Chapitre 17 : Le Serpent

Le Serpent :

Tant d’années à se soumettre à leurs ordres. À ramper dans l’ombre, à dissimuler son nom, ses desseins.
Ils riront moins, le jour où le dieu qui a tout créé reviendra.

Le Serpent serpentait dans les couloirs de la Tour de Dralan. Depuis plusieurs jours, il avait été le conseiller le plus actif auprès des comtes et du roi. Il leur avait martelé qu’il fallait attaquer Drazyl.

      — Nous ne pouvons les laisser nous frapper impunément, messires. Sinon, nous passerons pour un royaume faible. Et ils reviendront nous achever.

Mais il se moquait bien des raisons de cette guerre. Tout ce qu’il voulait, c’était mettre les royaumes en mouvement. Si Balar se lançait, Cartan et Tyril suivraient. Même l’ordre de Malkar serait contraint d’agir.
Il ne lui resterait plus qu’à aider le Loup et l’Hirondelle à sauver le monde, pendant que tous ses ennemis s'entredéchiraient.

Cet idiot d’Erzic croit avoir la vraie Hirondelle. Les serviteurs de Malkar sont si prévisibles.

Mais l’un d’eux résistait. Une ancienne serviteuse.

Elira.

Et elle venait de s’évader.

Il confia alors une mission à son plus ancien allié.

Dans les profondeurs de Dralan, il retrouva l’être qui rampait sur cette Terre depuis des siècles. Ses yeux jaunes et ses crocs démesurés l’accueillirent avec une jubilation muette.

      — Mon ami. Elira ne doit en aucun cas retrouver le Loup et l’Hirondelle. Elle a vécu trop longtemps.

      — Ouuu-iii… Jeeee la… tuerrrraiisss…, répondit la voix sifflante, accompagnée d’une bouffée d’air putride.

      — Tue-les tous. La chasse est de nouveau ouverte.

Le serpent géant n’avait plus chassé depuis l’attaque de la forêt de Krieg. Il se faufila hors des ténèbres, traînant derrière lui une odeur de mort.

Quant au Serpent, il s’occupait du conseil. Et espérait que ce soit le dernier.
Il était temps. Son dieu ne pouvait attendre davantage.

Il gravit les couloirs circulaires jusqu’à une grande porte gardée par deux hommes. Un simple hochement de tête leur suffit à le laisser passer.

La salle circulaire était immense. Deux étages, chacun garni d’une centaine de sièges. En bas, sur une estrade, trônaient le roi et ses deux conseillers.

Il alla s’asseoir au fond, au deuxième étage. Loin des regards.

L’entrée du comte Ostir le fit sourire. Un sourire mauvais.

À ses côtés se tenait Arnitan. Le Loup.

Il doit encore penser à Gwenn, pensa-t-il, satisfait.

      — Mon roi, dit Ostir en s’inclinant. Je sollicite que ce jeune garçon puisse s’exprimer devant vous. Il détient des informations importantes.

Le roi Karstan Drirr, et sa barbe noire menue, les observa brièvement, puis les invita d’un geste.

Le garçon est accompagné de son ami et de sa sœur. Intéressant. Ça fera plus de morts.

      — Que veux-tu nous conter, garçon ?

      — Que je suis celui à qui Talharr a confié la mission de protéger notre Terre.
Je n’ai rien demandé, mais mon amie a été enlevée par Drazyl. Le monde est en train de changer.

Le roi leva la main qui fit s’arrêter le garçon.

      — Voilà une histoire qui va peut-être réveiller notre conseil.

Des rires éclatèrent dans l’assemblée.

Riez donc tant que vous le pouvez, pensa le Serpent.

Karstan laissa le calme revenir.

      — Continue, garçon.

Arnitan raconta tout : l’attaque du Loup, sa traversée du village désert, sa rencontre avec Talharr. Le rôle qu’on lui avait confié. Malkar, l’ennemi. L’Hirondelle, qu’il devait retrouver.

Les demi-dieux eux-mêmes sont perdus, souri l’homme assis au fond de la salle.

Et Drazyl. Qu’il fallait attaquer. Pour venger et sauver ceux qu’ils aimaient.

Bonne initiative. Wolfrharr doit être dans cette cité…

Quand il eut terminé, le silence retomba.

Puis les protestations fusèrent.

     — Pourquoi un dieu choisirait-il un enfant ?

     — Comment pouvons-nous le croire ? Les dieux ne sont plus apparus depuis des siècles !

     — Nous ne pouvons attaquer Drazyl ! hurla un noble au crâne luisant.

Un tumulte s’éleva. Le roi bondit de son siège.

     — SILENCE !

Il consulta brièvement ses conseillers, puis se tourna vers Arnitan.

     — As-tu une preuve de ce que tu avances ?

Le Serpent vit le garçon hésiter. Puis il s’avança, lentement.

Montre-leur.

Arnitan releva sa chemise. Une marque noire s’étalait sur sa peau : une empreinte de patte de loup.

     — La marque du loup de Talharr, dit-il simplement.

Des murmures, puis des cris.

     — C’est le signe !

     — Ça ne prouve rien !

     — Il faut combattre !

Karstan leva de nouveau la main. Le tumulte s’éteignit.

     — Tu nous donnes matière à réfléchir. Une décision doit être prise, en cet instant.

Un conseiller en rouge, assis jusque-là aux côtés du roi, se leva :

     — Que ceux qui s’opposent à la guerre contre Drazyl lèvent la main !

Une cinquantaine se levèrent.

     — Et ceux qui la soutiennent ?

Une centaine répondirent à l’appel du sang.

     — La guerre est actée.

Karstan déclara d’une voix forte :

     — Qu’il en soit ainsi. Nous vengerons Krieg. Le jeune Loup ira avec une garnison en direction de Vaelan. C’est là-bas que tout commence… et peut-être que tout s’achèvera. Mon père me l’avait conté. Et je refuse que ce monde sombre dans l’oubli.

Il se tourna vers l’assemblée.

     — Il est temps de retrouver nos anciens alliés. Et de faire taire les dieux une bonne fois pour toutes ! Que nos armées se préparent ! Nous marcherons dans quelques jours vers une marée sanguinaire !

La clameur s’éleva.

Le Serpent, lui, quitta la pièce, satisfait.

Les comtes qu’il avait conseillés l’avaient écouté.

Tout était en place.

Maître… Votre place en cette Terre sera bientôt retrouvée. Et moi, Calir, je m’effacerai. Le monde vous attend.