Chapitre 17 - La Réinitialisation

Par David.J

Un bourdonnement sourd, insidieux. Une fréquence trop basse pour être un son, trop haute pour être un silence.

L’espace autour de lui était flou, informe.

Il flottait dans un néant sans contours. Plus de corps. Juste une conscience suspendue, un souvenir flou d’existence.

Il tenta de bouger. Rien. Aucune réponse.

C’était comme être prisonnier de l’ombre elle-même, coincé dans une absence d’espace et de temps. Il n’y avait ni haut, ni bas, ni horizon. Seulement une obscurité compacte, pesante, une matière noire et épaisse qui le comprimait de toutes parts sans jamais le toucher.

Son esprit luttait pour s’accrocher à quelque chose de familier. Un détail, un repère, n’importe quoi. Mais chaque pensée, à peine formée, se dissolvait instantanément dans le néant. Ses souvenirs s’effilochaient avant même qu’il puisse les saisir, comme de la fumée balayée par un vent inexistant.

Puis, une voix.

Un murmure.

— Cette fois, ne te laisse pas avoir.

Qui avait parlé ?

La voix était trop proche, trop intime. Elle vibrait dans son crâne, glissait sous sa peau, se greffait à ses pensées tel un parasite invisible.

Son cœur aurait dû s’emballer, mais il ne le sentait pas. Même ses réactions physiologiques étaient suspendues.

Il voulait parler, crier, demander où il était, ce qu’il se passait… mais aucun son ne franchit ses lèvres. Parce qu’il n’avait plus de lèvres. Plus de bouche. Plus de corps.

Une terreur sourde l’envahit.

Était-il… mort ?

Il essaya de bouger encore une fois, de forcer son être à exister, à ressentir quelque chose, mais ce fut comme donner un ordre à une ombre. Son esprit flottait seul, sans enveloppe charnelle pour le contenir.

Puis, un flash.

Un choc brutal.

Un impact invisible, une explosion sans bruit.

Une onde muette l’arracha au néant.

L’espace se fissura.

L’obscurité se déchira, comme une toile trop tendue, et tout bascula.

Il tomba.

Une sensation vertigineuse, l’espace se tordait sur lui-même. Était-il projeté ailleurs, ou traversait-il une fracture du réel ?

Mais une certitude s’imposa à lui : il retournait là d’où il venait.

L’air s’écrasa brutalement dans ses poumons, lui arrachant un spasme de douleur. Il revenait d’entre les morts.

Un bruit blanc vrilla ses tympans. Continu. Insidieux. Sa vision était trouble, déformée, balayée par des flashs incohérents.

Il inspira violemment, haletant, sa gorge se serrant sous l’afflux d’oxygène trop brutal.

Son corps était là. Cette fois, il le sentait. Mais quelque chose clochait.

Ses membres lui semblaient engourdis, étrangers. Son équilibre était précaire, il venait de renaître dans un corps qu’il ne reconnaissait pas totalement. Ses muscles répondaient avec une latence infime, mais dérangeante.

Il ouvrit les yeux. Mauvais choix.

L’univers implosa une seconde de trop.

Tout se déchira en lui. Une faille brutale.

Son corps heurta un monde qui n’existait peut-être pas.

Une impression de superposition entre le réel et une autre version de celui-ci, mal ajustée, mal imbriquée.

Un choc.

L’espace autour de lui vacilla. Sa vision était floue, comme s’il voyait à travers une lentille fissurée, un prisme brisé qui déformait chaque contour. Des ombres mouvantes, indistinctes, évoluaient autour de lui, silhouettes floues qui n’avaient pas encore de forme précise.

Son souffle était saccadé, laborieux. Douloureux. Chaque inspiration lui brûlait les poumons, l’air lui-même était trop dense, trop épais, impossible à absorber correctement.

Sa tête bourdonnait.

Une pression insupportable s’était logée dans son crâne, pulsant au rythme d’une fréquence invisible, une vibration sourde qui lui vrillait l’esprit sans qu’il puisse l’identifier.

Il serra les dents.

Où était-il ?

Un battement de cœur, trop fort, trop brutal.

Il tenta de rassembler ses pensées, mais chaque fragment de conscience semblait lui échapper aussitôt. Quelqu’un ou quelque chose tentait de l’empêcher de se souvenir.

Il cligna des yeux, luttant contre la nausée. L’espace était trop lisse, trop parfait, chaque détail avait été reconstruit avec une précision dérangeante, artificielle.

Un lieu familier… mais pas tout à fait.

Son instinct hurlait que quelque chose n’allait pas.

Il tenta de se lever…

Et trébucha.

Son corps ne répondait pas comme il aurait dû.

Ses jambes flanchèrent sous lui, son équilibre était bancal, précaire, il avait oublié comment habiter sa propre enveloppe charnelle. Un instant de panique le saisit : était-ce vraiment son corps ?

Ses doigts tremblaient, sa peau lui semblait trop rigide, ses mouvements légèrement en retard par rapport à ses intentions. Une latence infime, mais dérangeante.

Puis, son regard tomba sur un détail.

Une horloge.

Suspendue, immobile, juste… en attente.

L’aiguille des secondes n’avançait pas.

Son souffle se coupa.

Un courant glacial se propagea le long de sa colonne vertébrale.

L’instant était figé.

Il fronça les sourcils, plissant les yeux, cherchant une explication.

Tout ici lui semblait trop net.

Trop précis.

Un décor trop bien construit, trop méthodiquement agencé. Chaque élément était à sa place avec une perfection artificielle, une impression de mise en scène qui lui soulevait l’estomac.

Un malaise absolu s’empara de lui.

Puis, la voix revint.

Un murmure, un chuchotement glacial qui lui hérissa la peau.

— Ne fais pas les mêmes erreurs.

Son sang se glaça.

Le son ne semblait pas venir d’un point précis, mais résonnait dans la pièce elle-même.

Ses muscles se tendirent instinctivement.

Le murmure provenait de l’ombre projetée sur le mur en face de lui.

Il sentit une pression invisible sur sa poitrine.

Ses doigts se crispèrent.

Étienne pivota lentement…

Ses mouvements étaient lourds, quelque chose lui résistait.

Il n’y avait personne.

Seulement une ombre.

Immobile. Trop nette.

Son propre reflet se tenait là, déformé dans le verre teinté d’une vitre voisine.

Il ne faisait rien. Mais il était prêt.

Il inspira lentement, tentant de calmer la panique qui lui nouait la gorge.

Puis, la voix chuchota une dernière phrase.

— Cette fois, sors d’ici.

Un frisson absolu le traversa.

Sa gorge se serra violemment, un étau invisible refermant son emprise autour de son souffle.

Impossible.

Son propre reflet venait de parler.

Le choc le vitrifia sur place, une sensation de vertige absolu l’engloutit. Il sentait son cœur cogner si fort qu’il aurait pu exploser à tout instant. Son sang battait dans ses tempes, dans sa poitrine, dans ses doigts crispés.

La voix venait de lui.

Étienne fixa la vitre, son propre visage déformé par le verre teinté.

— Cette fois, sors d’ici.

Sa nuque se hérissa sous l’effet du choc.

Le reflet avait bougé seul.

Ses lèvres n’avaient pas remué, et pourtant, il avait entendu sa propre voix.

Un frisson glacial courut le long de son échine. Ce n’était pas possible.

Son cœur battait trop fort, trop vite.

Ses muscles se tendirent, prêts à réagir, à fuir… mais vers où ?

Il n’avait aucun repère.

Tout était lisse.

Il jeta un regard autour de lui.

La pièce avait un aspect étrange, chaque détail avait été répliqué avec trop de précision.

Tout sentait la tricherie. Un décor repeint avec soin.

Une illusion qui ne savait pas comment être réelle.

Comme si cet endroit avait été reconstruit à la hâte, sans les imperfections naturelles d’un lieu réel.

Il sentit la panique monter dans sa gorge, un besoin urgent de quitter cet endroit avant qu’il ne soit trop tard.

Il devait sortir.

Il recula d’un pas, puis d’un autre, sa respiration saccadée résonnant trop fort dans le silence environnant.

Il fallait partir.

Maintenant.

Un détail attira alors son regard.

Il tourna la tête vers les fenêtres.

Il s’attendait à voir la ville, des lumières au loin, des signes de vie.

Mais il n’y avait rien.

Un noir absolu.

Une obscurité parfaite, sans fin.

Aucune rue. Aucun bâtiment. Aucun monde extérieur.

Juste un vide abyssal qui s’étendait au-delà du verre, sans aucune profondeur, sans horizon.

L’espace n’existait plus derrière ces fenêtres.

Son estomac se contracta violemment.

Ce n’était pas un simple rêve.

Quelque chose tentait de le garder enfermé ici.

Quelque chose jouait avec lui.

Et cette chose ne voulait pas qu’il parte.

Un bruit résonna brusquement derrière lui.

Un pas.

Un souffle court. Une présence.

Ses doigts tremblèrent contre ses cuisses.

Son corps entier se tendit, prêt à fuir, incapable de réagir.

Son esprit lui hurlait de ne pas se retourner.

Mais il ne put s’en empêcher.

Dans un mouvement brusque, nerveux, il pivota sur lui-même…

… et son souffle se bloqua dans sa gorge.

David.

Il se tenait là.

Immobile.

Droit devant lui.

Son regard n’avait pas d’âme.

Ses paupières n’avaient jamais cligné.

Son souffle n’avait jamais existé.

Sa posture trop rigide.

Un frisson d’angoisse lui tordit les entrailles.

L’expression sur le visage de David n’était pas normale.

Elle était parfaitement inerte.

Aucune ride, aucune tension dans ses muscles.

Une photographie qui respire.

— Ça va, Étienne ?

Sa voix…

Un bruit avant qu’elle ne sorte. Un léger déclic, un infime retard.

Trop propre. Comme un enregistrement nettoyé de toute imperfection.

Un instant de décalage entre le mouvement de ses lèvres et le son.

Pas un souffle, pas une hésitation.

Juste une voix.

Un long frisson glacial remonta lentement le long de la colonne vertébrale d’Étienne.

Son instinct criait à la supercherie.

Il ouvrit la bouche pour parler…

Mais aucun son ne sortit.

Non. Impossible.

Pas encore.

Son esprit se débattit, cherchant un ancrage, une faille, une preuve que ce monde était réel.

Mais il n’y avait rien. Tout était lisse, symétrique… prévisible.

Son souffle s’emballa.

Et si cette fois… ce n’était pas lui qui devait fuir ?

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