Chapitre 17 : Je l'aime, et alors ?

Notes de l’auteur : Bonne lecture !

 

Playlist Alex :

Rolling in the deep – Adele

 

 

***

 

 

L’après-midi du lendemain, nous nous étions tous retrouvé au Billie’s pour discuter un peu.

Bon, si à la base nous étions sensés débriefer la soirée à l’Adonis pour Romy, la discussion a très vite dérivé sur un sujet beaucoup, beaucoup plus croustillant.

À savoir Alex et moi.

Le fait que nous ayons fait notre entrée main dans la main n’avait fait qu’attiser un peu plus les flammes de l’enthousiasme de nos amies – enfin, surtout celui de Max. Qu’est-ce qu’il me tardait de lui rendre la pareille !

Lorsque nous avions finalement largué la bombe, un grand silence s’abattit à notre table.

Extrêmement rapidement brisé par l’incontrôlable fou rire de Max.

Bizarrement, cet éclat de sa part ne nous amusa que très peu, Alex et moi. Même Romy avait l’air un peu mal à l’aise à côté d’elle.

— Ça y est, je crois qu’elle a officiellement perdu la tête, me confia Alex à l’oreille – comme si elle risquait de nous entendre à rire aussi fort !

Lorsqu’elle se calma enfin – une petite éternité plus tard, donc – elle alla même jusqu’à essuyer une larme au coin ses yeux.

— Chérie, me lança-t-elle avec un sourire encore tremblant, il était carrément temps que vous vous sautiez dessus !

— Max ! nous exclamâmes-nous en chœur, aussi rouge l’un que l’autre.

— Quoi ? s’offusqua-t-elle. Pitié, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure ! Vous vous bavez mutuellement dessus depuis des années ! Moi je dis : il était franchement temps !

— Merci Max, grogna Alex en essayant visiblement de garder une certaine contenance, tu nous aides beaucoup.

D’un autre côté, nous ne pouvions pas vraiment lui donner tort. Comme Alex, j’ignorais quand mes sentiments avaient évolué. Sans doute tout doucement au fil du temps jusqu’à ce que la frontière entre amitié et amour soit si floue que notre relation était devenue une évidence.

Max passa donc les heures suivantes à nous chambrer avec un enthousiasme qui frôlait dangereusement l’hystérie.

— Juré, dès la fin de cette rencontre, je lui cherche un mec, m’avait soufflé Alex, exaspéré.

— À mon avis, tu n’auras pas besoin d’aller bien loin, lui avais-je répondu sur le ton de la connivence.

Et au sourire qu’il me rendit, je sus qu’il avait compris. Parfois je me demandais vraiment s’il ne lisait pas dans mes pensées.

Romy, elle, se montra plus pondérée et se contenta de nous féliciter, des étoiles plein les yeux. Pour être honnête, j’avais eu un peu peur de la froisser. Après tout, elle venait de réaliser que son histoire d’amour imaginaire avec mon frère aîné serait impossible et même pas une semaine après, Alex et moi annoncions nous mettre en couple. N’importe qui d’autre aurait pu mal le prendre.

Pourtant, et à ma plus grande surprise, il n’en fut rien. Romy n’eut l’air ni énervée, ni triste et pas même jalouse. Au contraire, elle était très heureuse pour nous et semblait déjà s’imaginer une folle idylle comme la nôtre. À plusieurs reprises il me sembla l’entendre soupirer des mots tel que « si romantique… » ou « peut-être un jour… ». Et sincèrement, je le lui souhaitais de tout mon cœur.

L’après-midi se poursuivit, et malgré la joute verbale qu’avaient entamé les jumeaux – un spectacle somme toute habituel où Max gagnait rarement – je crois bien ne jamais avoir été aussi heureuse de ma vie.

Alors évidemment, ça ne dura pas.

On dit souvent que dans les petits villages les nouvelles vont vites. Eh bien je peux aujourd’hui affirmer qu’elles vont encore plus vite à Bellamy.

En parfait gentleman, Alex m’avait raccompagnée jusque chez moi. Le quitter, même sur le pas de la porte après une bonne dizaine de baisers me semblait parfaitement criminel. La porte à peine franchie, il me manquait déjà. Le goût de ses lèvres sur les miennes aussi, soyons honnête. J’en rêvais encore en entrant dans le vestibule.

Le souci, c’est qu’à peine ai-je eu le temps de poser un orteil dans le salon que Tom me tomba dessus avec la force d’un ouragan. C’est drôle comme la colère le vivifiait. Autrement, il avait perpétuellement l’air d’un zombie. Et là, tout de suite, il avait l’air très, très en colère. Dans un dessin animé, je l’imaginais bien avec de la fumée lui sortant des oreilles ou des arcs électriques jaillissant de ses yeux. Malheureusement pour moi, toutes ces fantaisies ne risquaient pas d’arriver. Et à la place d’un joli spectacle de fumée, j’eus droit au pire des concerts.

— Ne me dis pas que c’est vrai ? attaqua-t-il d’emblée.

Avec un profond soupir, je le dégageai de mon chemin et lui passai devant. J’étais de beaucoup trop bonne humeur pour avoir envie de supporter ses âneries.

— Charlie !

Ignorer. Ignorer. Ignorer. Ignor…

— Charlie ! aboya-t-il encore.

Si seulement je pouvais couper le son comme avec une télé ! me désolai-je en arrivant à hauteur du canapé où Nick et Livio avaient fini par se retourner, intrigués par le tapage que mon crétin de frère avait décidé de faire pour m’accueillir.

— Arrête de m’ignorer et répond-moi ! hurla-t-il quelque part derrière moi.

Bizarre, le son paraissait bien plus proche que tout à l’heure.

Je jetai un regard à mon aîné, l’air de dire « C’est pas faute d’essayer ». Il fit la moue et, exaspérée alors que Tom continuait de m’appeler comme le plus insupportable des gosses, je finis par me retourner pour aboyer à mon tour.

— Quoi ?! rétorquai-je sur le même ton.

— Faustine vient de me le dire, est-ce que c’est vrai ? recommença-t-il.

— J’en sais rien ! clamai-je agacée en balançant les bras en l’air. Commence par préciser de quoi tu parles, bon sang ! Je suis pas devin, j’te signale !

Tom semblait prêt à s’arracher les cheveux mais se força au calme. Une réaction qui m’intrigua presque autant qu’elle m’amusa.

— Tu sors vraiment avec ce dégénéré ? lâcha-t-il avec tant de venin que si sa phrase pouvait tuer elle aurait décimé la moitié de l’Europe.

Il me fallut de longues, très longues secondes avant de comprendre de qui il parlait. Et aussitôt, mon expression changea. Mon sourire disparut, mes yeux s’étrécirent et une folle envie de l’étrangler me noua les tripes, une envie que je refoulais tant bien que mal en serrant fort les poings à la place.

— Alex n’a rien d’un dégénéré, dis-je très froidement.

Sur le canapé, Nick et Livio, s’étaient figé. Si Tom n’avait pas encore perçu la menace dans ma voix, notre aîné, lui, était déjà à moitié debout, prêt à intervenir si besoin. Et bien que je ne le regardais pas, j’avais cette certitude que tout en lui exprimait la plus grande inquiétude.

— Et puis qu’est-ce que ça peut bien te faire ? relançai-je, acerbe, en croisant les bras.

Qu’il ose se mêler de ma vie privée était le comble quand on pensait à toutes les greluches qu’il nous avait ramené, sans compter cette conne de Faustine qui lui collait au train comme le pire des chewing-gums. Tiens, en parlant de greluche, songeai-je méchamment, il y avait un autre cou que je rêvais de tordre, là tout de suite.

Loin, très loin de se douter de la tentative de meurtre que je préméditais, Tom afficha une mine tout à fait surprenante. Il avait l’air atterré.

Non mais sérieux ?!

— Tu rigoles ? couina-t-il, sa voix montant étonnement haut dans les aigus. Son oncle se prend pour une gonzesse !

— Son oncle est une drag-queen, ça n’a rien à voir ! persiflai-je, l’air mauvais. Et Gloriana est super cool, au moins elle ne juge pas les gens sur leur apparence, elle.

Je n’attendis pas qu’il me réponde. Je sentais que si nous continuions sur cette voie, j’allais le frapper. Très, très fort. Peut-être même que je serais tentée de lui fracasser le crâne à coup de poêle à frire, mais je doute que l’excuse « il a insulté mon copain et son oncle » soit un motif valable à dire devant le juge lors de mon procès. Alors, et puisqu’il fallait bien que l’un de nous deux fasse preuve de maturité, je me détournai et me dirigeai au pas de course vers ma chambre.

Évidemment, ce crétin de Tom me suivit. Lui, de toute évidence, n’en avait pas fini. Ou alors avait-il de sérieuses envie de suicide ? Très franchement, je n’aurais su le dire. En tout cas, l’instinct de survie, il ne devait pas connaitre ! S’il continuait comme ça, je ne répondrais plus de rien. J’allais le lui faire rencontrer son Créateur !

— Mais qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ?! cracha-t-il dans mon dos. Pourquoi tu traînes avec tous ces gens chelou à la fin ?! T’es dingue ? Tu passes déjà pour l’illuminée de service, aggrave par ton cas !

Je m’immobilisai, la main suspendue au-dessus de la poignée. Derrière moi, j’entendais le souffle court de Tom.

Le vide se fit complètement dans mon esprit. Ce qui ne tourne pas rond chez moi ? Ces gens chelou ? L’illuminée de service ?

Un rire sans joie monta dans ma gorge, un rire qui me broya l’estomac. Lorsque je me retournai, ce fut pour braquer un regard exorbité sur mon frère, un regard dans lequel brillait sans nulle doute toutes les larmes que je retenais depuis si longtemps. Si cette vue ne l’arrêta pas dans sa bêtise, au moins eut-elle pour effet de le faire reculer d’un pas.

— Alors c’est ça qui te gêne vraiment ? demandai-je d’une voix blanche.

Lentement, tout doucement, comme une petite fuite se muant en torrent, la colère monta en moi, se mêlant au chagrin et à la fatigue. Pourquoi fallait-il toujours qu’il gâche tout ? Pourquoi fallait-il qu’il se comporte toujours comme le plus grand des sales cons ?

— En fait, dis-je d’une voix glacée qui le pétrifia, t’en as rien à foutre de mes fréquentations, t’as juste peur que je te fasse encore plus honte, c’est ça ?

Il écarquilla les yeux, stupéfait. Sur le canapé, Nick et Livio avaient fini par se lever, alarmés.

— Pas tu tout, tenta-t-il de se défendre, je…

— Mais je t’en prie, trouve une porte de sortie au merdier dans lequel tu t’es enfoncé, vas-y, je t’en prie, lançai-je en lui faisant bien face. Parce que figure-toi que je suis parfaitement heureuse comme je suis et je ne changerai pas pour coller à tes standards à la con. Hors de question que je ressemble à un de ces foutus moutons décérébrés qui te serre de fanclub !

Tom blêmit, une réaction qui m’aurait ravie en d’autres circonstances mais qui, à cet instant, ne me faisait que plus de peine encore.

J’étais furieuse, si en colère que les larmes débordèrent pour de bon de mes yeux. Pourquoi ne pouvait-il pas être content pour moi pour une fois ? Était-ce trop lui demander ? Était-il si égoïste ? J’en avais assez…

Refoulant ma tristesse, je braquai un regard meurtrier sur mon frère. J’espérai qu’il y voit toute la haine que je lui vouais à cet instant et tout le mal que ça me faisait.

Je m’apprêtai à m’enfermer dans ma chambre pour de bon quand un éclat de rage me fit faire volte-face.

— Oh et puis, sois gentil au moins une fois dans ta vie et occupe-toi de ton cul pour changer ! m’exclamai-je juste avant de claquer la porte derrière moi.

Parvenue dans ma chambre, je m’effondrai dans mon lit, et fondis en larmes.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez