Chapitre 18

Par !Brune!

En dépit de ses hésitations, Leïla consentit à être la porte-parole de ses camarades auprès du commandant. Malgré l’heure tardive, celui-ci accepta de la recevoir dans une salle de la mairie où bivouaquaient ses soldats. L’adolescente s’assit de manière un peu guindée sur le siège qu’il lui offrait et livra, avec nervosité, ses préoccupations au sujet du sourcier. Lorsqu’elle fut certaine d’avoir retenu toute l’attention de Charcot, elle aborda prudemment le plan que ses amis et elle projetaient de réaliser.

— On a peut-être une solution, mais je ne suis pas sûre qu’elle vous plaise.

— Je m’attends au pire, soupira l’officier, en haussant les sourcils. Je vous écoute !

— Eyan connaît un homme capable de nous venir en aide. C’est un devin qui vit près du vallon d’Alhezte. Selon elle, il pourrait chasser les inquiétudes d’Owen.

— C’est une plaisanterie !

— Pas du tout, soutint la jeune fille, en fixant le commandant droit dans les yeux. On voudrait le conduire là-bas en empruntant les poneys que vous avez capturés à la sortie du tunnel, le mois dernier.

— On ?

— Milo, Eyan et moi.

— Vous ne doutez de rien !

— Ça m’arrive, mais je le montre peu.

— Vous avez décidément toutes les qualités ! répliqua Charcot, sarcastique. Votre projet, s’il est louable, me paraît bien farfelu ! Comment un voyant peut-il rendre son pouvoir à Owen ?

— Il ne s’agit pas de ça, mais seulement de lui redonner confiance.

— Et pour ça, vous être prêts à rebrousser chemin jusqu’à Alhezte !

— Oui.

— Êtes-vous conscients de ne pas revenir sains et saufs ?

— Oui.

— Votre expédition nous ferait perdre un temps fou !

— À laisser Owen s’enliser, nous en perdons, de toute façon.

Le commandant observa l’opiniâtre blondinette, avec exaspération. Sous son regard d’acier, Leïla se sentit soudain très vulnérable, mais, fidèle à ses principes, elle n’en laissa rien paraître. Après une très longue pause, l’officier reprit la parole :

— Votre entêtement n’a d’égal que votre intrépidité… J’avoue que Krabb ne s’est pas trompé en vous autorisant à intégrer la mission.

L’adolescente remercia d’un bref mouvement de tête, déstabilisée par la remarque ambiguë de Charcot. Comme s’il lisait dans ses pensées, celui-ci enchaîna :

— Ne vous faites pas d’illusions ! J’admets que la confusion dans laquelle se trouve Owen est problématique, mais je n’ai pas encore dit oui. Je vais réfléchir à votre extravagante proposition. En attendant, allez vous coucher !

— Je vais prévenir Milo avant.

— J’AI DIT : ALLEZ VOUS COUCHER !

Pour s’assurer qu’elle obéisse, l’officier ordonna à Jentil de conduire la jeune fille dans un des bureaux annexes devant lequel il fit monter la garde. Contrariée de ne pouvoir retrouver ses camarades, Leïla avança en maugréant jusqu’au lit improvisé que le brave sergent lui avait rapidement dressé et sur lequel, malgré l’excitation des dernières heures, elle s’endormit aussitôt. À la demande du commandant, on la réveilla à la tombée du jour. Elle rejoignit prestement Milo et la petite nomade qui prenaient leur repas près du puits tandis qu’à leurs pieds, Mouche s’amusait à grignoter les restes d’un vieux ballon de foot.

— T’as gagné Leïla ! Charcot est d’accord ! s’exclama le chevelu, avec une joie admirative. Par contre, il ne veut pas de nous sur ce coup-là ! D’ailleurs, il a raison, je crois pas que j’aurais tenu longtemps avec ma patte folle ! poursuivit-il en tapotant sa jambe blessée.

— C’est pas juste ! Qui va accompagner Owen, alors ? interrogea Leïla, la voix emplie d’amertume.

— Carduz et Eyan.

— Quoi !

— C’est la meilleure chose à faire, Leïla ! Il faut un soldat expérimenté pour cette mission. Et Carduz est le plus léger de la brigade ; c’est mieux pour le pottok.

— Et pourquoi elle et pas moi ? enchérit la diablesse blonde, en désignant la petite Badawiin du menton.

— Parce qu’elle, elle saura trouver le mage.

Milo se tut quelques minutes pour laisser le temps à Leïla de digérer l’information.

— OK, admit-elle enfin, en ravalant ses larmes. Quand est prévu le départ ?

— Dans la soirée. Owen et Carduz règlent les derniers détails avec Charcot, en ce moment même.

— Et toi, pourquoi t’es pas avec eux ? lança-t-elle, avec aigreur, à la jeune Badawiin.

— Parce qu’elle voulait être présente quand je t’annoncerai la mauvaise nouvelle.

— Pff… souffla la blonde avec dédain tandis qu’Eyan lui déclarait, consternée :

— Je suis désolée ! Tu aurais dû venir avec nous. Tu es si courageuse !

— Qu’est-ce qu’elle raconte, encore ?

Le ton de Leïla, empli de mépris et de colère contenue, froissa Milo qui se retint de traduire ; son incontrôlable agressivité ne l’amusait plus depuis qu’Eyan en faisait régulièrement les frais. Malgré l’affection que lui témoignait la petite nomade, l’adolescente s’obstinait, en effet, à jouer les poisons et son attitude commençait à taper sur les nerfs du chevelu.

— Tu m’en veux, affirma soudain Leïla, ses beaux iris couleur de miel fichés, telles deux ancres, dans les siens.

— Si tu le dis, répondit-il d’un air pincé.

— Je suis pas facile, hein ?

Retrouvant le sourire, le jeune homme riposta avec ironie :

— Tu rigoles ! T’es la douceur incarnée !

L’adolescente esquissa une moue dubitative qui fit rire Milo.

— Non, sérieux, continua-t-elle, les yeux baissés. Je sais que je vais trop loin, parfois. Excuse-moi… je te promets de faire attention.

La déclaration interloqua le chevelu ; quoi ! Sa volcanique camarade battait en retraite et demandait pardon ! L’hostilité muette dont il avait fait preuve l’avait-il donc à ce point affectée ?

En l’observant guetter son indulgence, immobile et tendue, Milo réalisa que son amie n’était peut-être pas la seule à devoir éprouver des remords. Depuis qu’Eyan était entrée dans sa vie, les rapports qu’il entretenait avec ses deux copains avaient, en effet, singulièrement changé. Accaparé par la traduction qu’il effectuait pour les scientifiques et captivé par le charme angélique de la jeune Badawiin, Milo ne s’était pas aperçu qu’Owen sombrait dans la mélancolie et que Leïla, blessée, abandonnée, s’enfermait dans un rôle de mégère qui ne lui ressemblait pas.

— C’est moi qui te demande pardon, reconnut-il, penaud. J’ai pas vu que vous aviez besoin de moi, Owen et toi.

Contre toute attente, Leïla s’approcha de Milo et l’étreignit longuement. Puis saisissant la main d’Eyan :

— Bon ! Puisqu’on en est tous à se confesser… Excuse-moi de t’avoir malmenée ! Tu veux bien qu’on reprenne à zéro ?

La gamine, ravie, acquiesça en souriant.

— Owen et Milo représentent ce que j’ai de plus cher au monde, lui confia Leïla, avec pudeur. T’as déjà sauvé ce celui-là, précisa-t-elle en adressant un clin d’œil au grand brun. Alors, je compte sur toi pour me ramener l’autre !

Pour toute réponse, Eyan se dégagea doucement et ramassant Mouche, toujours occupé à mâchouiller la balle à ses pieds, elle le présenta à l’adolescente avec une inquiète exaltation. Prise au dépourvu, Leïla s’empara maladroitement de l’animal et répliqua avec brusquerie afin de cacher l’émotion qui la gagnait :

— Marché conclu, ma vieille ! Je prendrai soin de ton microbe !

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Eska
Posté le 14/03/2023
Hello Brune !

Je repasse après une longue absence du site, et je vois trois nouveaux chapitres !
Je fais une petite halte dans ma lecture ici pour soulever deux points :
"Êtes-vous conscients de ne pas revenir sains et saufs ?"

J'ai la sensation ici qu'il manque une proposition dans ta phrase, elle semble incomplète ! Quelque chose comme "du risque" ?

"— Tu m’en veux, affirma soudain Leïla, ses beaux iris couleur de miel fichés, telles deux ancres, dans les siens."

Fiou, ça envoie ! Superbe image, j'adore !

Plus globalement, j'aime énormément ce chapitre, très intime. Tu dépeins les émotions de Leïla, Milo et Eyan avec beaucoup d'adresse ici. Cette scène est vraiment touchante. A très vite sur le prochain chapitre !
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