Chapitre 18

Par Notsil

Surielle s’éveilla au son de pas précipités, s’assit en massant ses tempes, encore toute endormie. Le cliquètement de l’acier, des cris, lui firent brusquement prendre conscience que la situation était anormale.

La jeune femme jura, maintenant pleinement réveillée, chercha à tâtons une arme qui pourrait lui servir. D’habitude, elle en avait toujours une sous son oreiller !

Sauf qu’elle ne s’était pas couchée comme d’habitude, réalisa-t-elle. Elle s’était évanouie après avoir ramené ses compagnons du domaine du dieu.

Combien de temps avait-elle dormi comme une souche ?

La porte s’ouvrit et rebondit contre le mur ; Surielle sursauta, paniqua en réalisant qu’elle n’avait toujours aucune arme à portée de main.

Car la silhouette qui s’encadrait dans la porte était clairement un ennemi. Nul terrestre ne se baladerait ainsi, une arme à la main.

Surielle jura, recula au maximum. Son père lui avait appris les bases du combat à mains nues, mais là… son adversaire possédait une épée. Une grande épée qui lui conférait une allonge bien trop supérieure.

Lui avait compris que sa proie serait facile, et un sourire étira ses lèvres. Surielle balaya la table de la main, trouva quelque chose, le brandit.

Un chandelier, ce n’était pas très impressionnant, mais ça pourrait lui permettre de temporiser. Un Compagnon lié à elle n’aurait pas été du luxe pour prévenir ses amis qu’elle était en mauvaise posture, songea-t-elle.

Surielle esquiva le premier coup, jeta son arme improvisée à la tête de son adversaire pour faire diversion,  s’empara du poignet de son adversaire, et fut projetée contre le mur quand il chercha à se dégager.

Elle jura en relevant, vacilla un instant, s’aperçut qu’elle était tout près de la porte.

Era… Qu’il soit loué, s’interrompit-elle, agacée.

Se retrouver auprès du dieu signerait son arrêt de mort en laissant son corps non protégé derrière elle. Elle n’était pas sûre d’avoir retrouvé assez d’énergie pour y amener son corps. Ses pouvoirs balbutiants ne lui seraient d’aucune utilité maintenant.

Surielle esquiva une autre attaque, bondit dans l’ouverture en titubant. Elle porta sa main à la sa tête, découvrit du sang. Ce choc l’avait plus secouée qu’elle ne l’aurait cru.

Le couloir était désert. Par où aller ?

Son adversaire l’obligea à une décision rapide ; elle accéléra, dérapa dans un virage, le cœur battant, sans oser regarder derrière elle. Ce n’était pourtant pas son genre de se montrer si craintive face à l’ennemi, mais quelle autre solution avait-elle ? Elle n’avait pas les compétences de son père. Lui aurait su quoi faire.

Surielle stoppa net en découvrant Rayad aux prises avec un ennemi. Trois coups portés successivement à la jambe, au ventre puis à la tête eurent raison de l’agresseur.

— Un autre arrive ! prévint-elle.

Elle se sentait si inutile. Une lame frôla sa joue ; Surielle pivota pour découvrir que son assaillant s’effondrait au sol. L’impérial les acheva en leur tranchant la jugulaire tandis que Surielle récupérait une épée. Plus lourde que celle dont elle avait l’habitude, mais elle s’y ferait. Elle ne resterait pas désarmée alors qu’ils étaient ainsi attaqués.

— Merci, souffla-t-elle. Qui sont-ils ?

— Stolisters, répondit Rayad, soucieux.

Surielle jura de nouveau. Comment réussissaient-ils à les pister ? La Barrière générée par les phénix était censée protéger les Douze Royaumes de telles attaques. Dès qu’elle le pourrait, elle devrait demander à Era… lui demander.

— Viens, poursuivit Rayad. Trouvons les autres.

— J’aurais cru Alistair avec toi, s’étonna Surielle.

— Moi aussi, marmonna le prince, inquiet pour son ami.

Les échos de combat troublaient les lieux, sans qu’ils ne parviennent à en déterminer l’origine.

— Et Shaniel ?

— Ma soeur sait se défendre. Ce ne serait pas la première fois qu’elle découche, mais…

Il soupira, passa une main lasse sur son front.

— Orssanc me brûle, je me passerai bien de tracas supplémentaires ! Tu as une idée où aller ? Je n’ai pas mémorisé les lieux.

— Suis-moi.

Surielle le guida vers la salle à manger, pièce centrale de la demeure. Elle espérait y trouver son oncle ou ses cousines, peut-être même Alistair ou Shaniel. Que fabriquait son cousin hors de sa chambre alors qu’il risquait l’altercation avec le moindre de ses congénères ? Et Shaniel, incarnation parfaite de la princesse modèle, qui s’offrirait une promenade au clair de lune ?

Elle coula un regard en coin à Rayad.

— Étais-tu en train de suggérer que… Shaniel et Alistair ?

Rayad grimaça.

— Leurs affaires ne te regardent pas, Surielle.

Piquée, la jeune femme se renfrogna.

— Mon cousin membre potentiel de la lignée impériale, tu trouves que ça ne me regarde pas ?

Le Stolister qui apparut face à eux évita à Rayad de répondre. Un éclair argenta brilla et l’homme s’effondra avant que Surielle eut le temps d’aller au contact. Il était redoutable avec ses armes de jet, réalisa-t-elle.

Sur leurs gardes, ils reprirent leur progression. Sur les murs, les appliques brûlaient encore, même si les fenêtres révélaient que l’aurore ne tarderait pas.

— Shaniel n’épousera jamais Alistair, dit Rayad.

Surielle fronça les sourcils.

— Elle s’amuse avec lui comme avec les autres nobles de la cour, poursuivit-il. Alistair le sait et n’en espère pas davantage. Et ne va surtout pas lui répéter ce que je viens de te dire.

— Vos coutumes sont… étranges. Si elle profite vraiment de lui… ce n’est pas une conduite honorable. Comment peut-il tolérer ça ?

Rayad haussa les épaules.

— Demande-lui ? L’amour peut prendre bien des formes, Surielle.

Troublée, la jeune ailée reprit sa marche en silence. Son cousin, amoureux de Shaniel ? Il cachait bien son jeu, si c’était le cas. Ou elle s’était montrée particulièrement aveugle. Il faudrait qu’elle demande son avis à Taka.

Surielle tourna dans un dernier couloir, sursauta avant de se morigéner. Un cadavre portant l’uniforme des Stolisters, c’était signe qu’ils avaient rencontré une résistance plus forte que prévu.

La porte donnant sur la grande salle était ouverte, et ils pénétrèrent les lieux avec précaution, peu désireux d’être pris pour des ennemis.

Alistair se précipita aussitôt sur eux malgré ses habits éclaboussés de sang. Surielle en conclut que ce n’était pas le sien.

— Rayad ! J’étais si inquiet ! Pour toi aussi, Surielle, ajouta-t-il précipitamment.

La jeune femme réprima un sourire.

— Je vais bien, répondit doucement Rayad.

Il avait déjà repéré Shaniel au milieu des Massiliens. Surielle balaya les alentours. Les combats étaient déjà terminés, apparemment. Plusieurs meubles avaient été renversés, des corps gisaient à terre. Aucun ailé, réalisa Surielle avec soulagement.

— Suri ! appela Elésyne.

Le sang qui tâchait sa tenue de nuit la rendrait presque effrayante.

— Des victimes ? s’inquiéta Surielle en l’étreignant.

La jeune Émissaire secoua la tête.

— Des blessés légers chez nous, mais rien de grave. Il se bat bien, admit-elle, avec un regard pour Alistair.

Plusieurs de ses sœurs étaient là aussi, l’épée à la main, regroupées autour de leur père. L’uniforme impeccablement ajusté, il aurait pu être prêt pour n’importe quel diner mondain, mais l’épée en Ilik à sa taille était rougie.

Le Djicam s’approcha d’eux, l’air sombre.

— Des idées sur l’identité de nos agresseurs ? Je doute qu’ils aient été là pour nous.

— Stolisters, cracha Alistair.

La haine qui sourdait de sa voix était inhabituelle.

— Comment font-ils pour nous pister ainsi ? Nous étions censés être à l’abri, ici.

— Je comprends ta frustration, Alistair… répondit Rayad, soucieux.

— Il y a trop de choses que nous ignorons, s’inquiéta Surielle.

— Ils étaient trop peu nombreux, nota Aioros. Je ne sais pas comment ils parviennent à franchir la Barrière pour se matérialiser ainsi… Néanmoins, cette stratégie est pour le moins… inhabituelle. Les impériaux ont toujours forcé nos Portes, alors que là, si j’en crois mes hommes, une faille s’est ouverte, libérant trois à cinq… Stolisters, donc. Se jouer ainsi de nos défenses est une menace que je dois annoncer à l’Assemblée.

— Nous ne pouvons rester si nous représentons un danger pour la Fédération, Surielle, dit Rayad. Je ne peux pas laisser les Stolisters agir.

— J’irai annoncer au dieu que nous ne pouvons différer davantage notre départ, alors.

Shaniel soupira en rengainant ses dagues.

— Tu es encore trop faible, Surielle. Et toi, Alistair, tu es blessé. Tu attends de t’évanouir pour qu’on le remarque ?

Surprise, Surielle reporta son attention sur son cousin. Certes, il était un peu pâle, mais… il vacilla un instant, s’appuya sur la table pour maintenir son équilibre et força un sourire.

— Accompagne-le à l’infirmerie, Surielle. Tu connais les lieux.

Avant qu’il ne puisse protester, elle empoigna Alistair et le guida hors de la salle.

— Merci, souffla-t-il.

— Tu cherches vraiment les ennuis. Empoisonné, blessé… songes-tu à la réputation catastrophique que tu es en train de faire à la Seycam en matière d’hospitalité ?

— Parce que c’est ma faute, maintenant ? siffla-t-il.

— Ce n’est certainement pas la mienne, rétorqua Surielle.

Alistair ne répondit pas et elle eut un sourire qu’il ne pouvait voir. Il pesait suffisamment sur elle pour qu’elle comprenne que la blessure n’était pas si bénigne que ça.

Ils croisèrent plusieurs soldats qui venaient aux nouvelles, des serviteurs qui leur jetèrent un regard noir avant de poursuivre leur route.

A leur arrivée, la Massilienne en charge leur attribua un box et tira un rideau pour leur donner un peu d’intimité face aux regards curieux.

— Alors, jeune homme, que vous est-il arrivé ?

Elle était professionnelle, nota Surielle, pour avoir à peine sursauté en apercevant les ailes écarlates.

Alistair écarta les pans de sa chemise, dévoilant une estafilade de la longueur d’une main sur les cotes.

— Il faudra recoudre. Maintenez ça le temps que le sang arrête de couler.

Surielle s’exécuta obligeamment.

— Il y avait un bruit de succion, poursuivit la Massilienne. Cette plaie n’est pas suffisamment importante pour  avoir imbibé votre botte. Alors ?

— Jambe gauche, marmonna-t-il.

L’infirmière attrapa une paire de ciseaux et découpa le pantalon en quelques gestes précis, fronça les sourcils.

— Vous avez négligé votre garde, pour vous faire ainsi surprendre. Soyez plus prudent la prochaine fois.

— Je n’ai pas fait exprès de le laisser m’embrocher.

— C’est ce que vous dites tous. A quelques centimètres près… (elle tapota sa cuisse). La fémorale ne pardonne pas. Il vous faudrait un peu de repos mais j’imagine que ça ne sera pas possible, hein ?

— Seuls les morts se reposent, rétorqua Alistair.

L’infirmière ouvrit de grands yeux et Surielle sursauta. Alistair se montrait si impérial, et pourtant… il était capable de s’approprier les citations typiquement massiliennes. Quelle éducation avait-il donc reçue ?

— Je vais recoudre ici aussi, déclara l’infirmière en reprenant contenance.

Alistair serra les poings quand elle désinfecta la plaie. Elle maintint un tissu imbibé de produit un long moment, puis prépara son aiguille et du fil. A la surprise d’Alistair, il ne ressentit aucune douleur.

— Tu croyais vraiment qu’on allait te recoudre sans appliquer d’abord un anesthésique ? se moqua gentiment Surielle.

Alistair rougit.

— C’est tellement… différent. Ne m’en veux pas d’avoir des préjugés à votre égard. Nos peuples ont peu de contacts. Encore moins, paradoxalement, depuis que nous sommes en paix. Sans vouloir vous offenser, ce que j’ai vu de la Fédération m’apparait plutôt… primitif.  Ce n’est certes pas comparable, mais nous sommes plus avancés sur bien des points.

— Si nous avions eu un Guérisseur de Soctoris, intervint l’infirmière, nous aurions reparlé de cette “avance”.

— J’ai du mal à croire à tous ces “miracles”, avoua Alistair.

L’infirmière avait continué ses soins ; elle noua un bandage serré autour de sa cuisse,  puis saisit une nouvelle aiguille et s’occupa à suturer la plaie du torse.

— Celle-ci semble bénigne, mais ne la négligez pas pour autant, prévint-elle. Certains os sont entamés. Je mettrai une pommade antiseptique mais elle pourrait s’infecter si vous n’y prenez pas garde.

— J’en prends note.

— Combien y avait-il de Stolisters, pour que tu sois ainsi blessé ? questionna Surielle. Tu m’avais paru plutôt bon combattant. Même Taka l’a reconnu.

— J’ai été déconcentré, répondit Alistair. J’avais Shaniel à protéger mais je cherchais Rayad du regard. Pour du quatre contre un, je m’en sors vivant, ce n’est pas si mal.

— Quatre ! Ils t’en voulaient particulièrement ?

Alistair fronça les sourcils.

— Orssanc m’en préserve ! Rayad et Shaniel sont leurs cibles.

— J’étais avec Rayad et nous n’en avons croisé que trois, objecta Surielle.

Son cousin ne répondit pas,  mais elle comprit qu’il réfléchissait à l’idée.

Et qu’il n’aimait pas ça.

L’infirmière termina ses soins, se lava les mains.

— C’est fini, jeune homme.

— Merci. Auriez-vous… une tenue de rechange ?

L’infirmière sortit un pantalon et une chemise de l’un des placards, alla jusqu’à l’aider avec sa jambe blessée. Alistair mit doucement pied à terre. Tout son côté droit le brûlait, malgré le bandage, et chaque inspiration était douloureuse.

Par Orssanc, jamais il ne pourrait protéger correctement Rayad dans ces conditions ! Il capta le regard inquiet de Surielle et sourit pour la rassurer - ou se rassurer ?

— Tenez.

Surpris, Alistair se saisit de la fiole que lui proposait l’infirmière.

— Un anti-douleur, si jamais. N’en abusez pas, je vous rappelle que la douleur est là pour rappeler les limites à ne pas dépasser.

Le jeune ailé s’inclina, conscient de la faveur qui lui était faite.

— Merci beaucoup. Vous m’avez traité comme n’importe quel blessé et je vous en suis reconnaissant.

Surielle attendit qu’ils se retrouvent seuls dans les couloirs pour le questionner.

— Tu me surprends toujours autant quand tu agis sans ton vernis d’arrogance.

Alistair haussa les épaules et rangea la petite fiole dans la bourse pendue à sa ceinture. Sa démarche était raide et Surielle prenait garde à avancer doucement.

— Tu me trouves arrogant ? Mais je dois lutter sans cesse pour maintenir ma place au sein de la noblesse. Quant à l’infirmière… oui, elle mérite ma gratitude. J’ai eu affaire à des médecins bien moins scrupuleux, tu sais. L’oubli d’un anesthésiant, la pénurie de produits contre la douleur… ceux qui peuvent mentir ne s’en privent pas, tu peux me croire.

Le long couloir paraissait interminable au jeune ailé. Peut-être qu’un peu de repos lui ferait effectivement du bien. Il était sur les nerfs depuis leur arrivée sur le sol de la Fédération. La responsabilité de la sécurité des héritiers impériaux pesait sur ses épaules, lui imposant une pression titanesque. Il avait cru pouvoir se détendre un peu ici, les Massiliens lui étant hostiles plutôt qu’à Rayad et Shaniel, mais l’attaque des Stolisters montrait qu’ils ne comptaient pas abandonner leurs cibles.

Pour le moment, la douleur qui remontait dans sa jambe à chaque pas lui faisait presque oublier celle de son torse. La clé était de se concentrer sur autre chose, lui aurait rappelé son père.

Si seulement c’était aussi facile.

Ils croisèrent plusieurs domestiques qui ralentirent à peine pour ne pas les percuter, dédaignant la moindre excuse. Alistair ne s’en serait pas formalisé, mais il réalisa soudainement qu’il n’était pas leur cible.

— Pourquoi te regardent-ils ainsi ? s’enquit Alistair.

— Mes ailes.

— Elles n’ont pourtant pas un passif aussi lourd que les miennes… Par Orssanc, Surielle ! Tu es de la Seycam, tu ne devrais pas te laisser faire ! Les serviteurs doivent respecter ton rang !

Surielle soupira.

— Je suis née un peu moins de neuf mois après le traité de paix. Ma mère a séjourné dans l’Empire. Tu as besoin que je te fasse un dessin ?

Alistair ouvrit de grands yeux.

— Comment peuvent-ils être aussi crédules ?

Surielle haussa les épaules.

— Ma mère reste une politicienne. Elle peut mentir, aussi. Elle a chaque fois réfuté ces accusations, mais… tu connais les rumeurs.

— Je comprends… Ceci dit, s’il y avait eu le moindre doute que tu puisses être ma demi-sœur, ma mère t’aurait fait enlever pour te garder auprès d’elle. Son désir d’avoir une fille est une véritable obsession.

Surielle éclata de rire.

–Tu as une drôle de façon de voir les choses.

*****

L’attaque des Stolisters avait brisé le sentiment de sécurité qu’avait ressenti Surielle en posant le pied sur la planète. Aioros avait déjà averti ses parents via le Wild et la Souveraine avait convoqué les Djicams pour une réunion d’urgence qui se tiendrait demain. Contrairement à ce qu’elle avait craint, ses parents ne lui avaient communiqué aucune requête. Surielle était touchée de leur confiance. La quête de l’Éveillé lui appartenait, après tout, c’était elle que le dieu avait choisi pour cette quête. Elle avait hâte de découvrir les terres impériales, bien consciente pourtant que ces mondes seraient bien différents des siens, que la guerre et les épreuves les attendaient sûrement.

Les impériaux étaient devenus plus proches d’elle en quelques jours que la majorité des ailés qu’elle fréquentait depuis des années. Elle se prenait même à trouver Alistair agréable, par moments, et s’agaçait de l’hostilité omniprésente de certains Massiliens à son égard. Après tout, comme elle, il n’avait ni choisi la couleur de ses ailes, ni choisi d’avoir des parents trop connus. Shaniel était trop adorable pour qu’on puisse la détester et Surielle admirait ses connaissances, si vastes, sur leurs deux systèmes. Une touche de naïveté complétait le personnage. Si elle avait des failles, elle les camouflait bien.

Rayad… se montrait curieusement gentil. Son père ayant la réputation d’être retors, plutôt cruel dans ses chatiments, elle n’aurait pas cru qu’il se montre autant… attentionné. Il se préoccupait d’Alistair presqu’autant que de Shaniel, comme s’il se sentait responsable d’eux. Un comble, alors qu’Alistair était présentement missionné pour assurer leur sécurité ! Le jeune prince brûlait de rentrer reconquérir son trône, et Surielle savait déjà qu’elle ferait son maximum pour l’y aider. Il le méritait.

— Tu rêvasses, Suri ?

La jeune ailée sursauta, posa la main sur sa poitrine.

— Taka ! Je ne m’attendais pas à te voir.

— J’ai vu ça, gloussa-t-elle. Voyons voir… songeais-tu à un garçon ? Un garçon à la peau noire et aux yeux brillants, peut-être ?

— Mais ! Taka, enfin !

Elésyne éclata de rire.

— Tu es plus rouge qu’une tomate, cousine. Nul ne sait combien de temps ils resteront, alors, tu devrais plutôt foncer si tu ne veux rien regretter.

— Je ne sais pas, soupira Surielle. Je me fais toujours des idées et au final je me retrouve seule avec le coeur en miettes. Comment tu fais ?

— Peut-être ne suis-je encore jamais tombée amoureuse ? répondit Taka en haussant les épaules. Tu sais, ma priorité c’est mon avancée chez les Mecers. Me battre, progresser… et tu n’imagines pas le travail que mon père me confie. Je dois connaitre l’histoire de Massilia sur le bout des doigts et apprendre à jongler avec les Clans. Je n’ai pas le temps pour le reste.

— Je me demande comment tu arrives à gérer tout ça.

— Je n’ai pas le choix, Suri, dit-elle doucement.

— Tant que tu es heureuse, n’est-ce pas l’essentiel ?

Taka soupira.

— Je ne sais pas. Je t’envie, quelque part. Tu arrives à percevoir la bonne part chez les gens.

— Sauf chez Aaron, grinça Surielle. Je me plante souvent.

— Tu vis pleinement tes émotions, tu suis les élans de ton coeur, où que cela te mène. J’aimerai pouvoir faire de même parfois. Hélas, ma raison l’emporte toujours… quand quelqu’un me plait au premier coup d’oeil, je ne peux m’empêcher de me demander si c’est bien raisonnable, les répercussions politiques possibles…

— Tu te poses bien trop de questions, en effet, reconnut Surielle. Mais tu évites aussi les déceptions, ainsi.

— Certes. Parfois je me dis que… (elle fronça les sourcils). Que fait Alistair là-bas ?

Avant que Surielle ne puisse protester, Taka l’entraina à sa suite.  Les échos de leurs pas rebondissaient sur les murs de pierre tandis qu’elles avançaient de plus en plus vite. Bientôt, l’ombre de leur cousin fut visible à la faveur des fenêtres. Elles accélérèrent, mais ne le virent nulle part.

— Je n’étais jamais venue ici, souffla Taka en fronçant les sourcils.

L’une des portes était entrouverte, alors elle poussa doucement. Le grincement des gonds rouillés leur arracha une grimace. La pièce était sombre, et Surielle plissa les yeux pour chercher en vain à distinguer quelque chose.

La main sur son épée, Taka entra avec précaution. Avec une légère hésitation, Surielle la suivit.

— Qu’est-ce que vous faites là ?

Surielle reconnut la voix d’Alistair ; ses yeux s’accoutumant à la pénombre, elle le distingua bientôt, assis sur un lit.

— Ce serait plutôt à moi de te retourner la question ? rétorqua Taka.

— Ton père m’a donné la clé.

— Mon père ? Mais…

Alistair soupira, se leva, fit quelques pas claudiquants, et ouvrit la fenêtre. Il poussa les épais volets qui tournèrent avec un bruit grinçant. Un flot de lumière inonda la pièce. Surielle cligna des paupières pour s’habituer au changement de luminosité.

Et resta bouche bée.

C’était une chambre d’enfant. Inutilisée depuis longtemps, si elle en croyait l’épaisseur de la couche de poussière.

Taka était tout aussi stupéfaite qu’elle.

— Je ne connaissais pas l’existence de cet endroit… pour qu’il te donne la clé… c’est lié à ton père ?

Alistair hocha la tête.

— Sa chambre, apparemment. Avant qu’il rejoigne l’Empire.

Leur cousin savait se montrer diplomate à l’occasion, songea Surielle. Le choix de termes neutres en disait long sur ses pensées, pourtant.

— Stupéfiant, marmonna Taka. Je n’aurais jamais imaginé qu’ils garderaient autant de… souvenirs.

— Il te ressemble beaucoup, dit Surielle en avisant le portrait sur le lit.

Les yeux gris étaient rieurs, l’insouciance de la jeunesse se lisait sur son visage. Difficile de croire qu’il avait décidé de son destin à onze ans à peine, qu’il était devenu le Commandeur des Maagoïs, celui qui avait terrorisé les habitants des douze Royaumes de longues années durant.

— Mon père ne parle jamais de la vie qu’il a eue ici…

— Le mien ne parle jamais du tien, dit Taka.

— Alors il n’y a que le mien qui en parle de temps à autre, nota Surielle.

— Tes parents nous rendent visite, oui, parfois.

Le silence les enveloppa tous les trois. Ils appartenaient à la même famille, auraient dû posséder les mêmes ailes blanches, et pourtant… le destin en avait décidé autrement. Le destin, ou le dieu ? Elle devrait lui demander s’il influait les évènements, la prochaine fois.

— Comment est-ce, chez toi ?

— Au quotidien, tu veux dire ?

Taka acquiesça.

— Mon père part souvent plusieurs jours en mission, mais il s’arrange pour être là quand je suis en congés. Pas toujours, mais, la plupart du temps.

— Il est sévère ?

— Exigeant, nuança Alistair. Devenir Seigneur d’Iwar lui a conféré un certain rang et il considère que nous devons nous montrer irréprochables. L’honneur, il n’y a presque que ça qui compte.

— Typique.

— Ma mère est moins stricte sur ce plan-là, du coup, l’ambiance est parfois explosive, à la maison.

Taka éclata de rire.

— Les disputes sont presque journalières, ici. Ma mère a un sacré caractère, et quand elle est enceinte, ça ne s’arrange pas ! Elle crie bien plus fort que lui.

— La mienne ne crie pas. Elle reste calme, mais, elle ne cède pas. Elle prend toujours notre défense.

— Je ne sais pas comment vous supportez cette ambiance, soupira Surielle.

— Tes parents ne se disputent jamais ? s’étonna Alistair.

— Rarement. La dernière fois… c’est le soir où je suis rentrée de la soirée organisée par Aaron.

— Aaron… c’était ce type, à Valyar ?

Surielle acquiesça.

— Ça remonte à quatre ans. Il était gentil, au départ. Mais sans que je ne m’en rende compte, il influençait de plus en plus mes décisions.

— Malgré nos mises en garde, ajouta Taka.

Surielle haussa les épaules.

— Comment voulais-tu que j’en tienne compte, alors que j’étais amoureuse ? Je lui trouvais toujours des excuses. Ce que j’ai été naïve…. enfin.

— Ce n’est pas de la naïveté c’est de la manipulation, intervint Alistair. Et de ce que j’en comprends, une relation toxique.

Taka approuva.

— Il t’a fait… quelque chose, ce soir-là ? reprit Alistair.

— Il ne m’a pas fait de mal, physiquement parlant s’entend, mais… quand j’ai compris qu’il n’avait été avec moi que pour ça, je me suis sentie humiliée.

— Surtout qu’il ne s’est pas privé de s’en vanter.

Surielle pinça les lèvres.

— Quand je suis rentrée, à mon air défait, mes parents ont compris que quelque chose n’allait pas. Ma mère m’a aussitôt consolée mais mon père était furieux.

Elle leur raconta l’ambiance irréelle de ce soir-là. La colère glacée de son père contre la flamboyance de sa mère.

Un instant, Surielle avait cru que leur appartement s’embraserait, alors que les flammes rugissaient dans la cheminée malgré l’été, et que les torches des murs s’élevaient presque jusqu’au plafond. Avec Axel et Lysabel, ils avaient été les témoins impuissants de la tempête parentale.

Puis sa mère s’était détournée un instant de son père, pour découvrir la terreur plaquée sur leur visage. Mortifiée, Satia s’était élancée vers eux pour les entourer de ses bras, chuchotant des mots doux et rassurants.

Les flammes avaient disparu dans un souffle, et seule la chaleur régnant dans l’appartement leur prouvait qu’ils n’avaient pas rêvé.

— Viens avec moi.

La voix était douce, la main tendue. Surielle avait accepté l’offre de son père, encore un peu inquiète. Voler restait un plaisir inaltérable, alors elle avait repoussé les souvenirs de la soirée désastreuse, s’était contentée de se glisser dans le sillage de son père.

Pendant plusieurs jours, ils avaient visité d’autres Royaumes. Surielle s’était confronté à la réalité de ce qu’elle avait étudié dans les livres. Elle n’ignorait pas que ses parents avaient beaucoup voyagé, dans leur jeunesse.

Découvrir des coutumes autres que les siennes s’était montré enrichissant. La jeune ailée était enchantée de partager ces moments avec son père dont elle s’était toujours senti proche.

Leur périple s’était terminé sur Massilia. Sauf qu’au lieu de rendre visite à son oncle Aioros comme elle l’imaginait, Lucas avait atterri au cœur de la ville de Stibine, devant les portes d’une maison des T’Sara.

Cet ordre pluricentenaire avait pour vocation d’engendrer de nombreux enfants, mais aussi de permettre à chacun de découvrir l’essence même du plaisir.

Tous les Massiliens y faisaient un séjour à l’adolescence et Surielle s’était souvenue que le point avait été sujet de discorde entre ses parents. Maintenant, elle comprenait mieux. Surielle n’avait jamais parlé d’Aaron à ses parents, mais quelque part, ils avaient su.

La porte s’était ouverte sur le visage souriant d’une Massilienne. Son père n’avait échangé que quelques formules de politesse avant de la laisser là, un peu perdue. À ce moment-là, elle ne savait pas encore qu’Aaron avait manqué au plus élémentaire des devoirs massiliens ; Surielle n’en reparlerait jamais avec son père.

— Les T’Sara… le nom ne m’est pas inconnu, dit pensivement Alistair. La première fois que mon père a appris que j’avais une relation… j’ai eu droit à un très long sermon. J’ai cru au départ que la personne avec qui j’étais posait problème, puis j’ai compris qu’il s’en fichait totalement. La seule chose importante à ses yeux était le respect dont je devais faire preuve. Mon comportement se devait d’être irréprochable. Ça me paraissait couler de source - et je le lui ai dit - mais apparemment, ce n’est pas le cas pour tout le monde. Et je ne vous parle pas de ce moment de gêne ultime quand il s’est mis à m’expliquer en détail tout ce qui avait trait au plaisir…

Taka s’esclaffa.

— Eraïm ! J’aurais détesté parler de mes amants avec mon père. Il est au courant, pour Shaniel et toi ?

Un instant, Surielle crut que leur cousin allait les planter là. Puis il soupira, décrispa ses poings serrés.

— Non. Orssanc m’en préserve. Comment as-tu deviné ?

— J’avais des doutes depuis un moment. Mais lors de l’attaque des Stolisters… tu la couves du regard.

— J’ai relâché ma vigilance, sur le sol des douze Royaumes… je ne pourrais pas me permettre une telle faute à la cour.

— C’est Shaniel qui m’a mise sur la piste, rassure-toi. Elle fronce les sourcils chaque fois qu’une fille pose ses yeux sur toi.

Alistair eut un petit rire, ferma les yeux un instant.

— Je lui parlerai.

— Est-ce… interdit, que vous vous fréquentiez ? questionna Surielle.

— Pas vraiment, soupira une nouvelle fois Alistair. C’est juste que… c’est compliqué. Pour Shaniel, tout ceci n’est qu’un jeu.

— En es-tu si sûr ?

— Oui, répondit Alistair, catégorique. Elle a plus conscience de ses devoirs que tu ne le crois. Elle te ressemble, quelque part.

Surielle fut surprise mais Taka hocha la tête.

— Tu ne nous accompagneras pas, c’est ça ? comprit-elle.

— Je suis désolée, Suri. Je ne peux pas laisser mon père gérer mon départ en territoire impérial. Pas après ce qu’il s’est passé, pas alors qu’Alistair a été vu sur notre sol. Ce serait pousser les Clans à la rébellion. La situation est trop fragile pour que je me permette de faire vaciller la Seycam.

— Je comprends, dit Surielle en masquant sa déception.

Taka se leva.

— Et je dois d’ailleurs m’occuper d’aller l’aider à préparer notre voyage, demain. Merci pour cette discussion, cousin. Je sais Surielle entre de bonnes mains.

 

 

 

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Nathalie
Posté le 29/07/2023
Bonjour Notsil

Je mettrai une pommade antiseptique mais elle pourrait s’infecter si vous n’y prenez pas garde.
→ En théorie, le « elle » se réfère à la pommade. Difficile pour une pommade de s’infecter alors le lecteur se doute qu’il s’agit de la blessure mais je pense qu’il serait quand même plus joli de réécrire la phrase.

Après tout, comme elle, il n’avait ni choisi la couleur de ses ailes, ni choisi d’avoir des parents trop connus.
→ J’enlèverais le deuxième « choisi » qui alourdi la phrase sans être nécessaire à sa compréhension.

Mon père part souvent plusieurs jours en mission, mais il s’arrange pour être là quand je suis en congés.
→ congé

je ne pourrais pas me permettre une telle faute à la cour.
→ pourrai
Notsil
Posté le 04/09/2023
Coucou,

Bien vu pour les suggestions. Je modifierai tout ça (j'ai envie de demander des journées plus longues pour tout ce que j'ai à faire ^^).

Merci :)
Encre de Calame
Posté le 08/12/2020
Et hop, je suis de retour !
En voilà un chapitre riche en rebondissements !

Entre les Solisters et les révélations de Surielle et Alistair, ça en fait des infos.

D'ailleurs, à propos de Surielle je me suis posée des questions sur sa relation avec Aaron même si je me dis que je suis peut-être à côté de la plaque... elle aurait avorté ? J'ai compris ainsi alors je te demande, on sait jamais x)

Sur ce, je poursuis la lecture !
Notsil
Posté le 08/12/2020
Héhé, merci de ton passage !
Oui pas mal d'info ici, il faut bien avancer ^^

Pas d'avortement pour Surielle ^^ Le sujet est plutôt tabou dans la société massilienne. La contraception y est tolérée même si mal vue, mais alors l'avortement... sur ce point-là, ils sont rétrogrades ^^ Ils vont juger qu'il est préférable de faire naitre l'enfant et de le confier aux T'Sara. La vie est sacrée, pour eux, mais tous les peuples des 12 Royaumes ne le conçoivent pas ainsi.

Surielle a plutôt été manipulée par Aaron pour qu'ils couchent ensemble, on peut dire que ça a été une 1ère fois ratée et qu'elle s'en ait beaucoup voulu. Mais vrai que je n'avais pas songé à cette possibilité, ça aurait pu rajouter du piment tiens :p
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