Si elle avait apprécié d’appeler pour la première fois l’ascenseur de sa chambre seule, c’est avec plus de plaisir encore qu’elle découvrît que, parmi les modifications apportées à son Neoculus, une map de la DNSTR y avait été ajoutée. Il lui suffisait de penser lieu où elle souhaitait se rendre pour que son Néoculus lui indique un chemin lumineux à suivre. En l’occurrence, elle n’avait aucune idée de l’endroit où elle était attendue. La seule information en sa possession était qu’on l’attendait pour son premier entrainement.
Autour d’elle, les murs blancs défilaient au rythme de ses pas. Le peu d’agents qu’elle croisait la saluaient d’un signe de tête sérieux. Tous arboraient la même combinaison qu’elle, et cette uniformité lui donnait l’impression de faire partie d’un tout. Parmi cette assemblée de gens hors normes et pourtant semblables, Solola renouait avec le doux sentiment de se fondre dans la masse.
Bientôt, le chemin lumineux se faufila sous une porte. D’une profonde inspiration, Solola tenta de maîtriser son stress avant de se décider à frapper. Grand bien lui prit, car lorsque son regard croisa celui de Miko, la puissance de son Talent lui coupa le souffle. Où qu’il aille, le jeune homme n’avait certainement jamais connu la sensation d’anonymat si chère au cœur de Solola. Des lunettes de soleils pouvaient masquer la profondeur de son regard perçant, mais les tâches blanches qui constellaient sa peau bronzée passaient difficilement inaperçues.
Comme lors de leur première rencontre, Solola perdit tout contrôle du corps qui, d’ordinaire, lui appartenait. Tout en fourmillements et en sueur, il semblait décidé à vivre sa propre vie. Détourner le regard l’aida peu à peu à reprendre contenance, même si les sensations désagréables provoquées par son interlocuteur persistaient.
- Ah tu es là. Bon.
Solola releva la tête, interloquée par le ton ostensiblement déçu de sa voix. Sans plus de cérémonie, ni de salutation, Miko prit place sur l’une des deux chaises qui se faisaient face au centre de la salle. L’immense pièce était traversée de part et d’autre par des rails, à l’extrémité desquels des cloisons mobiles attendaient sagement d’entrer en action. A part cette coquetterie, le vide déprimant de la pièce immaculée amplifiait par échos chaque son émis. Heureusement, Miko semblait déterminé à faire l’économie de ceux qui ne seraient pas nécessaires. A deux doigts du soupir, il attendit impatiemment que Solola le rejoigne pour continuer.
- Je vais te montrer comment supprimer définitivement ton Armémoire au cas où tes connaissances seraient menacées ou, plus vraisemblablement, quand tu jetteras l’éponge. Par contre attention, si tu vas au bout il n’y a pas de retour en arrière, tous tes souvenirs liés à la DNSTR seront définitivement supprimés.
Déjà passablement agacée par son attitude méprisante, seul son étonnement l’empêcha de réagir lorsque Miko insinua clairement que son abandon n’était qu’une question de temps. Savoir qu’une échappatoire existait l’avait certes, rassurée, mais face à la condescendance incarnée, rien ne lui paru plus important au monde que de lui prouver son erreur.
Après coup, elle réfléchirait longtemps aux réparties bien senties qu’elle aurait pu lui renvoyer. Cependant sur le moment, Solola resta muette.
- Ferme les yeux, ordonna Miko tout en joignant le geste à la parole.
Peu encline à lui obéir, Solola profita de ses yeux clos pour l’observer de plus près. Sans l’arrogance de son regard d’acier, elle put observer en toute impunité le jeu d’ombre et de lumière de son visage. Des paupières jusqu’aux pommettes, deux tâches porcelaine ruisselaient, comme montrant le chemin aux larmes.
- Concentre toi sur le chemin lumineux qui t’a guidé dans les couloirs.
Deux points parcouraient l‘arrête de son nez, jusqu’à ses narines entièrement immaculées.
- Demande lui d’apparaître…
Ses lèvres roses, entourées d’un ovale blanc aux contours irréguliers, contrastaient avec le ton grave de sa voix.
- … et de t’emmener vers ton Armémoire.
Son menton imberbe, lui-même peint d’albâtre, terminait ce visage qui faisait à Solola l’effet d’une peinture.
- Maintenant, tu dois être arrivée devant une grande porte ouverte. C’est ton Armémoire.
Reprenant ses esprits, Solola se décida finalement à fermer les yeux. Elle avait pris du retard, et puisque Miko ne semblait pas se soucier un instant de savoir si son apprenti suivait, son acte de rébellion lui parut inutile. Avec hâte, Solola se remémora les différentes étapes du parcours tout en intimant au chemin lumineux de lui montrer, si possible, un raccourci.
- Approche toi. Sur l’un des côtés de la porte il y a un petit boîtier transparent avec un bouton rouge au milieu.
Une immense double porte bleue aux allures orientales lui apparut finalement. Sur le côté droit, elle aperçut le fameux bouton caché dans le renfort d’une pierre.
- Pour supprimer ton Armémoire il faut détruire le boîtier et appuyer cinq secondes sur le bouton.
Sentant à nouveau la brulure du regard de Miko sur elle, Solola quitta l’ombre de ses paupières.
- Je t’ai envoyé un livre sur ton Holopad. Tu as 2 heures pour le lire. Si tu le termines dans les temps tu auras accès au questionnaire de lecture final.
Sur ces mots, Miko se leva et quitta la salle. Intriguée, Solola eu à peine le temps d’ouvrir le fichier de 400 pages intitulé « Navires et bateaux au fil des siècles » qu’une musique assourdissante retentit. Après quelques tentatives pour appeler à l’aide, ouvrir la porte et se boucher les oreilles, Solola se résolu à croire que le bruit faisait partie de cet étrange exercice.
Elle n’aurait su dire ce qui joua le plus : la musique, l’inconfort de la chaise, sa vitesse de lecture ou le thème passablement ennuyant du bouquin. Quoi qu’il en soit, à la fin des deux heures le fichier disparut de son Holopad avant qu’elle n’ait pu atteindre la moitié. Le soulagement du silence retrouvé la consola de son échec cuisant. Relâchant sa tête en arrière, elle entreprit de se masser les tempes lorsque la porte s’ouvrit à la volée.
Sautant de sa chaise, elle aperçut une petite femme aux cheveux aussi frisés qu’écarlates faire irruption dans la salle.
- Salut p’tit chou ! Aller on se réveille là-dedans, il est temps de passer aux choses sérieuses !
Si l’incroyable énergie dégagée cette femme anima la pièce dès son apparition, c’est après avoir pianoté sur un tableau électrique, camouflé dans le mur, qu’elle prit réellement vie. Les murs entamèrent une danse synchronisée, traversant la salle et découvrant de nombreuses machines cachées en leur sein. En se retournant, les dalles du sol se paraient de différents revêtements.
Bouche bée, Solola admira le spectacle tout en prenant garde de ne pas gêner le ballet. En quelques secondes, l’austère salle vide se transforma en salle de sport coupée en plusieurs univers. Une piste d’athlétisme entourait, à la fois, un parcours du combattant, un ring et des machines qui laissèrent imaginer à Solola, dont les connaissances sportives étaient des plus limitées, les pires tortures. Face à elle, les yeux de la fille aux cheveux enflammés brillaient d’émerveillement.
- Alors, avant tout, asseyons-nous un peu et faisons connaissance !
Elle se saisit de la main de Solola et l’entraîna, avec une force surprenante, en dehors de la seule zone n’ayant pas encore subit de transformation. Dès qu’elles l’eurent quittée, la plateforme circulaire bascula et les deux chaises furent remplacées par deux murets se faisant face. Dans un soupir d’aise, la rouquine s’installa, le dos collé au mur et les genoux pliés en angle droit. Solola l’imita, espérant jusqu’au dernier moment l’existence d’une chaise invisible.
- Je m’appelle Léontine et je suis Savante Somaster.
Avant même la fin de cette première phrase, les cuisses de Solola s’étaient mises à trembler.
- On m’a dit que tu avais demandé à apprendre à te battre et je trouve que c’est une ex-ce-llente idée ! De nos jours nous sommes tous ultraspécialisés, ce qui a ses bons côtés bien sûr, mais on va pas se mentir : garder la forme et savoir se battre c’est essentiel pour tout le monde !
Peu à peu, Solola sentit son visage entrer en compétition avec la couleur des cheveux de son interlocutrice.
- Donc j’ai trouvé ta requête parfaitement pertinente et je suis ra-vie de faire ta connaissance. Je suis sûre qu’on va bien s’entendre. Bon, toutes les histoires d’élèves qui dépassent le maître tu peux oublier, on va pas se mentir. L’objectif sera de t’apprendre les bases.
N’y tenant plus, Solola agrippa ses genoux de ses deux mains.
- Dans un combat, le plus important n’est pas la force, mais le bon équilibre entre puissance et rapidité. Selon ton adversaire, il pourra être plus pertinent d’utiliser en majorité l’un, ou l’autre. Avant tout, nous allons commencer par un gros travail de renforcement musculaire. Tenir tes genoux, c’est clairement de la triche. Et vu la couleur de ta tête, je pense que nous avons beau-coup de boulot ! Mais tu n’as pas abandonné, et ça c’est bien parce qu’un combat, ça se joue principalement dans la tête. Et comme je dis toujours : mieux vaut tricher qu’abandonner !
Au bout de son effort, Solola se laissa tomber sur le côté. Un sac à patates n’aurait pas été moins élégant.
- Ah je vois que tu connais déjà la position latérale de sécurité, s’esclaffa Léontine. Très bien ! Si tu sens que tu vas t’évanouir c’est exactement comme ça qu’il faut te positionner. Ca évite de t’étouffer si tu vomis. Aller, fini les présentations, on passe à l’entrainement !
A deux doigts de défaillir, Solola pensa à son lit. Il était si beau, si douillet. Il lui manquait terriblement. Malgré tout elle se releva, se rappelant que quelle que soit sa souffrance, c’était elle qui l’avait réclamée. Elle se mit donc à courir sur la piste d’athlétisme. Léontine, à ses côtés, s’adaptait à son rythme tout en se positionnant légèrement devant pour l’inciter à accélérer.
- J’a-dore mon métier. Déjà parce que je rencontre plein de gens sympas, et puis parce que je passe ma journée à faire ce qui me passionne : faire sportivement souffrir ces mêmes gens sympas et tout en discutant ! Mon frère dit que je parle trop. En même temps pour lui faire sortir un mot à lui, il faut y aller au forceps. Je suis sûre que c’est de sa faute si je suis comme ça : j’ai dû m’adapter, et maintenant je parle pour deux. C’est vrai que je pourrais mettre de la musique plutôt, mais où serait l’échange ? La transmission ? Non définitivement, c’est mieux comme ça. Et puis si de temps en temps ça t’agace, dis-toi que tu n’es pas à l’abri d’apprendre un truc ! C’est un gros souci quelqu’un qui parle trop dans une organisation secrète, tu sais. Ouuuuh j’ai donné du fil à retordre à Cordélia, c’est sûr. Tu as déjà vu ton Armémoire ?
Déjà à bout de souffle et incapable de trouver assez d’air pour répondre, Solola hocha la tête.
- Chaque Armémoire est différente. Son aspect change selon la personnalité de chacun et selon ses besoins aussi. Il y a des Armémoire austères et d’autres plus colorées. Certaines sont très simples et d’autres très « m’as-tu-vu ». En général la DNSTR n’agit pas là-dessus, l’implantation est toujours à peu près la même mais c’est la perception de ton esprit qui joue. Chez moi, ils ont été obligés de m’implanter une Armémoire blindée. Rien ne filtre ! C’est pas qu’on ne peut pas me faire confiance, hein. C’est juste que parfois je ne me rends pas compte.
Solola rendit tant bien que mal le sourire radieux que lui adressait Léontine. Elle parlait vraiment beaucoup, mais cela convenait parfaitement à Solola. Déjà le temps semblait passer plus vite, et le peu d’interaction nécessaire à Léontine dans son flot de paroles lui laissait tout le loisir de se concentrer sur ses exercices.
Lors de ces premières heures qui lui parurent durer une éternité, Solola souffrit beaucoup et cela lui fit du bien. Emmenant son corps jusqu’au bout de ses capacités et plus loin encore, elle se sentait avancer. Contrairement à l’exercice de lecture, user son corps lui semblait avoir du sens. L’entraînement ne se termina miraculeusement pas en PLS, même si elle rendit tout ce qu’elle n’avait pas encore digéré.
Vidée, elle regagna sa chambre sur les rotules et se jeta sur son lit sans prendre le temps ni de se laver, ni de manger. Quelques courbatures naissaient déjà, et elle redoutait celles qui la paralyseraient certainement le lendemain. Pourtant, rien de tout cela ne l’emporta sur sa détermination à recommencer le lendemain et les jours suivants. Avant que le sommeil ne l’emporte, un sentiment profond de satisfaction résonna dans tous ses membres.
Pour le reste, je rejoins MariKy pour la description de l'Armémoire que je trouve super. J'ai pris plaisir à continuer ma lecture et j'ai hâte de poursuivre ! :-)
Pour Miko je te confirme qu'on ne sait pas encore quel est son pouvoir, et pour Léontine elle est Somasteur (elle a donc des capacités physiques hors du commun, notamment en terme de force, d'agilité et de rapidité). Le terme "Savant" est utilisé pour les personnes surdouées dans leur domaine de compétence (et donc très spécialisé).
En réalité Solola ne réagit pas au Talent de Léontine, elle est juste en souffrance parce que Léontine lui fait faire la chaise en parlant (personnellement je ne tiens pas 2 min) haha ... Peux-tu me dire si ça vaudrait le coup de l'expliquer de manière plus directe ?
Miko est toujours aussi antipathique, et à le fois très intriguant ! J'aime beaucoup tes descriptions sur son physique (il s'agit de vitiligo, à ce que j'ai compris ?). Les réactions de Solola le concernant laissent penser qu'elle ne lui est pas indifférente :p
Oui tu as bien deviné pour le vitiligo ! Bravo hehe