Chapitre 18
Invisibles dans la nuit par leurs tenues entièrement noires, ils étaient accroupis à l’orée de la jungle à fixer le centre qui était plongé dans l'obscurité. Seules les lumières de veille pour la nuit étaient allumées, propageant un léger aura verdâtre dans les locaux. Après avoir attendu que les duos de guetteurs, Chad et Sib, et Moh et Oriag, ne leur donnent le feu vert aux oreillettes, ils enfilèrent leurs cagoules sur la tête et les ajustèrent contre leurs visages.
Étant la plus agile, ce fut à Anak de grimper le haut mur pour cisailler un passage à travers les rouleaux de barbelés qui y étaient accrochés. Délaissant sa cisaille au pied du mur pour la récupérer au retour, elle trottina jusqu’à un angle du bâtiment principal où Moh avait réussi à se faufiler discrètement dans la journée pour ouvrir une fenêtre. D’un sourire, elle la trouva toujours ouverte et jeta un coup d’oeil à l’intérieur pour vérifier que la pièce était déserte.
“RAS, souffla Anak dans son oreillette micro, ils peuvent venir.
-Ok, je transmets.”
La voix de Sibéal s’éteignit aussi vite qu’elle s’était faite entendre, et Anak put percevoir Sibéal qui passait le message à Chad qui était relié à Yakta. Une minute tout au plus s’était écoulée avant que Yakta n’apparaisse en haut du mur, rapidement suivie par Apollo et Murdock. En attendant qu’elle les rejoigne, Anak passa par la fenêtre et alluma sa lampe-torche pour inspecter chaque petit recoin.
“Tout est calme, leur apprit-elle alors que les trois autres passaient la porte.
-Top, apprécia Murdock, on traine pas, alors !”
Ils émergèrent de la petite pièce où ils se trouvaient et se rendirent dans le couloir. Anak dirigea le reste du groupe en partageant les informations que Sibéal lui glissait à l’oreille, et les faisceaux de leurs lampes torches se croisaient et se recroisaient à chaque coin des murs. Leur itinéraire les mena jusqu’à un second couloir, plus large, et qu’ils trouvèrent, toutes lumières allumées. Cette surprise les figea.
“Ils ont dû oublier d’éteindre, supposa Anak.
-Peut-être, accorda Yakta, ses sourcils froncés, mais restons sur nos gardes.”
Le pas gagnant en légèreté et l'œil en prudence, ils avancèrent après qu’Anak leur ait indiqué que l’objectif était au bout du couloir. Ils tenaient fermement leur lampe torche comme s’il s’agissait d’arme, tous prêts à en user si besoin. Murdock ouvrait la marche désormais, puis Yakta, Apollo et enfin, Anak la fermait.
Un bruit de porte qui s’ouvrait fit alors écho dans le couloir, derrière eux, et Anak se retourna sur un homme en blouse-blanche qui sortait d’un bureau, un calepin en mains. L’homme et Anak furent tous deux aussi surpris de se faire face.
“Qui êtes-vous ? glapit-il.
-Personne, lui assura Anak en levant les mains pour le rassurer, on ne fait rien de…”
Mais les yeux de l’homme l’avaient déjà dépassé pour remarquer les trois autres individus rendus encore plus suspects par leurs visages encagoulés. Et sans demander son reste, le scientifique partit en courant à l’opposé du couloir.
“Moineau ! lui cria Yakta. Arrête-le !”
Anak signifiait “petit oiseau” en sioux, “moineau” était donc son alias dans les rares moments épineux où il n’était pas question de partager leurs vrais noms. Avec un juron, Anak se lança à la poursuite du fuyard et avant qu’il n’ait atteint les portes qui séparaient ce couloir de l’autre, elle arriva à se jeter sur son dos pour le freiner et le retenir en arrière. Il lui expédia un coup de coude dans le nez, des étoiles pleins les yeux, qui se mit à pisser du sang des deux narines, mais elle ne lâcha pas pour autant. Fort heureusement, Apollo vint lui prêter main forte et en un uppercut bien envoyé, l’homme à la blouse s’effondra inerte au sol.
“Putain…, grommela Murdock, fallait qu’yait un abruti insomniaque pour squatter les locaux.”
Le demi-nain s’agenouillait pour inspecter l’homme et s’assurer qu’il était bien assommé tandis que Yakta se frottait le menton, le cerveau carburant à cent à l’heure. La tête en l’air en gémissant sa douleur, Anak essayait d’éviter d'inonder le couloir de son sang, et Apollo trouva un mouchoir dans sa poche qu’il lui tendit. En une seconde et demi, le mouchoir s’imbibait de rouge mais ça aidait un peu.
“Il va se réveiller, les avertit Apollo, faut qu’on trouve de quoi le ligoter.
-On n'a pas le temps, contra Yakta.
-Avec Apollo, on va se charger de ce gugus, décida Murdock. Terminez ce qu’on est venu faire fissa ! Ca va aller, gamine ?”
Anak marmonna une réponse et Yakta déchira d’un geste une manche du scientifique que les bras de Murdock et d’Apollo tiraient déjà du sol, pour ensuite la tendre à sa co-pilote. Après avoir jeté le mouchoir suintant de sang, Anak le remplace avec le morceau de tissu. Heureusement, l'hémorragie se calmait déjà. Elle entendait Sibéal s’inquiéter de son état dans son oreille, et jusque-là, trop prise dans l’action, elle n’avait pu la rassurer. Elle le fit donc du mieux qu’elle put.
“Allez, on y va, moineau.”
Sans perdre plus de temps, Yakta se mit à courir jusqu’au bout du couloir et Anak se lança après elle. La porte était verrouillée mais en quelques coups de pieds placés avec précision, Yakta la fit sauter. Il s’agissait d’une espèce de petit laboratoire. Une table rectangulaire en métal trônait au centre, et des grandes étagères en fer bordaient chaque mur, débordant de cartons.
“Je commence par la gauche, décida Yakta, toi, tu prends par la droite.
-Reçu.”
D’une main contre son nez devenue fontaine, elle se lança dans une course contre la montre, soulevant sans délicatesse les couvercles pour farfouiller à l’intérieur. Au bout de quelques minutes, elle put continuer à deux mains. Même si son nez continuait à la lancer, et que la douleur lui sciait le front, l’hémorragie s’était tari.
“Attends, fit alors Yakta, les numéros sur les étiquettes. Je crois que ce sont des dates. Jour et mois. On était quel jour, avant-hier ?
-Le 7 mai.
-Bingo ! s’exclama Yakta en tirant un carton. 0705.”
Elle lâcha le carton sur la table métallique dans un bruit mat et elle se débarrassa du couvercle d’un tour de poignet. Puis, les yeux noirs de Yakta s’épinglèrent à Anak.
“Toi, regarde, la pressa Yakta, tu sais à quoi ça doit ressembler. Je vais chercher les autres cartons en remontant chronologiquement depuis cette date.
-D’accord. Ce doit être petit, fin, décrivit Anak en plongeant ses mains dans le premier carton, sûrement en métal ou en pierre…
-Peut-être marqué du même symbole qui s’est imprimé sur ton doigt, ajouta Sibéal à son oreille.
-Oui…”
Elle vida quatre cartons avant de tirer, de celui marqué d’une étiquette 0403, un sachet en plastique transparent contenant une lame de métal vert d’oxydation décoré d’arabesques et d’étoiles semblables en tout point au tampon qu’ils avaient photographié sur son doigt. Un sourire victorieux décorait désormais et le visage d’Anak, et celui de Yakta. Celle-ci conclut le moment par une consigne judicieuse :
“Tirons-nous d’ici, petit moineau.”
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“Qu’est-ce que t’en dis, Yakta ? proposa Murdock avec un petit sourire. On leur fait le coup de la bonne nouvelle et de la mauvaise ?
-Je te rejoins, Murdock, restons sur les bon vieux classiques, approuva Yakta en croisant les bras. Alors, vous voulez la bonne ou la mauvaise d’abord ?”
Dans la sécurité ombragée de la jungle, Oriag, Moh, Chad, et Sibéal étaient rangés en rangs d’oignons, prêts à découvrir à quelle sauce ils seraient mangés. Par les oreillettes, Sibéal et Chad avaient été tenus plus ou moins au courant de l’avancée de l’opération, mais ils avaient évité de trop parler tant qu’ils n’étaient pas hors de danger. Et en sortant du centre, Anak et Yakta avaient ôté leurs oreillettes.
“Partons pour la bonne ! choisit Moh avec bonne humeur.
-On a la clé !” annonça triomphalement Anak.
Et sur ces bonnes paroles, elle brandit le petit sachet pour le ravissement de tous et son cadet applaudit l’exploit avec entrain.
“Et la mauvaise, maintenant ? s’enquit Oriag avec prudence.
-On a dû assommer et saucissonner un gars qu’on a rangé dans un placard, résuma Murdock.
-PARDON ?! s’écria Oriag.
-Et d’ailleurs, comment va ton nez, Anak ?” se préoccupa Sibéal en sa direction.
Anak lui présenta un petit sourire rassurant. Son nez lui faisait encore un peu mal mais il n’y avait rien de cassé, ça passerait vite. Moh eut envie de demander des explications à sa soeur mais Yakta reprit rapidement le contrôle de la discussion :
“Ils découvriront donc, d’ici demain matin, que quelqu’un s’est introduit dans le centre et ils pourraient rapidement faire le lien entre nous et l’incident. On doit filer d’ici entre-temps. Sauf qu’avant ça, on a un temple qui nous doit encore des réponses.
-Oh… donc on doit s’y rendre, cette nuit ? comprit Oriag.
-Tout juste, acquiesça Murdock. Avec Yakta, on va rentrer pour préparer les bateaux au départ, et pendant ce temps, il faut une équipe qui retourne au temple.”
Les minutes qui suivirent furent dispensées au choix des membres qui constitueraient la fameuse équipe. Sibéal et Oriag se portèrent volontaires auprès de Murdock tandis que Yakta désignait Moh et Anak pour la compléter. Ce fut ainsi qu’ils se séparèrent en convenant qu’ils devaient être de retour à l’aurore au plus tard pour qu’ils puissent disparaître avec la nuit. Il était à peine une heure du matin, ce qui leur laissait encore une bonne amplitude d’action. Sur le chemin, Anak put raconter à Moh tout ce qui s’était passé durant leur petite mission d’infiltration, et ce dans les moindres détails, tandis que Sibéal et Oriag ouvraient la voie.
“Faudra que tu racontes ça à Chad, commenta Moh avec malice, quand il va apprendre qu’Apollo a assommé un homme d’un seul coup de poing, c’est sûr, il va être amoureux.
-J’avoue ! approuva Anak en riant. Si j’avais pas eu les chutes du niagara à la place du nez, je serais moi aussi tombée amoureuse !
-Hmmm, je crois pas… Valérian te plaît trop pour ça !”
Dans un soupir un peu rêveur, Anak ne put que s’accorder à ce point de vue. Même si ses rapports avec le triton étaient pour le moins étranges et qu’elle ne préférait pas s’hasarder aux spéculations concernant la position de Valérian, elle savait bien ce qu’elle, pour sa part, commençait à ressentir pour lui. Depuis leur baiser de minuit dans les filets, il ne s’était rien passé de nouveau, ils n’avaient même pas eu l’occasion d’en reparler. Elle commençait à se faire à l’idée que ça avait été un épisode unique, juste un instant étrange pareil à un songe qui n’avait pas sa place le jour. Dans tous les cas, elle n’avait aucun regret, elle avait appris depuis longtemps à apprécier le présent pour son côté éphémère.
Parfois, c’était même mieux ainsi.
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Le visage penché sur l'interstice qui creusait la statue, Sibéal et Anak étudiaient la question tandis que la seconde faisait tourner la lame verte entre ses doigts. La lune, presque entière, était directement placée au-dessus d’elle et les bénissait de sa douce lumière astrale, mais Moh devait tout de même les éclairer à la torche pour qu’elles y voient plus clair. Postée à l’une des entrées du temple, Oriag faisait le guet.
“Bon, bah j’essaye, lâcha alors Anak.
-Oui, vas-y.”
Suite aux encouragements de Sibéal, Anak introduisit délicatement la lamelle de métal dans la fente. Quelque chose, dans la pierre, la bloqua alors qu’elle était aux trois-quarts enfoncée et Anak dû appuyer plus fort. Dans un cliquetis, la lame fut avalée par la statue et le mécanisme ancien s’enclencha. Dans une secousse sonore, la statue s’ébranla et Sibéal et Anak se reculèrent aussitôt de deux bons pas en se tenant le bras. Le triton de pierre exécuta un tour sur lui-même qui le déplaça en arrière sur un bon mètre et demi, dévoilant sous son édifice un trou béant et dévoré par les pénombres.
“Wow…, fit Oriag qui avait accouru, vous nous avez ouvert l’entrée des Enfers ou quoi ?”
Réfugié dans le dos de de sa sœur auquel il se cramponnait d’une main, Moh dirigea son faisceau lumineux sur le trou pour y révéler des marches. Il s’agissait donc d’un escalier, un escalier particulièrement exigue et peu engageant, strié dans toute sa largeur de toiles d’araignées d’un blanc fantômatique. Anak eut une grimace en repérant toute une famille d’arachnides qui se balançait dans un coin.
“Tu passes devant ?” proposa Moh.
Sous les rires d’Oriag qui s’en allait en prétextant devoir retourner à son poste de guet, Anak s’était retournée sur Sibéal qui, un sourire en coin, lui avait déclaré “À toi l’honneur”. Résignée, Anak délogea sa lampe torche de son étui accroché à sa ceinture et l’alluma tout en s’avançant vers l’entrée. Du pied, elle creva le mur de toiles d’araignée pour commencer sa descente. A chaque marche qu’elle passait, la lumière de la lune s’éloignait dans l'obscurité du trou dans lequel elle s’enfonçait. Moh était toujours fermement cramponné à ses épaules, ce qui avait le don de la rassurer. Les marches étaient recouvertes d’une mousse humide et glissante qui menaçait de la faire trébucher à chaque pas. L'escalier n’était pas pratique, et elle devait baisser sa tête pour ne pas se cogner contre le plafond duquel pendait des araignées momifiées. Enfin, elle déboucha dans une longue salle et elle put se redresser de toute sa hauteur dans un soupir avant de se passer les deux mains sur sa tête et son visage pour se débarrasser de la poussière, de la terre et des fils d’araignées.
“En fait, c’était pour que je sois votre bouclier anti-toiles d’araignées ? comprit Anak.
-Je me suis déjà fait un soin capillaire ce soir, lui répondit Moh en riant, j’avais pas envie de recommencer en rentrant…”
Alors que Moh lui venait en aide pour repêcher les saletés qui parasitaient la chevelure de sa grande-soeur, Sibéal les dépassait pour découvrir un peu mieux les tréfonds de la statue. De sa lampe torche, elle dévoilait des dessins aux quatre coins de la salle rectangulaire, mais aussi des torches murales. Anak sortit un briquet pour aller les allumer. Leurs pieds provoquaient des clapotis à chaque pas, le sol était recouvert d’une fine couche d’eau, ce qui expliquait cette odeur de renfermé et d’eau croupie qui les prenait à la gorge. A chaque torche qui prenait feu, les lieux se découvraient un peu plus.
“C’est une fresque, décrivit Sibéal, presque… religieuse. On dirait qu’elle évoque la malédiction, en retraçant chaque événement qui l’a provoqué.”
Anak embrasa la dernière torche avant de se retourner pour contempler la pièce dans son ensemble. C’était une salle au plafond relativement haut lorsqu’on considérait la pénible tâche de la creuser dans les profondeurs. La fresque courait le long des murs dans des couleurs qui semblaient dater d’hier tant elles étaient vives. A l’odeur, aux araignées, à l’état des parois, on pouvait aisément se faire une idée sur l’ancienneté des lieux et pourtant, les torches n’avaient pas souffert du temps, pas plus que les dessins. Comme si un enchantement protégeait les lieux.
“Il y a des inscriptions, poursuivit Sibéal, on devrait pouvoir les traduire.”
Moh avait sorti sa caméra pour tout filmer en panorama. A la lueur chatoyante des torches, Anak s’avança vers le morceau de la fresque qui était le mieux mis en valeur au centre du mur principal. C’était la peinture d’une cité qui appartenait à un autre âge, et dont la magnificence semblait sortir d’une légende. Étalée sur un mont, la cité s’élevait jusqu'au plafond, tapissée de nombreux monuments dont les moindres détails avaient été reproduits contre le mur, et se terminait sur le dôme d’un palais qui avait été peint en or.
“On dirait le mythe de l’Atlantide, non ?” lui demanda Sibéal.
Elle était venue se poster à ses côtés pour admirer la cité aux dômes d’or dressés vers le ciel. En effet, un peu plus loin sur la fresque, la cité se voyait engloutie dans son entièreté par des eaux déchaînées. Ça y ressemblait.
Anak tourna les yeux vers Sibéal tandis qu’un frisson la parcourait. Etait-ce parce qu’elle savait de source sûre que la malédiction était réelle et que désormais elle pouvait la lire le long des murs d’un lieu caché ? Était-ce la brutalité dessinée du raz-de-marée qui avait rasée la ville oubliée ? Était-ce tout simplement la moiteur fraîche des lieux, la sensation des quelques araignées qu’elle sentait se balader de leur huit pattes décharnées sur ses bras nus ?
“Mais ca n’a pas l’air d’être un mythe,” répondit Anak dans un souffle.
Et elle n’aimait vraiment pas ça.
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“Fantastique, apprécia Yakta en récupérant la clé, on va pouvoir passer à l’étape suivante.”
Anak et Moh venaient de se séparer d’Oriag et Sibéal pour que chacun regagne son navire et fasse leur rapport à leur capitaine respectif. Le récit de l’ouverture de la salle sous-terraine satisfaisait pleinement Yakta, surtout après avoir visualisé les images que la caméra de Moh avait immortalisé. Elle plaça la clé dans la poche de son jean, pour la ranger plus tard dans le coffre-fort qui siégeait dans sa cabine, avant d’interroger ensuite Moh et Anak sur un détail qui la turlupinait :
“Vous avez réussi à refermer le tunnel ?
-En remontant l’escalier, le mécanisme s’est ré-enclenché et la statue s’est replacée d’elle-même. La clé s’est faite éjectée, c’est comme ça qu’on a pu la récupérer ! raconta Moh, d’ailleurs, on a bien failli perdre Nanak !
-J’ai manqué de me faire écrabouiller ! précisa la concernée, le souvenir désagréable revenant à elle. Heureusement, Moh et Sib m’ont tirée en avant juste à temps…”
L’anecdote fit beaucoup rire Chad et Wanda qui suivaient l’échange, bien contents d’avoir pu dormir pendant que la petite équipée farfouillait les entrailles poussiéreuses et boueuses du temple en ruine tout en manquant de se faire aplatir comme une crêpe.
“Génial, jugea Yakta, comme ça, personne d’autre ne pourra accéder à cette pièce tant qu’on en aura pas fini avec cette malédiction. On peut partir tranquille.
-Enfin ! commenta Wanda. J’en avais marre de cette île paumée !
-Rassure-toi, Wanda, Murdock et moi avons prévu d’amarrer sur l’île principale dans une heure.”
Anak prenait déjà la direction de l’escalier menant au cockpit pour se préparer au départ quand la voix de Yakta la retint avant qu’elle n’ait pu faire deux pas :
“Pas toi, Anak. Toi, tu vas sur le Mod.
-Ah bon ?
-Dans son état, Nialh ne peut pas participer aux manœuvres et ils seront à court de bras. Du coup, nous avons convenu à un échange temporaire. Nialh sera sur le Yak aux bons soins de Wanda et toi, tu aideras sur le Mod le temps que son bras soit guéri. Tu as déjà navigué sur un voilier, donc tu sauras suivre les instructions et Chad sera mon co-pilote. Il est grand temps qu’il apprenne deux-trois trucs plutôt que de se rouler les pouces…
-Ca doit pas être sorcier…, figura Chad avec nonchalance, si Nanak peut le faire…”
Celle-ci se contenta de lever les yeux à la remarque sous l'œil amusé de leur capitaine qui lança à sa copilote :
“Allez, va prendre tes affaires.
-Je viens aussi.”
Tous les regards se braquèrent sur Valérian après qu’il ait prononcé ces mots sur un ton sans appel. Tandis qu’Anak essayait de tirer quelque chose du visage impassible triton, les yeux froncés de Yakta l’étudièrent avec méfiance avant de lui demander :
“Et en quel honneur ?
-Notre travail est de suivre votre équipage et Anak en fait partie, donc je l’accompagne.”
Un ange d’irritation passa dans le salon avant que Yakta balaye le sujet d’un haussement d’épaules :
“Vous faites bien ce que qui vous chante, de toute façon !”
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“Mais pourquoi est-ce qu’il faut que vous nous suiviez partout ?”
La question avait bondi de la bouche d’Anak dès qu’ils avaient mis le pied sur le ponton qui reliait le Yak au ponton et Valérian ouvrait déjà la sienne pour lui répondre quand elle lui coupa l’herbe sous le pied :
“Et ne me sors pas que c’est pour nous aider. Quand est-ce que vous nous avez aidé depuis que vous êtes là ?”
La question n’avait pas été prononcée agressivement, mais seulement comme une constatation. Anak voulait comprendre ce qui se cachait derrière leurs agissements bizarres, elle pouvait bien sûr expliquer beaucoup des étrangetés de Valérian et Esteban par leurs queues de poisson qui leur sortait d’on-ne-sait-où, mais pas tout.
Ouvertement agacée par les paroles d’Anak, Valérian souffla alors qu’ils longeaient le ponton mais un coup d’oeil en direction de son interlocutrice lui fit savoir qu’elle n’allait pas lâcher l’affaire. Marchant en crabe pour pouvoir mieux le lorgner des yeux, elle n’avait de cesse de remonter la bretelle de son sac à dos qui glissait de son épaule, mais outre ces gestes, toute son attention était braquée sur Valérian.
“On sait des choses que vous ne savez pas, d’accord ? éluda Valérian.
-Quelles choses ?
-Si vous ne les connaissez pas, c’est pour une raison.
-Quelle raison ?”
Les questions à répétition d’Anak faisait progressivement diminuer la patience du blond qui s’arrêta vers elle alors qu’ils avaient atteint le quai :
“Parce que vous êtes des humains et donc, indignes de confiance !
-Quoi ?”
Infiniment choquée, Anak dévisageait Valérian qui ne semblait pas enchanté par les mots qui lui avaient échappé par excès d’exaspération. Ayant tout l’air de regretter, il voulut réparer son erreur en tentant de se justifier :
“Ecoute, Anak, c’est compli-...
-Ah bah vous êtes là ! les hêla Murdock depuis le pont du Mod. Vous finirez de folâtrer plus tard, les amoureux, on vous attend, nous ! Y’a du pain sur la planche, petit moineau !
-On arrive !”
Le demi-nain était appuyé au bastingage alors que derrière lui, la Grande Voile se hissait sous la force combinée de Sibéal, Apollo et Oriag. Anak s’apprêtait à les rejoindre quand Valérian la retint en posant une main sur son bras sans pour autant le saisir. Le regret avait été remplacé par la suspicion sur le visage du blond, et Anak eut un mauvais pressentiment.
“Tu leur en as parlé.
-Euh… de quoi ?”
L'embarras s’insinuait déjà en Anak alors que les lèvres de Valérian se pinçaient avec une espèce de sévérité. Évidemment, elle savait à quoi il faisait allusion. A ce soir-là dans les filets où elle l’avait embrassé, et où il avait participé aux réjouissances. Elle se passa une main à sa nuque, trouvant comment échapper à la triste vérité.
“C’est possible que ça m’ait échappé… mais Murdock arrêtait pas de me titiller et c’est sorti tout seul !”
Elle espérait qu’il connaissait le sentiment, cette fragilité de détermination et cette faiblesse qui menait à des confessions imprévues. En réalité, elle n’avait pas non plus voulu partager l’évènement, elle aurait préféré garder le souvenir pour elle. Malheureusement pour elle, il n’eut pas l’air de s’identifier à ses problèmes.
“Tu vois, appuya-t-il simplement.
-Non, ça n’a rien à voir ! Les humains sont dignes de confiance ! JE suis digne de confiance, se défendit-elle en tapotant sa poitrine en gage de bonne foi. Je sais garder les secrets mais ça, c’était pas vraiment un secret, si ?”
Tout au plus… une cachotterie.
L’air grave, Valérian l’étudiait comme s’il réfléchissait à la validité du raisonnement et au poids des arguments. Il finit sans doute par avoir un peu pitié de ses yeux de chien battu et une mine indulgente se calqua sur ses traits fins alors qu’il replaçait une mèche vagabonde derrière l’oreille d’Anak.
“D’accord, concéda-t-il, je te fais confiance.”
Un sourire éclatant naquit sur les lèvres d’Anak alors qu’une vague de soulagement balayait son inquiétude. Elle se retrouva un instant comme submergée par la douceur qu’elle trouvait dans le bleu des yeux de Valérian avant que la voix tonitruante de Murdock vint briser le moment :
“M’DITES PAS QU’IL FAUT QUE JE VIENNE VOUS CHERCHER PAR LA PEAU DES FESSES !”