroupement de gens nous empêche d’avancer. À travers la foule, on entend des râles, des encouragements très féminins et très explicites. En jouant des coudes, nous parvenons à nous faufiler au premier rang… Oh ! D’accord, pas la peine de chercher pourquoi il y a autant de femmes dans le coin ! Le spectacle est juste un concentré de testostérone. Des mecs, pour la plupart à moitié dévêtus et bâtis comme des armoires à glace, se font une partie de volley. Tout y est : sable, filet, ballons, corps musclés… Je me retiens de sourire tant ce tableau est cliché ! Plus du tout quand j’aperçois Kyle torse nu. J’ai du mal à déglutir. Il est superbement sculpté ! Le pack complet me fait saliver au point que j’en oublie ma somnolence.

Des mots incrustés à l’encre noire dans sa peau s’alignent sur son pectoral droit. Sur une partie de son bras et de son omoplate, je découvre un tatouage polynésien aux lignes épurées. Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau. Sous le charme, je me tourne vers Lexi qui fixe, bouche bée, notre ami Elijah. Sa taille et sa carrure dépassent presque toutes les autres. Un rosier noir et argenté court de son pectoral gauche jusqu’à disparaître dans son short, les boutons s’ouvrant progressivement sur son torse. Comme les gars changent de côté, ils nous aperçoivent et se dirigent vers nous. Kyle me sourit. Mon cœur a plusieurs ratés. Il est couvert de sueur, je prends sur moi pour ne pas lui sauter dessus.

— Salut, ma puce.

Il enroule un bras autour de ma taille et s’empare de mes lèvres. Je lui rends son baiser en me pressant contre lui. Je sens la douceur et l’odeur salée de sa peau. Comme notre effusion prend fin, je reviens brusquement à l’instant présent. J’entends à nouveau les bruits alentour, en prenant conscience des gens qui s’agglutinent à deux pas de nous. Je vois bien comment mes rivales lorgnent Kyle, alors, pour bien marquer mon territoire, je me remets à l’embrasser, mes doigts effleurent son dos jusqu’à ses fesses, que je plaque en les ramenant vers moi. Surpris, il redresse la tête, son regard se fait plus intense, ses pouces glissés sous mon tee-shirt caressent le bas de mes reins. Je rougis, soudain intimidée par ma propre audace. Il me relâche pour me prendre la main et commence à marcher sans jeter un seul coup d’œil aux autres filles, qui me lancent des regards jaloux et plein de convoitise. Nous nous écartons du terrain de volley, mes doigts entrelacés à ceux de Kyle.

Les garçons décident d’arrêter de jouer et attrapent leurs affaires. À notre plus grand regret, ils remettent leurs hauts.

— Où est Derek ?

Lexi le cherche parmi la foule. Kyle fronce les sourcils, apparemment contrarié par son absence :

— Il avait des choses à faire.

Elijah s’approche de Lexi qui doit lever la tête pour le regarder.

— Si tu veux, je t’emmène le voir, il n’y a pas de problème.

Lexi déglutit. Elle qui n’est jamais à court de phrases, se met à bafouiller :

— Non. Je… vais aller un peu plus loin…

Comme elle s’éloigne sans vraiment savoir où elle se dirige, les garçons se regardent, aussi surpris l’un que l’autre.

— Accordez-nous une minute, leur dis-je.

Je la rattrape et commence à marcher à ses côtés.

— Eh, tout va bien, Lexi… ?

Elle ne me calcule pas et continue d’avancer.

— Je ne peux pas. Je panique. S’il m’embrassait au moins, mais non, il fait durer le suspense. Elijah est en train de me tuer à petit feu ! Tu comprends, là, tout de suite ! Et puis il y a ces roses sur son corps, mais jusqu’où ? Qui peut le dire ? Il est si intense. C’est trop pour mon pauvre cœur. Enfin, avec le temps… Il aura sans doute envie de faire des choses.

Malgré moi, je souris. Je ne l’ai jamais vue comme ça. C’est le genre de fille qui aime avoir le contrôle sur tout.

— Écoute, je peux lui parler si tu le souhaites. Ou bien Kyle. Ou alors on peut rentrer.

Au lieu de me répondre, elle préfère s’allonger dans l’herbe et commencer à respirer profondément. Super ! Si Elijah la met dans cet état, il devrait prendre ses responsabilités, non ? Je décide donc de retourner le voir.

— Comment va-t-elle ?

Ils posent cette question en même temps, je trouve ça amusant. Je regarde Elijah.

— Eh bien, elle souhaiterait, comment expliquer ça ? Que tu ailles plus loin !

Il a l’air franchement surpris.

— Tu veux dire… plus loin dans le parc ? Pourquoi ?

Kyle se fend d’un sourire.

— Soit t’es un crétin fini, soit tu n’es pas conscient de l’effet que tu lui fais. Elle n’a pas envie que tu te tires, mais de toi. C’est plus clair dit comme ça ?

Je m’empresse de lui mettre une main devant la bouche, je ne peux pas croire qu'il ait dit ça ! Nos yeux se croisent, je le sens amusé. Mes doigts glissent, redessinent le contour de ses lèvres, de son menton, descendent sur son torse, je lui murmure à l’oreille :

— Ça serait vraiment sympa de les laisser seuls. Comme ça, tu pourrais me montrer à quel point tu es doué avec tes mains.