Chapitre 17

Par !Brune!

Cela faisait maintenant quatre semaines qu’ils suivaient le fossé creusé par la rivière. Quatre longues semaines à arpenter les flancs poussiéreux du cours d’eau, à rouler leurs semelles sur la sente caillouteuse au-dessus de laquelle flottait continuellement un nuage étouffant de terre sèche. Les premiers temps, le jeune sourcier avait espéré un frémissement, un murmure, une étincelle. Il avait épié le moindre tremblement de ses muscles tendus, guetté un chuchotement au cœur de ses oreilles et sollicité ses sens à chacun de ses pas, mais le lit épuisé ne lui avait transmis aucun signal. L’eau qui coulait autrefois entre ces berges arides semblait avoir définitivement disparu.

Les jours passaient, invariables, identiques, aiguisant âprement les incertitudes de l’adolescent. Depuis qu’Eyan avait attesté la présence de réservoirs dans les sous-sols, les gens de la mission espéraient à tout moment que le digne descendant de Paul en révèle la trace. Or, Owen ne trouvait rien ! Peu à peu, un amer sentiment d’impuissance envahit l’âme du garçon qui se mit à douter. Avait-il seulement entendu l’eau qui l’appelait du fond de la jarre ensevelie ? Krabb avait-il eu raison de lui faire confiance, à lui qui n’avait jamais vraiment fait la preuve de son talent ?

— C’est quoi cette tête d’enterrement ?

—  Salut, répondit platement le sourcier.

L’impétueuse Leïla s’installa nonchalamment aux côtés de son camarade, assis sur la margelle du puits qui trônait au centre du village. Depuis qu’ils longeaient la rivière, les explorateurs avaient traversé une demi-douzaine de ces hameaux abandonnés, dans lesquels ils bivouaquaient chaque matin, après leur ingrate nuit de marche.

— Allez ! Arrête de gamberger et dis-moi ce qui te préoccupe.

— Je n’ai pas le don. Krabb s’est trompé.

— Tu oublies l’eau que t’as trouvée aux « Olympiades » !

— J’ai eu de la chance, voilà tout !

Leila dévisagea son compagnon dont les yeux de jade, voilés de brume, trahissaient les tourments. Elle qui connaissait sa sensibilité, d’ordinaire ne s’en inquiétait pas ; loin de le désavantager, cette apparente faiblesse offrait au sourcier une acuité et une lucidité que la jeune fille lui enviait souvent. Ces derniers jours, pourtant, elle avait remarqué une nervosité inhabituelle chez lui qui passait, la plupart du temps, pour un esprit tranquille. Déstabilisée par sa mine sombre et son regard anxieux, elle réfléchit mûrement avant de lui répondre.

— Au début, je croyais que t’étais juste un « hyper sensible » ! Mais j’ai vite pigé qu’il y avait autre chose !

La réplique fit sourire Owen malgré lui.

— Tu te souviens du reproche que je t’ai fait quand j’ai su que tu quittais la grotte ? continua-t-elle, sans prêter attention à son changement d’attitude.

— Tu m’en voulais de t’avoir rien dit.

— Ouais, mais c’était qu’un prétexte pour te donner mauvaise conscience. En fait, je savais depuis longtemps que t’étais différent. Krabb le savait aussi ! C’est pour ça qu’il t’a confié la mission. À toi, Owen, et à personne d’autre ! Alors, ne doute pas ! Tu y arriveras !

Loin de le rasséréner, la touchante déclaration de Leïla fit naître dans le cœur du garçon, en même temps qu’une profonde gratitude, l’angoisse de sa pesante destinée. Ces paroles lui rappelaient douloureusement l’espoir que la colonie avait placé en lui ; avait-il seulement le droit de les décevoir ?! Troublé, il se leva sans dire un mot, effleura tendrement la joue de son amie, puis se dirigea d’un pas résigné vers le logement où, contrairement à son habitude, il avait tenu à demeurer seul.

— Tu vas te coucher ? lui lança-t-elle, désemparée tandis qu’il s’éloignait sans répondre.

***

Eyan se redressa et observa, avec perplexité, la scène qui se déroulait devant elle ; agenouillée près du matelas, Leïla essayait vainement de réveiller Milo qui roupillait dans un coin de la masure où tous les trois avaient élu domicile. Faisant doucement glisser sa main gauche fermée sur son index droit, la petite Badawiin demanda :

— Que fais-tu ?

Mais Leïla se contenta de secouer l’endormi.

— Tu te lèves à la fin ! Milo ! C’est pas possible ! Debout !

— Tu vas lui faire mal, continua Eyan avec sagacité.

— Stop ! l’apostropha Leïla, en se tournant vers elle. Je comprends rien à ton charabia !

Milo profita de ce moment de répit pour adresser un clin d’œil malicieux à la jeune infirme ; celle-ci, ravie de la plaisanterie, se mit à glousser devant la mine stupéfaite de Leïla.

— Pff… deux ans d’âge mental ! Et, encore, je compte large !

— Bon, à part me démonter l’épaule, tu voulais quoi ? demanda Milo tandis qu’il frottait, avec une exagération facétieuse, le haut de son bras malmené.

— C’est Owen. Il va pas bien.

Le ton espiègle de Milo s’effaça aussitôt.

— Oui, j’avais remarqué.

— Je viens de lui parler. Il croit que Krabb s’est trompé, qu’il ne découvrira jamais la source.

— Je comprends. Ça fait un mois qu’il cherche !

— Tu doutes, toi aussi ?

— Bien sûr que non… je pense seulement qu’on lui tape sur les nerfs. Depuis qu’Eyan a parlé des nappes, on n’attend qu’une chose, c’est qu’il trouve cette fichue source !

— On peut pas empêcher les gens d’espérer, quand même !

Milo haussa les épaules, désarmé, tandis qu’un lourd silence envahissait la chambre.

— On devrait lui changer les idées ! soumit tout à coup Leïla.

— À mon avis, il a plutôt besoin qu’on lui foute la paix ! 

— On va demander à Charcot de prolonger la halte ! poursuivit la jeune fille sans relever la suggestion de Milo.

— Pour quoi faire ?

— Tu te rappelles des jeux de rôles qu’on préparait en fin d’année ?

— Tu crois vraiment qu’un jeu va l’empêcher de se morfondre !

— T’inquiète ! Je vais lui concocter un truc sur mesure au frangin ! Il saura plus où donner de la tête !

Leïla se frottait les mains, le regard enflammé et le rouge aux joues. Des trois, c’était elle la plus imaginative ; Milo ne doutait pas qu’elle réussisse à créer un divertissement qui ferait oublier à Owen ses idées noires, mais est-ce que ça suffirait à vaincre le sentiment d’imposture qui semblait le tenailler depuis des jours ?

— Ça marchera pas, déclara-t-il, laconique.

— T’as autre chose à proposer peut-être !

— Moi non, mais notre amie peut-être, répondit le chevelu, sautant opportunément sur l’occasion que lui offrait Eyan d’éviter une querelle. En effet, celle-ci tirait délicatement sur sa manche pour lui signifier qu’elle désirait intervenir.

— Elle connaît un mage, traduisit Milo tandis que la jeune nomade agitait ses menottes en tout sens.

— Oui, et alors ! s’agaça Leïla.

— Il dirige une tribu près d’Alhezte.

— Formidable ! On n’a plus qu’à faire demi-tour, alors ! 

— C’est pas cool, c’est vrai, mais elle est sûre qu’il pourra aider Owen.

— Comment ?

— En lui prouvant qu’il a le don !

La blonde fit la moue ; elle ne trouvait pas très intelligent de confier leur sort à un inconnu !

— Et si ton mage déclare qu’il ne l’a pas !

— C’est à toi de douter, maintenant ? s’exclama Milo, abandonnant momentanément son rôle d’interprète.

— Mais non, enfin ! rétorqua vivement Leïla. Je pense juste que c’est idiot de perdre un mois de marche pour rencontrer un type dont on ne sait absolument rien !

Eyan posa délicatement sa main sur le bras de la jeune fille, puis d’un regard, elle demanda à Milo de reprendre la traduction.

— Crois-moi, Leïla ! Ce guide voit des choses que les autres ne voient pas.

— Et pourquoi Owen lui ferait confiance ?

— Parce que, comme lui, le mage est un élu. Ils se reconnaîtront.

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