Chapitre 17 - Gloria

Amanda avait très vite rejoint Emrys, Lya et Matthew. Ce dernier les mena à la clairière cachée où lui et Archi entrainait leur coéquipière. Derrière la cabane bancale, le mur d'enceinte était recouvert de lierre. Pourtant, il y a quelque temps, le grand brun avait remarqué un endroit différent. En retirant les végétaux, ils se retrouvèrent face à un trou, à peine plus grand qu'un Homme. Cette faille menait directement à l'extérieur. Le petit groupe s'y engouffra et se dirigea rapidement vers la ville, qui n'était qu'à quelques mètres.

La capitale du pays de Maywa se nommait Gloria, la ville glorieuse. L'ESSM se trouvait à sa sortie sud. C'était une métropole dynamique et richissime, qui jouissait d'un commerce en constante évolution. Si vous ne trouviez pas ce que vous vouliez à la capitale, c'est qu'il était impossible de le trouver.

Les quatre amis passèrent discrètement les rues calmes et éclairées du centre-ville, pour s'enfoncer dans les bas-fonds. 

Car Gloria avait une double facette. 

Quand vous restiez dans les allées propres et passantes de la ville, il n'y avait pas de problème. Mais du moment où vous quittiez les grands axes pour vous aventurer dans des ruelles sombres, la ville changeait de visage. Finit les pavées étincelants, les jolies façades fleuries et les échoppes multicolores, et bonjour la crasse, les types louches et les revendeurs à la sauvette.

Le groupe, toujours guidé par Matthew, s'enfonça dans des rues de plus en plus sales et inquiétantes. Même Emrys qui habitait ici depuis sa naissance, ne reconnu plus où il était.

Après plusieurs longues minutes de marche furtive, ils s'arrêtèrent devant une grande porte en ferraille rouillée. Matt n'hésita pas à toquer franchement et l'entrée s'ouvra légèrement.

-Matthew ?, demanda une voix étonnée. C'est toi ?

-Oui.

La porte s'ouvrit complétement, laissant apparaitre un petit homme bien en chair, d'une bonne cinquantaine d'année. Sa marinière, sale et trouée, collait son ventre bien arrondi. Sa barbe de plusieurs jours confirmait que ce n'était pas du genre à prendre soin de son image. L'homme pouvait faire un peu peur, pourtant, son visage s'illumina quand il vit le grand brun rentrer avec ses camarades.

-Matthew !, dit-il en le serrant dans ses bras. Qu'est-ce que tu fais là ? Tu n'étais pas à l'école ?

-Si, mais j'ai besoin de quelque chose.

-Qu'est-ce que tu as fait comme bêtise encore ?

-Ce serait trop long de t'expliquer.

Le garçon regarda à droite à gauche.

-Le vieux n'est pas là ?

-Non, ton PÈRE, insista-t-il, n'est pas encore revenu.

-Bien, on monte alors.

Le petit groupe prit des escaliers de fer grinçant qui montait au-dessus d'un grand entrepôt miteux. Ils rentrèrent enfin dans une pièce qui ressemblait à un salon modeste. Matt demanda à ce qu'on installe Lya sur le canapé et se mit à retourner tous les tiroirs.

-Où est-ce que je suis ?, se réveilla enfin la convalescente.

-On est avec toi, la rassura Emrys qui l'avait installé la tête sur ses genoux.

-Je crois qu'on est chez Matt, en déduisit Amanda.

-Nous ne sommes plus à l'école ?

La petite blonde se releva d'un coup, mais sa tête se remit à tourner.

-J'ai trouvé !, les interrompus leur hôte.

Dans sa main, il brandissait un tube en verre avec ce qui semblait être des feuilles séchées à l'intérieur. Il retira le bouchon de liège et versa un peu du contenu dans une tasse avec de l'eau. Une fois la mixture mélangée, il tendit le breuvage à son amie.

-Tiens, bois ça. Ça devrait te faire du bien.

Sans rechigner, la jeune femme testa la boisson,  d'un air dégouté.

-C'est amer, se détendit enfin Matt. Mais tu verras, ça va accélérer l'élimination de la drogue.

-Qu'est-ce que c'est ?, demanda Emrys, qui frottait le dos de Lya pour l'encourager.

-De la Valomasis, tonna une voix grave.

Tout le monde se tut et les élèves se retournèrent d'un seul mouvement, leurs regards happés vers l'entrée.

Dans l'encadrement se tenait un homme, grand et solide, le visage à demi dissimulé par la pénombre. Ses cheveux noirs en bataille lui tombaient sur le front, et ses yeux, d'un gris perçant, brillaient comme des lames d'acier. Son simple silence imposait le respect, presque instinctif.

-Et merde..., jura Matt dans un souffle.

Le tonnerre n'aurait pas fait plus de bruit que cette petite phrase dans l'atmosphère suspendue de la pièce.

-Je ne t'ai pas appris à être aussi grossier, mon garçon, lança l'homme, sa voix grave résonnant comme un grondement lointain. 

Il s'avança d'un pas, balayant la pièce du regard. 

Matt grimaça, clairement mal à l'aise, comme un enfant pris en faute.

-Tout le monde, je vous présente mon paternel...

Tous s'inclinèrent légèrement, avec une pointe d'appréhension. Le véritable maître des lieux venait d'entrer.

Sans attendre d'être invité, l'homme s'accroupit devant Lya. Il examina ses yeux, souleva doucement ses paupières, observa ses mains et ses lèvres avec beaucoup d'attention. Ses gestes étaient à la fois méthodiques et rassurant.

-Tu ne devrais pas avoir de séquelles, déclara-t-il enfin d'un ton mesuré, même si j'ai l'impression que tu en a ingéré une bonne quantité.

-Une bonne quantité de quoi ?, demanda Amanda, ses bras croisés, la voix tendue.

Matt prit une inspiration lente, visiblement mal à l'aise.

-De la poudre de pierre noire..., avoua-t-il enfin.

Un frisson parcourut les élèves présents.

-La pierre interdite ?, s'étrangla Amanda.

-Je me rappelle qu'on en avait parlé en cours de magie de soin..., murmura Lya, encore faible, mais consciente.

Le père de Matt hocha gravement la tête, décrochant l'imposante épée de son dos. Il la posa à côté de lui sans un mot, son regard toujours fixé sur Lya.

-La poudre de pierre noire est une drogue ancienne et extrêmement puissante, expliqua-t-il. Chez les non-mages, c'est un excitant, un accélérateur. Chez les mages, c'est tout autre chose, les effets sont un peu plus impressionnants. Dans les deux cas, cela peut entraîner la mort.

-Qu'est-ce que ça fait, exactement ?, s'enquit Lya, sa voix tremblante mais curieuse.

L'homme se redressa légèrement, la toisant d'un air sérieux. 

-La pierre noire est vivante, d'une certaine manière. Elle a sa propre énergie, ancienne, sauvage. Lorsqu'un mage y est exposé, elle absorbe sa magie, sa vitalité, son âme, parfois. 

Il marqua une pause, son regard se durcissant. 

-Mais si le sorcier survit... s'il résiste à ce vol d'énergie, la pierre peut lui rendre cette force. Multipliée.

-C'est donc... une sorte de pari ?, lança Emrys, intrigué malgré lui.

-Un pari mortel, répliqua sèchement le père de Matt. La magie qui vous est propre, est pure et naturelle, rien ne peut vous en donner plus que de l'entrainement et un travail sur vous-même. L'énergie fournit par la pierre, est corrompue. C'est de la magie noire, plus puissante, mais plus dangereuse. Tous les mages qui y ont succombé se sont fait dépasser... Ils perdent la raison et la pierre finit par prendre le dessus... 

-Et les tuer, finit Amanda pour montrer qu'elle avait compris.

L'homme regarda Lya avec plus de douceur, sa voix se radoucissant.

-Mais ne t'inquiète pas. Tu n'as été exposée que brièvement. Ce que Matthew t'a donné, cette plante, accélère l'élimination de la substance. Tu t'en remettras. Il faudra juste du repos et éviter tout contact avec des sources magiques trop puissantes, pendant quelques jours.

Lya, encore tremblante, croisa son regard avec reconnaissance. Ses lèvres esquissèrent un faible sourire. Elle n'avait pas les mots, mais il comprit.

-Bon, trancha-t-il soudain, se redressant, sa voix redevenue autoritaire. Il est tard. Trop tard pour faire quoi que ce soit d'autre. Allez tous vous coucher. Vous rentrerez demain à l'école.

Il se tourna lentement vers son fils, ses yeux perçants réduisant Matt au silence.

-Toi et moi, on parlera demain matin. En détail.

Matt acquiesça avec une grimace.

-Allez, montre-leur où dormir, ajouta son père en s'éloignant vers un couloir plongé dans l'ombre. Et qu'on ne vous entende plus cette nuit.

Son ombre disparut dans le couloir, mais la lourdeur de sa présence resta, suspendue dans l'air comme un orage en attente.

Le groupe n'osa pas prononcer un mot avant de longues secondes.

Puis Matt soupira profondément.

-Bon, suivez moi et... priez pour que le vieux ne me tue pas dans mon sommeil.

Matthew ouvrit doucement la porte de sa chambre, le bois grinçant à peine dans le silence apaisé de l'appartement. Lya, toujours affaiblie, peinait à suivre, ses jambes fléchissant parfois sous son propre poids. Emrys, une main ferme dans son dos, l'accompagnait avec une douceur inhabituelle chez lui. Depuis ce qu'il s'était passé, il ne la lâchait plus d'une semelle. Une ombre voilait son regard habituellement vif, un mélange de colère, de peur et surtout, de culpabilité. Il aurait dû être là. Il aurait dû empêcher ça.

-Tu peux prendre mon lit, murmura Matt. Il est plus confortable que le canapé, et puis, ça te fera du bien.

Lya hocha faiblement la tête et s'y laissa tomber avec soulagement. Les draps étaient frais, et l'oreiller sentait un mélange de lavande et de bois de cèdre, comme Matt. Elle n'eut besoin que de quelques secondes pour sombrer dans un sommeil profond, presque comateux.

Emrys resta assis au bord du lit, veillant, sa main effleurant la sienne. Il observait les traits fatigués de la jeune fille, le léger tremblement de ses paupières. La voir ainsi, si fragile, réveillait en lui une rage sourde. Mais pour l'instant, il devait être calme.

Dans le salon, Amanda faisait les cent pas, ses bottes claquant à intervalles réguliers sur le parquet bancal. Les murs semblaient renvoyer chaque son avec écho, comme s'ils étaient eux aussi nerveux. Elle avait le cœur qui tambourinait encore, la scène de l'agression repassant en boucle dans son esprit. Elle n'arrivait pas à s'asseoir, ni à respirer normalement.

Matt, adossé au comptoir de la cuisine, la regardait d'un œil inquiet.

-Tu veux boire quelque chose ? Un thé, un truc fort ?

-Non, c'est bon, répondit-elle sans même lui jeter un regard. 

Sa mâchoire était crispée.

-Tu ne vas pas essayer de dormir ?

-Je suis trop énervée pour ça !, lança-t-elle plus sèchement qu'elle ne l'aurait voulu.

Un silence s'installa, puis Matt sembla avoir une idée. Son visage s'illumina d'un petit sourire espiègle, celui qui précédait toujours les bêtises les plus imprévisibles.

Sans prévenir, il s'approcha d'elle et lui prit la main avec assurance.

-Allez viens.

-Où est-ce que tu m'emmènes ?!, s'étonna Amanda, prise de court.

-Fais-moi confiance, répondit-il simplement, un clin d'œil au coin des lèvres.

Elle aurait dû protester. C'était son réflexe habituel : garder le contrôle, ne dépendre de personne. Mais ce soir, il y avait dans la voix de Matt quelque chose de rassurant, une chaleur brute qui fendait la muraille de son armure. Alors, pour une fois, elle se laissa entraîner, sans poser plus de questions.

Ils traversèrent l'appartement en silence, seuls leurs pas feutrés les accompagnant. Puis ils montèrent encore et encore des escaliers de plus en plus exigus. Au final, le garçon poussa une trappe étroite qui donnait dehors. Il aida sa camarade à monter et la laissa découvrir la surprise qui l'attendait.

Le duo était sur les toits de la ville. De là où ils étaient, ils avaient une vue dégagée sur tout Gloria et même les campagnes aux alentours. La lueur de la lune caressait les toits de tuiles, créant des reflets argentés qui dansaient à la surface des rivières serpentines et des ruelles tortueuses. Les bâtiments de pierre et de fer, agencés en un dédale de ruelles étroites, semblaient se fondre dans l'obscurité, émergeant de l'ombre avec une aura mystique.

Les lumières de la ville se mêlaient au ciel étoilé de cette nuit claire. Des lanternes suspendues aux balcons projetaient des éclats dorés, tandis que des chandelles illuminées éclairaient les fenêtres des demeures opulentes. Les échoppes du marché central, bien que fermées, laissaient échapper une lueur chaude et invitaient à imaginer l'effervescence diurne qui y régnait.

Avec cette vue, tout paraissait petit et lointain, comme si tous leurs problèmes étaient insignifiants.

Le silence de la nuit les enveloppait comme une couverture douce. Les tuiles craquaient doucement sous leurs pas tandis que Matthew s'asseyait au bord, les pieds dans le vide, balançant légèrement ses jambes au-dessus du vide plongé dans l'ombre.

-Je venais tout le temps me poser là quand j'avais besoin de penser, dit-il d'une voix basse, presque noyée dans le bruissement de la ville.

Le vent soufflait doucement, faisant danser leurs cheveux. Amanda, debout à ses côtés, laissa échapper un souffle admiratif.

-C'est magnifique, murmura-t-elle, les yeux écarquillés face à l'horizon. Remarquable.

-D'ici, tout me paraît un peu plus simple, ajouta Matt, le regard perdu dans les constellations. Comme si le monde reprenait sa juste taille.

Amanda, attirée par le calme du lieu, finit par s'asseoir à son tour, son épaule frôlant presque celle du garçon. Le silence se fit complice.

-Ton père a l'air sympa, lança-t-elle soudain.

Matthew haussa un sourcil, surpris.

-Ah bon ? Il eut un petit rire ironique. Tu ne l'as vu que cinq minutes !

-C'est assez pour voir que tu tiens de lui, répliqua Amanda avec un demi-sourire.

-Si tu le dis...

-Tu ne dirais pas ça si tu avais rencontré mes parents, reprit-elle en fixant le sol devant elle. Ton père est un modèle de gentillesse à côté d'eux.

Matt tourna lentement la tête vers elle.

-Tu ne t'entends pas avec eux ?

Elle hésita, puis lui vint une réponse, comme arrachée à ses pensées :

-...Si. Mais c'est peut-être ça le problème...

Elle leva les yeux vers les étoiles, leur éclat se reflétant dans ses prunelles assombries.

-J'ai toujours fait ce qu'ils voulaient. Ce qu'ils attendaient. Je suis l'exemple parfait de leur réussite, de leur volonté. Mais moi, au fond... je crois que je me suis oubliée en chemin.

-Tu ne sais pas ce que toi, tu voudrais être, devina doucement Matthew.

Elle hocha la tête, lentement, presque imperceptiblement.

-J'y pense de plus en plus ces derniers temps... Tu crois qu'on est génétiquement forcés de ressembler à ses parents ?

Il fronça les sourcils, pris au dépourvu.

-... Je... Je ne sais pas...

Sans le vouloir, il pensa à Archi. 

Amanda reprit, sa voix plus grave, comme si elle confessait un poids trop longtemps gardé.

-C'est plus facile de suivre la route qu'ils tracent. Mais à quel prix ? J'ai dix-huit ans et je ne sais même pas qui je suis. J'ai l'impression d'être une copie, une fabrication. Sans libre arbitre. Sans volonté propre.

-Mon père ne voulait pas que je rentre à l'ESSM, avoua Matt, brisant doucement le silence. Il a tout fait pour m'en dissuader. Le jour de la rentrée, il m'a enfermé dans ma chambre. J'ai dû m'échapper... en passant par là où on est justement.

Il esquissa un sourire. 

-Je me suis fait courser par ses hommes jusqu'à l'entrée de l'école.

Amanda ouvrit de grands yeux, sidérée.

-C'est triste... qu'il ne te soutienne pas.

-Je ne crois pas que ce soit ça, répondit Matt en secouant la tête. Il me soutient... mais à sa manière. Depuis que ma mère est morte, il ne fait plus confiance à personne. Encore moins au PC. Il avait peur que je me perde là-bas. Il a agi par peur, pas par rejet.

Un silence un peu plus doux s'installa.

Amanda baissa les yeux.

-Hm. Je comprends mieux maintenant...

Matthew se tourna légèrement vers elle, son regard s'adoucissant.

-Je sais qu'il m'aime. Mais il a du mal à me laisser être moi-même. Au final, toi et moi, on n'est pas si différents.

Amanda resta silencieuse quelques secondes, puis murmura :

-Moi... je ne sais même pas si mes parents m'aiment. 

Sa voix trembla un peu. 

-L'amour, ce n'est pas quelque chose d'important pour eux. Ce qui compte, c'est l'honneur. L'ambition. La réputation...

Elle se mit à triturer une mèche de cheveux, comme pour s'occuper les mains, détourner la douleur.

Matthew, sans un mot, posa sa main sur la sienne. Une main chaude, ferme, sincère.

Amanda tourna lentement la tête vers lui. Leurs regards se croisèrent. Elle n'y vit ni pitié ni compassion, juste une présence, brute et vraie. Et pour la première fois depuis longtemps, elle sentit quelque chose céder dans sa poitrine. Une barrière invisible. Une brèche dans sa solitude.

Elle serra doucement ses doigts autour des siens. Un geste simple, mais chargé de confiance.

-Parle-moi de ton père, souffla Amanda, la voix douce, presque timide. Il a l'air de bien s'y connaître sur...

-Les pierres noires ?, compléta Matt avec une ombre de gêne.

Il baissa ses yeux, comme s'il craignait son propre aveu.

-Tu sais... ,reprit-il, sa voix voilée. Ça a été très dur, quand... quand ma mère est partie. Le monde entier s'est détourné de nous. On n'avait plus rien. Plus personne. On a dormi sous les ponts, dans des ruelles...

Il marqua une pause, le regard perdu.

-Alors mon père... il a dû faire des choix durs. Il n'a pas vraiment eu le luxe de la morale...

Amanda n'avait pas besoin d'entendre plus.

-Il vend de la drogue, dit-elle calmement, sans colère. De la pierre interdite.

Matt hocha la tête, le cœur battant.

-De la poudre seulement, murmura-t-il. Il n'a jamais laissé ça entre les mains d'enfants. Il surveille. Il contrôle. C'est pas... c'est pas ce que tu crois.

Amanda resta silencieuse un moment, puis souffla :

-Je ne vais pas dire que c'est bien... Mais je comprends. Il a fait ce qu'il pouvait. Il t'a protégé à sa manière et je trouve ça beau.

Matt releva brusquement la tête, surpris. Son regard chercha le sien.

-Je pensais que tu le prendrais plus mal que ça...

-Parce que je suis psychorigide et à cheval sur les lois ?, répliqua-t-elle, un sourire en coin.

Il rit, un rire un peu nerveux mais sincère.

-C'est pas ce que j'ai dit ! C'est juste que... ce n'est pas facile à avouer. À assumer.

Amanda le fixa avec douceur, mais aussi avec une intensité désarmante.

-Tu es quelqu'un de bien, Matt.

Elle s'approcha un peu, réduisant l'espace entre leurs corps.

-Si je ne le pensais pas... je ne serais pas là. Avec toi. Maintenant.

Un long silence s'installa. Le genre de silence qui ne pèse pas, mais enveloppe. Même la ville semblait avoir retenu son souffle. Les grillons s'étaient tus, les branches ne bougeaient plus, et les étoiles semblaient les observer en silence.

À cet instant précis, il n'y avait plus qu'eux. Deux âmes fatiguées, mais brûlantes. Deux cœurs battant au même rythme.

Matthew approcha lentement. Son bras entoura Amanda, pas brusquement, mais comme un abri. Elle se laissa faire, se blottit contre lui, comme si cette chaleur l'avait attendue toute sa vie. Et alors, naturellement, leurs lèvres se cherchèrent, se trouvèrent.

Le baiser fut d'abord hésitant, fragile, puis il gagna en confiance. Il avait le goût du soulagement, de la reconnaissance silencieuse, de cette étrange évidence qu'on ne sait pas expliquer.

La main d'Amanda se glissa timidement sous le tissu du haut de Matt, frôlant ses abdos avec une légèreté qui fit frissonner le garçon. Une onde d'électricité parcourut son corps, une sensation mêlée de désir et d'émotion brute.

Tout doucement, ils s'allongèrent sur les tuiles froides du toit, qui se réchauffèrent au rythme de leur étreinte. La ville entière pouvait bien disparaître : rien ne comptait en dehors de leurs corps rapprochés, de leurs souffles entrelacés.

Mais alors que les battements de cœur s'emballaient, Amanda posa doucement sa main sur le torse de Matt, le stoppant dans son élan. Elle le regarda, ses yeux brillants mais posés.

-Pas ce soir, murmura-t-elle simplement.

Et Matt, sans demander pourquoi, comprit. Il acquiesça dans un souffle, puis la serra un peu plus fort contre lui, comme pour lui dire qu'il était là. Sans condition. Sans urgence. Sans pression.

-Je... je suis vierge, avoua-t-elle en rougissant.

-On attendra autant de temps qu'il t'en faudra. Ce n'est pas un problème.

 

*****

 

Alors que le jour venait à peine de se lever, deux silhouettes mystérieuses, se glissèrent dans les rues encore endormies de Gloria. Leurs pas légers les guidèrent vers le centre-ville et plus précisément devant une vieille enseigne de librairie.

En se réveillant, Lya avait eu la surprise de découvrir Emrys à ses côtés. Enfin plutôt parterre à côté de son lit, mais leurs mains toujours soudées. Au premier mouvement de la jeune fille, son chevalier se réveilla également. Après s'être assuré que la demoiselle allait bien, il l'avait entraîné en secret dans la ville, laissant tout de même un petit mot à l'attention du reste de l'équipe.

C'est pourquoi ils se retrouvèrent de si bon matin, à pénétrer dans un magasin encore vide.

-Où sommes-nous ?, demanda la jeune fille.

-Bienvenue chez moi !

Lya se rappela la confession de son cavalier au bal : ses parents tenaient la plus grande librairie de la capitale. Cela expliquait, comment ils avaient réussi à entrer. Tout autour d'elle se dressait des colonnes et des colonnes de livres parfaitement rangés. Les étagères, hautes et imposantes, semblaient toucher le plafond. A part les livres, tout était de bois, donnant à l'endroit une atmosphère chaleureuse et intemporelle. Les rayons étaient organisés de manière méthodique, chaque ouvrage soigneusement rangé à sa place, créant un ordre harmonieux qui invitait à l'exploration.

La lumière, filtrant à travers de grandes fenêtres, baignait la librairie d'une lueur douce. Les reflets dorés dansaient sur les étagères et mettaient en valeur la richesse des reliures des livres. C'était comme si chaque ouvrage avait son propre éclat, attendant patiemment d'être découvert.

Une odeur enivrante flottait dans l'air, une fragrance enchanteresse de vieux papiers, qui éveillait les sens. Chaque coin de la librairie dégageait une atmosphère unique, imprégnée du passage du temps et de l'amour des livres : un sanctuaire de la connaissance.

-C'est magnifique !, s'extasia la jeune femme

-Attends, tu n'as pas encore vu la meilleure partie, s'enthousiasma le jeune homme en l'entraînant une nouvelle fois avec lui.

Ils passèrent derrière un comptoir au fond du magasin et rejoignirent une petite porte. La jeune femme découvrit alors une nouvelle pièce, encore plus grande que la précédente, mais bien plus mystérieuse. Il s'agissait de la salle de stockage. On aurait dit un monde parallèle.

À l'inverse de la partie ouverte au public, il y avait très peu de lumière, toutes les fenêtres étaient condamnées. Les étagères s'élevaient jusqu'au plafond, chargées de tomes reliés, de parchemins jaunis et de grimoires mystiques. Les livres étaient entassés à la va-vite, formant de hautes piles précaires, prêtes à s'effondrer au moindre éternuement. La poussière s'accumulait un peu partout et certains bouquins dataient de plusieurs décennies.

Les rayons semblaient se perdre dans l'obscurité, créant une atmosphère digne d'une grotte fantastique, oubliée depuis des siècles. Les coins sombres étaient envahis par des toiles d'araignée délicates, témoins silencieux du temps qui s'écoulait lentement.

-Qu'est-ce que c'est ?, s'extasia Lya.

-La caverne aux trésors !

Les yeux du garçon brillaient.

-C'est là où les nouveaux livres et les œuvres obsolètes se rencontrent. Mes parents les entreposent avant de trier ceux qui sont vendables et les autres. 

Il se gratta la tête avec un peu de gêne.

-Comment dire... Ce sont plutôt des acheteurs compulsifs quand il s'agit de bouquins ! Et ils entassent sans même savoir tout ce qu'ils ont. Mon passe-temps préféré, c'était de fouiller dans ce capharnaüm. Tu veux essayer ?

-Pourquoi pas !, s'excita Lya.

-Si tu trouves quelque chose qui te plait, tu pourras le prendre.

-Oh... non, je ne peux pas accepter...

-Mes parents ne sauront même pas qu'il manque quelque chose. Mieux, tu participeras au désencombrement de la librairie et toute la direction t'en remercie !

En éclatant de rire, la jeune femme finit par accepter, puis se lança, main dans la main avec son ami, à travers les allées sinueuses du labyrinthe de livres. Emrys partagea avec elle toutes les petites anecdotes enchâssées dans ce lieu magique. Lya réalisa que son ami souhaitait partager ces moments avec elle, surtout pour lui changer les idées. Elle appréciait cette attention, et passer du temps avec Emrys était toujours un plaisir.

Après presque une heure à déambuler entre les piles de livres, le guide de Lya l'abandonna brièvement pour vérifier si ses parents étaient dans leur appartement situé au-dessus de la boutique. Il lui recommanda de chercher des livres à récupérer et s'éloigna en courant.

Seule au cœur de cette bibliothèque figée dans le temps, Lya se sentit d'abord paisible. Le silence doux et poussiéreux enveloppait les lieux comme une couverture rassurante.

Mais à mesure qu'elle avançait entre les piles, quelque chose changea. L'atmosphère sembla se resserrer. Ce n'était pas brusque, ni brutal. Juste... subtil. Un frisson à peine perceptible lui remonta l'échine. Elle se figea, tendit l'oreille.

Rien. Pas un souffle.

-Emrys ?, appela-t-elle doucement, comme pour conjurer ce malaise.

Le silence répondit.

Elle fronça les sourcils, tenta un sourire pour elle-même.

-Tu veux jouer à cache-cache ? Très drôle...

Pas de réponse.

Un doute s'immisça, mais pas une peur franche, pas encore. Plutôt une inconfortable intuition, cette sensation floue que quelque chose vous observe dans votre dos sans jamais se montrer.

Tu es parano, pensa-t-elle. C'est sûrement l'effet de la pierre noire. Un reste d'hier...

Elle inspira profondément pour chasser ses pensées et reprit sa marche. Son regard se posa sur un rayon oublié. Elle se força à se concentrer sur sa recherche et, bientôt, deux livres contés retinrent son attention. Elle les feuilleta rapidement, un sourire aux lèvres. Cette petite victoire apaisa brièvement son esprit.

Pourtant, à peine fit-elle un pas de plus que son malaise revint. Cette fois, plus oppressant. Comme si l'air s'était alourdi, comme si la lumière pâlissait légèrement. Elle se sentit irrésistiblement attirée par une section plus reculée, presque cachée derrière un rideau de toiles d'araignée et de silence.

Elle hésita, puis avança.

Ses doigts commencèrent à effleurer les tranches abîmées des vieux ouvrages. Un frisson électrique courut le long de son bras. Son cœur accéléra légèrement. Elle ne comprenait pas ce qu'elle cherchait, mais elle cherchait. C'était instinctif, impérieux.

Elle s'arrêta devant une pile dépareillée, et soudain, sans s'en rendre compte, elle commença à fouiller.

Au début, méthodiquement. Puis de plus en plus vite, de plus en plus brusquement. Les livres tombaient dans un vacarme sourd. Sa respiration se hâta, sa vision se rétrécit. Un bourdonnement montait dans ses oreilles. Son crâne pulsait. Mais elle ne s'arrêtait pas. Ses gestes devenaient mécaniques, presque violents.

Elle ne voulait pas ce livre.

Elle en avait besoin.

Puis, tout s'immobilisa.

Ses mains s'arrêtèrent net. Ses muscles se figèrent. Elle baissa les yeux.

Dans ses doigts tremblants : un livre relié de cuir sombre, marqué de symboles indistincts. Lya cligna des yeux. La pression disparut comme si on avait coupé le courant. Son esprit émergea, confus, comme après un cauchemar.

-Wouah..., fit une voix derrière elle.

Elle sursauta.

Emrys venait d'apparaître, la regardant avec étonnement.

-Qu'est-ce qui s'est passé ? Tous ces livres sont tombés ? Tu vas bien ?

-Je... 

Lya peinait à retrouver ses mots. 

-Je vais bien...

Elle serrait toujours le livre contre elle, comme s'il lui appartenait.

-Tu as trouvé des choses intéressantes ?, demanda-t-il, un brin curieux.

-Quelques livres contés... que j'ai posé là bas...

-Parfait ! Tu peux les garder. Mes parents ne sont pas là, alors on peut y aller. Je suis sûr que les autres nous attendent.

Mais Lya n'écoutait déjà plus. Une part d'elle-même restait accrochée à ce moment de vide. À ce livre. À ce quelque chose qu'elle avait réveillé sans le vouloir et qui, elle en était désormais certaine, ne l'avait pas quittée.

 

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M.P Lenoir
Posté le 04/05/2025
Alors tu ne te jette pas de fleurs, aucunement, ton écriture s'améliore drastiquement. En terme de syntaxe, d'orthographe ou de cohérence tout y est alors bravo pour cet excellent chapitre !

J'aime toujours le fait que tu mettes consentement et respect dans ce que tu écris, c'est vraiment une belle ligne de conduite.
J'apprécie aussi le fait qu'on commence à en savoir un peu plus que tout les personnages même si j'ai l'impression que Archi est un peu mis de côté, cependant je pense que Matt va vite finir par se rabibocher avec.

Pour Lya, les ténèbres sont vraiment à la recherche de leur nouvelle hôte et elle est parfaite pour ce rôle. Fragile en apparence, désireuse d'être toujours du bon côté, cet appel des ténèbres est ce qu'il faut pour lui démontrer sa vraie facette. À voir si j'ai raison par la suite.
DSWritter
Posté le 04/05/2025
C'est un travail constant, alors ton retour est super encourageant.

Je suis contente que tu apprécies l'importance que j'accorde au consentement et au respect dans mes histoires, c'est une valeur qui me tient à cœur. Et oui, on commence à dévoiler quelques cartes, c'est le moment !
Tu as raison, Archi est peut-être un peu en retrait pour l'instant, mais il va bientôt revenir :)

Quant à Lya... ton analyse est super intéressante ! J'aime beaucoup ta vision de ses failles et de son désir de bien faire, qui pourraient la rendre encore plus vulnérable à l'appel des ténèbres. Seule la suite te dira si tu as vu juste !
M.P Lenoir
Posté le 04/05/2025
Ton travail paye ! Sois en fière c'est très agréable de te lire.

Pour Lya j'attends tes prochains chapitres, de même pour le développement des secrets et les tournants de l'histoire. :')
M.A.Frogerais
Posté le 27/04/2025
whoua.... juste whoua...
j'ai repere 2 coquille de frappe : "ce'est pas facile à avouer" et "faisant danser leurs cehveux"
en dehors de sa, je n'ai pas decroché une seconde de ma lecture, meme pas pour e posé des question simple que je suis sencé me posé etant donne que je suis sencé te parle de coherance et tout se qui vas avec
DSWritter
Posté le 30/04/2025
Trop heureuse que tu apprécies ! Sans vouloir me jeter des fleurs, je pense que je m'améliore un peu dans mon écriture et tes commentaires m'encouragent beaucoup dans cette voie.
Merci pour les coquilles, je vais régler ça tout de suite.
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