Chapitre 18 : Loreleï - Service

Loreleï ressortit de la salle de surveillance plus bouleversée qu’elle ne l’aurait cru. Ce travail ne nécessitait aucune compétence particulière, ni en langue, ni en histoire, ni en politique, ni en science. À quoi bon toutes ces connaissances pour un service aussi peu demandeur ?

- Tu as fait du bon travail.

Loreleï se rendit seulement compte de la présence de Chris dans le couloir. Affolée, elle s’agenouilla et resta ainsi cinq secondes avant de se relever.

- Tu as le droit de me regarder maintenant, tout le temps, sans attendre ma permission, précisa-t-il.

Loreleï se demanda combien de temps elle mettrait avant de changer cette habitude bien ancrée. Elle le regarda et le trouva très beau, tout en simplicité et en charisme. Elle ne cessait cependant d’être troublée par sa peau claire. Les autres ne se moquaient jamais de sa différence. C’était elle qui se mettait à part, observant les longs cheveux blonds, bruns et roux avec envie.

- Tu as bien travaillé, Loreleï. Je suis très satisfait.

- Je n’ai désigné personne, répliqua la jeune femme, troublée.

- Tu veux que je t’amène auprès des animaux ? proposa Chris, ignorant sa remarque.

- Volontiers, père, répondit Loreleï, toujours abasourdie mais ravie.

Il lui sourit, lui attrapa le bras et la mena le long de plusieurs couloirs. Elle découvrit les extérieurs et en fut époustouflée. Le même ciel uniforme sans nuage permettait de découvrir des collines recouvertes d’une herbe épaisse ponctuée de petites fleurs colorées.

Une forêt apparaissait au loin. Si Loreleï ne voyait pas l’étang, elle entendait les coassements de grenouille prouvant sa présence proche. Le vent tiède la caressait. Cela sentait la lavande. Le bourdonnement des abeilles promettait un miel de bonne qualité. Des nuées d’oiseaux rainuraient le ciel de temps à autres tandis que des chants de volatiles plus proches emplissaient les oreilles des promeneuses.

Quelques moutons paissaient dans le lointain et Loreleï entendait les hennissements de quelques chevaux. L’écurie, invisible, ne devait pas être très loin.

- C’est magnifique ! s’exclama-t-elle.

- Ravi que mon paradis te plaise, répondit Chris. À ce soir, Loreleï.

Il disparut avant même que Loreleï ne put dire un mot. Elle s’avança vers les chevaux, se fiant à ses oreilles, pour les découvrir en liberté totale, mais en attente et impatients. Elle passa un moment avec eux, se contentant de les découvrir, de les apprivoiser, de leur permettre de la découvrir, ce qu’ils firent volontiers. Elle tenterait de les monter plus tard, quand ils montreraient leur accord.

- Loreleï ! Tu penseras à nettoyer la salle de l’épreuve, dit une femme en passant sur le chemin le long du pré.

Elle rayonnait. Loreleï acquiesça à sa sœur âgée d’une trentaine d’années, la peau hâlée et aux longs cheveux noirs, qui repartit vers le bâtiment principal. Loreleï resta encore un moment avec les chevaux puis rentra. Elle ne croisa personne.

- Où puis-je trouver de quoi nettoyer la salle de l’épreuve ? demanda Loreleï à voix haute.

Une flèche apparut sur le sol. L’intelligence artificielle du bâtiment venait de lui répondre. Loreleï sourit. Elle adorait ces machines leur simplifiant la vie.

Elle dut ramasser ses cheveux et retirer son urine mais elle le fit avec ardeur. Elle comprenait l’importance de la vie en société et tenait à participer à la sororité. Aucune sœur ne pourrait rien lui reprocher. Elle nettoya le rasoir ayant servi à rendre son crâne nu. Elle se caressa la tête. Les cheveux repousseraient, bien sûr. Elle sentit le poids de la domination de père sur elle. Faisait-il subir la même épreuve à toutes ses filles ?

- À quelle heure sont les repas ? demanda Loreleï une fois le matériel rangé.

- Le petit-déjeuner doit être pris avant 9h. Le déjeuner commence à 12h. Aucun retard n’est toléré. Toute sœur arrivée après cet horaire trouvera porte close. Le dîner se tient à 19h. Aucun retard accepté non plus.

Mieux valait avaler un solide petit-déjeuner puisqu’un seul autre repas ne serait disponible dans la journée, les six heures de surveillance empêchant de se rendre à l’autre.

- Je voudrais rejoindre une de mes sœurs. Veux-tu bien me guider vers la plus proche ?

Des flèches apparurent. Loreleï les suivit, tentant de retenir les couloirs, les cours intérieures, les portes. Aucun escalier : le bâtiment ne proposait ni étage, ni sous bassement.

Les flèches la guidèrent jusqu’à une porte massive en bois ornée de motifs complexes. À l’intérieur, Loreleï découvrit une pièce vaste et majestueuse. De larges baies vitrées encadrées de rideaux de velours rouges laissaient entrer la lumière extérieure vers les jardins : l’étang, constata Loreleï.

Des lustres – pour le moment éteints – chatoyaient sur les murs et le plafond zébré de lourdes poutres.

Deux des murs étaient recouverts de riches panneaux de bois sombres, sculptés avec élégance et ornés de moulures, portant de nombreux ouvrages aux reliures de cuir gravées d’inscriptions brillantes. Le dernier proposait des tableaux, ici du Picasso et bien sûr, l’inévitable portrait de Chris, reconnaissable malgré l’art cubique utilisé pour le représenter.

Des bureaux d’ébène, d’acajou et de bois de rose, astucieusement placés un peu partout, permettaient de compulser les ouvrages en toute tranquillité. Quelques tables basses entourées de fauteuils confortables offraient la possibilité aux utilisatrices de se réunir pour converser.

Les femmes pouvaient aussi choisir de se mettre par terre, sur un tapis moelleux prévu à cet effet. Divers coussins permettaient de s’y prélasser avec confort.

Cela sentait le bois, le cuir et le papier. Il faisait tiède et sec.

Trois sœurs échangeaient avec force autour de la table basse centrale, des livres disposés aléatoirement devant elles. Toutes trois caucasiennes, blondes aux yeux bleus, Loreleï tiqua. Elle avait un peu honte de se présenter le crâne chauve, la peau noire, sans forme, face à ces trois adultes splendides.

« Père est l’ordre, l’harmonie, la loi, la justice. Il décide, contrôle, commande, protège » récita-t-elle mentalement pour se donner du courage.

- Loreleï ! Approche ! Ton avis nous intéresse, s’écria l’une des trois avec un immense sourire.

Loreleï en soupira d’aise. Aucun regard moqueur. Elle fut totalement intégrée dans la conversation. Aucune des trois ne la diminua verbalement. Elle fut considérée comme leur égale.

Loreleï se trouva à la hauteur. Un peu timide au début, elle finit par intervenir avec politesse et courtoisie, renchérissant ou contrant. Loreleï passa un excellent moment.

- Allons préparer le repas ! indiquèrent les sœurs.

Loreleï suivit volontiers Anaïs, Jade et Léa à travers les couloirs, se repérant un peu mieux. Elles pénétrèrent dans une grande pièce aux larges fenêtres ornées de rideaux lourds. Loreleï frissonna sous la différence de température, pourtant plus élevée dans cette pièce que dans le reste du bâtiment.

Au centre, une longue table en acajou s’étendait sur toute sa longueur. Loreleï compta vingt chaises hautes aux dossiers sculptés rembourrées de coussins doux.

Aucun luminaire n’était présent. Seule la lumière extérieure permettait d’éclairer ce lieu où aucune présence n’était permise en dehors des heures de repas se passant en pleine journée.

Tous les tableaux représentaient de la nourriture, y compris celui de Chris dont le portrait très ressemblant avait été réalisé avec un assemblage de fruits et légumes divers et variés.

Aucune odeur de nourriture ne venait assaillir les narines de Loreleï malgré les fenêtres closes. L’aération devait être excellente.

- Tu veux bien mettre la table, Loreleï ? demanda Anaïs. Frida nous a dit que tu n’aimais pas cuisiner !

- Volontiers, oui, indiqua Loreleï. Je mets combien de couverts ?

- Mets-en dix. Ça fera trop mais ce n’est pas grave.

« Dix ? pensa Loreleï. Seulement dix ? Trop ? »

Jade l’aida à étendre une magnifique nappe en lin fin recouverte d’une autre blanche brodée. La vaisselle en porcelaine et les couverts en argent mirent Loreleï mal à l’aise. Les serviettes en soie la décontenancèrent.

Jade se montra très bavarde de sujets banals. Loreleï lui raconta sa rencontre avec les chevaux et Jade se montra réceptive et accueillante. Loreleï se sentit intégrée avec chaleur. Elle n’osait cependant pas dire à voix haute ce qui la turlupinait.

Midi sonna et la salle se remplit. Huit sœurs s’installèrent et se prirent les mains.

- Nous remercions père pour son paradis, dit Molly.

- Je remercie père pour son paradis, dirent les huit femmes d’une même voix, Loreleï ayant suivi sans difficulté, s’attendant à la suite.

Le repas se fit dans une bonne ambiance, chacune discutant sans crier, à voix douce. Les mets proposés ravirent le palais de Loreleï qui félicita les cuisinières. Au moment du dessert, les sœurs posèrent un grand verre au contenu orange devant Loreleï.

- C’est quoi ? demanda la jeune femme.

- Ton cadeau de bienvenu, indiqua Molly. Tu n’as pas daigné nous rejoindre hier soir alors nous faisons au mieux.

- Qu’est-ce que je dois faire ?

- Le boire, répondit Molly tandis que les autres ricanaient.

Loreleï trempa ses lèvres. Un joli goût sucré envahit ses papilles puis du feu brûla sa bouche. Elle reposa le verre.

- Tu dois le boire entièrement, indiqua Molly.

- Je ne ferai pas ça, précisa Loreleï.

- Oh que si ! s’amusa Molly. Nous l’avons toutes fait. Te sens-tu inférieures à nous ? Incapable d’avaler un petit verre de jus de fruits ?

Les paroles touchèrent juste. Loreleï ne voulait pas être meilleure que ses sœurs, mais pas moins bonne non plus. Elle souhaitait avant tout être reconnue à sa juste valeur, l’égale des autres adultes et si cela passait par ingurgiter un simple verre…

Loreleï se tourna vers Frida qui l’encouragea en souriant. Loreleï attrapa son verre et avala son contenu cul sec. Elle s’attendait à un incendie. Il n’en fut rien. Elle ressentit un profond sentiment de bien-être.

- C’est très agréable, admit-elle.

- Bien sûr, répondit Molly. Nous sommes sœurs. Jamais nous ne te ferons du mal. Tu peux avoir confiance, même si les apparences sont parfois trompeuses. Le gâteau maintenant !

Le dessert au chocolat et aux cerises se révéla succulent. Loreleï profita mais éreintée, elle finit par quitter discrètement la salle à manger.

L’intelligence artificielle permit à Loreleï de découvrir le dortoir. L’endroit brillait par sa modestie, comparé au luxe du reste du bâtiment.

Un plancher brut sans tapis, des murs beiges avec un seul portait : une photographie en noir et blanc de Chris.

Aucune fenêtre. L’aération devait être bonne car aucune mauvaise odeur ne piquait le nez. Pas de chauffage visible pourtant, la température était douce, pas trop chaude, idéale pour rejoindre Morphée.

La vingtaine de lits en bois brut sans ornement portaient des matelas de bonne qualité recouverts de couvertures chaudes. Les couchages brillaient par leur absence de pli. Les adultes respectaient les règles édictées par père.

Une petite étagère au dessus de chaque lit permettait à chacune de déposer une brosse à cheveux, quelques barrettes, des élastiques, des bracelets et des colliers.

Une table de chevet offrait une lampe personnelle. Une seule était allumée. Loreleï, comprenant l’invitation muette de l’IA, s’avança vers le lit dont la tablette était vide. Son lit, comprit-elle. Elle caressa la couverture et sourit.

Loreleï observa rapidement les autres étagères, non indiscrétion, mais par besoin de comprendre. Quatre autres étaient vides. Loreleï fronça les sourcils. Quelque chose, décidément, n’allait pas.

Désireuse de se laver et de se changer avant de dormir, mais également d’obtenir des informations, elle sortit du dortoir, découvrant les sanitaires derrière la porte suivant à droite. Elle n’eut pas le loisir d’étudier la petite pièce munie de lavabos car une sœur sortit d’une cabine intime. Surprise, Loreleï se figea. Le visage rond de l’apparition soudaine ne montrait que chaleur et douceur. Elle rayonnait derrière ses cheveux bruns et son regard brillant. Ce fut son ventre énorme qui l’abasourdit.

- Salut. Tu dois être Loreleï ! Je m’appelle Karla.

- Bonjour, Karla.

- Tu te promènes, constata-t-elle. Tu as raison. Tu cherches quelque chose en particulier ?

- Non, pas vraiment, indiqua Loreleï. Oui, peut-être. Demain matin, je vais devoir faire du sport. Je n’ai pas encore trouvé les installations.

- Pour courir, les parcs offrent un panorama agréable. Tu trouveras des vêtements de sport au vestiaire. Viens, je t’amène.

Tout en parlant, elle guida Loreleï dans l’immense domaine.

- La piscine est ouverte tout le temps, même la nuit. C’est agréable quand le ventre pèse trop.

Loreleï observa sa compagne, toujours éberluée de son état.

- Si ma fille est une prêtresse du bien, elle rejoindra les autres dans la pouponnière et je la reverrai quand elle aura douze ans. Sinon, elle sera envoyée sur Terre où une gentille famille prendra soin d’elle.

Loreleï ne comprenait pas les mots prononcés. Cela ne faisait pas sens.

- C’est ma troisième, indiqua Karla. Les deux premières ne rayonnaient pas. Je ne perds pas espoir. Celle-là sera peut-être la bonne !

Loreleï garda le silence. Son éducation lui avait appris à ne pas parler quand on ne saisissait pas. Karla poursuivit la visite. Loreleï savait maintenant où elle pourrait réaliser ses exercices physiques le lendemain matin. Karla lui souhaita une bonne soirée pour se poser en soupirant d’aise dans un fauteuil de la salle vidéo. Elle lança un film.

Loreleï s’éloigna. Elle était épuisée. Elle partit se laver, trouvant le nécessaire grâce à l’IA, se brossa les dents et mit la tunique blanche de nuit. Cela lui fit bizarre d’être seule dans les sanitaires. Elle était habituée à tout faire en groupe. Un peu d’intimité n’était pas pour lui déplaire. Elle se rendit dans le dortoir, se coucha et s’endormit. L’épreuve l’avait exténuée.

Le lendemain, elle fut réveillée par l’IA à 7h, comme elle le lui avait demandé. Elle constata que la moitié des lits étaient vides. Sept sœurs dormaient près d’elle. Loreleï s’habilla en silence puis se rendit à la salle de l’épreuve, heureuse de la trouver vide. Elle s’agenouilla et récita « L’adoration au père ». Elle se rendit ensuite au vestiaire, ôta sa longue tunique crème pour un haut moulant sur une jupe courte – le tout en blanc – puis partit courir. Il faisait tiède et le ciel brillait d’un ton doux.

Pas de soleil. Loreleï savait qu’elle ne se trouvait pas sur Terre mais au paradis de père, un endroit crée spécialement pour ses filles, où elles étaient à l’abri, protégées. Un jour, peut-être, père l’enverrait en mission sur Terre… ou pas. Ce n’était pas à elle de décider comment servir.

Elle prit une douche au retour de son heure de course à pieds, mit une longue robe blanche puis rejoignit la salle à manger. Les tables proposaient des mets variés, des viennoiseries, du pain frais, des confitures, des compotes, des saucisses, des omelettes, des œufs durs, du bacon grillé, des pancakes, des insectes, des salades de fruits, des fruits secs, du fromage, des yaourts.

Trois sœurs dégustaient déjà en papotant. Elles accueillirent volontiers Loreleï avec le sourire. Elle en reconnut deux. Loreleï prit son temps. Enfin, Frida fit son apparition. Les deux jeunes femmes s’enlacèrent.

- Alors ta première journée ?

- Super, assura Loreleï.

- C’est chouette d’être adulte ?

- Plutôt, oui, indiqua Loreleï, heureuse de pouvoir remplir ses moments libres comme elle le voulait. Je n’ai pas encore bien pris mes marques mais ça va venir.

- Tu vas vite t’y faire, assura Frida. Ta surveillance n’a pas été trop dure ?

- Ennuyeuse et monotone, indiqua Loreleï.

Toutes les sœurs ricanèrent.

- Nous pensons toutes la même chose, précisa Karla.

Les sœurs rirent franchement. Frida proposa à Loreleï de l’accompagner au tableau. Cette fois, Loreleï allait devoir surveiller l’après-midi. Frida également. Les deux amies allaient pouvoir passer la matinée ensemble.

- Que font celles qui ne surveillent pas ? demanda Loreleï.

- Tu remplis tes temps libres comme tu veux, répéta Frida sans s’agacer.

- Comment celles qui ne surveillent jamais servent-elles le père ? précisa Loreleï.

- Que veux-tu dire ? Nous avons toutes 6h de surveillance par jour.

Loreleï observa le tableau. Elle compta quatorze prénoms.

- Où sont Gabriella et Mel ? demanda Loreleï en constatant que Valama et Koraya étaient de surveillance ce matin.

Frida devint blême.

- Gabriella a échoué à l’épreuve, indiqua Frida le regard baissé.

Loreleï en cessa de respirer.

- Nous l’avons enterrée dans le jardin. C’était une belle cérémonie. Quant à Mel, Chris l’a appelée à le rejoindre un jour. Elle n’est jamais revenue.

Loreleï en trembla de frayeur.

- Pourquoi y a-t-il si peu de sœurs ? La plus âgée a à peine trente ans !

- Syola a trente-cinq ans, indiqua Frida. Elle se tâte beaucoup à passer de l’autre côté.

- De l’autre côté ? s’exclama Loreleï qui pensait déjà y être.

- Ce n’est qu’un passage, ici, indiqua Frida. Le vrai service se trouve de l’autre côté. Tu peux demander à y aller quand tu veux mais si tu demandes maintenant, Chris refusera. Tu es trop jeune. Et puis, tu ne comprends pas ce que ça implique. Tu dois d’abord être informée.

- Informée de quoi ? demanda Loreleï.

- Allons dans un endroit plus confortable pour discuter.

Frida la mena jusqu’à une salle de repos au murs verts clairs. De larges fenêtres laissaient entrer une lumière douce et permettaient d’apercevoir les jardins aux arbres hauts et fleurs colorées.

Deux canapés moelleux et une dizaine de fauteuils permettaient un confort maximal. Des coussins orange se trouvaient astucieusement disposés.

Une table basse en bois trônait au centre de la pièce. Une plante l’envahissait. Loreleï supposa que l’odeur très présente mais inconnue provenait de cet élément végétal inconnu d’elle.

Des tableaux représentant la nature se trouvaient sur les murs. Un seul représentait un personnage et Loreleï reconnut le père. L’artiste avait su le sublimer par cette peinture colorée aux traits précis et aux couleurs réalistes.

Frida prit place dans l’un des fauteuils et Loreleï se choisit son voisin.

- Notre aura rayonne, commença Frida.

- Parce que nous sommes les filles de Chris, compléta Loreleï mais Frida grimaça en retour.

- D’autres femmes rayonnent comme nous sans être les filles de Chris. Les gamines de Karla, par exemple, auront peut-être une descendante, un jour, qui verra comme nous. Pourtant, cette fille n’aura pas été engendrée directement par Chris.

- Notre pouvoir ne vient pas de Chris ? s’étonna Loreleï.

- Chris nous a créées. Il nous permet de vivre. Il a offert la vie éternelle à notre mère qui, en échange, lui fournit… nous.

- Notre mère ?

Loreleï ressentit une émotion intense, profonde, sourde, l’envahir. Elle se rendit compte qu’elle avait toujours été là mais muette, affaiblie. La laisser sortir ne serait pas bon, comprit Loreleï. Elle prit note de sa présence et la laissa de côté, désireuse de se concentrer sur les paroles de sa confidente.

- Malika, indiqua Frida. Elle vit ici, à la pouponnière, quelque part. Aucune de nous ne l’a jamais vue. Elle n’existe que pour nous donner la vie. C’est sa façon de servir. À sa naissance, elle avait le don. Elle appartenait à un peuple sauvage qui nommait les femmes comme elles les « prêtresses du bien » parce qu’elles sont capables de discerner le bien du mal, l’honnêteté du mensonge et qu’elles rayonnent de bonté. Le nom a été conservé aujourd’hui. Toi, moi, Valama ou Karla, nous sommes des prêtresses du bien.

- Malika aussi si c’est notre mère, fit remarquer Loreleï.

À nouveau, sur le visage de Frida, Loreleï lut qu’elle se trompait.

- Père, lui, est entouré de noirceur, poursuivit Frida. Il est le premier. Il a engendré tous les autres.

- Les autres quoi ? demanda Loreleï.

- Ils s’appellent des « Vampires ». De nombreux livres parlent d’eux.

- Ah bon ? lança Loreleï qui entendait ce mot pour la première fois.

- Ici, tu n’as plus aucune restriction d’ouvrages. Tu peux lire absolument tout sans la moindre censure. Ne te fie pas trop aux ouvrages terriens sur le sujet. Ils sont bourrés de mensonges volontairement distillés par les vrais Vampires.

- Du coup, c’est quoi, un Vampire ?

- Un humain ayant été infecté par le virus du vampirisme, indiqua Frida. La transformation engendrée est majeure. Le corps devient plus rentable. Il se soigne très vite, très bien. La musculature est renforcée. Les terminaisons nerveuses se densifient. L’être touché devient plus fort, plus rapide, plus intelligent, plus sensible. Il ne tombe jamais malade et ne vieillit plus.

Loreleï avala difficilement sa salive. Cela lui sembla terrifiant.

- Il n’a plus besoin de dormir, de boire, de manger. Il a besoin d’énergie mais selon ses actes, ils peuvent être infimes. En revanche, s’il décide de sauter à dix mètres de haut, d’éviter une balle ou de changer d’apparence – parce que oui, c’est possible – alors là, la dépense énergétique est majeure. Il doit retrouver des forces et pour cela, il se nourrit de sang humain.

- De… quoi ?

- Les Vampires consomment du sang humain. C’est là qu’ils puisent leur énergie.

- Comment s’y prennent-ils ?

- En les mordant. Leurs canines proéminentes pénètrent les chairs et boivent le sang. La plupart des Vampires se nourrissent à la carotide. D’autres choisissent le bras pour davantage de praticité.

- La victime en meurt ?

- Si le Vampire n’est pas au contrôle, c’est pire que cela ! Car le venin se trouve dans les dents et se transmet à la moindre morsure.

- La victime devient un Vampire ? s’étrangla Loreleï.

- Heureusement, Chris a obligé tous ses petits à se contrôler. Aujourd’hui, aucun Vampire n’est libre tant qu’il ne maîtrise pas ses pouvoirs.

- C’est cela que nous cherchons ? Des Vampires pas au pouvoir ? supposa Loreleï.

- Je ne sais pas. Peut-être. Demande-le à Chris si tu veux.

Interroger le père sur ses desseins ? Inenvisageable.

- Combien y a-t-il de Vampires ?

- Quelques dizaines de milliers, annonça Frida. Le nombre exact fluctue continuellement. Beaucoup meurent : dans l’escape game, dans l’arène ou sur Terre. Les chasseurs de Vampires ne font pas dans la dentelle.

De nombreuses questions se bousculèrent dans l’esprit de Loreleï. Elle dut faire un effort pour trier et n’en sélectionner qu’une.

- Père a engendré tous les Vampires ?

- Directement ou indirectement, oui. Il est le premier. Tous les autres sont ses petits, ou les petits de ses petits.

- Quel âge a père ?

- Un peu plus de quatre cent mille ans, annonça Frida.

Loreleï en eut le tournis.

- Et notre mère ? interrogea Loreleï.

- Malika a environ cinq mille ans. Le peuple du bien vivait voisins des pharaons antiques d’Égypte. Avant d’être mordue, c’était une prêtresse du bien.

- En devenant un Vampire, elle a perdu son pouvoir ? supposa Loreleï qui comprit qu’une fois encore, elle s’était trompée.

- Malika voit toujours. Son aura rayonne et bouillonne de noirceur. Notre don ne parvient pas à faire le point. Il choisit d’ignorer la dissonance.

- Il en résulte une absence d’aura. La supervisatrice… C’est une de nous devenue un Vampire.

- Une prêtresse du mal. C’est là que sont les autres, confirma Frida. De l’autre côté…

- Elles ont été mordues, comprit Loreleï.

- Par Chris, devenant ainsi à la fois ses filles de sang et de dents, et seulement après l’avoir demandé.

- Comment servent-elles ?

- Aucune idée, indiqua Frida. Peut-être comme nous. Peut-être pas. L’une d’elle au moins sert en étant supervisatrice. Pour les autres, je ne les ai jamais vues. Ce qui est certain est qu’elles commencent par apprendre à contrôler leurs pouvoirs. C’est l’obligation de base de tout Vampire.

- Pourquoi ne puis-je pas demander dès maintenant ?

- Tu peux demander mais il refusera. Il tient à ce que nous vivions avant de mourir.

- De mourir ? répéta Loreleï, paumée.

- La morsure te transforme. Tu deviens une personne différente. Moi non plus je ne comprends pas bien, indiqua Frida.

Loreleï décida de ne pas insister. Frida ne pouvait visiblement plus lui apporter de réponse. Frida rejoignit la salle de repos : elle voulait regarder la suite d’une série qui la captivait. Loreleï se détourna d’elle. Elle voulait des réponses et comptait bien les obtenir. Elle savait exactement à qui les poser.

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