Chapitre 17 : Derniers au revoir

Notes de l’auteur : Dernier chapitre avant le coup d'état. Il se veut un peu plus léger.

   Le bruit du plancher grinçant sous eux, leurs rires étouffés et leur vigilance accrue les amusaient tout autant qu’ils angoissaient à l’idée d’être découvert. Les rayons lunaires filtraient  à travers les carreaux, tandis que Tim enlaçait fébrilement la main de Cayden.

— Je commence à m’inquiéter. Elle devait venir pour rentrer à l’académie avec toi. Tu penses qu’elle a oubliée ? Et puis qu’est-ce  qu’elle fait à traîner dans les rues à minuit, demanda le garçon en transperçant son amant de ses yeux aux couleurs des feuilles printanières.

— Il faut toujours que tu ramènes tout à elle. Elle va bien, répondit-il irrité. On s’est séparé alors qu’elle rejoignait un homme. D’ailleurs ,il était plutôt beau. Au vue de sa réaction, je ne serais pas étonné que ce soit son petit ami.  

    Le frère cadet lui lança un regard assassin. De l’appréhension se mêlait à de la curiosité, alors qu’il semblait plongé dans une profonde réflexion. Il se sentait à la fois heureux et dubitatif. Il ne lui était jamais venu à l’esprit que sa sœur pourrait un jour aimer quelqu’un de cette manière. Peut-être que Cayden avait mal interprété. Il n’arrivait pas à imaginer Laria embrasser, chérir et partager sa vie avec quelqu’un. Elle détestait la race humaine et ses ambitions démesurées. Elle qui n’était aveuglée que par la vengeance. Elle qui avait abandonnée toute trace de joie dans ses yeux rappelant le givre hivernal. Elle aimait enfin un être sur cette Terre. Il sourit, avant de se rappeler que ce mystérieux inconnu pouvait blesser sa sœur. Et s’il était mal intentionné ? Et s’il brisait les derniers fragments d’espoirs que renfermait son âme ?

— Tu penses qu’ils sortent vraiment ensemble ? C’est peut-être juste une connaissance.

— Je ne veux pas être méchant, mais ta sœur n’est pas du genre à se faire beaucoup d’amis… Et encore moins sourire comme ça en les voyant.

— On ne sait jamais, répliqua Tim tout en ressentant un pincement à la poitrine.

  Le temps transformait les paysages et les personnes, pourtant il avait toujours été convaincu que Laria resterait figée dans le passé. Un passé qui la rongeait et le tuait, mais qui offrait une garantie sur l’avenir qu’elle empruntait. Tout devenait plus flou. Il espérait que ce serait pour le mieux. En même temps, cela pouvait-il être pire ? Même la mort semblait douce face aux tourments de la colère.

  Des bruits de pas résonnèrent alors. Il tressaillit. Il pouvait discerner la présence de deux personnes s’approchant de sa chambre. L’une était presque imperceptible malgré le parquet, laissant entrevoir une formation d’assassins , tandis que l’autre à l’allure plus abrupte avait de fermes appuis, trahissant un passé guerrier. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre qui se tenait à l’entrée de sa chambre. L’appréhension le tétanisait. Il était heureux de savoir la fae de retour, mais pourquoi fallait-il qu’elle vienne avec leur père. Il ne souhaitait pas revoir le dégoût dans les yeux des êtres les plus chers à son cœur. Lorsqu’une relation se brise, il est difficile de la réparer. Lorsque la haine s’implante en nous, elle ne nous quitte plus. Et lorsqu’on est abandonné par ceux que l’on aime, on se retrouve plongé dans l’obscurité de nos émotions. Tim savait tout cela, comme une mélodie lointaine qui lui rappelait la fragilité des relations. Il ne voulait pas que l’irréparable se produise. Il ne voulait pas voir le dégoût dans les yeux de son père. Il avait l’impression de n’être qu’un enfant peureux cherchant à se soustraire aux regards des autres.

— Cache-toi, chuchota-t-il paniqué à Cayden qui le dévisageait.

  Le visage grave de Tim laissait présager le pire. L’amant obtempéra, non sans lui lancer un regard noir, avant de se glisser sous le lit. La poussière se souleva, venant chatouiller ses narines. Il voulait éternuer, mais il ne pouvait pas. Il se devait de n’être que l’ombre de l’être aimé. L’expression faciale de son petit ami le torturait. Il n’appréciait pas de devoir se cacher, mais Tim ne voulait pas affronter la désapprobation de celui qui l’avait élevé. Cayden, lui, ne souhaitait pas décevoir celui qu’il aimait. Pourtant, une partie de son cœur aurait préféré ne pas avoir à se cacher et vivre au grand jour avec la personne qu’il a choisi. Était-ce réellement une honte d’être tel qu’il est ? Était-il voué à être rejeté par la société ? Lorsqu’on sait qu’une vie de souffrance nous attend, on ne peut que l’affronter en essayant de rester digne. Il n’espérait ni bonheur ni soutien. Il ne voulait qu’être avec Tim et pouvoir oublier le temps, qu’il n’y ait ni passé, ni présent, ni futur.

  Le grincement de la porte le fit sursauter. Malgré l’obscurité, il pouvait distinguer deux paires de vieilles bottes en cuir, tandis que Tim était placé hors de son champs de vision. Il déglutit. Il ne devait faire aucun bruit et essayer de rester le plus immobile possible. Tel l’arbre centenaire, il devait s’imprégner du sol et oublier le monde. Enfin, il essayait surtout d’oublier qu’il était caché sous le lit de son petit ami. C’était à la fois grotesque et romanesque. Une voix grave s’éclaircit la gorge avant d’annoncer :

— Regarde qui est là. Le futur chevalier de la garde impériale a daigné nous rendre visite.

  Il disait cela d’un ton ironique, mais on pouvait deviner toute l’inquiétude et l’amour dans ses paroles. Cayden se sentait comme étouffé par l’atmosphère de la chambre.  Dissimulé par celui qu’il aimait, il était forcé de se taire et d’écouter sans jamais bouger.

— Je suis passée te voir avant de retourner au château, dit la sang-mêlé en balayant la pièce du regard.

  Laria s’approcha à pas feutré de Tim avant de lui souffler à l’oreille.

— Où est le fils du duc de l’Ombre ?

  Les yeux de son frère se posèrent sur le lit dans un coin de la chambre. Il ne lui en fallut pas plus pour comprendre la situation. Elle inspira et se tourna vers le chef révolutionnaire.

— Je pense qu’on a encore des petites choses à régler en bas. Il ne reste qu’un mois après tout. Je devrais peut-être aller voir les vieux.

  Elle disait cela avec désinvolture et dédain, mais au fond d’elle le brasier de la vengeance sentait son heure arriver. Bientôt sang et larmes viendront éteindre sa rage et laisser place à un nouveau monde. Une nouvelle ère allait renaître sur les cendres de la famille impériale.

— Tu ne devrais pas parler comme ça des anciens. Tu es sûr de vouloir les rencontrer maintenant ?

— Oui, répondit-elle précipitamment tout en conduisant le patriarche vers la sortie.

  L’homme d’âge mûr s’arrêta net et se retourna brusquement.

— Vous n’avez pas entendu un bruit. Je sens une présence étrange.

  Les deux comparses lui sourirent tout en se plaçant devant lui. Laria pouvait apercevoir la main tremblante de Tim le trahir. Elle le prit rapidement par le bras, espérant ainsi camoufler son comportement suspect.

— Vous me cachez quelque chose, affirma-t-il avec véhémence. Vous avez intérêt à cracher le morceau, si vous ne voulez pas aider à la taverne.

  La fratrie se regarda sans pour autant émettre un seul son. La sang-mêlé comprit qu’il ne dirait rien ; et malgré sa désapprobation de leur relation, elle ne voulait pas continuer de blesser ce garçon qui l’avait aidé et chéri comme une sœur. Il avait enfoui ses secrets en lui, et elle emporterait son amour interdit avec elle.

  Le chef révolutionnaire jeta un œil réprobateur sur la pièce. Il sentait son sang bouillonner. C’était une chose que Laria lui mente, mais que Tim lui mente était presque inimaginable. Le brave enfant qu’il avait élevé et formé à tuer avait laissé place à un adulte renfermé et apeuré. Apeuré qu’on découvre ce qu’il essayait de dissimuler. Apeuré qu’on le déteste. Apeuré qu’on le rejette. Son fils n’était que le mirage qu’il s’en faisait. Il le savait, mais il avait préféré nier la réalité. Il n’était plus ce jeune garçon souriant et plein de vie. Il était un combattant, un assassin et un mercenaire à la solde de sa propre famille. La ligue de révolution l’avait brisé et c’était sa faute. Ses  rêves de grandeur et de retour à une gloire passée l’avaient poussé à sacrifier son fils, ainsi qu’une fillette avide de vengeance. Le véritable monstre, c’était lui.

  Un grincement le ramena à la réalité. Le bruit semblait venir de sous le lit. Il se rapprocha prudemment avant de s’accroupir. Des yeux saphir se détachaient dans l’obscurité. Il pouvait discerner un visage familier. Un nez droits, des lèvres pincées et une mâchoire carrée se découvraient malgré les ombres sur son visage. Qu’est-ce que le camarade de Laria faisait ici ? Et surtout pourquoi essayait-il de ne pas être vu ?  Un silence s’installa. Il ne savait pas s’il devait rire ou pleurer face à ce spectacle affligeant.

— Pourquoi il y a quelqu’un sous ton lit, demanda-t-il dubitatif à Tim.

  Il n’avait jamais pensé dire cette phrase de sa vie. Il n’arrivait pas à comprendre ce qui les avait motivés à cacher son ami sous son lit. Ce n’était pas un dangereux criminel. Alors pourquoi ? Pourquoi tant de mystères ? Pourquoi tant de précautions ? Et surtout comment ils en étaient arrivés à cette situation ?

— Je… je…

  Tim semblait livide. Il n’arrivait pas à se justifier et bégayait tel un enfant ne trouvant pas ses mots.

— Avant tout, tu vas sortir de là, ordonna le chef révolutionnaire à l’apprenti chevalier continuant de le fixer. 

  Le jeune homme ne dit pas un mot et s’extirpa silencieusement de sa cachette. Il déploya son corps hors des ténèbres, découvrant un combattant athlétique.

  Le patriarche soupira avant de se diriger vers son fils. Il planta ses yeux émeraude dans ceux de sa descendance. Il savait qu’il y avait plus qu’une simple plaisanterie, qu’un simple jeu. Il y avait une peur profonde de se faire découvrir. C’était un sentiment d’effroi incontrôlable.  

— Sortez de cette chambre. On va avoir une petite discussion, s’exclama-t-il contrarié.

  Il pouvait apercevoir, du coin de l’œil, la sang-mêlé qui essayait de s’éclipser dans la nuit. Il prit une profonde inspiration avant de clamer :

— Laria Curtis, je ne crois pas t’avoir autorisé à partir !

— Je n’ai aucun compte à vous rendre MONSIEUR CARTER.

  Elle osait dire cela après les années qu’il avait passé à l’élever et l’entraîner à l’art de l’assassinat. Elle était comme sa fille, mais il savait à quelle point cette idée la rebutait. Elle détestait la possibilité d’une nouvelle famille depuis le massacre de ceux qu’elle aimait. Elle n’en parlait jamais, et la seule certitude qu’il avait sur son passé était son nom et sa haine du nouvel empereur.

— Tu me dois au moins ça petite ingrate.

  Il l’avait dit sous le coup de la colère, mais il regrettait. Elle était moins égoïste qu’elle semblait le montrer. Elle ne savait juste pas aimer, ni elle ni personne. Il vit dans ses yeux une colère indicible, mais elle resta muette. Il se dirigea lentement vers le couloir, suivi des apprentis chevaliers. Ils trainaient le pas comme des condamnés à mort. Cependant, il avait conscience au fond de lui que ce n’était pas complétement faux. Ce coup d’état allait les tuer. Même s’il survivait, une partie d’eux disparaitra. Elle volera en fumée et se dispersera au vent, tel un souvenir lointain.

  Le long corridor paraissait sans fin, alors que seule la lumière diaphane de la lune éclairait leur chemin. À mesure qu’ils avançaient, les bruits de la taverne au rez-de-chaussée s’intensifiaient. Les escaliers de bois en colimaçon les menaient doucement vers l’agitation de la vie. Le chef révolutionnaire plaça sa main sur la paume de la porte avant de l’ouvrir, masquant ainsi l’emblème de la ligue.

— Passez devant, et allez-vous installer derrière le comptoir. On va parler tranquillement à la lumière des bougies. J’ai toute la nuit devant moi.

  Laria passa devant d’un pas décidé, suivie des deux amants. Elle était à nouveau dans cette antre d’hommes bruyant et saoul qu’était cette taverne miteuse. Elle n’aimait pas l’odeur entêtante de l’alcool et les clients à l’esprit embué par les nombreux verres qu’ils avaient pris.

   La sang-mêlé alla s’installer sur une chaise en chêne, dont le vieux paillage trahissait des années d’usure. À côté d’elle, son frère et son colocataire restaient fébrilement debout. Le patriarche se positionna face à ceux qu’ils considéraient encore comme de simples adolescents.

— Alors… Pourquoi il était sous le lit ?

  Tim rougit. Cela devait être plus personnel qu’il ne le pensait. Il le vit échanger un regard avec le mystérieux garçon avant d’entrouvrir hésitant les lèvres :

— C’est mon petit ami.

  Ces quelques mots lui faisaient l’effet d’un séisme. Il était à la fois abasourdi et peiné.

— D’accord, répondit le père dépassé par cette révélation.

  Il ne pouvait rien ajouter de plus. Il n’éprouvait aucun dégoût, juste de l’appréhension vis-à-vis de l’avenir de sa seule descendance directe.

— Tu n’es pas fâché ? Tu ne me vois pas comme une monstruosité ?

  Son fils déclarait ces horreurs sans sourciller. Cela donnait l’impression de couler de source. Il observa un instant Laria qui donnait l’air de se couper de la discussion. Pourtant il la connaissait, et elle était soucieuse. Malgré tous ses défauts et son envie de s’éloigner des relations humaines, Tim était l’un des seuls ponts qui lui restait vers l’humanité.

— Je ne pourrais jamais te haïr pour cela, déclara le chef de la révolution qui n’était maintenant plus qu’un père essayant d’atteindre le cœur de son enfant. Tu es et tu resteras mon fils et aussi étonnant que cela puisse paraitre, j’ai été jeune passe à un temps. Un jeune homme qui a aimé un de ses valets. J’aimais et j’aime toujours ta mère, mais il y a eu une personne avant elle. Comme tu peux t’en douter, ce n’était pas très conventionnel et cela au-delà de la différence de classe.

  Il se sentait nostalgique, tandis que des larmes venaient brouiller sa vision. Qu’allait devenir Tim ? Finira-t-il par se marier avec une femme qu’il aime ? Allait-il un jour voir ses petits enfants ? Autant de questions vident de sens face au rejet de la société.

— Il n’y a vraiment aucun endroit où j’aurais un jour ma place ?

  Cette question était cruelle. Tim interrogeait son père sur une réalité qui, malheureusement, ne pouvait être changée. Elle était immuable et intemporelle. Quel que soit la minorité, elle se verra écraser par la majorité. Ne pas rentrer dans la norme condamnait à l’isolement.

— Il y a un endroit où tu ne serais pas mal vu, dévoila Laria à mi-voix. À ce que je sache, le peuple des sables est plutôt ouvert aux différentes sexualités.

  Elle se rendit compte de ses propos. Et s’il s’en allait vraiment ? Que ferait-elle sans celui qui la soutenait malgré l’adversité ? Il était une partie de son cœur. Il était celui qui l’aidait à ne pas perdre pied face au monde.

— Ce n’est peut-être pas une si mauvaise idée, affirma Cayden les yeux baissés.

  Laria avait envie de reprendre ses mots, et d’effacer cette idée saugrenue. Elle avait implanté cette graine dans leurs esprits. Elle était la seule à blâmer. Elle allait perdre son frère.

— Va voir les « vieux » comme tu dis, déclara le père de Tim sans crier gare. Ils sont dans l’arrière-boutique. Je vais m’occuper de notre invité, et on va avoir une petite conversation. 

—  D’accord, murmura-t-elle en tournant les talons.

  Elle pouvait enfin quitter cette conversation étouffante. Le chef de la révolution voulait sûrement l’éloigner de la discussion. Elle allait maintenant rencontrer ceux qui la voyait comme une vulgaire enfant immature. Le conseil des anciens était intransigeant ; et si elle avait pu intégrer l’académie, c’était uniquement grâce à l’insistance du chef révolutionnaire et ses compétences d’assassin. Elle déglutit avant de pousser le vieux rideau, menant à une pièce illuminée à la lueur d’une simple bougie. Une table trônait fièrement au centre, entourée de cinq hommes âgés.

— Tu es donc venue, s’exclama l’un d’eux au visage souriant.

  Derrière cette apparence joviale, elle pouvait voir le serpent et son venin dissimulés par des paroles mielleuses. Seuls les actes prouvent la valeur d’une personne, et jamais aucun d’entre eux n’avaient montré un signe de respect ou de compassion à son égard. Elle n’était à leurs yeux qu’une jeune mendiante récupérée dans les ordures. Un rictus passa sur le visage du vieillard.

—Tu es venue pour savoir si les préparatifs sont prêts ? Tu aurais au moins pu enlever cette horreur, proféra-t-il en pointant le collier offert par Elros.

  Elle avait envie d’objecter, de se défendre, ou du moins de se justifier. Cependant, elle savait que c’était inutile.

— Je suis là pour avoir plus d’information sur le coup d’état à venir, répondit-elle calmement.  

  Un autre homme, aux traits cadavériques et à la moustache épaisse, déroula une carte sur la table. Il fit un signe dédaigneux de sa main squelettique, lui indiquant de s’approcher avant de lui signifier de se stopper à quelques pas de la tablée. 

— On a réussi à placer nos soldats à l’entrée principale et à certains postes de garde pour bloquer la sortie, mais aussi tuer les renforts avant qu’ils ne puissent intervenir, ajouta le premier vieillard en indiquant les points clefs sur le plan.

— Je préfère faire le coup d’état le jour suivant mon entrée en fonction auprès de l’Empereur. Cela permettra de faire moins de victimes et d’avoir aussi moins de résistance.

  Elle annonçait cela de manière abrupte, mais elle ne voulait pas que des personnes innocentes payent un tribut qui n’est pas le leur. Sa mère avait été sacrifiée sur l’autel de leur folie, et elle ne voulait pas briser la vie de ceux qui allaient assister impuissant à l’instauration de ce nouvel ordre. Elle se souvenait de ce jour fatidique où elle avait tout abandonné. Elle avait arraché de ses propres mains son seul moyen de se soustraire à la brutalité du monde. En abandonnant ses ailes, elle s’était abandonnée elle-même.

— Ton adoubement se fait dans un mois, questionna un des anciens avec amusement.

— Oui.

— Tu penses pouvoir être sous les ordres directs de l’Empereur ? Normalement, c’est une place très demandée. Une nouvelle recrue n’aura sûrement pas cette chance.

— Personne ne veut être son escorte. La plus part des nouvelles recrues sont des nobles trop égocentriques pour vouloir réellement s’impliquer dans la protection d’un puissant, autre que leur propre personne, réplica-t-elle en levant les yeux au ciel.

— Ils pourraient justement essayer de renforcer l’influence de leur famille.

— L’empereur ne veut pas s’entourer de nobles. L’équilibre politique est précaire, et la faction impériale peine à garder les nobles sous contrôle.

  Elle pouvait voir que la situation les irritait. Ils semblaient décider à procéder au coup d’état le jour de l’adoubement.

— Cependant, tu n’as aucune garantie d’être un de ses gardes personnels, répondit calmement l’un des membres à la longue barbe blanche et au monocle brillant.

  Laria n’avait plus d’arguments. Comment se défendre face à ceux qui tiraient les ficelles du monde souterrain ? Comment protéger la population du coup d’Etat ? Elle devait se rendre à l’évidence : le sang d’innocent allait être versé. Aussi horrible et cruel que cela soit, elle ne pouvait pas les aider. Chacun devra tuer ou mourir. C’était la vie, un jeu de la mort.

— Le coup d’état aura bien lieu lors de mon adoubement, finit-elle pas céder. La noblesse de l’empire sera réunie, ainsi que les autres escouades extérieures à la capitale. Il faudra donc prévoir plus de taupes dans la salle du trône.  

— Ce ne sera pas un problème. Nos meilleurs assassins seront infiltrés. En tout cas, je suis content de voir que tu as grandi. Tu paraissais oublier qu’on ne peut renverser un empire sans effusion de sang.

  Elle pouvait sentir une pointe de sarcasme. Elle n’était qu’un pion. Pour eux, c’était le moment de retrouver une renommée révolue, de se hisser au sommet de la hiérarchie et d’écraser tous ceux se mettant en travers de leur route. Cela lui donnait envie de vomir.

— Je… je vais vous laisser, souffla-t-elle en se retirant avec précaution.

  Bientôt le sang et les larmes allaient pleuvoir sur le royaume d’Aima, et ce  jour-là signera l’aube d’un nouvel âge. Le monde allait se teindre d’écarlate. La promesse d’un lendemain meilleure n’existait plus. Cependant, elle voulait vivre. Vivre pour retrouver le goût d’aimer. Vivre pour expier ses fautes. Vivre pour enfin comprendre cette humanité complexe. Si elle savait que cette vengeance signifiait répandre la destruction et la mort, elle avait aussi conscience que sur ces cendres renaîtraient l’espoir des vivants.

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