Rapport de mission d’intervention :
La récemment nommée « pierre de rosette » a été censuré avec succès. Nous rapportons à la base le morceau mentionnant l’A-E.
Archives de l’Apsû, branche égyptienne, 1779
L’homme en gris n’était pas seul, deux autres personnages aux visages glacials nous ont rassemblés sur le trottoir, à la menace de leurs armes, sans qu’aucun policier ne pointe le bout de son nez.
Ils nous ont ensuite invités à monter sur les places arrière de deux voitures, nous séparant : George dans une première, Mathieu et moi dans une seconde.
« Ils étaient quatre. » j’entends dire l’un des inconnus à son collègue, qui répond d’un laconique : « Transformé. »
Le premier peste, évoquant un rapport à faire, alors qu’il claque la portière derrière moi.
Une fois tout le monde dans les véhicules, ils démarrent sans plus attendre, se faufilant à travers les rues désertes à cette heure de Bordeaux.
Le chauffeur est silencieux et concentré sur la route, mais je capte ses œillades à notre encontre dans le rétroviseur, pendant que son confrère a toujours son arme au poing, alors qu’il dégaine un téléphone qu’il ne tarde pas à porter à son oreille.
« …Allo, est-ce que l’on pourrait me mettre en contact avec Pangredon ? »
Je dresse l’oreille.
« …Oui, je patiente. …Allo… Nous avons trouvé votre nièce. …Du calme, je vous prie. N’oubliez pas que c’est une Porteuse en fuite… …Oui, je vous comprends, pardon… Je ne sais pas, voyez avec les chefs, je vous fais déjà une fleur en vous ayant appelé… De rien. Je vous rassure, il n’y a pas de charges contre elle, donc elle va certainement être relâchée après une bonne grosse discussion ! Vous allez la revoir bientôt. »
Je me crispe, alors qu’il raccroche, pour commencer à taper un message.
« …Ce n’est pas professionnel, ce que tu viens de faire. » commente le chauffeur, s’attirant un grincement de dents de l’autre, « Oh ça va, ce n’est qu’une gosse qui fait sa crise, pas un membre de l’Erra ! Et si tu étais vraiment contre, tu n’avais qu’à m’arrêter ! »
Leur conversation s’interrompt là, au profit du silence.
Mathieu a glissé sa main dans la mienne quand il a compris que l’homme appelait mon oncle, me transmettant son soutien, en même temps qu’une excuse muette.
Si nous n’avions pas écouté son beau-frère, nous n’aurions probablement pas pris le risque de fouiller les ruines de la maison d’Hector et nous ne nous serions par conséquent pas fait capturer.
Puis il jette un œil aux adultes, avant de placer sa main libre dans un angle invisible pour nos gardiens… et de sa manche sort une petite tête que je ne distingue qu’à peine dans la nuit…
Je plisse des yeux. Un… lézard ?
Il me faut toute la maitrise du monde pour que ma compréhension ne se lise pas sur mon visage comme sur un livre ouvert !
Sacha !
L’équipe n’est pas séparée !
La suite du trajet se déroule sans que personne ne parle.
Le véhicule a enchainé plusieurs virages et est passé par diverses rues plus ou moins fréquentées, de telle façon que je serais bien incapable de déterminer notre itinéraire ni d’où nous nous trouvons… Pour dire, je ne serai pas étonné que le conducteur ait fait quelques détours pour nous perdre d’autant plus.
Et enfin, nous ralentissons pour tourner dans un parking sous-terrain.
Les bruits de l’extérieur, déjà peu nombreux à cette heure-ci, finissent de s’éteindre alors que nous nous enfonçons sous la surface.
Étrangement, un sentiment de calme me réchauffe doucement l’intérieur du ventre, alors que nous descendons.
Il a beaucoup d’espace libre, pourtant le chauffeur roule vers, semble-t-il, une place précise.
Une fois les deux voitures garées, on nous somme de sortir, avant de nous encadrer puis de nous inviter à avancer.
George se penche vers nous alors que nous progressons, pour nous glisser : « J’ai discuté avec ceux qui étaient avec moi, on peut leur faire confiance, ils sont les ennemis du pyromane… ! »
Mathieu lui renvoie un regard dévasté, tandis que je soupire profondément.
C’est officiel, je ne considère plus cet homme comme apte à nous aider.
Le quatuor en gris nous accompagne jusqu’à un ascenseur où ils nous font monter.
Là, l’un d’entre eux presse longuement sur l’un des boutons, avant de le relâcher et d’appuyer sur plusieurs numéros d’étage à la suite, vraisemblablement selon un ordre précis.
Une fois son manège achevé, la cabine se met en branle… et commence à descendre, alors que nous étions censés être déjà au niveau le plus bas !
La main de Mathieu se resserre dans la mienne, mais c’est moi qui lui renvoie le plus de force : je me sens toujours aussi étrangement bien alors que nous nous éloignons de la surface… !
Mais je ne peux pour autant m’empêcher d’avaler difficilement ma salive quand les portes s’ouvrent : l’espace où nous arrivons est de métal froid, aseptisé, en bichromie de nuances de gris et de blanc, avec une discrète ambiance technologique digne de laboratoires ou d’un cliché d’organisation secrète gouvernementale… !
Face à nous, apparemment nous attendant, il y a un homme blond, en uniforme gris mat, encadré d’agents armés.
« Mademoiselle Pangredon. Et… ? Excusez-moi, je n’ai pas vos noms à vous, messieurs. » nous salue l’individu, sans afficher plus d’émotions que la politesse ne le nécessite.
C’est, évidemment, l’ainé de notre groupe qui prend l’initiative de répondre : « Je m’appelle George Abeko, et voici mon beau-frère, Mathieu. »
« Enchanté, monsieur Abeko. Je réponds pour ma part au nom de Danièle. »
Puis l’homme tourne son regard vers moi et Mathieu, avant de nous présenter l’écran d’une tablette que lui passe l’un de ses agents…
On peut distinctement y voir une image prise aux rayons X, où nous et nos quatre accompagnants sommes à nous serrer dans ce que je devine être la cabine d’ascenseur… et si l’on se concentre, on peut remarquer la forme du lézard accroché au poignet de mon ami.
« Je prie le dernier membre de votre groupe de se montrer, afin que nous puissions poursuivre cette discussion dans les meilleures conditions. J’ajoute qu’il serait dommageable que nous dussions user de la force pour cela. »
Le bruit de la sécurité d’une arme à feu que l’on retire vient souligner ces mots.
Et je n’ai pas la sensation qu’il s’agisse d’un bluff.