Chapitre 18 - Liam

Comme il s’en était douté, Liam n’avait pas pu prendre part à la suite du Conseil. Il attendit donc l’heure qui suivit à l’extérieur, près des portes closes derrière lesquelles s’entretenaient toujours les différentes délégations. Mikhaïl, lui, avait eu moins de chance et était resté à l’intérieur. Liam se souvenait encore de l’expression de détresse exagérée sur le visage du jeune prince, suppliant presque qu’on l’achève plutôt que d’assister au reste de la séance. Cette image le fit aussitôt sourire. Mikhaïl avait le don de ne jamais rien prendre au sérieux.

Liam attendait donc la fin de la réunion, planifiant mentalement les endroits qu’il serait stratégique de vérifier, juste au cas où. Les principales cités devraient être informées rapidement de la potentielle présence de créature au comportement inhabituel, afin qu’elles puissent elles aussi diffuser l’information aux villages alentour. Ainsi, si quelqu’un repérait quelque chose Liam devrait rapidement être mis au courant. En premier lieu, il se chargerait de retourner à l’endroit où ses soldats et lui avaient détruit le Kreiis, et de là, il pourrait élargir le périmètre et démarrer leurs recherches.

Liam s’écarta pour laisser passer un petit groupe de moines. Il les regarda s’éloigner en silence dans leur longue toge blanche, glissant comme des fantômes sur les dalles de pierre pâle. Au-delà des arcades en contrebas, il pouvait apercevoir un morceau du petit lac aux eaux noires et profondes, réputé pour ses vertus bienfaisantes. Perdu au cœur des Cimes Éternelles, le monastère de l’Église Indicible avait été construit à l’aplomb de celui-ci, l’entourant comme un croissant de lune. Depuis sa création, il demeurait le siège du Conseil qui réunissait les dirigeants des royaumes, mais aussi un lieu de retraite et de recueillement pour vénérer les quatre Divinités. C’était un endroit isolé et considéré comme neutre, en dehors de la juridiction des différents royaumes. Un sanctuaire.

Lorsque les portes finirent par s’ouvrir à nouveau, Liam s’inclina respectueusement devant les délégations. Un peu à la traîne, les deux princes de Cœur semblaient se disputer. C’était un vrai miracle qu’ils aient attendu la fin du Conseil, pensa Liam, habitué à leurs perpétuelles querelles. Depuis quelques années, les deux frères n’arrivaient plus à se comprendre. L’insouciance et parfois la désinvolture du plus jeune étaient devenues insupportables pour le pragmatique prince aîné. Quand ils arrivèrent à la hauteur de Liam, Nathanaël le salua distraitement avant de partir à grandes foulées.

— Est-ce que tout va bien ?

Mikhaïl soupira.

— Oui, oui. Tu le connais, il a le don d’être insupportable. Je me demande parfois comment nous pouvons être frères ! Nous n’avons rien en commun.

Liam sourit, mais se retint de lui rappeler à quel point ils se ressemblaient physiquement. Mis à part les yeux bleus, et non verts, de Nathanaël et l’expression austère de son visage, personne n’aurait pu douter du lien de parenté des deux princes.

— Sois indulgent, lui recommanda Liam. Nathanaël prend très à cœur son devoir envers le royaume. En tant que prince héritier, tu n’imagines pas la pression sur ses épaules. Mais qu’est-ce que tu as bien pu faire pour l’énerver cette fois ?

— Rien de spécial. Trois fois rien, je te le promets, se défendit Mikhaïl. C’est juste que… je me suis endormi.

Pour une fois, Liam fut tellement surpris qu’il ne put s’empêcher d’éclater de rire. Il imaginait sans peine la situation et comprenait tout à fait la réaction de l’aîné. Il se contrôla aussi vite qu’il le put, vérifiant que personne n’était assez proche pour s’en être rendu compte. Mikhaïl, lui, ne se souciait pas d’attirer l’attention et riait pleinement.

— Décidément, je ne peux pas te laisser deux minutes ! souffla Liam, luttant pour ne pas rire à nouveau.

— Est-ce là une façon de s’adresser à son prince ?

La voix claqua derrière eux comme un coup de fouet. Toute trace d’amusement sur leur visage s’évapora lorsqu’ils découvrirent Seknä, toujours le même sourire insolent suspendu à ses lèvres.

— Dans mon royaume, reprit-elle, jamais une personne de basse naissance ne se serait permis de me parler de la sorte. Après réflexion, elle ne serait juste jamais permise de m’adresser la parole. Vos coutumes sont-elles différentes au Royaume de Cœur ?

Liam ne lui fit pas le plaisir de répondre, mais le prince s’avança. Il l’avait rarement vu aussi furieux.

— Sachez qu’il est la pupille de mon roi, et qu’il est de ce fait comme un frère, coupa Mikhaïl d’une voix tranchante.

— Hum… pupille, commandant, et même Valet de Cœur, un honneur rare. Ce sont tous des titres prestigieux, certes, mais ce ne sont que des titres. Vous n’en restez pas moins un roturier, n’est-ce pas ?

Elle regardait Liam d’un air satisfait, mais il s’obstinait à rester silencieux, aucunement affecté par ses propos. Ignorée, Seknä hésita à l’attaquer de nouveau, se ravisa et décida de jouer une autre carte avant de rentrer chez elle. Cette fois, sa voix se fit plus douce, plus tendre avant de s’adresser au prince.

— Vous avez eu l’air épuisé pendant le Conseil, minauda-t-elle. Le drame qui vous touche doit beaucoup vous attrister. Je vous présente mes sincères condoléances pour votre défunte fiancée. Je sais ce que vous traversez.

Mikhaïl la foudroya du regard.

— La Princesse Annyaëlle de Naerys est en vie. Les informations que vous avez reçues sont fausses, je me demande qui peut bien répandre ce genre de rumeur, répondit-il sèchement.

Liam fronça les sourcils, prêt à intervenir. Évidemment, il se doutait que Seknä était parfaitement au courant que l’attentat avait raté sa cible. Elle jouait avec eux et c’est d’un air faussement penaud qu’elle ajouta.

— Oh. L’alliance entre les royaumes de Cœur et de Carreau est donc toujours d’actualité.

— En effet. En quoi cela vous intéresse-t-il ?

La jeune femme fit un pas vers Mikhaïl, ondulant dans sa robe noire.

— Et bien… Vous savez la perte de mon fiancé est un événement tragique. Si vous aviez traversé la même chose, peut-être aurions-nous pu nous épauler pour surmonter cette épreuve. Peut-être serions-nous devenus amis ?

— Malheureusement, nous ne sommes pas dans la même situation, gronda furieusement le prince.

— C’est bien triste. Mikhaïl, d’autres alliances sont parfois plus intéressantes. Pensez-y, voulez-vous ? lui susurra-t-elle à l’oreille.