Après une attente qui lui avait paru une éternité, le Conseil avait enfin fini par se réunir. Liam tenait difficilement en place, se contenant à grande peine de faire les cent pas en attendant l’arrivée des délégations. Une main se posa doucement sur son épaule et l’obligea à s’arrêter. Il se retourna vers Mikhaïl, qui, bien loin de se trouver dans le même état que lui, l’observait, tout sourire.
— Du calme, mon frère, l’apaisa le prince. Tu ne devrais pas te faire autant de souci, ça te donne un air beaucoup trop sérieux.
Liam soupira, amusé par la perpétuelle insouciance du jeune homme.
— Et toi tu devrais peut-être essayer de l’être un peu plus.
— Jamais ! grimaça Mikhaïl.
Liam retint un sourire sans plus rien ajouter. Ici il ne pouvait pas se permettre les mêmes libertés que chez eux, dans le palais d’Ornate. Il balaya des yeux la salle du Conseil, impatient d’en finir au plus vite. D’une seconde à l’autre, les portes s’ouvriraient et les représentants des quatre royaumes s’installeraient autour de l’immense table ronde, ce n’était plus qu’une question de temps.
C’était la toute première fois, et probablement la dernière, que Liam participait à un Conseil. En plus de chaque dirigeant, seuls leurs représentants, leurs héritiers et leurs conseilleurs étaient ordinairement autorisés à siéger à cette table. Aujourd’hui, Mikhaïl et lui n’étaient là qu’en qualité de témoin.
Sous la bannière au croissant de lune, le Grand-Maître de la Confrérie de la Lune discutait avec plusieurs de ses Ombres. C’était un homme de bonne taille aux longs cheveux blonds et aux yeux perçants où brillait une intelligence vive. Il les avait introduits dans la salle du Conseil en même temps qu’eux, mais sans les accueillir davantage.
La pièce était en réalité un minuscule amphithéâtre aux bancs de pierres blanches entrecoupés de colonnades torsadées et séparés par des escaliers qui descendaient jusqu’à la table du Conseil. Entre chaque séparation, les murs pâles accueillaient tour à tour les bannières des quatre royaumes et de la Confrérie.
Liam regarda les Ombres se séparer et se placer à intervalles réguliers le long de la plus haute rangée de bancs, le dos bien droit et les mains jointes derrière eux. Ils étaient les garants de la sécurité des souverains et de tous les membres qui assistaient au Conseil. Personne ne pouvait rêver meilleure protection. Même lui, dont son roi vantait qu’il était le meilleur combattant du royaume, n’était pas certain de rivaliser longtemps avec les aptitudes d’une Ombre aguerrie. C’était peut-être l’absence de fenêtre dans cette salle qui le rendait nerveux, mais il ne pouvait s’empêcher de se demander ce qu’il adviendrait si l’un d’entre eux changeait soudain de camp. Liam chassa cette pensée, de tout temps la Confrérie avait toujours été au service des royaumes.
Les portes s’ouvrirent en grinçant et deux moines s’inclinèrent devant les délégations qui entrèrent en bavardant dans la salle du Conseil. Ils s’installèrent autour de l’immense table sculptée et Liam et Mikhaïl rejoignirent les leurs sous la bannière ornée d’une coupe. Chacune des délégations était accompagnée d’Ombres qui avaient assuré leurs voyages jusqu’ici et qui se rangèrent aux côtés des leurs contre les murs.
Liam s’inclina devant son roi et le prince héritier. Le premier lui sourit et le deuxième l’ignora superbement, mais il ne s’en offusqua pas. Il y avait toujours eu une sorte de rivalité entre lui et Nathanaël. Du même âge, le prince aîné avait vécu l’arrivée de Liam comme une menace à la fois pour son héritage et pour la place qu’il pourrait prendre au sein de sa famille. Liam comprenait sa réaction à son égard, même s’il n’avait jamais rien fait pour cela, au contraire. Il était suffisamment reconnaissant pour tout ce qu’on lui avait donné pour ne pas en demander davantage, plutôt soucieux de rembourser cette dette.
Liam se plaça debout derrière Mikhaïl et s’efforça de ne pas attirer l’attention plus qu’il ne le faisait déjà avec ses cheveux rouges et sa grande taille. À côté des trois têtes blondes de la famille royale, s’étaient installés les conseillers personnels du roi, qui ne lui accordaient pas plus d’attention que le prince héritier.
À sa grande surprise, il remarqua que seules la délégation de Carreau et la sienne étaient venues accompagnées de leurs souverains. La reine Raëlle était accompagnée de son époux, à qui elle avait cédé son siège au Conseil de nombreuses années plus tôt, mais ni le roi de Piques ni le roi de Trèfle n’étaient présents. Le prince Wymël et ses frères remplaçaient leur père et étaient entourés de conseillers à l’air revêche, quant à la délégation de Piques, elle brillait tout simplement par son absence.
Liam fronça les sourcils, non seulement le roi ne s’était pas déplacé, mais il n’avait même pas daigné envoyer le moindre représentant de son royaume. Il espérait sincèrement que ça n’empêcherait pas le Conseil de se dérouler. Les minutes s’étirèrent tandis qu’il guettait les portes de la salle, attendant anxieusement la dernière délégation, en vain. Les moines finirent par les refermer en silence, inconscients des esprits qui commençaient à s’échauffer de cet affront.
— C’est inadmissible, finit par éclater une voix. Pourquoi le Royaume de Piques n’est-il pas présent ?
— Peut-être n’ont-ils pas reçu d’invitation ? déclara nonchalamment le prince Wymël.
— Foutaise ! Ils ont encore dû renvoyer les Ombres de leur escorte ! railla un conseiller de Cœur. Ce ne serait pas la première fois.
— Vraiment ? demanda le prince en s’affalant dans son siège. Si nous avions su que c’était facultatif, nous nous serions abstenus de venir.
Ses frères échangèrent des phrases d’assentiment à voix basse.
— Reportons le Conseil, enchérit l’un d’eux.
Liam suivait la scène des yeux, impuissant. Aucun des princes de Trèfle ne semblait prendre son rôle au sérieux. Près de lui, certains des conseillers de sa délégation fulminaient.
— C’est un manque de respect inacceptable envers les membres de ce Conseil, nous n’allons pas en plus leur faire le plaisir de devoir nous réunir ultérieurement ! s’indigna un vieillard près de lui.
Liam se mordait la lèvre. Devant lui, Mikhaïl s’agitait lui aussi et se retenait difficilement de remettre à leur place certaines des personnes présentes. Il ne manquait pas grand-chose pour que ce Conseil dégénère véritablement. Silencieux jusqu’à lors, le Grand-Maître de la Confrérie se leva et posa ses deux mains sur la table.
— Je vous en prie, cessez vos querelles. Ce Conseil aura bien lieu, avec ou sans la présence du Royaume de Piques. Je ne doute pas que leur absence est justifiée pour une raison que nous ignorons. Nous veillerons à leur faire parvenir un compte rendu de notre réunion. Pour l’heure, nous avons plusieurs points à aborder et notre temps à tous est précieux.
Liam observait le Grand-Maître avec attention, impressionné par sa facilité à imposer le silence entre toutes ces délégations étrangères. Il se demanda si Annyaëlle avait déjà eu l’occasion de le rencontrer.
— Tout d’abord, poursuivit l’homme, certains d’entre vous ont pu entendre de sombres rumeurs sur un tragique événement survenu à Naerys, la capitale de Carreau. Reine Raëlle de Naerys, Roi Ezëkiel d’Ysthal, au nom de la Confrérie, je souhaite vous apporter tout le soutien dont vous aurez besoin et vous laisse la parole afin d’éclaircir la situation.
Le Grand-Maître s’inclina respectueusement devant la reine et le roi de Carreau et s’assit. Raëlle pressa doucement l’avant-bras de son époux et celui-ci se leva enfin, une expression indéchiffrable sur le visage.
— Il y a près de deux semaines, ma fille, la Princesse Héritière Annyaëlle de Naerys, a été la cible d’un attentat, lâcha-t-il brusquement.
Le roi n’ajouta rien, balayant la salle d’un regard empli de colère contenue. Liam devina immédiatement qu’il analysait les réactions des membres du Conseil afin de découvrir qui était déjà au courant de l’événement. Sans surprise, le roi de Cœur se redressa, choqué, avant de se tourner vers son fils cadet et de froncer les yeux d’inquiétude quand Mikhaïl acquiesça doucement. Du côté de la délégation de Trèfle en revanche, l’information semblait déjà être parvenue jusqu’à eux. À l’instar de ses frères, nullement préoccupés de la situation, le prince Wymël avait au moins eu la décence d’adopter un air grave.
— Fort heureusement, reprit le roi d’une voix forte, cette tentative a échoué. Soyez sûr que nous mettons tout en œuvre pour découvrir l’origine de cet acte. L’assassin est mort, mais s’il s’avère qu’il a des complices, nous les trouverons, quoi qu’il en coûte. Cet incident ne restera pas impuni. C’est tout ce que j’ai à dire sur le sujet.
Il regarda tour à tour les hommes qui composaient les délégations et se rassit aussi calmement qu’il en était capable. Un silence lourd suivit sa déclaration, chargeant l’atmosphère d’une tension désagréable jusqu’à ce que le Grand-Maître de la Confrérie se lève à nouveau.
— Nous vous remercions pour votre témoignage, Majesté. Si personne n’a quelque chose à ajouter, nous allons commencer par la requête du Prince Mikhaïl d’Ornate. Il souhaiterait nous entretenir de certains faits préoccupants constatés lors de son voyage vers le Royaume de Carreau. (Le Grand-Maître l’incita à se lever d’un geste.) Nous vous écoutons.
Liam fut surpris qu’aucune mention du départ d’Annyaëlle pour la Confrérie ne soit abordée au Conseil. Il jeta un coup d’œil vers son roi, puis vers le roi Ezëkiel. Tous deux semblaient échanger silencieusement. Ils tenaient peut-être à s’entretenir personnellement de ce choix avant d’en avertir les autres royaumes. Après tout, ils avaient été les premiers surpris de cette décision qui pouvait remettre beaucoup de choses en jeu. Liam regarda Mikhaïl s’avancer, saluer le Conseil et se tourner vers la délégation de Carreau. Pour une fois, les yeux rieurs du prince étaient devenus tout à fait sérieux.
— Majestés, sachez que je regrette profondément de ne pas être arrivé plus tôt à Naerys. Le crime commis envers ma fiancée est impardonnable et je tiens autant que vous à punir les coupables, déclara-t-il en s’inclinant, le poing posé sur son cœur.
La reine acquiesça doucement et Mikhaïl se redressa, prêt à aborder le sujet qui l’avait amené jusqu’ici. Liam l’écouta leur raconter l’attaque subie le jour de la fête de l’Équinoxe d’Automne, leur décrire la situation et la créature en détail, le courage des soldats qui l’avait protégé, mais ce n’est que lorsqu’il mentionna la marque étrange sur le monstre qu’il attira leur attention.
Tout le monde connaissait l’existence des Kreiis, ces choses surgissant de temps à autre sur le continent pour attaquer les caravanes, les voyageurs égarés et parfois même de petits villages isolés. Pour certains, ce n’étaient que des créatures venues d’on ne sait où, mais pour la plupart il s’agissait d’humains maudits par les Divinités, transformés en monstres terrifiants et assoiffés de sang. Cette légende était répandue par l’Église Indicible depuis des générations, mais Liam n’avait jamais vraiment su quoi en penser. Lorsque les Kreiis disparaissaient pendant plusieurs mois, les prêtres clamaient qu’ils étaient repartis sur le continent interdit, un endroit inaccessible et stérile, de l’autre côté des mers, détruit par les Divinités pour en chasser le mal des centaines d’années plus tôt.
Les Ombres étaient principalement chargées de repérer les Kreiis et protéger la population. Plusieurs fois par an, la Confrérie organisait des raids afin d’éradiquer les meutes de ces créatures jusqu’à traquer celles qui se retrouvaient isolées après avoir perdu leur groupe. Il était devenu rare de tomber sur l’une d’entre elles, une menace suffisamment faible pour être ignorée par la moitié des souverains. Pourtant, cette fois-là était différente. Un Kreiis n’attaquait presque jamais seul, rarement de jour, et certainement pas un groupe aussi important. Mais surtout, la mention de la marque avait réussi à capter l’attention de l’auditoire.
Tandis que le prince exposait la situation aux membres du Conseil, Liam se focalisa sur le Grand-Maître de la cinquième faction. Maintenant qu’il était assis, il pouvait voir que le blond de ses cheveux grisonnait, les faisant paraître terne à côté des cheveux d’or des deux princes de Cœur. Ses yeux clairs s’étaient assombris sous la concentration. De toutes les personnes présentes, il était sans aucun doute celui qui accordait le plus d’attention à leur requête. Liam sentit s’alléger le poids qu’il portait sur ses épaules. La Confrérie n’avait pas qu’une tâche diplomatique au sein du Conseil, ils étaient également chargés de défendre les royaumes si une quelconque menace était détectée.
Le Grand-Maître dépliait et repliait ses mains, tendu, laissant parfois apparaître d’étranges tatouages sur ses paumes. De ce que Liam avait pu voir, il était le seul membre de la Confrérie à en posséder, sans doute le symbole de son rang, se dit-il. Liam s’autorisa un imperceptible soupir de soulagement, au moins le Grand-Maître semblait préoccupé par ce que venait de leur dire Mikhaïl.
— Merci pour votre témoignage Prince Mikhaïl d’Ornate. Ces informations sont pour le moins préoccupantes et nous vous remercions de nous en avoir informés aussi vite. Cependant, vous n’avez pas vu de vos propres yeux cette « marque », je souhaiterais donc également entendre celui…
Le Grand-Maître fut interrompu par le fracas des portes de la salle du Conseil qui venaient de s’ouvrir brutalement. Deux femmes entrèrent sans s’annoncer, poursuivies par des moines qui tentaient vainement de les implorer de rester à l’extérieur. Quand il fut évident qu’il était désormais trop tard, les hommes d’Église s’inclinèrent devant les membres du Conseil et se confondirent en excuses.
— Veuillez nous pardonner pour cette interruption… Je… nous avons essayé de… mille excuses vos Majestés nous n’avons rien pu faire.
Le Grand-Maître leva la main en signe d’apaisement. Comme la quasi-totalité des personnes présentes dans la pièce, il savait pertinemment qui venait d’entrer de cette manière. Liam, lui, ne pouvait que supposer qu’il s’agissait enfin de la délégation manquante.
— Ce n’est rien, les rassura le Grand-Maître. Laissez-nous maintenant.
Les deux femmes descendirent les marches de l’amphithéâtre et contournèrent l’immense table avant même que les portes ne se soient refermées, puis l’une d’elles s’installa gracieusement dans l’un des sièges vides sous la bannière aux épées. Enfin, elle daigna poser ses yeux noirs sur l’assemblée, comme si elle venait tout juste de les remarquer. Son sourire séducteur était empreint d’une arrogance innée.
— Ne vous gênez pas surtout ! explosa un conseiller de Cœur, outré par son comportement.
Elle l’ignora superbement et croisa ses mains gantées. Tout en elle respirait la noblesse et la puissance. Liam jugea qu’elle ne devait pas être beaucoup plus âgée que lui. Elle était d’une rare beauté avec son teint de porcelaine et ses cheveux d’encre, mais sa seule vue suffisait à lui glacer le sang. Malgré son sourire, il ne distinguait qu’une froideur déroutante derrière son visage séducteur qui lui rappelait désagréablement une araignée à l’affût de sa proie. Un piège mortel.
Liam détourna son regard et observa la seconde femme. Elle ne portait ni robe élégante ni bijoux raffinés, mais des vêtements de cuir brun et une longue cape. Une tenue de combat, devina-t-il. Malgré l’étrange impression que lui avait laissé la représentante de la délégation de Piques, son intuition lui intimait que le véritable danger provenait de cette femme debout derrière elle. Son allure ressemblait à celle des Ombres et il aurait peut-être pu la confondre avec l’une d’entre elles si elles ne l’avaient pas si durement dévisagé.
— Princesse Seknä de Redgem, nous sommes ravis de pouvoir vous compter parmi nous, la salua le Grand-Maître de la Confrérie.
— Merci Grand-Maître Melorran. Je suis étonnée de voir que ce Conseil est déjà en cours, mais il est vrai, ma foi que nous avons un léger retard. Passons, dit-elle en retirant délicatement ses gants de soie.
— Doit-on attendre un autre de vos représentants ? railla le prince Wymël. Le roi lui-même peut-être ?
La jeune femme se pencha délicatement sur la table.
— N’êtes-vous donc pas au courant ? Notre royaume est en deuil. Le prince héritier, mon adorable fiancée, nous a malheureusement quitté. Il a toujours eu une santé fragile, mais je dois avouer que je pensais passer un peu plus de temps en sa compagnie. Sa Majesté le roi Ëkhyr m’a donc demandé de le remplacer ce jour. Entre nous, j’aurais préféré pouvoir le pleurer un peu plus longtemps.
Liam réprima une grimace face à l’absence de sincérité qu’il ressentait dans les mots de la princesse. Autour de lui, personne n’osait dire quoi que ce soit. Contrairement aux rumeurs qui avaient rapidement circulé sur la mort d’Annyaëlle, celle du Prince Héritier de Piques n’était visiblement pas parvenue jusqu’aux autres royaumes. En réalité, cela n’avait rien d’étrange. Le Royaume de Piques ne communiquait guère avec le monde extérieur et même la Confrérie n’y était qu’à peine tolérée. Liam ne savait pas si les propos de Seknä avaient convaincu, mais il était clair pour lui que son sourire évoquait tout autre chose.
— Permettez-moi de vous présenter toutes nos condoléances pour la mort de feu le Prince Ka’ÿr de Sectra, déclara le Grand-Maître. Si la Confrérie peut vous être utile en quoi que ce soit, n’hésitez pas à nous solliciter.
Un large sourire étira les lèvres de la princesse.
— C’est inutile, Grand-Maître Melorran. Maintenant passons à autre chose, voulez-vous.
— Puis-je vous demander quelque chose, princesse Seknä ?
Elle se tourna vers le prince Wymël dont toute moquerie avait déserté la voix.
— Dites toujours.
— De quoi est mort votre fiancé ?
Liam sentit imperceptiblement l’atmosphère se tendre dans la pièce. Si deux héritiers de royaumes différents avaient été victimes de tentatives d’assassinats, même si seule l’une d’entre elles avait réussi, cela faisait beaucoup en si peu de temps. Est-ce que ça ne pouvait être qu’une coïncidence ?
— Le cœur, soupira Seknä. Un cœur bien trop faible.
Ou du poison, ou un tas d’autres choses, pensa Liam. Les accidents arrivaient bien plus fréquemment qu’ailleurs au Royaume de Piques. Le roi Ëkhyr lui-même avait succédé à son prédécesseur de façon curieuse, du moins, c’est ce que l’on racontait.
— Mais assez parlé de mon défunt fiancé, ajouta la princesse. Où en étiez-vous ?
— Le Prince Mikhaïl d’Ornate nous faisait part d’événements préoccupants et nous nous apprêtions à écouter le témoignage du commandant Liam Wilsandr, pupille du roi et Valet de Cœur, répondit le Grand-Maître en faisant signe au jeune commandant d’avancer.
Comme l’avait fait le prince un peu plus tôt, Liam fit un compte rendu de l’attaque qui s’était produite pendant leur trajet vers Naerys. Il insista sur les détails pour que Seknä puisse rattraper les informations précédemment citées par Mikhaïl, et leur exposa ses doutes et ses interrogations. Pour lui, l’anormalité de l’attaque ne faisait aucun doute et il supposait que la marque trouvée sur le Kreiis avait peut-être eu un impact sur son comportement. Il fit de son mieux pour ne rien omettre, tâchant d’ignorer les interruptions moqueuses de la princesse de Piques.
— Donc si je comprends bien, la marque que vous avez vue sur le cou de cette créature ressemblait à des… racines, c’est ça ? demanda Seknä. Des tentacules peut-être ? Et vous dites que cela semblait vivant alors même que le Kreiis était mort. Évidemment, personne d’autre ne l’a vu. Aviez-vous bu commandant ?
Encore une fois, Liam fit un effort surhumain pour rester maître de lui-même. Plus cette femme parlait, plus il la détestait. Il pesait chacun de ses mots, conscient qu’il ne pouvait pas s’adresser à une princesse de n’importe quelle manière, jusqu’à ce que la Reine de Carreau vienne à son secours. Raëlle lui adressa un sourire si chaleureux et compatissant qu’il se détendit aussitôt.
— Valet de Cœur, nous ne remettons nullement vos paroles en doute, le rassura-t-elle. Je pense que certains d’entre nous ont juste du mal à concevoir ce que vous avez découvert. Évidemment, nous n’étions pas là et il est difficile de s’imaginer ce que vous avez vu.
— Merci, Votre Majesté. En réalité, cela ressemblait plus à une infection. Je pense que c’est ce qui a perturbé le comportement habituel de cette créature.
— Pensez-vous qu’il puisse y en avoir d’autres ?
— Je ne peux l’affirmer, avoua Liam. Dans le doute, le Prince Mikhaïl d’Ornate a jugé préférable d’en informer le Conseil au plus vite.
Un silence suivit sa déclaration. Liam s’inclina et reprit place aux côtés de Mikhaïl. Chaque délégation se mit à discuter de leur côté de ce qu’elles venaient d’entendre, et bientôt, des chuchotements de plus en plus forts emplirent la pièce. Au bout d’un certain temps, le Grand-Maître de la Confrérie de la Lune se leva et prit la parole.
— Prince Mikhaïl d’Ornate, commandant Liam Wilsandr, nous vous remercions pour votre clairvoyance. Nous jugeons ces propos plutôt inquiétants. Il nous semble avoir déjà vu la mention de ce phénomène dans certains livres anciens que nous conservons à Rhystaen et dès mon retour sur l’île, j’enverrai des Ombres à leurs recherches. En attendant, nous intimons la prudence à tous les royaumes. Nous pensons également qu’une enquête serait utile. Avec votre accord, nous enverrons des Ombres rejoindre les unités que vous attribuerez aux recherches.
Mikhaïl se tourna sur son siège et adressa un sourire à Liam. Tous deux étaient soulagés par la tournure que prenaient les choses. La Confrérie prenait les choses en main.
— Est-ce vraiment nécessaire ? demanda le prince Wymël en cherchant l’assentiment de ses frères, se résignant aussitôt en les voyant presque bâiller d’ennui. Bien, faites donc, nous sommes d’accord.
De son côté, la reine Raëlle posa la main sur le bras de son époux et lui chuchota quelque chose à l’oreille.
— Je propose qu’une unité conjointe parcoure librement nos deux royaumes, proposa le roi de Carreau, le regard braqué sur la délégation de Cœur.
— Vous lisez dans mes pensées Ezëkiel, lui répondit le souverain de Liam.
Tous les regards se braquèrent sur la princesse de Piques, attendant sa réponse. Nullement préoccupée par ce qui se passait autour d’elle, Seknä répondit en enroulant une mèche de cheveux noirs autour de son doigt.
— Si vous voulez mon avis, c’est une pure perte de temps. Je pense que mon royaume a des choses bien plus importantes à faire que de partir à la recherche de chimères. Mais ne vous gênez pas, envoyez donc vos Ombres. Elles sont faites pour ça, n’est-ce pas ?
Le point de vue de Liam de plus en plus intéressant.
Bravo pour les descriptions toujours aussi réussies.
Tant mieux ! Liam est vraiment un personnage important, mais c'est le plus long à se mettre en place.
Merci beaucoup =D
J’ai beaucoup aimé ce chapitre avec cette table ronde. On a un peu une vue d’ensemble sur les différents royaumes et leur « caractère » comme Seknä qui ne manque pas d’audace (et de classe, il faut se l’avouer, même si elle donne malgré tout une impression de « méchante » dans l’histoire).
La plume est fluide et l’histoire avance tranquillement, j’ai hâte de voir ce qui se trame avec les Kreiis. Personnellement, je pense que l’église cache quelque chose !
A bientôt :)
Je suis contente que tu aies aimé cette petite présentation des différents royaumes, j'avais peur que ce soit un peu trop lourd !
Il est possible que l'Église Indicible ait des choses à se reprocher ^^
Ah effectivement ! Merci !
À bientôt :)