Loreleï pénétra dans l’endroit obscur. La porte battit derrière elle avant de se figer et un « clac » retentit. Loreleï se crispa. Plus de retour en arrière possible. La lumière se fit, dévoilant une grande pièce complètement vide. Le sol était un parquet de chêne lustré. Le plafond haut proposait un blanc immaculé rayuré de poutres lourdes. Les murs nus rendirent Loreleï claustrophobe.
Un mur s’ouvrit – par un ingénieux système que Loreleï n’avait pas du tout remarqué, dévoilant Frida. Loreleï sourit et serra sa confidente dans ses bras.
- Je suis tellement heureuse de te voir ! s’exclama Loreleï.
- Moi de même, assura Frida.
Son aura s’éclaircit à ces mots, prouvant la véracité de ses paroles.
- Souviens-toi de tout ce que tu as appris, indiqua Frida. Tu en es capable. Tu vas y arriver.
À ces mots, Frida déposa un doux baiser sur son front et sortit, la laissant seule, et le noir se fit de nouveau. Lorsqu’elle avait dit « Tu vas y arriver », l’aura était restée fidèle à elle-même. Frida ne croyait pas en ses propres paroles. Elle ne pensait pas non plus que Loreleï allait échouer. Elle n’en savait simplement rien. Ce n’était ni vrai, ni faux, juste incertain. Loreleï frissonna.
- Bonjour, Loreleï, dit une voix masculine dans son dos.
Inutile de se demander à qui elle pouvait appartenir. Bien sûr, Loreleï la reconnut mais de toute façon, il était le seul homme à vivre ici. Loreleï tomba genoux en position de soumission et ferma les yeux, acte bien inutile dans l’obscurité ambiante mais Loreleï ne cherchait jamais à s’opposer aux ordres. On lui disait d’avoir les yeux fermés en présence de père, elle le faisait, en dehors de toute considération environnementale.
- Bonjour, père, répondit Loreleï.
- Récite le premier verset.
Sa voix venait de la gauche. Il bougeait autour d’elle dans le plus grand silence.
- Père est l’ordre, l’harmonie, la loi, la justice. Il décide, contrôle, commande, protège.
- Que font mes filles ? dit sa voix, venant de la droite cette fois.
- Nous servons le père, répondit Loreleï. Je sers le père.
Elle se sentait calme, tranquille. Les questions qu’il posait étaient simples. Il serait fier. Elle connaissait tout par cœur. Il continua à l’interroger, vérifiant son savoir. Loreleï répondit à toutes ses questions, d’abord théologiques, puis d’ordre général, mélangeant les connaissances historiques, artistiques, scientifiques ou médicales, le tout sans ordre apparent, dans un chaos total.
Loreleï débordait de confiance en elle. Elle répondait avec le sourire, sentant son énergie pulser. Chaque réponse la comblait de plaisir. La voix de père restait neutre, uniforme. Appréciait-il ? Elle n’en avait aucune idée. Elle aurait voulu lire sur son visage un sourire ou des sourcils froncés. Elle garda les yeux clos dans la parfaite position de soumission. Hors de question de briser cette règle-là. Elle connaissait fort bien la punition.
- Lève-toi, ordonna-t-il depuis son dos. Ouvre les yeux et indique-moi la question, le tout sans jamais me regarder.
Sur le mur, nu à son arrivée, se trouvaient des images, des textes, des schémas, des dessins, des interviews, le tout dans différentes langues. Sans se tourner vers le père, elle observa les documents. Il lui avait demandé de trouver la question.
Loreleï observa avec attention, commençant par une lecture globale via les titres, vérifiant les dates et les lieux. Puis, elle lut plus en profondeur, tentant de faire des liens. Elle n’avait ni papier, ni crayon à disposition. Tout devait se faire de tête. Elle prit son temps, analysant avec attention. Le père resta silencieux dans son dos. Aucun son d’agacement ne vint. Il n’y avait que le néant.
Loreleï sourit puis annonça la question.
- Réponds à ta question, ordonna le père.
Loreleï frémit et sa gorge se contracta. Y répondre ? Cela allait demander une sacré finesse. La question était diablement compliquée. Elle observa le décor et en conclut qu’on pourrait en déduire des centaines, peut-être même des milliers de questions, certaines simples, d’autres complexes. Elle s’en voulut. À vouloir épater le père, elle venait de se mettre elle-même en difficulté.
Elle grinça des dents mais ne lâcha rien. Combien de temps cela lui prit-il d’exposer son argumentaire tout entier ? Des heures, estima-t-elle sans certitude. Enfin, elle se tut, estimant avoir répondu. Un objet tomba à ses pieds devant elle.
- Mets ce bandeau sur tes yeux puis tourne-toi vers moi.
Elle attrapa les sangles en cuir et la fixa difficilement. Il ne l’aida pas. Enfin, elle fut aveuglée et se retourna.
- Déshabille-toi, ordonna-t-il.
Elle obéit. Pudique, elle ne l’était pas devant ses sœurs. En revanche, devant un homme ! Pourtant, elle fit comme demandé sans attendre. Quand le père ordonne, on obéit. C’est simple, facile, évident.
- Je t’apprécie beaucoup, Loreleï.
La jeune femme en sourit de bonheur.
- Tu sembles beaucoup aimer les animaux, continua-t-il.
Pouvait-il vraiment la connaître ? Comment ? Il avait pris la peine de se renseigner sur elle.
- En effet, père, confirma Loreleï.
Une main sur son dos. Elle sursauta et cria, avant de fermer sa bouche en s’en voulant de sa réaction.
- Tu es nerveuse, constata-t-il. Tu as peur ?
- Je crois, oui, père, dit-elle, un peu penaude.
- Tu as le droit, lui permit-il sobrement. Soumets-toi.
Elle reprit la position à genoux, le dos bien droit, les jambes écartées autant que les épaules, les mains dans le dos. D’habitude, elle parvenait aisément à la tenir mais nue devant père, la difficulté pointait le bout de son nez.
- Ouvre la bouche, ordonna-t-il et elle obéit.
Quelque chose entra à l’intérieur de sa cavité buccale.
- Avale.
C’était immonde. La texture, le goût, rien n’allait. Cela avait le goût… du poison, de la pourriture. Tout son corps lui disait de recracher. Elle lutta contre son instinct pour obéir à l’ordre donné.
- Mets tes bras à l’horizontal.
À peine eut-elle obéi qu’une violente douleur saisi son avant bras droit. Elle cria mais ne bougea pas. Un liquide glacé se fraya un chemin entre ses seins, courut sur son ventre, glissa sur son sexe poilu avant de goutter sur le parquet.
- Nettoie le sol avec ta langue.
Humiliée, elle obéit, acceptant de subir les volontés du père. Le liquide lui brûlait la langue. Elle rendit sa propreté au parquet malgré cela, alors que par deux fois, elle reçut de la douleur, la première sur le mollet droit et la seconde au ventre.
Avec difficulté, elle se remit en position de soumission une fois son travail terminé. Une main puissante se plaqua sur sa bouche, la fermant et deux doigts pincèrent les narines. Loreleï se retrouva privée d’air. Elle suffoqua mais ne broncha pas, luttant contre son instinct pour accepter la décision de père. Elle sentit sa conscience disparaître et elle sombra.
Lorsqu’elle s’éveilla, le bandeau sur ses yeux lui sembla atroce. Elle voulait voir, pouvoir fuir, se défendre ! Contre le père ? Inutile. Il décidait. Il venait de lui permettre de vivre. Il pouvait tout aussi bien changer d’avis à n’importe quel moment.
Elle se remit en position de soumission et attendit, incapable de savoir s’il était là ou si elle se trouvait seule. Le temps s’étira. Difficile à déterminer dans une telle tourmente émotionnelle. L’épreuve durait, durait, durait. Combien de temps encore ? Aussi longtemps que le père le jugerait nécessaire. Elle n’avait pas à décider, juste subir et accepter. Elle renonça et attendit, silencieuse, malgré la douleur dans les jambes, les épaules et le dos.
- Je vais retirer ton bandeau, annonça le père.
Loreleï avait fini par se croire seule. Était-il resté avec elle durant tout ce temps ? Il savait se déplacer dans le plus grand silence alors elle en douta.
- Tu vas me regarder et prendre tout ton temps. Pas d’urgence. Détends-toi. Respire profondément. Tout va bien, Loreleï, tout va bien.
Pourquoi de telles précautions ? Présentait-il des cicatrices ? Un visage horrible et défiguré ? Ses doigts agiles délièrent sans la moindre difficulté le bandeau qui tomba. Loreleï mit quelques secondes à ouvrir les yeux. Ceux-ci mirent du temps à s’adapter à la luminosité ambiante. Enfin, elle fut en mesure de lever les yeux sur le père.
Elle ne put s’empêcher de reculer un peu et sa respiration se fit haletante.
- Calme-toi, reprit-il avant de la ramener tendrement vers lui d’une main douce sur l’arrière du crâne.
Elle ne voyait rien, rien de plus qu’une ombre noire et menaçante. Son aura voletait autour de lui tel un nuage opaque et sombre, tellement dense que la personne derrière demeurait invisible.
- Tes pouvoirs vont s’y habituer et tu vas réussir à faire le point, la rassura le père.
Loreleï gémit de terreur. Ses sœurs et elles brillaient tellement ! Comment le père pouvait-il être plus obscur que la nuit ? Il lui sembla que devant elle se dressait la mort en personne. Elle en pleura. Il essuya gentiment ses larmes. Même ses mains douces et chaudes disparaissaient sous un brouillard d’ébène. Elle fondit en sanglots. Il l’enlaça pour un tendre câlin, la berça, ses mains restant sur le dos et les épaules dans des gestes amicaux et fraternels.
Loreleï finit par se calmer. Il pencha la tête puis gronda :
- Tu n’as toujours pas percé le brouillard.
Elle secoua la tête pour confirmer.
- Continue à me regarder. L’écart est immense. Ton esprit doit tout redéfinir. C’est très difficile pour lui.
Il resta près d’elle, à lui tenir les mains et enfin, un vent dégagea le ciel pour dévoiler un homme d’une trentaine d’années, le visage olive glabre, les yeux bruns et les cheveux châtains. Loreleï fronça les sourcils.
- Qu’y a-t-il ? demanda-t-il, amusé.
Elle caressa sa main sur la sienne.
- Tu es vraiment mon père ?
- Sans aucun doute, dit-il.
Il observa sa fille à la peau noire et sourit.
- Tu auras l’explication. Les cours que tu recevras de l’autre côté te permettront de comprendre.
Loreleï hocha la tête, heureuse de ce fait. De nouvelles connaissances et compétences à engranger, de quoi ravir la jeune femme.
- L’épreuve n’est pas encore terminée, indiqua-t-il. Remets-toi en position de soumission.
Loreleï obtempéra. Il se plaça derrière elle et entreprit de défaire ses tresses, retirant les extensions de cheveux retenant des perles. Il les posa au sol. Il semblait très habile. Rapidement, il ne lui resta que ses propres cheveux détachés sur la tête. Loreleï en prenait grand soin. À côté de ses sœurs blondes aux cheveux cascadant, elle s’était toujours sentie ridicule et moche. Elle était fière, à force de travail et de soin, d’avoir obtenue sa chevelure actuelle.
La première mèche de cheveux tombant devant elle la prit par surprise. La deuxième lui fit l’effet d’un coup de poignard. Les suivantes furent vécues dans un brouillard. Le rasoir lissant son crâne l’anéantit.
- Pas bouger, ordonna-t-il avant de sortir par le mur se refermant derrière lui.
Elle était nue au milieu de ses cheveux, à genoux, les mains dans le dos. Son corps la grattait, du fait des nombreux petits cheveux la recouvrant. Elle sentait son crâne nu et n’en revenait toujours pas. Il l’avait tondue sans la moindre considération. Il savait qu’elle aimait les animaux. Cela impliquait qu’il s’était renseigné sur elle. Il n’ignorait donc pas l’importance de ses cheveux pour elle. Il l’avait fait exprès. Loreleï sourit. Elle venait de réussir cette épreuve, de se dépasser pour lui.
Elle dut rester longtemps à genoux, au milieu de ses cheveux mais finalement, la porte s’ouvrit, dévoilant Frida, une tunique blanche à la main. Elle la lui tendit.
- Tu peux la mettre, indiqua Frida mais Loreleï ne broncha pas.
Il avait dit « Pas bouger ». Frida n’avait pas autorité pour la libérer de cette contrainte.
- L’épreuve est terminée, insista Frida. Tu peux bouger.
Loreleï resta immobile. Frida haussa les épaules et jeta la tunique au sol avant de s’éloigner en laissant la porte ouverte derrière elle. Loreleï resta à sa place. Le temps s’étira de nouveau. Elle se pissa dessus mais parvint à ne pas s’endormir ni à chier. Elle répéta les versets, y puisant le courage et la détermination.
- Tu peux rejoindre tes sœurs, Loreleï, dit le père, appuyé sur le bord du mur ouvert.
Il souriait et ses yeux brillaient. Loreleï était épuisée, mais heureuse. Elle avait réussi le test, jusqu’au bout. Il s’éloigna sans attendre. Ses muscles douloureux, Loreleï mit un moment à se relever. Elle passa la tunique, rêva d’un bon bain puis sortit de la petite salle d’épreuve.
Elle avança au hasard le long de plusieurs couloirs. Elle tomba nez à nez avec Frida.
- Ah ! Enfin ! Tu t’es décidée à sortir. Bon, d’habitude, on fait une fête pour accueillir la nouvelle adulte. Mais vu que tu as attendu le matin pour sortir, on ne va pas…
- Je n’ai pas attendu le matin, grogna Loreleï. J’ai patienté jusqu’à obtenir la permission de père.
- Chris est venue te voir ? s’étonna Frida.
- Tu appelles père par son prénom ?
- Oui, et tu le feras aussi.
- Tu n’as pas attendu sa permission pour sortir, comprit Loreleï.
- Non ! Aucune de nous ne l’a fait. Notre confidente est venue nous annoncer la fin de l’épreuve et nous l’avons suivie. Chris t’a rejointe pour te permettre de sortir ?
Elle semblait totalement abasourdie. Son visage n’exprimait que de l’incrédulité.
- Bref, normalement, tu es censée avoir une soirée et une nuit de repos avant ta première journée. Là, tu vas devoir enchaîner et moi, je dois te donner toutes les indications sans perdre un instant. J’espère que tes oreilles sont grandes ouvertes malgré le manque de sommeil !
- Je t’écoute, assura Loreleï.
Elle avait de fait davantage soif que besoin de dormir. Une nuit blanche ne lui posait guère de difficulté.
- Le matin, tu dois faire ton lit et ranger tes affaires.
- Comme avant, comprit Loreleï.
- Exactement. Ensuite, tu rejoins l’endroit de ton choix, tu t’agenouilles et tu récites à voix haute « L’adoration au père » dans son intégralité. À la moindre erreur, tu recommences depuis le début.
Loreleï resta de marbre. Commettre une erreur en récitant « L’adoration au père » ? Aucune chance. Elle connaissait ce texte basique sur le bout des doigts.
- Ensuite, tu dois réaliser une heure de sport, celui de ton choix. Tu peux le faire seule ou avec une sœur, à ta préférence.
Loreleï hocha la tête.
- Alors seulement tu peux rejoindre la salle à manger pour déguster un merveilleux petit-déjeuner.
Loreleï sourit. Frida adorait le sucre. Le petit-déjeuner était son repas préféré.
- Tu te lèves à l’heure que tu veux, poursuivit Frida, mais le petit-déjeuner ne peut être pris qu’avant neuf heures.
Réciter « L’adoration au père » ne prenait qu’une quinzaine de minutes. Loreleï estima qu’en se levant à sept heures, elle parviendrait sans peine à manger le matin. L’heure de lever lui convint totalement.
- Après le petit-déjeuner, tu vas consulter le tableau, indiqua Frida en s’arrêtant de marcher. Il est 9h30, précisa-t-elle en désignant une horloge.
Trop tard pour le petit-déjeuner, en conclut Loreleï qui grimaça. Elle aurait volontiers avalé un verre de jus d’orange frais.
- La supervisatrice aura indiqué ton poste, compléta Frida.
- La supervisatrice ? répéta Loreleï.
- Il paraît qu’il en existe plusieurs mais en trois ans, je n’en ai jamais vu qu’une seule. Elle transmet la volonté de Chris en nous répartissant les tâches. Respecte-la par une attitude, des mots et des gestes appropriés, mais le seul à recevoir ta soumission…
- est le père, termina Loreleï à sa place.
- Tu as le droit d’indiquer poliment ton désaccord. Si besoin, Chris viendra lui-même régler le problème.
- Parce que père se déplace pour…
- Chris vit avec nous, indiqua Frida et Loreleï en eut les larmes aux yeux de joie. Il mange avec nous, se trouve dans nos salles d’étude ou dans les gradins sportifs. Parfois, on ne le voit pas pendant un mois et puis soudain il revient et nous offre sa présence pendant plusieurs semaines d’affilée. Il fait toujours en sorte d’être présent pour l’arrivée d’une nouvelle. Tu verras. Il se rend disponible pour nous mais la plupart du temps, tu oublieras sa présence. Seule obligation : position de soumission quand il entre dans un lieu dans lequel tu te trouves, même si c’est la quinzième fois de la journée que tu le croises. Tu restes dans cette position maximum cinq secondes.
Loreleï tiqua. Elle s’était attendue à « minimum » cinq secondes.
- Parfois, il entre, fait signe à l’une de nous de le rejoindre puis s’en va. S’il n’est plus là, tu peux te relever. Pas besoin d’attendre.
Loreleï sourit avant de regarder le tableau. Titré « Surveillance », il proposait des horaires et des noms. Loreleï aperçut le sien avec trois autres prénoms de 9h à 15h. Frida, elle, n’apparaissait que de 15h à 22h.
- Où suis-je censée être depuis une demi-heure ? demanda Loreleï, agacée de constater que le déjeuner non plus ne lui serait pas accessible.
- En salle de surveillance. Ne t’inquiète pas. La supervisatrice sera clémente pour ton premier jour.
- Je fais quoi le reste de la journée ?
- Ce que tu veux, répondit Frida. Tu es adulte. Tu te gères. Tu peux te relaxer, apprendre, regarder la télévision, lire, faire des expériences, t’occuper des animaux, préparer les repas, nettoyer les parties communes. Il n’y a pas vraiment de désignation. Chacune participe un peu.
Loreleï indiqua d’un geste qu’elle avait compris.
- Merci, Frida. Tu peux disposer, dit une voix glaciale dans le dos de Loreleï.
- Oui, supervisatrice, répondit Frida en inclinant – oh à peine – son buste.
Frida sourit chaleureusement à Loreleï avant de s’éloigner dans la direction opposée à la nouvelle venue. Loreleï se retourna pour faire face à cette femme qu’elle devait respecter, mais pas trop non plus, plus que les porteuses de savoir, mais pas autant que père même si elle transmettait ses volontés.
Elle essaya de composer un visage humble mais il fut remplacé par une stupeur sans nom. Cette femme en robe noire n’avait pas d’aura, aucune. Si le brouillard sombre enveloppant père l’avait fait fondre en larmes, cette femme lui glaça le sang. Elle se sentit faible, misérable et impuissante face à elle.
- Suis-moi. Je vais t’expliquer comment servir Chris.
Loreleï oublia toute velléité à ces mots. Servir le père, voilà tout ce qu’elle désirait.
- Tu vas regarder des écrans de contrôle et indiquer, dès que tu en vois, une personne à l’aura sombre, comme Chris, une personne brillante comme tes sœurs et une personne sans aura comme moi. As-tu compris ?
- J’ai compris ce que je dois faire mais je ne…
- Tu es déjà en retard pour ta servitude. Les explications seront pour plus tard, cingla la supervisatrice.
- Oui, bien sûr, pardonne-moi, s’excusa Loreleï en s’inclinant.
- Loreleï, je ne refuse pas de répondre à tes questions, précisa la femme sans aura. Je repousse juste à plus tard afin que tu puisses réaliser ton service. C’est avec grand plaisir que je te répondrai sur tes temps libres.
Sa voix était devenue chaleureuse et réconfortante.
- Puis-je avoir à boire ? murmura Loreleï de la voix la plus humble qu’elle put faire.
- De l’eau, autant que tu en veux. En revanche, pas de nourriture dans les salles de surveillance et concentration maximale !
Loreleï hocha la tête. Une porte s’ouvrit, dévoilant un confortable siège de bureau avec accoudoir faisant face à une dizaine d’écrans immatériels. Ils flottaient dans l’air, déroulant des scènes de la vie de tous les jours : des rues animées, des halls de cinéma, des parcs, des ports, des marchés. Loreleï s’installa.
- As-tu compris ce que tu dois faire ?
- Euh, non, admit Loreleï en observant les écrans.
- Quand tu vois quelqu’un avec une aura particulière, tu le désignes sur l’écran et tu choisis sa nature. C’est bon ?
- Et je fais ça pendant six heures par jour, comprit Loreleï.
- C’est ça, indiqua la supervisatrice.
- C’est ainsi que Chris souhaite que je serve ? insista Loreleï.
- Oui. Saisis le tube accroché au fauteuil pour boire. Tu n’as pas le droit de quitter la pièce pour te libérer le ventre. En revanche, tu n’es pas obligée de rester assise. Tu peux arranger la pièce à ta convenance et même demander que des toilettes apparaissent. Ne quitte jamais les écrans des yeux !
- D’accord, dit Loreleï sans regarder son interlocutrice afin de scruter les passants.
Que des auras normales, comme celles des nourrices et des porteuses de savoir, plus ou moins sombres, variant de temps en temps.